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Alors Pierre s’avança : Seigneur, combien de fois dois-je fermer les yeux sur les manquements de mon frère à mon endroit ? Sept fois ?

Et Jésus : ce n’est pas sept fois que je te dis de le faire, mais soixante-dix fois sept fois.

Evangile de Matthieu 18 21-22

Le pardon sans mesure

Jacques Derrida (citation dans le journal La Croix du 31/01/2013 à propos de son livre « L’impardonnable et l’Imprescriptible ») reprend cette idée du pardon sans mesure : « Si j’accorde le pardon à la condition que l’autre avoue, commence à se racheter, à transfigurer sa faute, à s’en dissocier lui-même pour en demander pardon, alors mon pardon commence à se laisser contaminer par un calcul qui le corrompt … Il n’y a de pardon, s’il y en a, que de l’im-pardonnable ».

Soixante-dix fois sept fois, c’est-à-dire en langage biblique un nombre incommensurable de fois : voilà qui peut donner de la marge aux pécheurs récalcitrants dirait le fils aîné ! Le pécheur ne trouve pas sa « punition » dans le refus de pardon ou la condamnation. Le péché, c’est se tromper de but, c’est « aller dans le mur », c’est la mort assurée. Le péché, c’est attenter à l’humain, à ce que l’humain a de divin, se rendre complice des forces de mort à l’œuvre dans le monde.

Comme le père des deux enfants, Dieu ne se sent pas « personnellement » atteint, blessé par notre péché (vision anthropomorphique répandue), son amour souffre de la souffrance et de la mort du pécheur qu’il veut combattre ; il veut la conversion, le retour ; il frappe à notre porte et nous attend pour que nous nous jetions dans ses bras.

La réconciliation (2)

Le feu qui épure l’or

C’est par la confrontation à la vérité de sa Parole, que le pécheur prend conscience de son égarement. Sa Parole est le feu qui épure l’or que nous sommes pour lui. Cette parole prend vie dans son expression liturgique et dans la charité de ceux qui se déclarent ses fils. C’est la lumière qui donne naissance aux ombres. Jésus est venu dans nos ténèbres pour les mettre en évidence. C’est parce que lui, le juste parmi les justes, est immolé sur une croix qu’apparaît la lâcheté de nos comportements.

Nous pouvons nous aussi crucifier « le Chemin, la Vérité, la Vie » parfois en toute inconscience et en croyant même bien faire ! Même nos bonnes actions peuvent être infectées du péché et viser des cibles qui nous échappent derrière nos plus belles intentions. Purifions notre or dans le feu de la vérité ! Ne réduisons pas la charité et l’amour fraternel à des codes socio-religieux où les états d’âme se diluent dans une pudibonde hypocrisie bien-pensante. Pensons à cet aphorisme de Pascal : « L’homme n’est ni ange, ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange, fait la bête » (Pensées, Fragment 572) ! En effet, de tout ce commerce « de bons sentiments et de bonnes actions » sur le parvis de son temple, Jésus a le plus grand dégoût : « Croyez en ma parole, les collecteurs d’impôt et les filles publiques entreront avant vous dans le règne de Dieu » (Mt 21 31).

La honte de la nudité : Adam et Eve par E. James Tissot (19ème siècle)

La honte de la nudité : Adam et Eve par E. James Tissot (19ème siècle)

La honte de notre nudité

En sommes-nous alors réduits à la honte de notre nudité, à la culpabilité même d’exister ? La conception chrétienne du péché originel pourrait le laisser penser. Mais pourquoi Dieu nous a-t-il créés si fragiles ? Nos esprits ne peuvent concevoir le néant (nos scientifiques se cassent la tête à définir ce qu’ils appellent les trous noirs en astronomie). Si le néant « existe », il s’oppose à toute idée de création ; son absolu est la négation même de la liberté d’être autre, d’exister.

Puisque, apparemment, nous existons, ce ne peut être que le fait d’une création de notre être à partir du principe originel. Cette création implique une différenciation sinon le principe se serait reproduit lui-même à l’identique et serait confondu avec lui-même. Ce principe, appelons-le Yhwh ou Dieu, nous a donc créés à son image - nous sommes issus de lui ! – mais autonomes, libres, parce que créés, mais non abandonnés, sollicités par lui pour être en alliance, alliance qui se révélerait par la suite amour paternel de ce Père dont nous sommes les fils.

Alliance, rapports de fils à père supposent différenciation et donc « péché » sinon notre perfection nous confondrait avec Dieu duquel nous ne serions pas créés, donc différenciés. Et c’est bien parce que nous sommes pécheurs que Dieu peut nous aimer et nous proposer de revenir vers lui jusqu’à soixante-dix fois sept fois lorsque nous allons dans le mur. Le pardon est la forme sublime de l’amour ; aux fils prodigues que nous sommes de l’expérimenter si nous savons ouvrir à Dieu qui frappe à nos portes. « Heureuse était la faute qui nous valut pareil Rédempteur » chante le diacre dans l’ « Exsultet » à la Vigile pascale.

« Qu’est-ce que la chute ? Si c’est l’unité devenue dualité, c’est Dieu qui a chuté. En d’autres termes, la création ne serait-elle pas la chute de Dieu ? » (Charles Baudelaire, « Mon cœur mis à nu »). Baudelaire rejoint ici le gnosticisme qui voyait dans le dieu créateur un démiurge imparfait ayant créé un monde raté, voué au mal. Le gnostique n’avait que mépris pour ce monde-là et, gardant en lui la nostalgie du bien, s’attachait à le fuir pour rejoindre son moi véritable dans le divin pré-existentiel.

Le péché originel : Chapiteau de la basilique Saint Sernin à Toulouse (Début 12° siècle)

Le péché originel : Chapiteau de la basilique Saint Sernin à Toulouse (Début 12° siècle)

La femme voit que l’arbre est appétissant

un régal pour les yeux

qu’on désire l’arbre pour devenir connaisseur

Elle prend un fruit et le mange

elle en donne aussi à son homme avec elle

il mange

Leurs yeux s’ouvrent à tous les deux

ils découvrent qu’ils sont nus

cousent des feuilles de figuier

pour se couvrir les reins

Ils entendent le bruit de Yhwh Dieu

rôdeur dans le jardin

avec le vent du jour

L’adam et sa femme se cachent au milieu des arbres du jardin

pour éviter Yhwh Dieu

Yhwh Dieu appelle l’adam

où es-tu ?

Je t’ai entendu dans le jardin et j’ai eu peur

je suis nu et je me suis caché, répond l’adam

Qui t’a appris que tu es nu ?

As-tu mangé de l’arbre dont je t’ai donné l’ordre de ne pas manger ?

Genèse 3 6-11 (Trad. Bible Bayard)

Le jardin d’Eden et la chute de l’homme par Jan Brueghel l’ancien et Pierre Paul Rubens, vers 1615

Le jardin d’Eden et la chute de l’homme par Jan Brueghel l’ancien et Pierre Paul Rubens, vers 1615

La faille originelle

S’il y bien une « faille d’origine », nous la devons à notre liberté d’êtres créés, différenciés de lui, voulue par Dieu. Ce n’est pas de cette faille que nous devons nous sentir coupables mais plutôt de vouloir la nier car nous la ressentons comme une blessure. Comme le jeune fils, nous dépensons beaucoup d’énergie à essayer de découvrir par nous-mêmes, pour nous les accaparer, manger-assimiler, toutes sortes de fruits très appétissants. Ces tentatives ne nous mènent qu’à nous retrouver dans notre nudité, comme lui. Quoi ! nous ne sommes pas capables d’accéder à l’inaccessible ! Nous couvrons cette nudité pour nous honteuse derrière les pauvres pagnes de nos âmes rétrécies. Nous faisons sourde oreille à la voix de notre Dieu qui nous appelle et frappe à notre porte ; nous nous cachons morts de peur et de honte. Refus de cette faille co-existante à notre création où nous ne reconnaissons que notre nudité et plongeons dans le néant, derrière le pagne de nos possessions et de nos certitudes !

Malheureuses fautes si nous n’ouvrons pas notre porte !

Heureuses fautes qui nous valent la visite de Dieu pour dîner avec nous !

Heureuses fautes du jeune frère qui lui ont valu le banquet de la réconciliation avec son père !

C’est au cœur de cette faille, dans notre nudité originelle, sans le pagne de nos petites certitudes et richesses, dans notre limon originel que Dieu nous attend pour renouveler sa création au souffle de son Esprit. Comme Jésus nous sommes appelés à tout donner au banquet du Royaume. Nous y sommes invités revêtus du vêtement blanc de l’Homme nouveau plongé dans la mort et régénéré par l’eau du baptême où nous nous reconnaissons ses enfants.

Encore faut-il ne pas nous approprier notre désappropriation !

Aussi, pour ne pas m’exalter, on a fiché dans ma chair un éclat de bois, un messager de l’Adversaire pour me gifler, et que je ne m’exalte pas.

A son sujet trois fois j’en ai parlé au Seigneur pour qu’il s’éloigne de moi. Il m’a dit : ma grâce te suffit, la puissance est réalisée dans la faiblesse.

Très facilement je serai davantage fier dans mes faiblesses pour que la puissance du Christ s’établisse en moi.

C’est pourquoi je suis satisfait de faiblesses, d’injures, de contraintes, de persécutions et d’impasses pour Christ.

Quand je suis faible alors oui je suis fort.

2ème épître de Paul aux Corinthiens 12 7-10 (Trad. Bible Bayard)

Chant de l'Exsultet par le diacre

A écouter :

L’Exsultet, hymne de la veillée pascale, chanté à l’abbaye de Fontfroide (11) https://www.youtube.com/watch?v=nP_5YxIAV2E

« O felix culpa » : O bienheureuse faute !

Texte latin puis traduction en français (dans les commentaires !) : http://www.blogcatholique.fr/2010/04/exultet.html

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