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Oculi mei

Mes yeux toujours tournés vers le Seigneur !

Car c’est lui qui dégagera mes pieds du filet.

Retourne-toi pour me regarder et aie pitié de moi,

Car moi je suis seul et de peu.

V/ Vers toi j’élève mon âme ;

mon Dieu, en toi je me confie : je ne rougirai pas !

 

Oculi mei semper ad Dominum,

quia ipse evellet de laqueo pedes meos :

Respice in me, et miserere mei,

quoniam unicus et pauper sum ego.

V/ Ad te, Domine, levavi animam meam :

Deus meus, in te confido, non erubescam

(Ps 24, 15-16 et 1-2)

 

Photo d'en-tête : Nicolas Mignard (1606-1668), "Saint Bruno en prière dans le désert", Avignon, Musée Calvet, (Photo Wikimédia commons)

 

Dans un échange de regards

 

Oculi mei …

Mes yeux toujours tournés vers le Seigneur ! (Ps 24, 15)

Retourne-toi pour me regarder et aie pitié de moi (Ps 24, 16)

 

Dans le répertoire du troisième dimanche de Carême auquel appartient notre introït nous retrouvons cette même thématique des yeux levés vers le Seigneur dans le Trait (chanté après la deuxième lecture) dont les paroles sont empruntées au Ps 122 :

 

Ad te levavi oculos meos …

Vers toi j'ai les yeux levés, vers toi qui es au ciel.

Comme les yeux de l'esclave vers la main de son maître,

comme les yeux de la servante vers la main de sa maîtresse,

nos yeux, levés vers le Seigneur notre Dieu, attendent sa pitié. (Ps 122, 1-2)

 

L’évangile proposé pour ce dimanche est celui de la Samaritaine, en principe pour l’année A, mais qui peut aussi être lu les autres années.

La Chronique des Moniales de l’abbaye du Pesquié cite justement un texte de Romanos (p. 14) qui fait dire à la Samaritaine :

« Fils d’homme à mes regards, Fils de Dieu pour mon esprit, éclaire mon cœur, Seigneur … Enseigne-moi qui tu es. Mes yeux te voient sans détour, mon esprit te contemple dans la foi, ne te dérobe pas à moi. »  (Romanos le Mélode, v. 493- v. 556, Hymnes)

Dans le dialogue entre Jésus et la Samaritaine, initié probablement par des regards, se confrontent la vie amoureuse tumultueuse de la femme et l’amour divin de Jésus qui lui promet l’eau vive de la vie éternelle. C’est ce regard décapant du Fils, comme celui du Père, qui provoque la prise de conscience par le pécheur de sa pauvreté et de sa solitude, prisonnier qu’il est des filets du péché :

La femme répliqua : « je n’ai pas de mari » (Jn 4, 17)

 

Le Carême est une période d’épreuve pour la foi : la vision du peu que nous sommes rencontre le regard d’amour du Créateur : l’eau vive jaillira du corps du Christ avec son sang (Jn 19, 34). Baptisés dans sa mort nous ressusciterons avec lui (Rm 6, 3-5).

 

Notre introït emprunte au Ps 24 (hb 25) largement utilisé pour diverses pièces du temps de l’Avent (3) et du Carême (5) où la contemplation s’anime d’une prise de conscience de l’état de pécheur rencontrant la tendresse de l’amour divin.

 

Artemisia Gentileschi (1593- ?), "Le Christ et la Samaritaine au puits", Naples (Photo Wikimedia commons))

Artemisia Gentileschi (1593- ?), "Le Christ et la Samaritaine au puits", Naples (Photo Wikimedia commons))

Le psaume 24 (hb 25)

 

Je reprends ici le commentaire du psaume 24 qui figure déjà dans l’article consacré à l’introït Ad te levavi du premier dimanche de l’Avent.

 

Lien vers la traduction liturgique du psaume que nous utilisons ici en apportant quelques précisions ou modifications : https://www.aelf.org/bible/Ps/24

 

01 Vers toi, Seigneur, j'élève mon âme,

On aurait bien tort de donner au mot âme le sens qu’il a conservé de l’influence de la philosophie grecque. La notion hébraïque recouvre une pluralité de sens autour de ce qui fait l’être humain en vie : le souffle, l’être, ses désirs, ses appétits. On devrait donc plutôt traduire : Vers toi, j’élève tout mon être.

De même pour :

13 Son âme (être) habitera le bonheur, ses descendants posséderont la terre.

20 Garde mon âme (être), délivre-moi ; je m'abrite en toi : épargne-moi la honte.

 

On retrouve cette thématique de l’âme, être vivant, élevée vers Dieu dans d’autres psaumes :

Seigneur, réjouis ton serviteur : vers toi, j'élève mon âme ! (Ps 85, 4)

Mon âme a soif de Dieu, le Dieu vivant ; quand pourrai-je m'avancer, paraître face à Dieu ? (Ps 41, 3)

Comme un cerf altéré cherche l'eau vive, ainsi mon âme te cherche toi, mon Dieu.

Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l'aube : mon âme a soif de toi ; après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau. (Ps 62, 2)

Fais que j'entende au matin ton amour, car je compte sur toi. Montre-moi le chemin que je dois prendre : vers toi, j'élève mon âme ! (Ps 142, 8)

 

Cette tension de l’être vers Dieu est d’abord celle d’une espérance :

03 Pour qui espère en toi, pas de honte, mais honte et déception pour qui trahit.

05 ... C'est toi que j'espère tout le jour en raison de ta bonté, Seigneur.

 

L’espérance que Dieu va se tourner vers lui et lui apprendre les voies du Seigneur [qui] sont amour et vérité (v. 10).

 

En effet, cette élévation de l’être est un véritable chemin de perfection que le psalmiste demande à Dieu de lui faire connaître et de lui apprendre :

04 Seigneur, enseigne-moi tes voies, fais-moi connaître ta route.

 

Chemin qu’il montre à tout homme qui a l’humilité de se reconnaître pécheur :

07 Oublie les révoltes, les péchés de ma jeunesse …

08 Il est droit, il est bon, le Seigneur, lui qui montre aux pécheurs le chemin.

09 Sa justice dirige les humbles, il enseigne aux humbles son chemin.

 

Cette humilité devant Dieu, la confiance en lui sont les conditions pour éviter de perdre la face devant les ennemis, l’humiliation suprême pour un Oriental. Le péché est un dévoiement qui crée un désordre public où l’ennemi semble triompher. Ce thème est très présent dans ce psaume :

02 … épargne-moi la honte ; ne laisse pas triompher mon ennemi.

03 Pour qui espère en toi, pas de honte, mais honte et déception pour qui trahit.

16 Regarde, et prends pitié de moi, de moi qui suis seul et humilié

18 Vois mon humiliation et ma peine, enlève tous mes péchés.

20 Garde mon âme, délivre-moi ; je m'abrite en toi : épargne-moi la honte.

 

Le rapport étroit (le secret et l’alliance, v. 14) entre l’être et son Dieu passe par le regard :

15 J'ai les yeux tournés vers le Seigneur : il tirera mes pieds du filet.

16 Regarde, et prends pitié de moi, de moi qui suis seul et humilié.

18 Vois mon humiliation et ma peine, enlève tous mes péchés.

19 Vois mes ennemis si nombreux, la haine violente qu'ils me portent

 

Cette supplique du psalmiste de le libérer de ses angoisses s’étend à la fin à tout Israël :

17 L'angoisse grandit dans mon coeur : tire-moi de ma détresse.

22 Libère Israël, ô mon Dieu, de toutes ses angoisses !

 

Ce psaume a été composé dans un contexte exilique. « Le retour de l’exil est décrit comme une libération, un rachat analogue à celui de l’exode hors d’Egypte » (Vesco, p. 266) :

Là, il y aura une chaussée, une voie qu’on appellera « la Voie sacrée ». L’homme impur n’y passera pas – il suit sa propre voie – et les insensés ne viendront pas s’y égarer.

Là, il n’y aura pas de lion, aucune bête féroce ne surgira, il ne s’en trouvera pas ; mais les rachetés y marcheront.

Ceux qu’a libérés le Seigneur reviennent, ils entrent dans Sion avec des cris de fête, couronnés de l’éternelle joie. Allégresse et joie les rejoindront, douleur et plainte s’enfuient. (Is 35, 8-10)

 

Le destin individuel se fond dans le destin collectif. Déjà le verset 3 envisageait ce passage à l’universel :

Aussi, tous ceux qui t’espèrent n’auront-ils pas honte,

Auront honte ceux qui trahissent pour rien.

(Trad. Jean-Luc Vesco)

 

Ce peuple en marche, angoissé par ses détresses, préfigure bien sûr l’Eglise en marche vers la terre promise où son Dieu s’est incarné.

 

Oculi mei

Le langage mystique empruntera de même largement à l’expression de l’amour humain.

 Photo ci-dessus : François Gérard (1770-1837), "Sainte Thérèse d'Avila" (Photo Wikimedia commons)

Le texte de l’introït

 

Le texte de l’introït est emprunté au psautier romain :

 

15 oculi mei semper ad Dominum

quoniam ipse evellet de laqueo pedes meos

16 respice in me et miserere mei

quoniam unicus et pauper sum ego

V/ 1 Ad te Domine levavi animam meam

2 Deus meus in te confido non erubescam

 

Quoniam au v. 15 est remplacé par quia de même sens (le psautier gallican utilise d’abord quoniam puis quia au V. 16)

 

15 Mes yeux toujours tournés vers le Seigneur !

Car c’est lui qui dégagera mes pieds du filet.

16 Retourne-toi pour me regarder et aie pitié de moi,

Car moi je suis seul et de peu.

V/ 1 Vers toi j’élève mon âme ;

2 mon Dieu, en toi je me confie : je ne rougirai pas !

 

Tandis que les versets retenus pour l’Introït du premier dimanche de l’Avent mettaient l’accent sur la confiance mise en Dieu pour éviter la honte d’être moqué par les ennemis dans un contexte collectif plus large et pour qu’il fasse connaître ses voies, le texte retenu pour notre introït confirme l’intimité entre le Seigneur et celui qui le supplie, personnage solitaire et de peu comme certainement se juge le moine auteur de la composition.

 

La relation entre Dieu et lui passe par le regard : le psalmiste a les yeux toujours tournés vers le Seigneur, à celui-ci de se retourner maintenant vers lui pour le regarder et avoir pitié de lui.

 

« Toujours est-il que l’on demande aujourd’hui au Seigneur de se retourner pour regarder, puisque aussi bien tel est le sens exact du verbe respicere, lequel sous-entend un retournement, une ‘’ conversion ‘’. Le Seigneur lui-même serait-il donc appelé à la conversion ? C’est un fait que ‘’ le Seigneur, se retournant, fixa son regard sur Pierre. Et Pierre se ressouvint de la parole du Seigneur … ‘’ (Lc 22, 61) (François Cassingéna-Trévedy, op. cit. p. 23)

 

Cet appel au regard de Dieu est fréquent dans les psaumes : 69, 17 ; 86,16 ; 119, 132 (hb) …

 

L’humilité (de peu) et la solitude (je suis seul) sont liées à la prise de conscience de son péché comme le précisent les v. 17 et 18 qui suivent et qui n’ont pas été retenus dans la composition :

17 Mets au large les adversités de mon cœur,

et fais-moi sortir de mes tourments.

18 Rencontre mon humiliation et ma peine, et enlève tous mes péchés.

(Trad. Jean-Luc Vesco)

 

Les péchés et les tourments du cœur qui les accompagnent finissent par constituer comme un filet qui entrave les pieds pour aller sur les chemins du Seigneur (V. 15)

On retrouve cette image du filet dans une quinzaine de psaumes. On pense en particulier :

  • au Ps 18, 5-6 (hb) :

Les filets de l’enfer me cernaient, les pièges de la Mort m'attendaient.

Dans mon angoisse j'invoquai Yahvé, vers mon Dieu je lançai mon cri ; il entendit de son temple ma voix et mon cri parvint à ses oreilles.

On retrouve ces versets dans l’introït Circumdederunt me qui figure au samedi de la quatrième semaine de Carême et que nous avons déjà commenté.

  • Au Ps 124, 7 (hb) :

Notre âme comme un oiseau s'est échappée du filet de l'oiseleur. Le filet s'est rompu et nous avons échappé.

Ce psaume est chanté quotidiennement dans les monastères bénédictins.

 

La Chronique de l’abbaye du Pesquié (n° 136, p.15) cite à ce propos Saint-Jérôme :

« Il dégagera mes pieds du piège, c’est-à-dire mes affections des pièges du diable qui m’avait saisi par les voluptés du siècle ‘’

Et Saint-Thomas citant Qo 9, 12 :

L’homme ne connaît même pas son heure : comme le poisson pris au filet fatal, comme l’oiseau pris au piège, ainsi en est-il des fils d’Adam surpris par le moment fatal qui tombe sur eux à l’improviste.

L’auteur de l’article poursuit : « Pour lui comme pour Jérôme ces ‘’ lacs ‘’, ce sont les pièges du diable, occasion de péchés. ‘’ Et quand l’homme tombe dans le péché alors il est lié par le lacet de sa passion qu’on appelle péché de l’homme, et Dieu seul libère de ce lacet. »

 

Cette solitude dans le « désert du Carême », à l’imitation du Christ, cette conscience d’être de peu, enfermé dans son péché, conduisent l’homme à contempler Dieu, avec la certitude déjà acquise (v. 15 : Car c’est lui qui dégagera mes pieds du filet) qu’il le délivrera du filet de ses péchés avant même qu’il le supplie (v. 16 : Retourne-toi pour me regarder et aie pitié de moi)

 

Le verset de l’introït (Ps 24, 1-2) a été commenté dans le cadre de l’article sur Ad te levavi : http://www.bible-parole-et-paroles.com/2019/11/ad-te-levavi.html

Oculi mei

Einsiedeln, Stiftsbibliothek, Codex 121, p. 131 (Graduale). Ce manuscrit provenant de l’abbaye de Saint-Gall (milieu du 11ème siècle) montre les neumes dessinés au-dessus du texte latin. La mention « E 131 » inscrite en marge de la transcription solesmienne ci-dessous indique justement la provenance de l'appareil neumatique transcrit en rouge au-dessous de la notation établie par les moines. L'écriture neumatique peut être considérée comme la mise en espace sonore du texte de la Parole.

Graduale Triplex de Solesmes p. 96

Graduale Triplex de Solesmes p. 96

La mélodie grégorienne

 

La mélodie du 7ème mode commence par une intonation caractéristique de celui-ci : la quinte sol (finale du mode) – (principale teneur psalmodique) que l’on retrouve par exemple dans la Communion Factus est repente du jour de Pentecôte et dans l’introït Puer natus est du jour de Noël. Elle annonce une proclamation de foi joyeuse se déroulant sur cette corde en neumes le plus souvent appuyées : cette tension du regard vers le Seigneur est soutenue par la confiance d’être tiré par lui du filet.

Sur le mot Dominum -Seigneur se développe une courbe mélodique descendante marquant un mouvement d’adoration intérieure.

L’élan reprend sur la deuxième incise pour atteindre le fa supérieur, apex (sommet) de la mélodie, sur evellet (dégagera). Le mouvement de dégagement du filet conduit vers les hauteurs célestes : la mélodie se maintient ensuite presque exclusivement entre mi et do supérieurs pour se terminer sur un si de cadence intermédiaire.

La deuxième partie de l’introït marque un changement de climat : la corde s’efface peu à peu au profit d’une corde auxiliaire sur do qui se maintient solidement jusqu’à la fin, enveloppant la mélodie dans une tessiture do supérieur-fa inférieur qui marque la retenue et la contrition. Le poids de la culpabilité se manifeste avec des groupements de neumes appuyés : distropha (2 mêmes notes) sur mei et pauper, tristropha (3 mêmes notes) sur unicus.

Respice in me, délicatement ornementé (torculus do-mi-do, do-ré-do, sol-la-sol), traduit la douceur du regard divin.

Nous retrouvons le même mouvement mélodique d’intériorisation que sur la finale de Dominum ; ces cadences intermédiaires font office de refrain pour l’oreille : la-do-sol-fa-sol-sol-fa sur unicus, et, très légèrement différent, la-do-sol-sol-fa-sol-sol-fa, sur mei. Le Seigneur (Dominum) et le « moi » dans sa solitude (mei, unicus) se fondent dans l’échange d’un même regard ; le Seigneur rejoint le pécheur au plus profond de lui-même (fa est la note plancher).

 

Cet introït, contrasté dans ses climats musicaux, traduit bien l’intensité et la douceur du regard d’amour échangé entre le Seigneur et le pécheur. Il s’accorde parfaitement à la relation de la rencontre entre Jésus et la Samaritaine. La vérité de leur regard mutuel, source d’eau vive, annonce un nouveau monde « où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité » (Jn 4, 23)

 

Comme interprétation j’ai choisi

 

 

 

Bibliographie

 

  • François Cassingéna-Trévedy, « Chante et marche, les Introïts III », Ed. Ad Solem, 2014 (introït Respice in me p. 23).
  • Jean-Luc Vesco, « Le psautier de David traduit et commenté », 2 tomes, Ed. Cerf, Coll . Lectio Divina, 2011.
  • « Chronique des Moniales de l’Abbaye Notre-Dame du Pesquié », n° 136, mars 2000, pp. 12-22.

 

Compléments

 

Le Trait Ad te levavi oculos meos

Il est chanté après la deuxième lecture à la place de l’Alleluia en Carême.

Interprétation par le Chœur grégorien de Paris : https://www.youtube.com/watch?v=6ePuiAALQ9g

 

Oculi mei en musique polyphonique :

  • Esteban Lopez Morago (1575-1630)

par un chœur https://www.youtube.com/watch?v=_VfrhZXefgM

Ou par un quatuor vocal : https://www.youtube.com/watch?v=9GsF7U0kjv0

Porrentruy, Bibliothèque cantonale jurassienne, Ms 18, graduel de l'abbaye de Bellelay, p. 107

Porrentruy, Bibliothèque cantonale jurassienne, Ms 18, graduel de l'abbaye de Bellelay, p. 107

La notation messine du manuscrit de l’abbaye de Bellelay

 

« Le graduel de l’abbaye de Bellelay est l’un des premiers manuscrits prémontrés. Il a été rédigé vers 1140-1150 dans un scriptorium du nord de la France, là où l’ordre prémontré a connu sa première expansion. Le manuscrit est ensuite parvenu à Bellelay (Jura suisse) où il est demeuré jusqu’au XVIII° siècle.

Le manuscrit est noté en notation messine, sur quatre lignes guidoniennes avec indication des clés au début des systèmes. A la diastématie ** déjà présente dans ce type de notation, il offre davantage de précision en combinant la souplesse de l’écriture neumatique et la rigueur d’un système théorique permettant de rendre compte exactement des hauteurs, en principe ».

 

** Diastématie : représentation des intervalles sur une hauteur fictive ou figurée par une ou plusieurs lignes. Les neumes diastématiques cherchent alors à rendre compte de la hauteur des sons.

 

(Olivier Cullin, « L’image musique », Fayard 2006, p. 95)

Dans un échange de regards …

 

On sait que le Cantique des cantiques chante l’amour de Dieu pour son peuple à l’image d’un amour humain. Les yeux du bien aimé et de la bien aimée ne manquent pas de se croiser tant le regard est sans doute la première manifestation de l’amour :

 

Te voilà si belle

mon amie

Te voilà si belle

Tes yeux

oh des colombes

 

Te voilà si beau

mon amour si gracieux

Notre lit

si frais

(Ct 1, 15-16. Trad. Bible Bayard)

Oculi mei

Ce tableau peint par Marc Chagall fait partie d’une série de quatre inspirée par le Cantique des cantiques. Ce sont des huiles sur papier entoilé qui appartiennent au fonds du Musée Marc Chagall à Nice. Ce tableau, peint en 1958, est le quatrième et représente David et Bethsabée échangeant leur regard amoureux en chevauchant un cheval ailé au-dessus de la ville sainte, couple passionnel et scandaleux puisque David envoie le mari de Bethsabée au combat pour le faire mourir et obtenir ainsi la femme qu’il convoite.

« Caractéristique de la superposition des sens chez Chagall, le cheval manifeste la puissance du désir et de l’amour charnel, il est aussi le Pégase de la mythologie grecque, symbole de la poésie, et peut enfin incarner la force de l’amour humain, capable de s’élever jusqu’au divin. La traîne de la mariée recouvre l’arrière-train du cheval et se dilue dans le ciel jusqu’à former la trace d’une comète, ce qui accentue l’impression dynamique de l’envol. … Le soleil qui se lève derrière la colline de Jérusalem, malgré ses rayons lumineux, est lui aussi teinté de pourpre sombre. L’amour est ici évoqué sous une forme triomphale que la foule amassée en bas du tableau semble célébrer. Porteurs de Torah ou de menorah, couple d’amoureux, mères tenant leur enfant dans les bras, même le Juif errant, tous lèvent les yeux vers le couple emporté par l’amour. Le visage de David, « vert de bonheur » selon l’expression yiddish, et l’arbre couvert de fleurs en bas à droite ajoutent encore à l’allégresse générale et exaltent l’amour de l’homme et de la femme, et par là-même leur Créateur ».

(Commentaire de Elisabeth Pacoud-Rème dans « Chagall, Musée Marc Chagall, Nice », édité par Artlys, Paris 2011. p. 193)

 

La vie tumultueuse de la Samaritaine mariée à cinq hommes et vivant en concubinage avec le sixième ne l’empêchait pas, elle aussi, de s’élever jusqu’au divin « en esprit et en vérité » (Jn 4, 23-24)

« Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ ? (Jn 4, 29)

Benvenuto Tisi de Garofalo (1481-1559), "Jésus et la Samaritaine" (Photo Wikimedia commons)

Benvenuto Tisi de Garofalo (1481-1559), "Jésus et la Samaritaine" (Photo Wikimedia commons)

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