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Le motu proprio « Aperuit illis »

Le Pape François a publié le 30 septembre une lettre apostolique instituant le troisième dimanche du Temps ordinaire comme « dimanche de la Parole de Dieu » pour mettre plus particulièrement en valeur celle-ci au sein de la célébration de l’eucharistie,

Sa lettre se réfère bien sûr aux textes fondamentaux « pour comprendre l’inépuisable richesse qui provient de ce dialogue constant de Dieu avec son peuple » (n° 2) que sont la constitution conciliaire « Dei Verbum » et l’exhortation apostolique de Benoît XVI « Verbum Domini ».

 

Photo ci-dessus : le lieu de proclamation de la Parole (ambon) dans le sanctuaire de l'église de l'abbaye bénédictine de Ligugé (Vienne)

Ce lieu où est donné le "Pain de la Parole" est disposé, dans la même perspective, en harmonie avec celui ou est donné le "Pain eucharistique" marquant bien le lien indissoluble entre les deux (photo ci-dessous)

Le motu proprio « Aperuit illis »

Texte de l’exhortation apostolique « Aperuit illis »

Elle commence par se référer à Luc 24, 25 qui relate l’apparition de Jésus ressuscité aux disciples « Alors il leur ouvrit (aperuit illis) l’intelligence à la compréhension des écritures ». Le pape veut visiblement « recycler » pastoralement des textes pourtant fondamentaux peu lus et commentés à la base, mais surtout oubliés. Il a certainement perçu, comme tout un chacun, l’ennui de nombreux fidèles pendant la messe, l’absence de préparation de lecteurs qui ânonnent trop souvent des textes qu’ils ne comprennent pas, et les homélies insuffisamment préparées et insignifiantes des célébrants.

L’idée conciliaire de proposer trois lectures le dimanche était certes louable, mais la réalisation, encore une fois, a buté sur le manque de formation - d’intérêt ? - des uns et des autres. Rappelant que l’apparition du Ressuscité aux disciples d’Emmaüs fait suivre l’ouverture aux Ecritures d’un repas, il souligne : « combien est inséparable le rapport entre l’Écriture Sainte et l’Eucharistie. » (n° 8).

Et le pape de donner des consignes pour remettre la Parole à l’honneur, « non pas une seule fois par an, mais toute l’année » (n° 8) : préparation sérieuse des homélies, formation des lecteurs …

Le pape prévoit même un ministère, calqué sur l’ordre mineur du lectorat (n° 3). Le journal « La Croix », avec ses lunettes roses habituelles, titre (article du 30 septembre) : « Le pape François donne la Parole aux femmes » ajoutant « François évoque aussi un ministère « spécifique » de proclamation de la Parole, ouvert aux femmes. » Précisons tout de même que si François utilise sept fois le mot homme dans sa lettre, il n’utilise jamais le mot femme ! En fait il s’agit de donner un peu de consistance au rôle de lecteur, de l’officialiser, mais les femmes font depuis longtemps les lectures durant la messe, y compris dans les célébrations papales !

 

Plus profondément, le texte de François souvent malhabile dans son plan et son expression, traduit un désir sincère de rendre la Parole vivante et nourrissante, mais il hésite constamment entre une vision normative de l’Ecriture et une vision ouverte, révélant son souci de ne pas contrarier des positions extrêmes :

 

« Il sera important, en tout cas que, dans la célébration eucharistique, l’on puisse introduire le texte sacré, de manière à rendre évidente à l’assemblée la valeur normative que possède la Parole de Dieu. » (n° 3)

 

« Rappelant tout d’abord la recommandation de Paul à Timothée, Dei Verbum souligne que « les livres de l’Écriture enseignent fermement, fidèlement et sans erreur la vérité que Dieu a voulu voir consigner dans les Lettres sacrées pour notre salut » (n. 11). Puisque celles-ci enseignent en vue du salut pour la foi dans le Christ (2 Tm 3, 15), les vérités qu’elles contiennent servent à notre salut. » (n° 9)

 

« Il est donc nécessaire d’avoir confiance en l’action de l’Esprit Saint qui continue à réaliser sa forme particulière d’inspiration lorsque l’Église enseigne l’Écriture Sainte, lorsque le Magistère l’interprète authentiquement (cf.

ibid., 10) et quand chaque croyant en fait sa norme spirituelle. » (n° 10)

 

Vision normative, d’une Parole venant d’en haut, vérité contenue dans les Livres Sacrés en opposition avec une Parole incarnée dans des conditions historiques et culturelles :

 

« Dei Verbum précise enfin que « les paroles de Dieu, passant par les langues humaines, sont devenues semblables au langage des hommes, de même que jadis le Verbe du Père éternel, ayant assumé l’infirmité de notre chair, est devenu semblable aux hommes » (n. 13). C’est comme dire que l’Incarnation du Verbe de Dieu donne forme et sens à la relation entre la Parole de Dieu et le langage humain, avec ses conditions historiques et culturelles. C’est dans cet événement que prend forme la Tradition, qui elle aussi est Parole de Dieu (cf. Ibid., n. 9). » (n° 11)

 

Les perspectives de la Parole sont donc nombreuses comme le souligne dès le début le Pape citant Saint Ephrem :

« À cet égard, les enseignements de Saint Éphrem me viennent à l'esprit : « Qui donc est capable de comprendre toute la richesse d'une seule de tes paroles, Seigneur ? Ce que nous en comprenons est bien moindre que ce que nous en laissons, comme des gens assoiffés qui boivent à une source. Les perspectives de ta parole sont nombreuses, comme sont nombreuses les orientations de ceux qui l'étudient. Le Seigneur a coloré sa parole de multiples beautés, pour que chacun de ceux qui la scrutent puisse contempler ce qu'il aime. Et dans sa parole il a caché tous les trésors, pour que chacun de nous trouve une richesse dans ce qu'il médite » (Commentaires sur le Diatessaron, 1, 18). (n° 2)

 

Parole prophétique ouverte sur l’aujourd’hui :

 

Lorsque l’Écriture Sainte est lue dans le même esprit que celui avec lequel elle a été écrite, elle demeure toujours nouvelle. L’Ancien Testament n’est jamais vieux une fois qu’on le fait entrer dans le Nouveau, car tout est transformé par l’unique Esprit qui l’inspire. Tout le texte sacré possède une fonction prophétique : il ne concerne pas l’avenir, mais l’aujourd’hui de celui qui se nourrit de cette Parole. Jésus lui-même l’affirme clairement au début de son ministère : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre » (Lc 4, 21). Celui qui se nourrit chaque jour de la Parole de Dieu se fait, comme Jésus, contemporain des personnes qu’il rencontre ; il n’est pas tenté de tomber dans des nostalgies stériles du passé ni dans des utopies désincarnées vers l’avenir. (n° 12)

 

Refus du fondamentalisme :

 

« Pour atteindre ce but salvifique, l’Écriture Sainte, sous l’action de l’Esprit Saint, transforme en Parole de Dieu la parole des hommes écrite de manière humaine (cf. Dei Verbum, n. 12). Le rôle de l’Esprit Saint dans la Sainte Écriture est fondamental. Sans son action, le risque d'être enfermé dans le texte serait toujours un danger, rendant facile l’interprétation fondamentaliste, d'où nous devons rester à l'écart afin de ne pas trahir le caractère inspiré, dynamique et spirituel que possède le texte sacré. Comme le rappelle l’Apôtre, « la lettre tue, mais l’Esprit donne la vie » (2 Co 3, 6). Le Saint-Esprit transforme donc la Sainte Écriture en une Parole vivante de Dieu, vécue et transmise dans la foi de son peuple saint. (n° 9)

Le motu proprio « Aperuit illis »

Le pape est aussi un peu flou lorsqu’il parle d’un véritable ministère pour les lecteurs (n° 3, cf. ci-dessus) et plus loin des pasteurs qui ont la vocation d’être « ministres de la Parole » (n° 5).

 

Toutes ces approximations traduisent la position de plus en plus ambiguë du pape tiraillé entre des fidèles qui continuent de croire à ses velléités d’ouverture et d’autres, parfois très virulents, qui sont prêts à le traiter d’hérétique. Je redoute que ce texte, rédigé visiblement à la hâte, de circonstance avec le 1600ème anniversaire de la mort de Saint-Jérôme (30 septembre) traducteur de la bible en latin, soit reçu avec légèreté et donne lieu à des actions événementielles superficielles et sans conséquence profonde. De toutes façons les textes pontificaux font rarement l’objet d’une information et de commentaires dans nos paroisses de base.

 

Répondant par avance à des critiques qui suggèreraient que l’institution d’un « Dimanche de la Parole de Dieu » aurait pu être envisagée dans un cadre commun avec les frères chrétiens et la communauté juive, il se défend d’avoir placé ce dimanche dans une période de l’année « où nous sommes invités à renforcer les liens avec la communauté juive et à prier pour l’unité des chrétiens. Il ne s’agit pas d’une simple coïncidence temporelle : célébrer le Dimanche de la Parole de Dieu exprime une valeur œcuménique, parce que l’Écriture Sainte indique à ceux qui se mettent à l’écoute le chemin à suivre pour parvenir à une unité authentique et solide. » (n° 3).

C’est expédier tout de même un peu vite ce qui aurait pu être une occasion de partager la même Parole en vivant un temps œcuménique fort. Mais il est vrai que la mise en valeur de ce « Dimanche de la Parole » prend place au cours de l’eucharistie et répond à une préoccupation catholique. Une fois de plus nous pouvons constater que l’œcuménisme est en sommeil sous la pression des éléments les plus conservateurs.

 

Redonner des couleurs vives à la Parole

Pour que la Parole redevienne vivante, il faudrait certes l’actualiser, pas seulement, comme souvent, d’une manière moralisatrice au goût du jour mais en redonnant aux textes toutes les couleurs vives qu’ils avaient dans leur contexte de rédaction grâce aux progrès immenses de l’exégèse. Alors, là, véritablement pourrait se faire l’Incarnation de la Parole dans notre temps, bien loin des valeurs normatives saint-sulpiciennes qui l’obscurcissent encore et empêchent tout questionnement pouvant la rendre actuelle et vivante.

 

Lien vers le motu proprio : http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/motu_proprio/documents/papa-francesco-motu-proprio-20190930_aperuit-illis.html

Le motu proprio « Aperuit illis »

Domenico Ghirlandaio (1449-1494), "Saint Jérôme dans son étude", fresque, Chiesa di Ognissanti, Florence (Photo Wikimédia commons)

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