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Eglise ekklêsia

18. Eh bien ! moi je te dis : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les Portes de l'Hadès ne tiendront pas contre elle.

19. Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour délié. » (Mt 16, 18-19, trad. BJ de 1955)

 

15. « Si ton frère vient à pécher, va le trouver et reprends-le, seul à seul. S'il t'écoute, tu auras gagné ton frère.

16. S'il ne t'écoute pas, prends encore avec toi un ou deux autres, pour que toute affaire soit décidée sur la parole de deux ou trois témoins.

17. Que s'il refuse de les écouter, dis-le à la communauté. Et s'il refuse d'écouter même la communauté, qu'il soit pour toi comme le païen et le publicain.

18. « En vérité je vous le dis : tout ce que vous lierez sur la terre sera tenu au ciel pour lié, et tout ce que vous délierez sur la terre sera tenu au ciel pour délié. »

(Mt 18, 15-18, trad. BJ de 1955)

 

Dans les évangiles, le mot grec ekklêsia ne se rencontre que dans deux versets de Matthieu, dans la réponse de Jésus à la confession de foi de Pierre à Césarée (Mt 16, 13-19) et dans le passage qui traite de la correction fraternelle (Mt 18, 15-20).

Dans Mt 16, 18, la traduction des bibles pour Ekklêsia est Eglise (sauf pour la Bible « Bayard » qui choisit assemblée)

La Bible de Jérusalem (Ed. de 1955) et la Bible « Bayard » (Ed. 2001) sont les seules à proposer une traduction différente de ekklêsia dans Mt 18, 17 : communauté dans la première, assemblée dans la seconde, au lieu de Eglise commun à toutes les autres traductions courantes.

La Bible de Jérusalem fournit une note à ce propos : L’ekklêsia, c'est-à-dire l’assemblée des frères.

Nous nous trouvons une fois de plus devant un problème de traduction. Quand nous savons l’importance capitale de Mt 16, 18 dans l’institution de l’Eglise et de Pierre, et de ses « successeurs », comme chefs de celle-ci, il convient d’examiner attentivement ces versets de Matthieu en étudiant l’origine du mot ekklêsia et son emploi dans les autres textes du NT.

Notre curiosité est d’autant plus aiguisée lorsqu’on constate que Pierre - considéré comme le premier pape ! - dans les deux épîtres qui lui sont attribuées n’emploie jamais le mot ekklêsia et développe de plus une ecclésiologie bien différente de celle qui a été déduite dans les siècles ultérieurs à partir de Mt 16, 18.

 

Photo d’entête : « Remise des clés à Saint-Pierre », fresque de Pietro Perugino (1448-1523) à la chapelle Sixtine (photo Wikimedia commons)

L’origine du mot ekklêsia

 

Ce mot désigne en Grèce une assemblée constituée, répondant à une convocation ; par exemple l’assemblée des citoyens libres réunie sur l’agora. Ce substantif est formé à partir du verbe ekkaleô, appeler, inviter. Ce terme s’oppose à sullogos (de sullegô, mettre ensemble, rassembler, réunir) qui désigne un rassemblement fortuit ou une assemblée accidentelle. Sunagôgê, formé à partir du verbe sunagô - conduire ensemble, rassembler – apparaît plus tardivement et désigne une assemblée ou le lieu où elle se réunit (cf. synagogue).

Dans la Septante le mot ekklêsia correspond plutôt à l’hébreu qahal qui signifie assemblée réunie pour la liturgie ou un événement important pour elle :

Le premier jour, vous tiendrez une assemblée sainte (qahal); vous ferez de même le septième jour. Ces jours-là, on ne fera aucun travail, sauf pour préparer le repas de chacun ; on ne fera rien d’autre. (Ex 12, 16)

Pendant six jours, on travaillera, mais le septième jour sera un sabbat, un sabbat solennel, jour d’assemblée (qahal) sainte : vous ne ferez aucun travail. C’est un sabbat pour le Seigneur, partout où vous habitez. ( Lv 23, 3)

 

Le mot sunagôgê correspond plutôt à l’hébreu ‘èdah qui désigne Israël en tant que peuple, institution structurée.

03 Parlez ainsi à toute la communauté d’Israël (‘èdah) : le dix de ce mois, que l’on prenne un agneau par famille, un agneau par maison.

06 Vous le garderez jusqu’au quatorzième jour du mois. Dans toute l’assemblée (qahal) de la communauté d’Israël (‘èdah), on l’immolera au coucher du soleil. (Ex 12, 3.6)

 

« Il est possible que la parenté phonique (k / ql) et le parallélisme étymologique (« appeler » en grec comme en hébreu) expliquent le choix de ekklêsia dans le NT » (Nouveau Vocabulaire Biblique, p. 123)

Sunagôgê désignera alors plus spécifiquement la synagogue, lieu de rassemblement des juifs pour la prière.

Synagogue de Doura Europos (Syrie), 3° siècle.

Synagogue de Doura Europos (Syrie), 3° siècle.

Le mot ekklêsia dans les autres textes du NT

 

On peut remarquer l’emploi de ekklêsia pour rappeler l’assemblée tenue par Moïse au désert lors de la remise de la Loi, conforme à ce que nous avons signalé plus haut.

C'est lui qui, lors de l'assemblée (ekklêsia) au désert, était avec l'ange qui lui parlait sur le mont Sinaï, tout en restant avec nos pères ; lui qui reçut les paroles de vie pour nous les donner. (Ac 7, 38)

La Bible de Jérusalem (éd. 1955) donne à nouveau une note à propos de ekklêsia :

Le mot signifie également « Eglise », cf. Ac 5, 11 + … Pour les premiers chrétiens, l’Eglise est héritière de cette « assemblée » solennelle du peuple élu au désert.

 

En effet, les judéo-chrétiens d’origine hellénistique utilisèrent le mot ekklêsia pour désigner leur rassemblement tandis que sunagôgê désigne le lieu des assemblées juives (sauf Jc 2, 2, mais Jacques s’adressait plus particulièrement aux judéo-chrétiens) et même parfois l’institution juive locale, ou non :

Alors intervinrent des gens de la synagogue dite des Affranchis, des Cyrénéens, des Alexandrins et d'autres de Cilicie et d'Asie. Ils se mirent à discuter avec Étienne (Ac 6, 9)

« Mais, avant tout cela, on portera les mains sur vous, on vous persécutera, on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous traduira devant des rois et des gouverneurs à cause de mon Nom » (Lc 21, 12)

 

Dans les Actes des apôtres (23 emplois) Le mot ekklêsia, désigne chaque Eglise ou assemblée de fidèles particulière :

L’Eglise de Jérusalem (Ac 8, 1), d’Antioche (Ac 13, 1), de Césarée (Ac 18, 22) …

Ils [Paul et Barnabé] désignèrent des Anciens pour chacune de leurs Églises et, après avoir prié et jeûné, ils confièrent au Seigneur ces hommes qui avaient mis leur foi en lui. (Ac 14, 23)

 

Le mot ekklêsia s’emploi aussi au pluriel pour désigner les Eglises en concurrence avec le terme Eglise au singulier qui globalise l’ensemble des Eglises particulières ; ainsi, suivant les traditions manuscrites le mot est employé au singulier (occidentale et antiochienne) ou au pluriel (alexandrine) (cf. note de BJ éd. 1955) :

L’(es) Église(s) étai(en)t en paix dans toute la Judée, la Galilée et la Samarie ; elle(s) se construisai(ent et elle(s) marchai(en)t dans la crainte du Seigneur ; réconfortée(s) par l’Esprit Saint, elle(s) se multipliai(en)t. (Ac 9, 31)

 

Paul reprend ces usages en les développant théologiquement. Dans les Actes, c’est dans la bouche de Paul qu’apparaît une expression dont il semble le créateur Eglise de Dieu (10 emplois dans les épîtres) :

Veillez sur vous-mêmes, et sur tout le troupeau dont l’Esprit Saint vous a établis responsables, pour être les pasteurs de l’Église de Dieu, qu’il s’est acquise par son propre sang. (Ac 20, 28)

 

Là encore les diverses Eglises (à Corinthe, Philippes, Rome …) ne sont qu’une émanation de l’Eglise de Dieu :

Paul … à l’Église de Dieu qui est à Corinthe, à ceux qui ont été sanctifiés dans le Christ Jésus … (1 Co 1, 2)

Les assemblées domestiques s’articulent également avec les Eglises locales :

Les Églises de la province d’Asie vous saluent. Aquilas et Prisca vous saluent bien dans le Seigneur, avec l’Église qui se rassemble dans leur maison. (1 Co 16, 19)

La Bible de Jérusalem (éd. 1955) traduit d’ailleurs le second ekklêsia par « assemblée »

 

On rapprochera Eglise de Dieu de l’expression Peuple de dieu dans les épîtres attribuées à Pierre qui n’utilise jamais le mot Eglise ; le terme grec est alors laos :

Vous qui jadis n'étiez pas un peuple et qui êtes maintenant le Peuple de Dieu, qui n'obteniez pas miséricorde et qui maintenant avez obtenu miséricorde. (1 P 2, 10)

Paul utilise aussi cette expression Peuple de Dieu (He 4, 9 et 11, 25) ou en explicite le sens (2 Co 6, 16 – He 2, 17 – He 8, 10) toujours dans le contexte d’un rappel de l’ancienne Alliance de Dieu avec son peuple :

Mais voici quelle sera l’Alliance que j’établirai avec la maison d’Israël quand ces jours-là seront passés, dit le Seigneur. Quand je leur donnerai mes lois, je les inscrirai dans leur pensée et sur leurs cœurs. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple (laos). (He 8, 10)

 

La Nouvelle Alliance est celle que le Christ a inaugurée par sa mort-résurrection :

Tout grand prêtre est établi pour offrir des dons et des sacrifices ; il était donc nécessaire que notre grand prêtre ait, lui aussi, quelque chose à offrir. (He 8, 3)

Mais à présent, le Christ a obtenu un ministère d'autant plus élevé que meilleure est l'alliance dont il est le médiateur, et fondée sur de meilleures promesses. (He 8, 6)

 

L’Eglise est promesse d’accomplissement dans le Christ qui est véritablement la tête de ce corps ecclésial :

Il a tout mis sous ses pieds et, le plaçant plus haut que tout, il a fait de lui la tête de l’Église qui est son corps, et l’Église, c’est l’accomplissement total du Christ, lui que Dieu comble totalement de sa plénitude. (Ep 1, 22-23)

 

L’accomplissement total du Christ en son corps-Eglise se réalise à travers le mémorial de sa passion-résurrection que nous sommes invités à célébrer :

La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ ?

Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain. (1 Co 10, 16-17). Cf. aussi plus haut Ac 20, 28)

La communion au corps du Christ et donc au corps-Eglise suppose le partage (primauté du commandement d’Amour) :

Donc, lorsque vous vous réunissez tous ensemble, ce n’est plus le repas du Seigneur que vous prenez ; en effet, chacun se précipite pour prendre son propre repas, et l’un reste affamé, tandis que l’autre a trop bu. N’avez-vous donc pas de maisons pour manger et pour boire ? Méprisez-vous l’Église de Dieu au point d’humilier ceux qui n’ont rien ? (1 Co 11, 20-22)

Eglise ekklêsia

Photo : Les pains et le poisson font partie de l’iconographie mise en œuvre par les premiers chrétiens, ici dans la catacombe Saint Callixte à Rome (Début 3° s.) : les pains, symbole du pain eucharistique, et le poisson dont les lettres du nom grec ichtus représentent l’acrostiche du nom Jésus :

I (I, Iota) : Ἰησοῦς / Iêsoûs (« Jésus »)

Χ (KH, Khi) : Χριστὸς / Khristòs (« Christ »)

Θ (TH, Thêta) : Θεοῦ / Theoû (« de Dieu »)

Υ (U, Upsilon) : Υἱὸς / Huiòs (« fils »)

Σ (S, Sigma) : Σωτήρ / Sôtếr (« sauveur »)

 

« Jésus Christ Fils de Dieu Sauveur »

Par cette communion au corps du Christ-Corps-Eglise nous en devenons les membres avec chacun des dons différents :

Prenons une comparaison : en un corps unique, nous avons plusieurs membres, qui n’ont pas tous la même fonction ; de même, nous qui sommes plusieurs, nous sommes un seul corps dans le Christ, et membres les uns des autres, chacun pour sa part. Et selon la grâce que Dieu nous a accordée, nous avons reçu des dons qui sont différents. (Rm 12, 4-6)

 

C’est l’Esprit qui préside à l’unité dans la diversité dès le baptême :

Aussi bien est-ce en un seul Esprit que nous tous avons été baptisés en un seul corps, Juifs ou Grecs, esclaves ou hommes libres, et tous nous avons été abreuvés d'un seul Esprit. Aussi bien le corps n'est-il pas un seul membre, mais plusieurs. (1 Co 12, 13-14)

 

La communion dans l’Esprit est gage d’amour et de joie partagés :

S’il est vrai que, dans le Christ, on se réconforte les uns les autres, si l’on s’encourage avec amour, si l’on est en communion dans l’Esprit, si l’on a de la tendresse et de la compassion, alors, pour que ma joie soit complète, ayez les mêmes dispositions, le même amour, les mêmes sentiments ; recherchez l’unité. (Ph 2, 1-2)

 

Dans les Lettres de Jacques (Jc 5, 14) et Jean (3 Jn 1, 6.9.10) nous retrouvons un emploi du mot ekklêsia semblable à celui dans les Lettres de Paul.

Dans Apocalypse, ekklêsia est employé pour désigner les sept Eglises auxquelles l’auteur s’adresse : Ephèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicée.

L’expression « Celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Eglises » (Ap 2, 7.11 …) est employée de même sept fois et met en valeur le rôle de l’Esprit dans vie ecclésiale comme nous l’avons déjà observé chez Paul plus haut.

 

Après avoir essayé de définir ce que représente le mot ekklêsia, nous allons maintenant nous attacher à en étudier les trois seuls emplois dans les Evangiles, à savoir Mt 16, 18 et Mt 18, 17.

Tapisserie de l’Apocalypse à Angers (fin 14° s.) : les sept Eglises. (photo Wikimedia commons)

Tapisserie de l’Apocalypse à Angers (fin 14° s.) : les sept Eglises. (photo Wikimedia commons)

Le mot ekklêsia dans l’évangile de Matthieu

 

13. Arrivé dans la région de Césarée de Philippe, Jésus posa à ses disciples cette question : « Au dire des gens, qu'est le Fils de l'homme ? »

14. Ils dirent : « Pour les uns, il est Jean le Baptiste ; pour d'autres, Élie ; pour d'autres encore, Jérémie ou quelqu'un des prophètes. »

15. - « Mais pour vous, leur dit-il, qui suis-je ? »

16. Prenant alors la parole, Simon-Pierre répondit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. »

17. En réponse, Jésus lui déclara : « Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette révélation t'est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux.

18. Eh bien ! moi je te dis : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les Portes de l'Hadès ne tiendront pas contre elle.

19. Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour délié. » (Mt 16, 13-19, trad. BJ de 1955)

 

15. « Si ton frère vient à pécher, va le trouver et reprends-le, seul à seul. S'il t'écoute, tu auras gagné ton frère.

16. S'il ne t'écoute pas, prends encore avec toi un ou deux autres, pour que toute affaire soit décidée sur la parole de deux ou trois témoins.

17. Que s'il refuse de les écouter, dis-le à la communauté. Et s'il refuse d'écouter même la communauté, qu'il soit pour toi comme le païen et le publicain.

18. « En vérité je vous le dis : tout ce que vous lierez sur la terre sera tenu au ciel pour lié, et tout ce que vous délierez sur la terre sera tenu au ciel pour délié.

19. « De même, je vous le dis en vérité, si deux d'entre vous, sur la terre, unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux.

20. Que deux ou trois, en effet, soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d'eux. » (Mt 18, 15-20, trad. BJ de 1955)

 

Mt 16, 13-19 prend place entre une mise en garde de Jésus contre la doctrine des Pharisiens et des Sadducéens et la première annonce de sa Passion : Jésus voit sa fin approcher, il cherche à affiner la foi de ses disciples (« pour vous qui suis-je ? », provoquant la confession de Pierre en retour de laquelle il le désigne comme guide (« référent » dirait-on peut-être aujourd’hui ?) de la petite communauté des disciples lorsqu’il les aura quittés.

 

Le rassemblement autour de Jésus, cette petite communauté qui deviendra Eglise, repose sur une confession de foi qui elle-même est inspirée du Père qui est dans les cieux (Mt 16, 17) comme d’ailleurs Jésus vient lui-même d’en haut (Jn 8, 23 ; cf. aussi « Il vous fait naître d'en haut » Jn 3, 3.7). Pierre répond en son nom propre et celui des autres apôtres :

« Mais pour vous, leur dit-il, qui suis-je ? » Prenant alors la parole, Simon-Pierre répondit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. » (Mt 16, 15-16)

 

Remarquons que Jésus lui répond en Mt 16, 17, en utilisant le prénom originel : « Simon, fils de Jonas ». Le choix d’appeler Simon Pierre ne semble pas chez Matthieu une initiative de Jésus (au contraire de Mc 3, 16 et Jn 1, 42) :

« Il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et André son frère » (Mt 4, 18)

Pierre, en grec Petros, traduit l’araméen Kefa’ (Jn 1, 42) et n’est pas un prénom connu semble-t-il avant l’ère chrétienne.

Si Mt 16, 18 semble s’adresser plus particulièrement à Pierre, il s’adresse aussi aux autres disciples à travers lui comme le montre le rapprochement entre Mt 16, 19 :

« Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour délié. »

et Mt 18, 18 :

« En vérité je vous le dis : tout ce que vous lierez sur la terre sera tenu au ciel pour lié, et tout ce que vous délierez sur la terre sera tenu au ciel pour délié. »

 

Le pouvoir des clés s’inscrit dans une tradition judaïque qui signifie clairement un pouvoir donné, ainsi celui donné à Elyaquim au moment où s’annonce la ruine de Jérusalem :

Et, ce jour-là, j’appellerai mon serviteur, Éliakim, fils d’Helcias. Je le revêtirai de ta tunique, je le ceindrai de ton écharpe, je lui remettrai tes pouvoirs : il sera un père pour les habitants de Jérusalem et pour la maison de Juda. Je mettrai sur son épaule la clef de la maison de David : s’il ouvre, personne ne fermera ; s’il ferme, personne n’ouvrira. (Is 22, 20-22)

Pouvoir des clés qui est fondé aussi chez Isaïe sur une assise solide :

Je le planterai comme une cheville dans un endroit solide ; il sera un trône de gloire pour la maison de son père. (Is 22, 23).

Thématique des clés reprise dans Ap 3, 7 :

À l’ange de l’Église qui est à Philadelphie, écris : Ainsi parle le Saint, le Vrai, celui qui détient la clé de David, celui qui ouvre – et nul ne fermera –, celui qui ferme – et nul ne peut ouvrir.

Certains ont vu ici une figure du Messie comme en témoigne la liturgie d’avant Noël (voir complément 1)

« Saint Pierre et les clefs du Salut et du Paradis » par Pierre-Etienne Monnot (1657-1733), Basilique Saint-Jean du Latran, Rome. (photo Wikimedia commons)

« Saint Pierre et les clefs du Salut et du Paradis » par Pierre-Etienne Monnot (1657-1733), Basilique Saint-Jean du Latran, Rome. (photo Wikimedia commons)

L’ekklêsia maison de Dieu

 

« Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure. » (Jn 14, 23)

 

Paul développera cette idée : la véritable pierre d’angle de la construction de la maison de Dieu celle qui abrite les concitoyens des saints est le Christ Jésus lui-même, les apôtres et prophètes en constituent la fondation.

 

Ainsi donc, vous n'êtes plus des étrangers ni des hôtes ; vous êtes concitoyens des saints, vous êtes de la maison de Dieu. Car la construction que vous êtes a pour fondation les apôtres et prophètes, et pour pierre d'angle le Christ Jésus lui-même (Ep 2, 19-20).

 

L’ekklêsia est une construction spirituelle en croissance, un temple figure même du corps du Christ (Jn 2, 19-21), en laquelle Dieu habite :

En lui [Jésus] toute construction s'ajuste et grandit en un temple saint, dans le Seigneur ; en lui, vous aussi, vous êtes intégrés à la construction pour devenir une demeure de Dieu, dans l'Esprit. (Ep 2, 21-22)

Cette maison doit effectivement reposer sur des fondations solides (Mt 7, 24-27 ; Lc 6, 47-49) :

« Ainsi, quiconque écoute ces pare-les que je viens de dire et les met en pratique, peut se comparer à un homme avisé qui a bâti sa maison sur le roc. » (Mt 7, 24)

Métaphore de la construction reprise par Paul pour décrire le travail apostolique :

Nous sommes des collaborateurs de Dieu, et vous êtes un champ que Dieu cultive, une maison que Dieu construit. (1 Co 3, 9)

Eglise ekklêsia

L’église rupestre de Vals en Ariège dont les pierres sont accrochées au roc même, construite au 12° s., agrandie au 14° s. puis encore modifiée au 19° s. … construction de pierres en croissance !

https://demeuresdesirables.monsite-orange.fr/page-5c29e358d72eb.html

Les appelés, les invités à former une ekklêsia, une maison, une communauté

 

Ekklêsia vient du verbe ekkaleô signifiant appeler, convoquer.

L’ekklêsia des premiers chrétiens n’est en rien une institution, encore moins une nouvelle religion, mais l’assemblée des concitoyens (concitoyens des saints, cf. Ep 2,19) convoquée, comme à Athènes, pour délibérer et décider. Ce qui est confirmé par la suite dans Mt 18, 18 :

« En vérité je vous le dis : tout ce que vous lierez sur la terre sera tenu au ciel pour lié, et tout ce que vous délierez sur la terre sera tenu au ciel pour délié. »

 

Ces concitoyens habitent la maison de Dieu, forment une communauté, une ekklêsia :

Car si quelqu’un ne sait pas diriger sa propre maison (oikos), comment pourrait-il prendre en charge une Église (ekklêsia) de Dieu ? (1 Tm 3, 5)

Je veux que tu saches comment il faut se comporter dans la maison (oikos) de Dieu, c’est-à-dire la communauté, l’Église (ekklêsia) du Dieu vivant, elle qui est le pilier et le soutien de la vérité. (1 Tm 3, 15)

La traduction liturgique que nous employons ici explicite d’ailleurs ekklêsia : « c'est-à-dire la communauté », là où la TOB traduit au plus près : … tu sauras ainsi comment te conduire dans la maison de Dieu, qui est l’Eglise du Dieu vivant …

 

Cette communauté est faite d’appelés destinés à témoigner et à exercer le sacerdoce royal :

Mais vous, vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple destiné au salut, pour que vous annonciez les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. (1 P 2, 9)

L’idée de nation sainte, de peuple destiné au salut reprend celle qui caractérise le peuple de l’Ancienne Alliance.

 

Ceux qui répondent à l’appel sont des croyants qui adhèrent à la Parole ou sont convaincus par les signes accomplis :

Or, beaucoup de ceux qui avaient entendu la Parole devinrent croyants ; à ne compter que les hommes, il y en avait environ cinq mille. (Ac 4, 4)

Par les mains des Apôtres, beaucoup de signes et de prodiges s’accomplissaient dans le peuple. Tous les croyants, d’un même cœur, se tenaient sous le portique de Salomon. Personne d’autre n’osait se joindre à eux ; cependant tout le peuple faisait leur éloge ; de plus en plus, des foules d’hommes et de femmes, en devenant croyants, s’attachaient au Seigneur. (Ac,5, 12-14)

 

La communauté fraternelle dépasse le cadre local :

Soyez sobres, veillez. Votre partie adverse, le Diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer. Résistez-lui, fermes dans la foi, sachant que c'est le même genre de souffrance que la communauté des frères**, répandue dans le monde, supporte. (1 P 5, 8-9)

 

** Le terme employé est adelphotês, de adelphos, frère (Rappel : Pierre ne parle pas d’ekklêsia). Terme employé aussi en 1 P 2, 17 (ce sont les deux seuls emplois dans le NT) :

Honorez tout le monde, aimez la communauté des frères, craignez Dieu …

 

C’est l’amour mutuel et le service, chacun selon les dons reçus, qui caractérisent la communauté :

Avant tout, ayez entre vous une charité intense, car la charité couvre une multitude de péchés. Pratiquez l’hospitalité les uns envers les autres sans récriminer. Ce que chacun de vous a reçu comme don de la grâce, mettez-le au service des autres, en bons gérants de la grâce de Dieu qui est si diverse : si quelqu’un parle, qu’il le fasse comme pour des paroles de Dieu ; celui qui assure le service, qu’il s’en acquitte comme avec la force procurée par Dieu. Ainsi, en tout, Dieu sera glorifié par Jésus Christ, à qui appartiennent la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. Amen. (1 P 4, 8-11)

 

C’est le sens aussi de Mt 18, 15-18 qui règle le cas des différents entre frères dans les communautés.

 

Les disciples des diverses Eglises locales prendront pour la première fois le nom de Chrétiens (Christianoi) à Antioche :

Barnabé partit alors chercher Saul à Tarse. L'ayant trouvé, il l'amena à Antioche. Toute une année durant ils vécurent ensemble dans l'Église et y instruisirent une foule considérable. C'est à Antioche que, pour la première fois, les disciples reçurent le nom de « chrétiens ». (Ac 11, 25-26)

Les chrétiens sont ceux qui croient à la Bonne Nouvelle de Dieu et qui habitent la maison (oikos) de Dieu :

Que nul de vous n'ait à souffrir comme meurtrier, ou voleur, ou malfaiteur, ou comme délateur, mais si c'est comme chrétien, qu'il n'ait pas honte, qu'il glorifie Dieu de porter ce nom. Car le moment est venu de commencer le jugement par la maison (oikos) de Dieu. Or s'il débute par nous, quelle sera la fin de ceux qui refusent de croire à la Bonne Nouvelle de Dieu ? (1 P 4, 15-17)

Catacombe de Saint-Callixte à Rome (début 3° s.) : « Pain de l’eucharistie » (photo Wikimedia commons)

Catacombe de Saint-Callixte à Rome (début 3° s.) : « Pain de l’eucharistie » (photo Wikimedia commons)

Communauté appelée autour d’un repas

 

Par expérience, Jésus, qui apparaît dans de nombreux repas à travers les évangiles, connaît l’importance de la convivialité et les trésors de questionnement et de fraternité qu’elle peut favoriser. Ses adieux d’homme, ses dernières apparitions de ressuscité se feront au cours de repas.

En entendant parler Jésus, un des convives lui dit : « Heureux celui qui participera au repas dans le royaume de Dieu ! » (Lc 14, 15)

S’ensuit la parabole (Lc 14, 15-24) des invités au festin qui se dérobent les uns après les autres. ** Une lecture post-pascale suggère les différentes réceptions de la Bonne Nouvelle dans les débuts de la chrétienté.

 

** Voir l’article « Les invités au festin » : http://www.bible-parole-et-paroles.com/2015/11/les-invites-au-festin.html

 

Le Royaume de Dieu est souvent comparé à un festin. C’est ce que suggère très précisément le passage parallèle de Mt 22, 1-10 (Voir aussi Mt 8, 11 ; Lc 13, 29 ; Ap 19, 9) :

Et l'on viendra du levant et du couchant, du nord et du midi, prendre place au festin dans le Royaume de Dieu. (Lc 13, 29)

 

Le repas eucharistique est le signe même de la communauté « corps du Christ », signe eschatologique du Royaume qui commence dès ici-bas (Lc 17, 20-21) :

La coupe de bénédiction que nous bénissons, n'est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n'est-il pas communion au corps du Christ ? Parce qu'il n'y a qu'un pain, à plusieurs nous ne sommes qu'un corps, car tous nous participons à ce pain unique. (1 Co 10, 16-17)

 

Et puis, par-dessus tout, la charité, en laquelle se noue la perfection. Avec cela, que la paix du Christ règne dans vos cœurs : tel est bien le terme de l'appel qui vous a rassemblés en un même Corps. Enfin vivez dans l'action de grâces ! (Col 3, 14-15)

 

L’Apocalypse offre une vision béatifique (heureux) des invités (verbe kaleô) au repas eschatologique (elles sont venues) des noces (signe de l’Alliance) de l’Agneau attendu par son épouse (l’Eglise) :

 

Alors j’entendis comme la voix d’une foule immense, comme la voix des grandes eaux, ou celle de violents coups de tonnerre. Elle proclamait : « Alléluia ! Il règne, le Seigneur notre Dieu, le Souverain de l’univers.

Soyons dans la joie, exultons, et rendons gloire à Dieu ! Car elles sont venues, les Noces de l’Agneau, et pour lui son épouse a revêtu sa parure.

Un vêtement de lin fin lui a été donné, splendide et pur. » Car le lin, ce sont les actions justes des saints.

Puis l’ange me dit : « Écris : Heureux les invités au repas des noces de l’Agneau ! » Il ajouta : « Ce sont les paroles véritables de Dieu. » (Ap 19, 6-9)

 

Si l’ekklêsia est une construction de pierre vivantes, d’après l’Ecriture sa pierre d’angle est posée en Sion, la Ville sainte (1 P 2, 5-6). L’Apocalypse, là encore, offre une vision eschatologique de l’Eglise, Epouse de l’Agneau, Jérusalem céleste qui descend d’auprès de Dieu et dont les fondations portent les noms des douze apôtres de l’Agneau. Celles-ci sont le pendant des douze portes où sont inscrits les noms des douze tribus d’Israël. Cette Ekklêsia réunit donc en son sein les deux Alliances :

 

Alors arriva l’un des sept anges aux sept coupes remplies des sept derniers fléaux, et il me parla ainsi : « Viens, je te montrerai la Femme, l’Épouse de l’Agneau. » En esprit, il m’emporta sur une grande et haute montagne ; il me montra la Ville sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu : elle avait en elle la gloire de Dieu ; son éclat était celui d’une pierre très précieuse, comme le jaspe cristallin.

Elle avait une grande et haute muraille, avec douze portes et, sur ces portes, douze anges ; des noms y étaient inscrits : ceux des douze tribus des fils d’Israël. Il y avait trois portes à l’orient, trois au nord, trois au midi, et trois à l’occident. La muraille de la ville reposait sur douze fondations portant les douze noms des douze Apôtres de l’Agneau. (Ap 21, 9-14)

Tapisserie de l’Apocalypse à Angers (fin 14° s.) : La Jérusalem nouvelle (photo wikimedia commons)

Tapisserie de l’Apocalypse à Angers (fin 14° s.) : La Jérusalem nouvelle (photo wikimedia commons)

Conflit entre Paul et Pierre

 

Selon la grâce que Dieu m’a donnée, moi, comme un bon architecte, j’ai posé la pierre de fondation. Un autre construit dessus. Mais que chacun prenne garde à la façon dont il contribue à la construction. La pierre de fondation, personne ne peut en poser d’autre que celle qui s’y trouve : Jésus Christ. (1 Co 3, 10-11)

Paul a posé la pierre de fondation mais il insinue tout de suite un doute par rapport à la façon dont certains (Pierre par exemple !) contribuent à la construction ; il n’hésitera pas à contester Pierre auquel il ne reconnaît d’ailleurs aucune primauté, chacun se voyant attribuée une part de l’évangélisation :

Au contraire, voyant que l'évangélisation des incirconcis m'était confiée comme à Pierre celle des circoncis - car Celui qui avait agi en Pierre pour faire de lui un apôtre des circoncis, avait pareillement agi en moi en faveur des païens - et reconnaissant la grâce qui m'avait été départie, Jacques, Céphas et Jean, ces notables, ces colonnes, nous tendirent la main, à moi et à Barnabé, en signe de communion : nous irions, nous aux païens, eux à la Circoncision ; nous devions seulement songer aux pauvres, ce que précisément j'ai eu à cœur de faire. Mais quand Céphas vint à Antioche, je lui résistai en face, parce qu'il s'était donné tort. (Ga 2, 7-11)

 

Cette rivalité entre Paul et Pierre n’est pas dissimulée :

 

Il m’a été rapporté à votre sujet, mes frères, par les gens de chez Chloé, qu’il y a entre vous des rivalités. Je m’explique. Chacun de vous prend parti en disant : « Moi, j’appartiens à Paul », ou bien : « Moi, j’appartiens à Apollos », ou bien : « Moi, j’appartiens à Pierre », ou bien : « Moi, j’appartiens au Christ ». (1 Co 1, 11-12)

 

Paul contestait principalement à Pierre le fait d’imposer l’observance des prescriptions de la Loi juive aux païens convertis en particulier la circoncision.

« Conversion de Saint Paul » par Michel-Ange (1475-1564), Palais du Vatican, Chapelle Paolina (photo Wikimedia commons)

« Conversion de Saint Paul » par Michel-Ange (1475-1564), Palais du Vatican, Chapelle Paolina (photo Wikimedia commons)

Primauté de Pierre ?

 

Dans l’évangile de Jean, la confession de foi de Pierre devient une confession d’amour située lors de la troisième apparition de Jésus à ses apôtres après sa résurrection. A trois reprises, sollicité par Jésus, Pierre lui témoigne son amour et en retour se voit répondre : « Sois le berger de mes brebis » (Jn 21, 14-17).

On notera que cette invitation de Jésus ne sous-entend aucunement une primauté de Pierre et s’adresse tout autant aux autres apôtres comme en Mt 10, 5-6 :

Ces douze, Jésus les envoya en mission avec les prescriptions suivantes : « Ne prenez pas le chemin des païens et n'entrez pas dans une ville de Samaritains ; allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d'Israël. »

 

Nous l’avons déjà dit, les exégètes sont maintenant d’accord pour ne pas attribuer à Pierre directement les deux épitres qui portent son nom. Elles reflètent plutôt l’expression d’un courant ecclésial dans la lignée de l’apôtre. Le mot ekklêsia n’y figure jamais. On y retrouve cependant cette même ecclésiologie où les Anciens tiennent maintenant la fonction fédératrice des apôtres toujours dans l’attente d’un retour prochain du Christ, le Chef des pasteurs :

Quant aux anciens en fonction parmi vous, je les exhorte, moi qui suis ancien comme eux et témoin des souffrances du Christ, communiant à la gloire qui va se révéler : soyez les pasteurs du troupeau de Dieu qui se trouve chez vous ; veillez sur lui, non par contrainte mais de plein gré, selon Dieu ; non par cupidité mais par dévouement ; non pas en commandant en maîtres à ceux qui vous sont confiés, mais en devenant les modèles du troupeau. Et, quand se manifestera le Chef des pasteurs, vous recevrez la couronne de gloire qui ne se flétrit pas. (1 P 5, 1-4)

On remarquera les caractéristiques du rôle des Anciens qui n’est pas de type sacerdotal : pas d’exercice de contrainte, faire preuve de dévouement, devenir les modèles du troupeau.

C’est tout le peuple qui a un rôle sacerdotal, comme pierres vivantes de la construction spirituelle :

« Vous aussi, comme pierres vivantes, entrez dans la construction de la demeure spirituelle, pour devenir le sacerdoce saint et présenter des sacrifices spirituels, agréables à Dieu, par Jésus Christ ». (1 P 2, 5)

 

Pour Pierre comme pour Paul le Christ est la pierre d’angle (ou de fondation) :

En effet, il y a ceci dans l’Écriture : Je vais poser en Sion une pierre angulaire, une pierre choisie, précieuse ; celui qui met en elle sa foi ne saurait connaître la honte. Ainsi donc, honneur à vous les croyants, mais, pour ceux qui refusent de croire, il est écrit : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle, (1 P 2, 6-7)

 

Mais il est temps de revenir aux versets qui nous posent question :

17. En réponse, Jésus lui déclara : « Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette révélation t'est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux.

18. Eh bien ! moi je te dis : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les Portes de l'Hadès ne tiendront pas contre elle.

19. Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour délié. »  (Mt 16, 17-19)

 

Si le verset 18 a pu être interprété comme donnant une primauté à Pierre, celle-ci serait d’ailleurs fortement remise en question par Jésus lui-même qui annonce sa passion quelques versets plus loin :

Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches : « Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas. » Mais lui, se retournant, dit à Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » (Mt 16, 22-23)

 

Par ailleurs, la préoccupation de Jésus n’était certainement pas de donner une préséance à l’un de ses apôtres :

Ils en arrivèrent à se quereller : lequel d’entre eux, à leur avis, était le plus grand ? Mais il leur dit : « Les rois des nations les commandent en maîtres, et ceux qui exercent le pouvoir sur elles se font appeler bienfaiteurs. Pour vous, rien de tel ! Au contraire, que le plus grand d’entre vous devienne comme le plus jeune, et le chef, comme celui qui sert. (Lc 22, 24-26)

 

De même, après l’institution eucharistique et avant le départ pour le Mont des Oliviers, à la contestation née entre les apôtres pour savoir qui est le plus grand, Jésus répond en affirmant la primauté du service et il s’adresse à Simon (il ne l’appelle pas Pierre !) pour l’encourager à affermir (leur donner de la force) ses frères dans les tentations qui ne manqueront de les assaillir après son départ :

Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés pour vous passer au crible comme le blé. Mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères. » Pierre lui dit : « Seigneur, avec toi, je suis prêt à aller en prison et à la mort. » Jésus reprit : « Je te le déclare, Pierre : le coq ne chantera pas aujourd’hui avant que toi, par trois fois, tu aies nié me connaître. » (Lc 22, 31-34)

Comme nous le verrons plus loin, il apparaît que Jésus sait compter sur la forte personnalité de Pierre mais il connaît aussi ses faiblesses (Cf. ci-dessus Mt 16, 22-23) ; la déclaration « affermis tes frères » ne sous-entend pas l’accord d’une primauté à Pierre mais la demande de leur donner des forces dans les épreuves.

Le verbe grec stêridzô – donner des forces, affermir - a été traduit dans la vulgate par le latin confirmo, de même signification mais qui peut vouloir dire aussi confirmer. Par rapprochement avec la traduction latine du psaume 67, 29-30 :

confirma hoc Deus quod operatus es in nobis a templo sancto tuo quod est in Hierusalem

Confirme ô Dieu, l’œuvre, que tu as réalisée en nous, depuis ton temple en Jérusalem

Versets employés dans lors des ordinations ou des professions de religieux pour marquer la consécration par Dieu de la personne concernée.

Dans le Catéchisme de l’Eglise Catholique, le pape, successeur de Pierre, et les évêques, par délégation, sont aussi chargés de confirmer dans la vraie foi les fidèles (Cf articles 890 et 891 dans les documents du complément 2 ci-dessous).

 

Il est surtout intéressant de constater que les trois évangélistes ont une rédaction quasi identique (Mc 8, 27-30 - Lc 9, 18-21). Seul Matthieu intercale ces trois versets 17 à 19.

L’évangile de Matthieu a été écrit à la fin du 1er siècle et s’adressait à une communauté majoritairement judéo-chrétienne trouvant son origine dans les communautés palestiniennes et jérusalémites d’avant 70. Pierre et Jacques, le frère du Seigneur, s’y attachaient à maintenir un lien très fort entre les premières communautés chrétiennes et le judaïsme par l’attachement au respect intégral de la Loi. La prédication de Paul s’adressait aux païens et ne retenait que très peu de prescriptions de la Loi.

Il ne fait plus de doute maintenant chez les exégètes que la rédaction des évangiles devait s’accorder aux communautés destinatrices.

Matthieu – la sensibilité judéo-chrétienne qu’il représente ou ses successeurs - attaché au courant représenté par Pierre, fortement concurrencé par celui de Paul, aura sans doute voulu appuyer la primauté de Pierre en insérant ces versets.

Est-ce dire que Jésus n’a pas prononcé ces paroles ?

Il n’a certes pas pu prononcer le mot grec ekklêsia (il parlait un dialecte araméen) et l’expression qu’il aurait pu employer pour désigner une communauté ne pouvait renfermer toutes les connotations un peu plus tardives que nous avons cherché à déterminer.

Il ne fait aucun doute que Pierre avait une forte personnalité – avec aussi ses faiblesses – le conduisant exercer un rôle de porte-parole (c’est le cas dans le contexte de la péricope étudiée), voire de meneur. Il faisait partie du cercle des apôtres plus proche de Jésus.

Matthieu se sera servi de ces traits de la personnalité de Pierre pour attribuer à Jésus des paroles lui accordant une primauté bien utile dans le contexte que nous avons décrit.

Il convenait tout autant pour Matthieu de bien signifier que le siège, la pierre d’angle, de ce qui n’était encore à l’époque qu’un courant du judaïsme était toujours à Jérusalem :

En effet, il y a ceci dans l’Écriture : Je vais poser en Sion une pierre angulaire, une pierre choisie, précieuse ; celui qui met en elle sa foi ne saurait connaître la honte. (1 P 2, 5-6)

 

Après la destruction de 70, Nouvelle Jérusalem descendant du ciel pour le rédacteur de l’Apocalypse à la fin du premier siècle (Ap 21, 9-14 déjà évoqué plus haut), reposant sur les fondations des douze apôtres.

 

Elle-même image de l’Eglise dont le siège passa peu à peu de Jérusalem à Rome, glissement encouragé par les raisons politiques d’un empire qui la prenait en charge après l’avoir persécutée.

Il suffisait d’une tradition, fondée d’ailleurs sur aucun écrit canonique pour faire vivre et mourir à Rome Pierre, le fidèle jérusalémite, ville où il est établi que Paul vécut et mourut.

« Le martyr de Saint Pierre » par Le Caravage (photo Wikimedia commons)

« Le martyr de Saint Pierre » par Le Caravage (photo Wikimedia commons)

« La décapitation de Saint Paul » par Enrique Simonet (1866-1927)

« La décapitation de Saint Paul » par Enrique Simonet (1866-1927)

Cette grande réconciliation post-mortem de Pierre et Paul se solda par un destin commun dans l’hommage : leur fête est célébrée le même jour, 29 juin.

 

Le rapprochement de Mt 16, 18-19 – Lc 22, 32 – Jn 21, 14-17 - Ps 67, 29-30 a permis les développements théologiques que nous connaissons à partir des 2èmeet 3ème siècles en même temps que s’affirmait l’institution d’un clergé (Cf., dans le complément 2, les articles 765 et 880, entre autres, du Catéchisme de l’Eglise catholique). Comme nous avons essayé de le montrer, ils peuvent apparemment être remis en question par une analyse plus poussée des textes.

Il est certain que les développements théologiques que l’Eglise affirme inspirés par l’Esprit Saint sont aussi largement conditionnés par les contextes socio-politiques (Cf. le rôle important pris par les Empereurs romains au 4ème siècle dans les conciles).

Les développements de l’histoire politique et religieuse, avec parfois des conséquences dramatiques (guerres, divisions, oppressions de toutes sortes …) peuvent tenir à quelques mots que les puissants, laïcs ou clercs, se chargent d’interpréter pour développer leur pouvoir.

 

A chacun de se faire son opinion.

« Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit. » (Jn 3, 8)

 

Demeure l’Ekklêsia éternelle, communauté de serviteurs humbles et fidèles appelés par le Souffle du Christ à bâtir avec lui le Royaume.

Icône, Paul et Pierre, les deux piliers de l’Eglise

Icône, Paul et Pierre, les deux piliers de l’Eglise

Bibliographie :

 

-         « L’évangile selon Saint-Matthieu », par Pierre Bonnard, Ed. Labor et Fides, 1963-70.

-         « Evangile selon Saint-Matthieu », par Alberto Mello, Ed. Cerf, 1999, Coll. Lectio Divina n° 179.

 

 

Compléments

 

1 – “0 Clavis” est une des grandes antiennes (dites en « Ô ») chantées aux vêpres des jours qui précèdent la Nativité (ici le 20 décembre) :

O Clavis David et sceptrum domus Israël, qui aperis, et nemo claudit, claudis, et nemo aperit : veni, et educ vinctum de domo carceris, sedentem in tenebris, et umbra mortis.

Ô Clé de David, ô Sceptre d’Israël, tu ouvres et nul ne fermera, tu fermes et nul n’ouvrira : Viens, Seigneur, et arrache les captifs établis dans les ténèbres et la nuit de la mort.

Version grégorienne :

https://www.youtube.com/watch?v=m4VBA7FW78M

Version de Marc Antoine Charpentier (1643-1704) par le Queens' College Choir de Cambridge :

https://www.youtube.com/watch?v=Qfl3a31AsFM

 

2 - L’Eglise et la primauté de Pierre dans le Catéchisme de l’Eglise Catholique

765 Le Seigneur Jésus a doté sa communauté d’une structure qui demeurera jusqu’au plein achèvement du Royaume. Il y a avant tout le choix des Douze avec Pierre comme leur chef (cf. Mc 3, 14-15). Représentant les douze tribus d’Israël (cf. Mt 19, 28 ; Lc 22, 30) ils sont les pierres d’assise de la nouvelle Jérusalem (cf. Ap 21, 12-14). Les Douze (cf. Mc 6, 7) et les autres disciples (cf. Lc 10, 1-2) participent à la mission du Christ, à son pouvoir, mais aussi à son sort (cf. Mt 10, 25 ; Jn 15, 20). Par tous ces actes, le Christ prépare et bâtit son Église.

 

880 Le Christ, en instituant les Douze, " leur donna la forme d’un collège, c’est-à-dire d’un groupe stable, et mit à leur tête Pierre, choisi parmi eux " (LG 19). " De même que S. Pierre et les autres apôtres constituent, de par l’institution du Seigneur, un seul collège apostolique, semblablement le Pontife romain, successeur de Pierre et les évêques, successeurs des apôtres, forment entre eux un tout " (LG 22 ; cf. CIC, can. 330).

890 La mission du Magistère est liée au caractère définitif de l’alliance instaurée par Dieu dans le Christ avec son Peuple ; il doit le protéger des déviations et des défaillances, et lui garantir la possibilité objective de professer sans erreur la foi authentique. La charge pastorale du Magistère est ainsi ordonnée à veiller à ce que le Peuple de Dieu demeure dans la vérité qui libère. Pour accomplir ce service, le Christ a doté les pasteurs du charisme d’infaillibilité en matière de foi et de mœurs. L’exercice de ce charisme peut revêtir plusieurs modalités :

891 " De cette infaillibilité, le Pontife romain, chef du collège des évêques, jouit du fait même de sa charge quand, en tant que pasteur et docteur suprême de tous les fidèles, et chargé de confirmer ses frères dans la foi, il proclame, par un acte définitif, un point de doctrine touchant la foi et les mœurs (...). L’infaillibilité promise à l’Église réside aussi dans le corps des évêques quand il exerce son Magistère suprême en union avec le successeur de Pierre ", surtout dans un Concile Œcuménique (LG 25 ; cf. Vatican I : DS 3074). Lorsque par son Magistère suprême, l’Église propose quelque chose " à croire comme étant révélé par Dieu " (DV 10) et comme enseignement du Christ, " il faut adhérer dans l’obéissance de la foi à de telles définitions " (LG 25). Cette infaillibilité s’étend aussi loin que le dépôt lui-même de la Révélation divine (cf. LG 25).

Icône, Paul et Pierre réconciliés.

Icône, Paul et Pierre réconciliés.

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