"Archè"
« Ici commence l’Evangile de Jésus, Christ, fils de Dieu.
Il est écrit dans le livre du prophète Isaïe :
« Regarde ! J’envoie mon messager en éclaireur, pour qu’il prépare ton chemin.
Sa voix crie dans le désert :
Préparez le chemin du Seigneur. Rendez droits ses sentiers. »
Jean parut dans le désert, baptisant. Il proclamait que par cette immersion on était retourné, libéré de ses fautes. Toute la Judée allait à lui, et tous ceux de Jérusalem. Ils se faisaient baptiser dans le Jourdain en faisant l’aveu de leurs fautes.
Jean était vêtu de laine de chameau, avec un pagne de peau autour des reins. Il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. Il proclamait :
- Parmi ceux qui me suivent, il en approche un plus puissant que moi. Je ne suis pas digne de me courber pour délier la courroie de ses sandales. Moi, je vous ai immergés dans l’eau. Lui vous immergera dans le Souffle saint.
Le temps venu, Jésus vint de Nazareth, en Galilée, et se fit baptiser par Jean dans le Jourdain. Remontant de l’eau, il vit le ciel se déchirer. Le Souffle, comme une colombe, descendit sur lui. Et une voix du ciel :
- Tu es mon fils, mon aimé, en toi est ma joie. Aussitôt après, le Souffle l’entraîna dans le désert. Il resta dans le désert quarante jours, mis à l’épreuve par l’Adversaire. Il était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient. »
(Evangile de Marc 1 1-13. Traduction « Bible Bayard »)
Un début tout en sobriété
Marc est particulièrement sobre dans le début de son évangile. Il ne dresse pas comme Matthieu et Luc une longue liste généalogique pour préciser l’ascendance de Jésus ; il ne raconte pas comme eux les difficultés ou les merveilles qui ont accompagné sa naissance. Il ne développe pas comme Jean un exposé théologique. Cependant Marc et Jean commencent tous les deux leur évangile par le terme « archè » en grec (début, commencement) ; c’est le même terme qui introduit le récit de la création du monde dans la Genèse (traduction grecque de la Septante). Ils veulent certainement marquer là une rupture : la nouvelle alliance, la « bonne nouvelle », l’Evangile que vient proposer Jésus efface l’ancienne alliance (« ancien testament »). En témoigne la manifestation de l’Esprit, Souffle de Dieu, sous la forme d’une colombe qui descend sur Jésus. Le Père reconnaît en Jésus son fils, avec tendresse. Le baptiste, se reconnaissant lui-même inférieur, annonçait la venue du messie et son lien avec l’Esprit au nom duquel il serait amené à baptiser.
L’immersion
Plutôt que de baptême qui marque un développement chrétien ultérieur, nous parlerons de rite d’immersion. Jean le Baptiste n’innovait pas vraiment ; il existait dans les rites juifs, et même de bien d’autres religions, des immersions totales. Elles marquaient plutôt une volonté de purification. Ici le « baptiste » propose une immersion liée à une sorte d’engagement, un retournement, une « métanoia » (terme grec de la Septante) ; en quelque sorte on rendait son chemin « droit » pour accueillir le Seigneur en abandonnant les « détours » et les aspérités d’une vie déformée par le péché.
Les eaux primordiales
Ce changement marque lui aussi un commencement (« archè »), un retour, une immersion dans les eaux primordiales que Dieu anima de son souffle créateur, du « pneuma », de l’Esprit. Comme au commencement des temps, la Parole de Dieu se fait entendre pour une nouvelle création déléguée au Fils bien aimé auquel il envoie son Esprit. Celui-ci le pousse aussitôt au désert.
Les "piliers de la création" vus par la station spatiale Herschel (Site : http://www.herschel.fr/Phocea/Vie_des_labos/Ast/ast.php?t=dossiers&id_ast=47)
Le désert
Jésus va revivre en quelque sorte le désert d’avant la création, toujours considéré comme le lieu de l’épreuve de la tentation par l’Adversaire « Satan ». Qui dans le « désert » entourant une décision importante n’a pas perçu une voix intérieure lui disant « A quoi bon ? ». Ces quarante jours (quarante est le nombre symbole de la préparation, de l’épreuve) se déroulent sous la protection des anges (« les messagers » de Dieu) et au plus près de la création, ici proche de son état originel, avec les bêtes sauvages. A peine sorti du désert, Jésus commence sa prédication et choisit ses premiers apôtres.
La nouvelle création
Cette immersion dans l’eau et le désert marque la vraie naissance de Jésus, Christ, fils de Dieu. Nous sommes au commencement (« archè ») de la nouvelle création par le Souffle. Marc n’avait pas besoin alors de s’intéresser à l’enfance de Jésus telle qu’ont pu la mettre en scène Matthieu ou Luc et encore plus les évangiles apocryphes. Cet enracinement de tout le début de Marc dans des forces telluriques primordiales est aussi souligné par le style de vie très primitif de Jean : « vêtu de laine de chameau, avec un pagne de peau autour des reins. Il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage.» C’était la tenue du prophète Elie (2 R 1, 8) sensé revenir pour annoncer l’arrivée du messie : ce nouveau commencement s’inscrit aussi dans la tradition. « Il vit le ciel se déchirer » Quand nous nous retournons, que nous regardons vers « archè » (en grec, commencement, origine, principe et donc ce qui fait autorité) et que nous remontons des eaux primordiales, nous voyons « le ciel se déchirer » et nous pouvons renaître d’en haut :
« Eh bien oui, répond Jésus, je dis qu’il faut être né là-haut pour voir le royaume de Dieu.
Et Nicodème : Comment un vieil homme peut-il naître ? Peut-il revenir dans le ventre de sa mère et naître une seconde fois ?
Eh bien oui, répond Jésus, je te dis qu’il faut naître de l’eau et du souffle pour entrer dans le royaume de Dieu. Car ce qui naît de la chair est chair et ce qui naît du Souffle est esprit. Ne sois pas surpris que je te dise :’’ Il faut être né là-haut.’’ Le vent souffle où il veut, tu entends sa voix sans savoir d’où il vient ni où il va. Ainsi va tout homme né du Souffle. »
Evangile de Jean 3, 3-8 (« Traduction Bible Bayard »)
Plaidoyer pour renaître comme créatures
Quand je lui disais le bienfait corporel et spirituel que je retirais au contact étroit de la nature par la pratique du jardinage, un religieux me confiait se baigner tous les jours dans la rivière bordant son monastère. Comment envisager une renaissance de la conscience humaine sans une immersion dans la nature primordiale, « sauvage », pure comme les eaux primordiales ? Disciples de Jésus plongeons dans la nature, retournés vers « archè », ce qui est son fondement et son principe voulus par le Créateur, pour renaître du Souffle qui l’anime. Alors nous serons sacrement, signes de l’action de l’Esprit.
« Trempe-toi dans la Matière, Fils de la Terre, baigne-toi dans ses nappes ardentes, car elle est la source et la jeunesse de ta vie.
Ah ! Tu croyais pouvoir te passer d’elle, parce que la pensée s’est allumée en toi ! - Tu espérais être d’autant plus proche de l’Esprit que tu rejetterais plus soigneusement ce qui se touche, - plus divin si tu vivais dans l’idée pure, - plus angélique, au moins, si tu fuyais les corps.
Eh bien tu as failli périr de faim !
Il te faut de l’huile pour tes membres, - du sang pour tes veines, - de l’eau pour ton âme, - du Réel pour ton intelligence ; - il te les faut par la loi même de ta nature, comprends-tu bien ?… »
(Teilhard de Chardin, « Hymne de l’Univers », Ed. Seuil, Points Sagesse, p. 103)
Notes :
- Nous avons considéré ici les versets 1 à 13 du 1er chapitre de l’évangile de Marc qui forment une unité pour notre commentaire. Ils sont dissociés pour la proclamation liturgique : 1 à 7 pour le 2ème dimanche de l’Avent (année B) et 7 à 11 pour la fête du « Baptême du Seigneur » (11 janvier 2015). Nous reviendrons à ce moment-là sur certains aspects que nous avons ici laissés de côté.
- La photo d’icône illustrant le début de cet article est tirée du site de l’Atelier St Joseph qui propose de très belles icônes :