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Le sens des mots ?

Nous possédons seulement quelques fragments des quatre évangiles et des actes datant des environs de 250. Les premiers manuscrits in extenso datent du 4ème siècle (Sinaïticus et Vaticanus). Que s’est-il passé entre les premières traditions de la fin du 1er siècle et le 4ème siècle ? Les mots ont-ils gardé le même sens en trois siècles d’évolution ecclésiale et théologique ? Peut-on prétendre donner une historicité, au sens strictement événementiel, aux paroles et aux gestes de Jésus quand les manuscrits utilisent des mots qui n’avaient certainement pas tous le même sens quand ils ont été utilisés dans les premiers temps de la tradition évangélique ?

Très vite, dans cette tradition, sous l’influence de la philosophie grecque, on a voulu gommer la judaïté de Jésus au risque de contresens sur ses paroles et gestes. Notre époque, après Vatican II, la réhabilite non sans provoquer quelques remises en cause. Ce n’est pas pour rien que Jésus, tout comme d’autres grands experts en humanité (Socrate, Bouddha …) s’est bien gardé de laisser des écrits de sa propre main ; s’il avait été ce créateur d’une religion que certains veulent encore reconnaître en lui, c’eût été la moindre des précautions ! Et c’était du même coup nier la réalité de l’Incarnation : Dieu s’incarne dans un homme au sein d’une famille, d’une époque, d’une civilisation, d’une culture, d’un langage, sinon il ne serait que l’apparition d’une réalité divine absolue. Existerait-il un enregistrement de tous ses discours ou même un film de toute sa vie, nous savons que le preneur de son et le caméraman ne peuvent prétendre échapper complètement à leur subjectivité dans les choix guidant leur transmission. Prétendre à l’absolue vérité dans ce domaine relève d’une intention totalitaire.

La Parole ne saurait être contenue tout entière dans les paroles. (cf. notre page « Parole et paroles »)

Saint Jean, par le Maître de Rieux, vers 1333-34, Musée des Augustins à Toulouse

Saint Jean, par le Maître de Rieux, vers 1333-34, Musée des Augustins à Toulouse

J’ai de même estimé bon, après m’être très précisément informé depuis l’origine, de tout consigner par écrit à ton intention avec rigueur et méthode, très cher Théophile, afin que tu mesures pleinement la validité de l’enseignement que tu as reçu.

Evangile de Luc 1 3- 4 (Trad. BB)

L’Histoire ?

Luc s’adresse à Théophile, son lecteur potentiel. Il prétend consigner par écrit, avec rigueur et méthode les événements dont il n’a pas été le témoin direct mais qui lui ont été rapportés par divers témoins ou traditions orales. L’histoire doit pour lui être la preuve de la validité de l’enseignement reçu.

Il faudrait écrire l’histoire du mot histoire tant cette notion recouvre des réalités différentes suivant les époques et les civilisations. Ainsi, d’aucuns veulent réécrire notre histoire de France – et surtout la plus récente !- qu’ils jugent trop oublieuse ou complaisante vis de d’événements ou de personnages. L’histoire, de l’antiquité jusqu’à un passé assez récent a été la plupart du temps celle des grands hommes politiques ou chefs militaires. Les découvertes archéologiques et archivistiques ont permis d’appréhender l’histoire d’une autre façon, intégrée à son contexte sociologique, artistique, religieux, mythique.

Mais une histoire qui veut s’appuyer sur une méthode scientifique échappe-t-elle complètement au mythe ?

« Toute l’histoire n’est faite que de pensées auxquelles nous ajoutons cette valeur essentiellement mythique qu’elles représentent ce qui fut »

Valéry

« Résumons : Matthieu et Luc – chacun à sa manière propre – voulaient non pas tant raconter des « histoires » qu’écrire une histoire, une histoire réelle, qui a eu lieu, certainement une histoire interprétée et comprise selon la parole de Dieu. Cela signifie aussi qu’il n’y avait pas une intention de raconter de façon complète, mais de noter ce qui, à la lumière de la Parole et pour la communauté naissante de la foi, apparaissait important. Les récits de l’enfance sont une histoire interprétée et, à partir de l’interprétation, écrite et condensée. »

Joseph Ratzinger-Benoït XVI, “L’enfance de Jésus”, Ed. Flammarion, 2012, p. 32

Interprétation biblique et évolution des connaissances

Sous peine de risquer refaire des procès « Galilée », nous ne pouvons ignorer plus longtemps une évolution dans l’interprétation des écritures à la lumière des connaissances nouvelles dans les domaines de l’histoire comparée des religions, de l’archéologie, de la psychologie, de la littérature …

Le 31 octobre 1992, le pape Jean Paul II a reconnu clairement, lors de son discours aux participants à la session plénière de l’Académie Pontificale des Sciences, les erreurs de certains théologiens du 17ème siècle dans l’affaire Galilée :

« Ainsi la science nouvelle, avec ses méthodes et la liberté de recherche qu’elle suppose, obligeait les théologiens à s’interroger sur leurs propres critères d’interprétation de l’Ecriture. La plupart n’ont pas su le faire. »

On fait de Benoît XVI son successeur un conservateur caractérisé. C’est mal connaître cet homme dont l’intelligence remarquable le menait souvent sur le rivage des questions exégétiques ou éthiques les plus discutées. Sa fidélité absolue à l’Eglise, sa place dans la hiérarchie, son humilité l’ont freiné assurément de fréquenter des « zones interdites » ou tout au moins de le laisser paraître.

Les trois tomes qu’il a écrits sur Jésus laissent poindre de petites ouvertures non conventionnelles à qui veut bien lire entre les lignes. De son « Jésus de Nazareth », citons encore ces lignes à propos des généalogies de Jésus exposées par Matthieu et Luc :

« Ensuite on est frappé de ce que Matthieu et Luc ne s’accordent que sur peu de noms seulement, ils n’ont pas même en commun le nom du père de Joseph. Comment expliquer cela ? Abstraction faite des éléments tirés de l’Ancien testament, les deux auteurs ont travaillé à partir de traditions dont nous ne sommes pas en mesure de reconstituer les sources. J’estime simplement inutile d’avancer des hypothèses à ce sujet. Pour les deux évangélistes les noms particuliers ne comptent pas, mais bien plutôt la structure symbolique dans laquelle apparaît la place de Jésus dans l’histoire.»

« Jésus de Nazareth » (Ed. Flammarion p. 19-20)

Le symbolisme a dans les Ecritures une place prépondérante que Joseph Ratzinger ne saurait lui accorder. Alors, quand il sent trop arriver « l’air du large » (ou l’hérésie ?) il ferme la porte d’un geste sec comme à propos de Bethléem comme lieu de naissance de Jésus, maintenant controversé :

« Si nous nous en tenons aux sources, et si nous ne dévions pas vers des inventions personnelles, il demeure clair que Jésus est né à Bethléem et a grandi à Nazareth. » (op. cit. p. 96).

Le pape François, dans un charisme encore différent, fait vivre la Parole dans toutes ses exigences immédiates. Ils ont tous en commun une extrême humilité dont beaucoup de responsables ecclésiaux devraient s’inspirer !

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