Le Royaume est déjà là
Les pharisiens lui ont demandé quand arriverait le royaume de Dieu, il leur a répondu : On ne peut spéculer sur la venue du royaume de Dieu. Personne ne pourra dire : « Le voici » ou « le voilà », car le royaume de Dieu est déjà là, au milieu de vous. Il a dit encore à l’intention des disciples : Le jour viendra où vous désirerez voir un seul des jours du Fils de l’homme. Mais vous ne le verrez pas. On vous dira : « Le voici » ou « Le voilà ». Inutile de vous y précipiter. Car le Fils de l’homme sera, en son jour, semblable à la clarté de l’éclair illuminant le ciel d’une extrémité à l’autre. Mais d’abord il devra beaucoup souffrir et être rejeté par la génération actuelle.
Evangile de Luc 17 20-25 (Trad. Bible Bayard)
Comme à de nombreuses autres époques, et la nôtre n’y échappe pas, on se perdait en conjectures au temps de Jésus pour prédire la fin des temps. Celle-ci devait voir arriver, à la suite d’événements terrifiants, le règne définitif de Dieu après le jugement dernier. Les premiers chrétiens croyaient imminent le retour du Christ pour instaurer le Royaume de Dieu. Déjà, de son vivant, nombreux étaient ceux qui auraient voulu le voir roi dans le contexte « apocalyptique », pour les juifs, de l’occupation romaine, avec la ruine annoncée du Temple ; ce temple détruit qu’il pourrait reconstruire en trois jours, annonçant sa passion et sa résurrection (Jn 2 19-21).
Luc, comme de nombreux chrétiens, devant le retard pris par ce retour attendu du Christ, ne tarda pas à envisager les choses différemment. En réinterprétant certaines paroles du Christ, et comme le plus souvent, à la lumière de l’Ecriture, Luc est conduit à livrer ces paroles où Jésus annonce le Royaume comme étant déjà là et non à imaginer dans des conjonctures particulières de temps et d’espace. Le Fils de l’Homme, comme il s’intitule lui-même le plus souvent, viendra comme l’éclair, aussi imprévisible dans le temps et l’espace.
Le mot « apocalypse » signifie révélation, c’est le sens accordé à l’Apocalypse attribuée à l’évangéliste Jean. Mais celle-ci se produit dans un tel contexte de calamités de toutes sortes que ce mot a fini par signifier fin du monde. Telle est bien cette vision contemporaine de notre monde : « tout fout le camp », la nature est massacrée et se fait menaçante. Le temple de cette chrétienté harmonieuse, aux lignes architecturales dogmatiques et morales modelées par la philosophie grecque et ses continuateurs même tardifs, à la rigueur hiérarchique toute romaine, disparait dans le « tsunami de la sécularisation » … Jésus, reviens !
Il nous dit : « le royaume de Dieu est déjà là au milieu de vous ! ». Nos yeux d’aveugles ne nous permettent pas de voir l’intensité pourtant si brillante de l’éclair de la présence du Fils de l’Homme. Quelques mystiques, des « voyants », en perçoivent seuls la fulgurance. La vision ne saurait perdurer au risque d’être installée dans le « Saint des Saints » d’un temple de mots, de définitions et de routines religieuses. Récemment, on me citait le cas d’une voyante à laquelle Jésus aurait demandé de peindre son portrait pour le montrer au monde. Aucune image, si belle soit-elle, ne peut fixer la vision béatifique … Ni aucun mot : c’est bien pour cela que le Dieu de l’Ancien Testament n’avait pas de nom prononçable. « Je suis celui qui je suis » (Ex 3 14). Nous sommes comme Thomas : nous voulons « toucher » avec nos sens, nos mots. Notre sensibilité, nos mots, assurément, mais alors au sein d’un univers poétique qui fait éclater le sens commun.
Quelques fulgurances au sein de nos ténèbres, voilà notre approche du divin : des fulgurances de métaphysique, d’espérance mais peut-être encore plus de charité. Plus que les pompes romaines et les grands bataillons de chrétienté plus ou moins papolâtres ou la belle ordonnance d’un catéchisme, c’est la charité de toutes ces personnes complètement au service de leurs frères les plus pauvres qui est l’éclair traversant notre nuit. Elle illumine et transfigure les vies, et nous révèle Dieu comme un Père dont nous sommes les fils. Jésus l’avait bien compris qui mettait l’amour du prochain au-dessus de toute loi.
6 mois d’intervention de l’organisation « Action contre la faim » au Népal après le séisme
Le royaume est déjà là, invisible. Pourtant nos yeux restent fixés sur le Temple détruit, dans une immobilité du temps, tandis que les braises, sous la cendre de nos constructions humaines et religieuses déçues, attendent que nous laissions passer le souffle de l’Esprit. Alors cette apocalypse tant redoutée ne sera plus seulement destruction mais aussi révélation du Royaume en construction sous l’effet d’une Parole vivante parce que sans cesse réinterprétée et non fixée par des mots et une grammaire catéchétiques - la Tradition - qu’une hiérarchie ecclésiale voudrait immortels, comme elle.
Elle est proche au contraire
cette parole,
toute proche de toi,
sur tes lèvres, dans ton cœur,
afin que tu la mettes en pratique.
Deutéronome 30 14 (Trad. Bible Bayard)
C’était bien là le prophétisme du Concile Vatican II, de remettre librement la Parole en résonance avec le monde pour y distinguer parmi les phénomènes « apocalyptiques », la révélation du Royaume en construction. C’est une foi inébranlable dans la création appelée à reconnaître son Créateur, par des chemins aussi imprévisibles que ceux empruntés par le souffle de L’Esprit, qui doit nous pousser au « bon combat », celui du serviteur dans les plus petites réalités du monde.
Croyez-moi, je vous le dis, celui qui n’accepte pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant, c’est certain, n’y entrera pas.
Voyant cela, Jésus leur dit : les possédants auront du mal à entrer dans le royaume de Dieu ! Il est plus facile pour un chameau d’entrer dans le trou d’une aiguille que pour un riche de pénétrer dans le royaume de Dieu.
Evangile de Luc 18 17, 24-25 (Trad. Bible Bayard)
Pour accueillir le Royaume il faut être semblable aux enfants, dans une spontanéité ouverte à tous les possibles, s’abandonner au Père, en délaissant ses richesses de toutes sortes. C’est valable pour chacun de nous comme pour l’Eglise institutionnelle encore trop attachée à des constructions intellectuelles qu’elle assimile à la foi et à une société de « chrétienté » qui lui donnait richesses et pouvoir incontestés. L’entrée dans le royaume par la foi suppose un regard neuf et l’abandon de son quant à soi.
Cet article n’est qu’une présentation générale de cette notion de Royaume qui mérite d’être approfondie. On trouvera toutefois cette notion abordée dans d’autres articles du blogue : « Les invités au festin » (7 novembre 2015), « Fils de David » (4 juillet 2015) et « Royaume de Dieu et écologie » (17 juillet 2015).
Compléments
- Fondation « Anak-Tnk » pour l’aide aux enfants de Manille :
- Le nouveau souffle de la théologie de la Libération :
http://ccfd-terresolidaire.org/infos/eglise/l-eglise-en-amerique/le-nouveau-souffle-de-5251
- Emission « Répliques » sur France-Culture : « le Royaume » avec Emmanuel Carrère à l’occasion de la sortie de son livre pareillement intitulé :
http://www.franceculture.fr/emission-repliques-14-15-le-royaume-2015-08-08
- A écouter : « Dieu parmi nous » extrait de « la Nativité du Seigneur » (1935) d’Olivier Messiaen, à l’orgue Cavaillé-Coll de Saint-Ouen de Rouen par Gillian Weir : très bel enregistrement avec une video permettant d’admirer la très belle abbatiale Saint-Ouen :
https://www.youtube.com/watch?v=1wZnq7S3LPg
Présentation par le compositeur de cette pièce : « Paroles du communiant, de la Vierge, de l’Eglise tout entière : Celui qui ma créé a reposé dans ma tente, le Verbe s’est fait chair et il a habité en moi. Mon âme glorifie le Seigneur, mon esprit a tressailli d’allégresse en Dieu mon Sauveur ». (Si 24, 8 ; Jn 1, 14 ; Lc 1, 46-47)