En toi je me plais
7. Jean clame et dit :
« Vient derrière moi un plus fort que moi :
je ne mérite pas de me baisser
pour délier le cordon de ses chaussures.
8. Moi, je vous ai baptisé d’eau.
Lui vous baptisera d’Esprit Saint. »
9. Or en ces jours-là,
Jésus vient de Nazareth de Galilée.
Il est baptisé dans le Jourdain par Jean
10. Aussitôt, en remontant hors de l’eau,
il voit se fendre les cieux,
l’Esprit, comme une colombe,
descendre sur lui.
11. Et une voix, des cieux :
« Tu es mon fils, l’Aimé, en toi je me plais. »
(Evangile de Marc 1, 7-11)
Nous avons déjà commenté ce passage mais relié aux versets précédents dans l’article « archè » :
http://www.bible-parole-et-paroles.com/2014/12/arche.html
En la célébration du baptême de Jésus, j’apporte quelques compléments annoncés. Ici j’utilise la traduction de Sœur Jeanne d’Arc, op. (Editions DDB, rééd. 2013) ; elle suit de très près le texte grec et garde ainsi la vivacité et la rugosité du texte originel de Marc. Pour la figure de Jean-Baptiste on se rapportera aussi à l’article « Il élève les humbles ».
Quel baptême ?
Rappelons d’abord que Jean pratique un rite d’immersion plutôt qu’un « baptême » mot qui a pour nous une connotation chrétienne. Le « baptême dans l’Esprit » mis comme annonce par Marc dans la bouche de Jean est destiné à le rappeler aux premiers chrétiens. Jésus lui donnera une signification qui introduira à la théologie chrétienne du baptême :
Jésus leur dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, être baptisé du baptême dans lequel je vais être plongé ? »
Ils lui dirent : « Nous le pouvons. » Jésus leur dit : « La coupe que je vais boire, vous la boirez ; et vous serez baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé.
(Marc 10, 38-39).
Jésus fit partie des groupes johanniques et pratiqua lui-même le rite d’immersion de Jean :
Après cela, Jésus vint avec ses disciples au pays de Judée et il y séjourna avec eux et il y baptisait. Jean aussi baptisait, à Aenon, près de Salim, car les eaux y abondaient et les gens se présentaient et se faisaient baptiser. (Jean 3, 22-23. BJ)
Apparemment Jésus pratiqua même à un moment davantage d’immersions que Jean. Ce qui ne manqua pas de troubler quelques communautés chrétiennes d’où une précision tout à fait contradictoire introduite ensuite dans le texte du chapitre suivant par un « commentateur» (encore une fois, les textes des évangiles et particulièrement celui de Jean, ont été remaniés à plusieurs reprises en fonction de l’évolution théologique) :
Quand Jésus apprit que les pharisiens avaient entendu dire qu’il faisait plus de disciples et en baptisait plus que Jean – bien qu’à vrai dire Jésus lui-même ne baptisât pas, mais ses disciples- il quitta la Judée et s’en retourna en Galilée. (Jean 4, 1-3. BJ)
Contradiction non relevée dans les notes de la Bible de Jérusalem (édition 1955), ni celles de la nouvelle traduction liturgique, ou de la TOB … mais relevée par la Bible Bayard (note sur 4, 1-2 page 3020).
Suit dans le chapitre 4 de Jean, l’épisode de la rencontre entre Jésus et la Samaritaine où le baptême de l’eau est en quelque sorte intériorisé et magnifié :
Mais qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source jaillissante en vie éternelle. (Jean 4, 14)
Devons-nous en attendre un autre ?
Chez Matthieu (3, 16-17), et Marc (1, 10-11), après son baptême le phénomène céleste est vu et entendu seulement par Jésus. Chez Luc (3, 21-22), Jésus se trouve en prière, on peut considérer qu’il en est de même. Jean-Baptiste n’est donc pas sensé en avoir connaissance.
Chez Matthieu, Jean-Baptiste veut dissuader Jésus d’être baptisé car il s’estime inférieur à lui ; Jésus trouve alors un prétexte assez général pour le convaincre de le faire (Mt 3, 13-15) ; je le traduirai par « il nous convient d’accomplir ce qui n’est que justice » (= j’ai à m’y conformer comme les autres). Cette réponse un peu passe-partout met à mal des commentaires fréquents qui évoquent une préfiguration du baptême de sang par la croix, ce que suggèrent évidemment aussi les paroles du Baptiste qui accueille Jésus : « Voici l’agneau de Dieu qui retire la faute du monde» (Jean 1, 29). Par contre, chez l’évangéliste Jean, il n’est pas question d’un baptême de Jésus (Jean 1, 19-36) ! Jean-Baptiste proclame seulement avoir été témoin de l’Esprit, tel une colombe, descendant du ciel sur Jésus :
Alors Jean rendit ce témoignage : « J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et il demeura sur lui.
Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : “Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, celui-là baptise dans l’Esprit Saint.”
Moi, j’ai vu, et je rends témoignage : c’est lui le Fils de Dieu.
(Jean 1, 32-34).
Les textes de Matthieu et Jean reflètent l’embarras de communautés chrétiennes primitives entre la volonté de diviniser le Fils de Dieu et l’historicité d’un baptême dont le Fils de Dieu n’avait a priori pas besoin. Il semble certain qu’au début Jésus vivait dans la mouvance johannique, Tout au moins, il pratiquait lui-même l’immersion-« baptême » (voir ci-dessus) ; puis les deux hommes prirent sans doute leurs distances, certains disciples de Jean rejoignant Jésus (Jean 1, 37), et Jean-Baptiste en arriva à se poser des questions sur le statut de Jésus. Informé des miracles de celui-ci, Jean lui envoya des disciples lui poser des questions :
Arrivés près de Jésus, ils lui dirent : « Jean le Baptiste nous a envoyés te demander : Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » À cette heure-là, Jésus guérit beaucoup de gens de leurs maladies, de leurs infirmités et des esprits mauvais dont ils étaient affligés, et à beaucoup d’aveugles, il accorda de voir. Puis il répondit aux envoyés : « Allez annoncer à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. Heureux celui qui ne trébuchera pas à cause de moi !
Luc 7, 20- 23 (Bible de la Liturgie = BL)
La réponse de Jésus emprunte à des citations d’Isaïe (26, 19 ; 35, 5-6 ; 61, 1), prophète sur lequel justement s’appuyait Jean-Baptiste pour appuyer sa prédication (Is 40, 3) et dont il ne pouvait donc éviter de faire le rapprochement avec la vie de Jésus.
La dernière phrase de Jésus, en forme de béatitude, met clairement en doute la volonté de Jean-Baptiste de se rallier à lui :
« Heureux est-il qui ne sera pas choqué par moi » (Lc 7, 23 ; trad. Sœur Jeanne d’Arc).
Elle rappelle l’adresse faite après la résurrection à Thomas qui peine à y croire :
Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu.
(Jean 20, 29)
Nous le verrons, pour Marc, les miracles, les signes ne sont pas destinés à centrer l’attention sur la personne de Jésus à laquelle on veut attribuer telle ou telle épithète divine : ils ne doivent pas être cause mais conséquence de la foi. Jésus fait taire et chasse les démons qui le reconnaissent comme Fils de Dieu (Lc 4, 41). Jésus ne veut as être appelé de tel ou tel titre royal ou divin ; il connaît les risques de l’idolâtrie : les hébreux ne voulaient même pas donner un nom à YhWh.
On sait que de toute éternité les hommes ont aimé se rendre esclaves d’hommes providentiels et Jésus est venu justement pour les libérer. Seul le rapport à YhWh, la foi comptent. Sans doute Jean-Baptiste était-il tombé dans l’attrait du vedettariat et de la médiatisation et souffrait-il de voir Jésus prendre son indépendance.
Jean Baptiste – Sculpture par anonyme dit Maître de Rieux, vers 1333-34 (Toulouse, Musée des Augustins)
Et une voix, des cieux :
« Tu es mon fils, l’Aimé,
en toi je me plais. »
(Marc 1, 11)
Personne, pas même Jean-Baptiste, ne peut dire la relation qui lie Jésus et le Père ; c’est le secret livré à Jésus par le ciel qui se fend, se déchire, comme à la fin de l’évangile le rideau du temple au moment de la mort de Jésus :
Et le voile du sanctuaire se fend en deux du haut en bas. Le centurion qui se tient en face de lui, voyant qu’il a ainsi expiré, dit : « Pour de vrai, cet homme était fils de Dieu ! »
(Marc 15, 38-39)
Ce ne seront pas des gens bien pensants ou en vue qui auront accès au mystère, des gens qui « savent » comme les démons (Lc 4, 41), mais un simple centurion romain, de l’armée d’occupation, qui exalte Jésus, dans une expression de foi aussi inattendue que soudaine, au moment où il apparaît dérisoire pendu au gibet de la croix.
Si émergeant des eaux primordiales du baptême de l’Esprit nous voyons notre ciel quotidien se déchirer et entendons le Père nous appeler personnellement « fils bien aimé » et nous dire tendrement qu’il se trouve bien en notre compagnie, alors le voile de notre temple intérieur invisible aux autres se déchirera, nous verrons la vérité de ce que nous sommes et des miracles pourront se produire autour de nous.
Quitte à décevoir les « Jean-Baptiste » qui voient cela de loin !
Au chef de chant
psalmodie de David
Dieu
le ciel raconte son importance
Le ciel entier explique son travail
Le jour le décrit au jour
la nuit l’apprend à la nuit
Mais il n’y a rien à entendre
Pas un mot
on n’entend pas le son de leur voix
Une mélodie s’inscrit sur le monde
un langage pour toute la terre
Il dresse là-haut une tente pour le soleil
et il sort
Comme le marié de sa chambre
Heureux
comme le héros qui suit sa trajectoire
Révolution d’un bord du ciel à l’autre
Rien ne résiste à sa chaleur
(Psaume 18, 1-7 ; traduction Bible Bayard BB)
Avec une autre traduction :
Du maître de chœur. Psaume. De David.
Les cieux proclament la gloire de Dieu,
le firmament raconte l’ouvrage de ses mains.
Le jour au jour en livre le récit
et la nuit à la nuit en donne connaissance.
Pas de paroles dans ce récit,
pas de voix qui s’entende ;
mais sur toute la terre en paraît le message
et la nouvelle, aux limites du monde.
Là, se trouve la demeure du soleil :
tel un époux, il paraît hors de sa tente,
il s’élance en conquérant joyeux.
Il paraît où commence le ciel,
il s’en va jusqu’où le ciel s’achève :
rien n’échappe à son ardeur.
(Psaume 18, 1-7 ; traduction Bible Liturgique BL)
Baptistère à Vénasque (Vaucluse): un des plus anciens édifices religieux de France. Datant probablement de l’époque mérovingienne (6° s.) et remanié au 11° s. Au centre de l’édifice en forme de croix grecque, dans le sol, la cuve baptismale :
La verrière de l’église Saint-Jean Baptiste de Manses (Ariège)
Elle a été installée horizontalement à l’emplacement de la coupole effondrée du transept de l’église romane, en 1894, par Eugène Hucher (Fabrique du Carmel du Mans). Elle a été restaurée en 2008 par l'atelier Pierre Rivière (Saint Jean de Verges - 09). De forme octogonale, sa surface est 32 m2 et le diamètre mesure 6 m.
Cette verrière est photographiée lors du remontage dans l’église en octobre 2008. Le médaillon central représente le baptême de Jésus et les autres médaillons des épisodes de la vie de Jean.
Le médaillon central représente le baptême de Jésus et les autres médaillons des épisodes de la vie de Jean.
Médaillon central représentant le baptême de Jésus en fin de restauration dans l’atelier du maître verrier
Pour mieux connaître la verrière de l'église de Manses relatant la vie de Jean Baptiste :
https://demeuresdesirables.monsite-orange.fr/page-5e1481955a99f.html
A écouter
Cantate de Jean-Sébastien Bach n° 7 : « Christ, notre Seigneur vint au Jourdain"
https://www.youtube.com/watch?v=eBwl1g5Hxqk
Choral « Christ, notre Seigneur vint au Jourdain" pour orgue BWV 684