Jésus est-il né à Bethléem ?
1. Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem
2. en disant : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu, en effet, son astre à son lever et sommes venus lui rendre hommage. »
3. L'ayant appris, le roi Hérode s'émut, et tout Jérusalem avec lui.
4. Il assembla tous les grands prêtres avec les scribes du peuple, et il s'enquérait auprès d'eux du lieu où devait naître le Christ.
5. « A Bethléem de Judée, lui dirent-ils ; ainsi, en effet, est-il écrit par le prophète :
6. Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es nullement le moindre des clans de Juda ; car de toi sortira un chef qui sera pasteur de mon peuple Israël. »
7. Alors Hérode manda secrètement les mages, se fit préciser par eux le temps de l'apparition de l'astre,
8. et les envoya à Bethléem en disant : « Allez vous renseigner exactement sur l'enfant ; et quand vous l'aurez trouvé, avisez-moi, afin que j'aille, moi aussi, lui rendre hommage. »
9. Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route ; et voici que l'astre, qu'ils avaient vu à son lever, les précédait jusqu'à ce qu'il vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant.
10. A la vue de l'astre ils se réjouirent d'une très grande joie.
11. Entrant alors dans le logis, ils virent l'enfant avec Marie sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; puis, ouvrant leurs cassettes, ils lui offrirent en présents de l'or, de l'encens et de la myrrhe.
Evangile de Matthieu 2, 1-11 (Trad. Bible de Jérusalem, 1973 comme toutes les citations suivantes)
1. |
Or, il advint, en ces jours-là, que parut un édit de César Auguste, ordonnant le recensement de tout le monde habité. |
2. |
Ce recensement, le premier, eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie. |
3. |
Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville. |
4. |
Joseph aussi monta de Galilée, de la ville de Nazareth, en Judée, à la ville de David, qui s'appelle Bethléem - parce qu'il était de la maison et de la lignée de David - |
5. |
afin de se faire recenser avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte. |
6. |
Or il advint, comme ils étaient là, que les jours furent accomplis où elle devait enfanter. |
7. |
Elle enfanta son fils premier-né, l'enveloppa de langes et le coucha dans une crèche, parce qu'ils manquaient de place dans la salle. |
Evangile de Luc 2, 1-7
En vignette :
Lorenzo Monaco (circa 1370–circa 1425) [Public domain], via Wikimedia Commons
Concernant ces récits entourant la naissance de Jésus, il est conseillé de se rapporter à d’autres articles précédemment écrits sur ce blog :
- « Voici la servante du Seigneur » : http://www.bible-parole-et-paroles.com/2015/01/voici-la-servante-du-seigneur.html
- « Gloria in excelsis Deo » : http://www.bible-parole-et-paroles.com/2015/12/gloria-in-exclesis-deo.html
- “Fils de David” : http://www.bible-parole-et-paroles.com/2015/07/fils-de-david.html
Dans cet article, nous avons déjà abordé un peu ce problème du lieu de naissance de Jésus.
- Et tout récemment, « Histoire(s) de Noël » : http://www.bible-parole-et-paroles.com/2016/12/histoire-s-de-noel.html
Si les tout premiers chrétiens s’intéressaient davantage à la Passion et à la Résurrection de Jésus qu’au lieu de sa naissance, lorsque Matthieu et Luc rédigent leurs évangiles (entre 80 et 90) ce qui n’était qu’un détail prend une portée théologique capitale : le retour promis du messie davidique et l’avènement de son royaume se faisaient attendre, surtout en cette période troublée suivant la destruction du temple de Jérusalem en 70.
En effet le débat était toujours aussi animé et il fallait trouver des arguments pour essayer de concilier des points de vue apparemment contradictoires :
« Dans la foule, plusieurs, qui avaient entendu ces paroles, disaient : « C'est vraiment lui le prophète ! » D'autres disaient : « C'est le Christ ! » Mais d'autres disaient : « Est-ce de la Galilée que le Christ doit venir ? L'Écriture n'a-t-elle pas dit que c'est de la descendance de David et de Bethléem, le village où était David, que doit venir le Christ ? ». Une scission se produisit donc dans la foule, à cause de lui. » (Jn 7, 40-43)
Bethléem en Judée ou en Galilée ?
Ni Marc, le premier évangéliste, ni Jean, le dernier, n’éprouvent le besoin de relater les circonstances de la naissance de Jésus. Seuls Matthieu et Luc en parlent, et de manière différente, mais en citant Bethléem comme lieu de naissance. Jean le cite à propos d’une controverse (Jn 7, 42, voir ci-dessus).
Bethléem signifie en hébreu « maison du pain ». On peut donc supposer qu’il s’agit d’un village étape sur un chemin fréquenté où se trouve une auberge ou un accueil permettant de se restaurer et éventuellement de passer la nuit. Ce que laisse d’ailleurs supposer Lc 2, 7.
- Bethléem en Galilée :
Ce village est situé à 6 km à l’ouest de Nazareth. Des fouilles réalisées par l’archéologue israélien Aviram Oshri à la fin du 20° siècle ont révélé les vestiges d’un village florissant à l’époque hérodienne. Au 6° siècle le site était devenu un lieu de pèlerinage chrétien. Le destin de Jésus fut très tôt lié à Nazareth : Marie habitait ce village et c’est là que Joseph l’avait rejointe (Lc 1, 26 et 2, 4). Cela peut cadrer avec la citation de Mt 2, 23 qui fait revenir Jésus à Nazareth après le retour d’Egypte (Mt 2, 23) en faisant même l’accomplissement d’une prophétie dont il n’a pas été retrouvé trace dans les Ecritures (s’agit-il d’un midrash ?) : "et vint s'établir dans une ville appelée Nazareth ; pour que s'accomplît l'oracle des prophètes : Il sera appelé Nazôréen".
En dehors des récits d’enfance de Luc et Matthieu, Jésus fut toujours qualifié comme originaire de Nazareth :
et les foules disaient : « C'est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée. » (Mt 21, 11)
et tout particulièrement au moment de sa Passion (Mt 26, 71 – Jn 18, 5.7)
sans que cela gêne une descendance d’avec David : On lui annonça que c'était Jésus le Nazôréen qui passait. Alors il s'écria : « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi ! » (Lc 18, 37-38).
Alors pourquoi vouloir faire naître Jésus à Bethléem de Judée ?
- Bethléem en Judée
Ce village est à 20 km de Jérusalem. Là, aucun habitat contemporain de la naissance de Jésus n’a été mis à jour jusqu’ici. Situé à la limite des terres cultivées et du désert, il se prête à la culture et à l’élevage. C’est une étape possible sur la route vers l’Egypte (Jr 41, 17).
Rachel, femme préférée de Jacob qui donna naissance à Joseph et Benjamin, y fut enterrée et son tombeau est le troisième lieu saint du judaïsme (Gn 48, 7).
C’est là que Booz prit pour femme Ruth, veuve de Malhôn en même temps qu’il rachetait les terres de son défunt mari :
Tout le peuple qui se trouvait à la porte répondit : « Nous en sommes témoins », et les anciens répondirent : « Que Yahvé rende la femme qui va entrer dans ta maison semblable à Rachel et à Léa qui, à elles deux, ont édifié la maison d'Israël. Deviens puissant en Ephrata et fais-toi un nom dans Bethléem. (Rt 4, 11)
Et plus proche de nos préoccupations, c’est là que Samuel vint chercher un berger, David, le plus jeune des fils de Jessé, pour devenir roi à la place de Saül rejeté par Yhwh. Sur l’ordre de Yhwh, Samuel donna l’onction à David mais ce n’est que bien plus tard que celui-ci succéda à Saül. Il est simplement noté : Samuel prit la corne d'huile et l'oignit au milieu de ses frères.
L'esprit de Yahvé fondit sur David à partir de ce jour-là et dans la suite (1 S 16, 13). Cette onction a donc d’abord vocation spirituelle.
Nous en venons maintenant à la citation fameuse du prophète Michée (Mi 5, 1 et 3) :
Et toi, Bethléem Éphrata, le plus petit des clans de Juda, c’est de toi que sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël. Ses origines remontent aux temps anciens, aux jours d’autrefois. Il se dressera et il sera leur berger …
Matthieu a un peu modifié le texte originel : l’affirmation « le plus petit des clans de Juda » devient «tu n'es nullement le moindre des clans de Juda » pour donner certainement plus de poids à la cité de Bethléem où doit naître non « celui qui doit gouverner » mais un «chef » ; le mot grec hègoumenos utilisé par Matthieu signifie plus « celui qui mène » que le mot « archonta » utilisé par la Septante pour traduire l’hébreu et qui implique plus une idée de commandement institutionnel (gouverner), ce que confirme le contexte de Michée.
Bethléem apparaît comme l’archétype d’une société pastorale aux valeurs humbles qui s’oppose à une royauté qui se fait de plus en plus lointaine de ses origines et orgueilleuse en s’établissant à Jérusalem.
Actuellement, le lieu supposé de la naissance de Jésus est une grotte sur laquelle est édifiée une basilique. Quel crédit accorder à cette tradition ? Constatons d’abord que les deux évangélistes ne parlent pas d’une grotte. Elle repose évidemment sur le bouche à oreille même si Justin la signale vers 150. Le Protévangile de Jacques (évangile apocryphe, 2°-3° s.) parle d’une caverne. Vers 230, Origène, qui voyagea en Terre Sainte, signale la grotte de Bethléem comme lieu de pèlerinage … On peut penser qu’à la fin du 1° siècle, les premiers chrétiens, lisant Matthieu et Luc, cherchèrent à localiser le lieu de naissance. Comme signalé plus haut (absence de restes archéologiques de cette époque), il ne devait pas rester grand-chose et c’est bien naturellement, sur la foi d’une mangeoire ayant recueilli Jésus nouveau-né (Lc 2, 7), qu’ils durent repérer des cavernes servant d’abri aux troupeaux et aux bergers et en faire le lieu de naissance. Il ne restait plus qu’à l’empereur romain Constantin, converti au christianisme, à faire construire un sanctuaire important, sur le lieu symbolique d’une royauté à laquelle il n’avait rien compris mais qui lui permettait de développer une vision et une pratique théocratiques du pouvoir royal qui perdura dans notre occident jusqu’à la fin du 18° siècle.
De Nazareth et de l’Orient à Bethléem
Luc prend le soin d’expliquer le déplacement de Joseph et Marie de Nazareth (lieu de l’annonciation de sa maternité) vers Bethléem par la nécessité d’un recensement (Lc 2, 1-7, cf. ci-dessus). Cela ne correspond pas aux faits historiques : les romains ne pratiquèrent aucun recensement universel. Le recensement effectué par Quirinius, probablement pour établir l’impôt, ne nécessitait aucun déplacement familial et eut lieu en 6 soit 10 ans après la date maintenant retenue de la naissance de Jésus (-4). Marie et Joseph réintégrèrent Nazareth (Lc 2, 39) après la circoncision et la présentation au temple de l’enfant à Syméon et Anne.
Matthieu ne reprend pas à son compte un hypothétique recensement qui, sur le plan historique, ne manquerait pas d’être contesté. Il se lance dans un récit merveilleux dont on ne pourra jamais rechercher des preuves historiques : Hérode manda secrètement les mages (Mt 2, 7). Par contre, la répercussion du questionnement des mages (non rois, mais sages préoccupés de magie et d’astrologie) correspond au contexte de l’époque d’une forte attente messianique avec aussi l’apparition de quelques messies auto-proclamés : L'ayant appris, le roi Hérode s'émut, et tout Jérusalem avec lui (Mt 2, 3). Le seul événement qui permettrait de fixer approximativement une date est astronomique : l’apparition d’une étoile qui suscita maints commentaires dont le moindre n’est-il pas le doute quant à la possibilité de la voir montrer le chemin aux mages ! Les seuls événements astronomiques notés à l’époque furent l’apparition d’une supernova en Chine en -5 et une conjonction de Jupiter et Saturne dans la constellation des Poissons en 7. Nous sommes à l’évidence plutôt dans le domaine du symbole : il était habituel dans les récits édifiants de l’antiquité de marquer la naissance ou la mort de grands personnages par l’apparition d’un astre.
Il est temps pour nous de nous intéresser au contenu théologique des symboles contenus dans ce récit de Matthieu empreint de merveilleux.
Les Mages. Mosaïque (6° s.). Ravenne, église Saint Apollinaire. © José Luiz Bernardes Ribeiro / , via Wikimedia Commons
Un débat théologique intense
Il semblerait tout de même d’après ce que nous avons dit précédemment que Jésus le Nazôréen soit certainement né à Nazareth, peut-être à quelques kilomètres dans ce Bethléem de Galilée. Alors pourquoi Luc et surtout Matthieu insistent-ils tellement pour qu’il soit né à Bethléem de Judée ?
- Jésus, prêtre et prophète
Bethléem en Judée intéresse Luc car sa proximité avec Jérusalem lui permet, par divers passages au Temple, de montrer l’intégration de Jésus à l’histoire d’Israël dont la vocation est aussi d’être la lumière pour la révélation aux païens (Lc 2, 32). D’ailleurs, Luc raconte que Jésus et ses parents y retournaient chaque année pour la Pâque. Et c’est là, que, âgé de douze ans et échappant à la surveillance de ses parents, préoccupé par « les choses de son père » (Lc 2, 46-52), il commença son enseignement.
Luc cherche à mettre en relief le lien de Jésus avec le Temple comme dans une lignée sacerdotale et prophétique. Celle-ci apparaît par son cousinage avec Jean-Baptiste dont les parents Zacharie et Elisabeth sont issus de lignée sacerdotale et par les prophéties de Syméon et Anne, à l’adresse de Jésus dans le Temple par des fidèles du Temple mais non issus de la caste sacerdotale. C’est parce qu’il a concédé d’appeler son fils Jean que Zacharie retrouve l’usage de la parole (Lc 1, 62-64), marquant ainsi une sorte de rupture dans la continuité (« on voulait l’appeler Zacharie du nom de son père » Lc 1, 59). Pour Luc, Jésus sera prêtre et prophète mais dans une rupture, une certaine « laïcisation » dirions-nous à la suite de Vatican II. C’est aussi au Temple que se retrouvent les apôtres après l’Ascension (Lc 24, 53). De ce Temple, Jésus aura auparavant chassé les vendeurs, prétendant qu’il pouvait le détruire puis le reconstruire en trois jours, Marc étant le plus précis sur ce point : « Nous l'avons entendu qui disait : Je détruirai ce Sanctuaire fait de main d'homme et en trois jours j'en rebâtirai un autre qui ne sera pas fait de main d'homme. » (Mc 14, 58). Jean ajoutant : « il parlait du Temple de son corps » (Jn 2, 21). Il confirmait là ce qu’il avait annoncé à la Samaritaine : « Crois-moi, femme, l'heure vient où ce n'est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père … Mais l'heure vient - et c'est maintenant - où les véritables adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité, car tels sont les adorateurs que cherche le Père. Dieu est esprit, et ceux qui adorent, c'est en esprit et en vérité qu'ils doivent adorer. »» (Jn 4, 21. 23-24)
Le fameux mur seul vestige du Second temple de Jérusalem Par Wayne McLean ( jgritz) (Travail personnel) [CC BY 2.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/2.0)], via Wikimedia Commons
- Jésus, roi-pasteur des Juifs
Matthieu fait de la naissance à Bethléem un événement à portée théologique en lui-même.
La généalogie de Luc est intégrée, sans lien direct, à la suite du baptême de Jésus et remonte à Adam en partant de Joseph (Lc 3, 23-38). Elle est plus universaliste que celle de Matthieu (Mt 1, 1-17) qui, présentée en tête de son évangile, introduit directement, en se terminant par « Joseph, l’époux de Marie de laquelle naquit Jésus », la rupture dans la succession dynastique de sang royal à partir de David explicitée ensuite (Mt 1, 18-25). Jésus naît d’en haut (« Ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit » Mt 1, 20). Là-dessus il rejoint Luc.
La généalogie de Matthieu commence par Abraham, le père du judaïsme, destinataire de l’alliance divine qui institue la circoncision.
« Je rendrai ta postérité nombreuse comme les étoiles du ciel, je lui donnerai tous ces pays et par ta postérité se béniront toutes les nations de la terre » (Gn 26, 4)
Pour Matthieu, parmi ces étoiles, il y en eut une qui un jour s'arrêta au-dessus de Bethléem. Elle serait signe de bénédiction pour toutes les nations et non seulement les circoncis comme le montrent si bien les mages.
Abraham était d’abord devenu père d’Ismaël par sa servante égyptienne Agar puis d’Isaac par sa femme Sara, avec l’intervention de Yhwh. Aux deux, malgré les difficultés de cohabitation ensuite entre les deux femmes, Yhwh promit une aussi grande descendance. Autrement dit, Dieu se moque des généalogies figées et promet fécondité à tous ceux qui naissent de lui.
Déjà Isaïe prophétisait face au pitoyable roi Achaz : « C'est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe : Voici, la jeune femme est enceinte, elle va enfanter un fils et elle lui donnera le nom d'Emmanuel » (Is. 7, 14) ; ce qui permettait à Matthieu, en le citant (Mt 2, 23) de renvoyer par-delà la dynastie royale davidique à l’alliance conclue avec Abraham : Jésus-Sauveur serait l’Emmanuel- « Dieu avec nous » (Is 7, 14 repris par Mt 2, 21-23). C’est d’ailleurs cette alliance que Jésus ressuscité renouvelle lui-même dans les dernières paroles de l’évangile de Matthieu : « Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde. » (Mt 28, 20)
Comme le jeune berger David de Bethléem fut retenu par Samuel pour succéder au roi Saül, il s’agit en présence d’un roi Hérode non légitime, sanguinaire et collaborateur de l’ennemi, de revenir aux sources spirituelles d’un peuple nomade de bergers en faisant naître le messie à Bethléem. Les mages ne s’y trompent qui dès leur arrivée proclament chercher le « Roi des juifs » sans tenir aucun compte de la royauté d’Hérode. Ce roi sera le pasteur de son peuple Israël (Mt 2, 6) mais aussi des autres nations : « Je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent ... J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pas de cet enclos ; celles-là aussi, il faut que je les mène ; elles écouteront ma voix ; et il y aura un seul troupeau, un seul pasteur » (Jn 10, 14.16)
Ce furent donc les autres nations-brebis qui par l’intermédiaire des mages reconnurent en premier un vrai roi-pasteur à travers l’enfant humble de Bethléem.
Les mages n’avaient plus rien à faire à Jérusalem (Mt 2, 12) : le palais pharaonique du roi Hérode et la richesse du temple en reconstruction abritant des religieux à sa botte n’avaient rien à voir avec ce qu’ils pressentaient de l’avenir de cet enfant de Bethléem.
Le bon pasteur. Philippe de Champaigne (1602-1674) Attribué à Philippe de Champaigne [CC BY-SA 4.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0)], via Wikimedia Commons
Jésus nouveau-Moïse
« Après leur départ, voici que l'Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit : « Lève-toi, prends avec toi l'enfant et sa mère, et fuis en Égypte ; et restes-y jusqu'à ce que je te dise. Car Hérode va rechercher l'enfant pour le faire périr. Il se leva, prit avec lui l'enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Égypte ; et il resta là jusqu'à la mort d'Hérode, pour que s'accomplît cet oracle prophétique du Seigneur : D'Égypte j'ai appelé mon fils. Alors Hérode, voyant qu'il avait été joué par les mages, fut pris d'une violente fureur et envoya mettre à mort, dans Bethléem et tout son territoire, tous les enfants de moins de deux ans, d'après le temps qu'il s'était fait préciser par les mages. » (Mt 2, 13-16)
A propos de ce massacre des enfants de Bethléem ordonné par Hérode, nous avons déjà dit que les historiens de l’époque n’en avaient pas fait mention. Hérode était tout de même sanguinaire au point d’avoir fait assassiner une de ses femmes, une belle-mère et trois de ses fils. Mais pourquoi, craignant un massacre, Joseph ne serait-il pas retourné tout simplement à Nazareth ? Pourquoi aller jusqu’en Egypte ?
« D'Égypte j'ai appelé mon fils » (Mt 2, 15) est une citation du prophète Osée (Os 11, 1) : « Quand Israël était jeune, je l'aimai, et d'Égypte j'appelai mon fils. »
Israël, appelé ici fils, représente de façon assez libre une figure du Messie et peut autant convenir à Moïse qui fit sortir les hébreux de leur captivité d’Egypte. Jésus fut souvent appelé nouveau Moïse. Il est utile de consulter la page d’un site qui le démontre avec évidence : http://www.bibliquest.org/Versets/Versets-Moise_type_de_Christ_TaMi.htm
Qui dit Moïse dit loi, Jésus est celui qui, loin de renier la loi mosaïque, est venu la mener à sa perfection (Mt 5, 17-18). Il y fait constamment référence. Théologiquement, ce voyage en Egypte assoit l’autorité de Jésus comme exégète de la Loi face aux scribes :
« Sur la chaire de Moïse se sont assis les scribes et les Pharisiens : faites donc et observez tout ce qu'ils pourront vous dire, mais ne vous réglez pas sur leurs actes : car ils disent et ne font pas. » (Mt23, 2).
Ce voyage en Egypte confirme aussi l’importance, pour l’élaboration des récits chrétiens, de l’héritage de la symbolique religieuse égyptienne. Le livre du prêtre théologien et psychothérapeute Eugen Drewermann « De la naissance des dieux à la naissance du Christ » (Seuil, 1992) est particulièrement éloquent à ce sujet.
Moïse reçoit les tables de la loi. Retable de la Transfiguration de Jaume Huguet (entre 1466-1475). Cathédrale de Tortosa (Espagne) Jaume Huguet [GFDL (http://www.gnu.org/copyleft/fdl.html), CC BY 3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/3.0) ou Public domain], via Wikimedia Commons
Le retour et l’installation à Nazareth
A la mort d’Hérode, Joseph et sa petite famille, comme les mages, ne passeront pas en revenant par Jérusalem et se rendront directement à Nazareth. Comme le dira plus tard Jésus : « il y a ici plus grand que le Temple » (Mt 12, 6).
« Mais, apprenant qu'Archélaüs régnait sur la Judée à la place d'Hérode son père, il craignit de s'y rendre ; averti en songe, il se retira dans la région de Galilée et vint s'établir dans une ville appelée Nazareth ; pour que s'accomplît l'oracle des prophètes : Il sera appelé Nazôréen. » (Mt 2, 22-23)
C’est la première fois dans son évangile que Matthieu parle de la Galilée et de Nazareth. La référence de cette parole prophétique n’a pas jamais été retrouvée. Matthieu a sans doute été trompé par sa mémoire. Il n’en reste pas moins que celle-ci résonne comme une affirmation importante introduisant la suite de l’évangile après la naissance à Bethléem, ville où étaient censés habiter Marie et Joseph (Mt 1, 24-25 et 2, 1) et présentée comme lieu de naissance de Jésus pour les raisons théologiques que nous venons d’évoquer.
Joseph le charpentier et Jésus à Nazareth. Georges de La Tour (1593-1652) By Georges de La Tour - Web Gallery of Art: Image Info about artworkhttp://www.magnificat.com/lifeteen/ image, Public Domain,
Quant à envisager Jésus comme un roi, Matthieu se distingue des autres évangélistes lors de l’entrée solennelle à Jérusalem en omettant « roi » dans la citation de l’acclamation de la foule :
- Les foules qui marchaient devant lui et celles qui suivaient criaient : « Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux ! » ((Mt 21, 9)
- Et ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient criaient : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni soit le Royaume qui vient, de notre père David ! Hosanna au plus haut des cieux ! » (Mc 11, 9-10)
- « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur et le roi d'Israël ! » (Jn 12, 13)
- Ils disaient : « Béni soit celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur ! Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! » (Lc 19, 38)
Jusqu’au bout Jésus refusera d’être appelé roi. A Pilate qui lui demande s’il est le roi des Juifs, il répond : « Toi, tu le dis » (en grec « su legueis » : même expression dans les 4 évangiles) traduit faussement par « Tu le dis », le pronom grec « su » renforce le « tu » contenu dans la désinence du verbe : « C’est toi qui le dis ». Jésus ne le reprend pas à son compte. Ce que suggère parfaitement le contexte de Jean 18, 34-38 : « ma royauté n’est pas de ce monde … ma royauté n’est pas d’ici ».
Eglise orthodoxe serbe Saint-Georges de Strasbourg. Icône. L’entrée solennelle de Jésus à Jérusalem. By Ralph Hammann (Own work) [CC BY-SA 4.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0)], via Wikimedia Commons
Sur la notion de Roi et Royaume, je vous renvoie à mon article « Le royaume est déjà là » : http://www.bible-parole-et-paroles.com/2015/11/le-royaume-est-deja-la.html
Et à l’article « Fils de David » : http://www.bible-parole-et-paroles.com/2015/07/fils-de-david.html
Mais c’est bien parce qu’il était accusé de se dire roi des Juifs que Jésus fut, au moins officiellement, condamné comme le prouve la pancarte installée au-dessus de la tête du crucifié à la demande de Pilate : « Jésus le Nazôréen, le roi des Juifs » (Jn 19, 19).
On se souvient de la parole de Nathanaël à Philippe : «« De Nazareth, peut-il sortir quelque chose de bon ? » (Jn 1, 46)
Nous répondrons avec Philippe : « Viens et vois »
N’est-ce pas aussi en Galilée que Jésus avait donné rendez-vous après sa résurrection à ses disciples ? (Mt 26, 32) ?
Désormais les Nations ont part égale à l’héritage avec le Peuple choisi, comme l’a prophétisé le vieillard Syméon lorsqu’il reçut l’enfant Jésus dans ses bras :
« Maintenant, Souverain Maître, tu peux, selon ta parole, laisser ton serviteur s'en aller en paix ; car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé à la face de tous les peuples, lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple Israël. » (Lc 2, 29-32)
Le vieillard Syméon accueille Jésus au Temple. Vitrail. Cathédrale de Chartres Par Jean-Baptiste-Antoine Lassus, Eugène-Emmanuel-Amaury Pineu-Duval et Adolphe-Napoléon Didron, Paul Duran. (Monographie de la Cathédrale de Chartres - Atlas) [Public domain], via Wikimedia Commons
Compléments
- Une belle méditation sur Bethléem extraite du livre d’Eugen Drewermann « De la naissance de dieux à la naissance du Christ » :
- Une visite virtuelle des lieux saints de Bethléem sur le site de la Custodie franciscaine : http://www.bethleem.custodia.org/
- Haendel, « Le Messie » par le King’s College de Cambridge : https://www.youtube.com/watch?v=K0ZfXs_3EcE
- Crèche contemporaine de l’église de La Madeleine à Paris :