Un enseignement neuf de par son autorité naturelle
21. Et ils pénètrent dans Capharnaüm ; étant entré en plein sabbat dans la synagogue, il enseignait.
22. Ils étaient stupéfaits de son enseignement : en effet il les enseignait avec une autorité naturelle et non pas comme les scribes.
23. Et aussitôt dans leur synagogue, se manifestait un homme avec un esprit impur qui vociféra :
24. « Pourquoi te mêles-tu de nos affaires, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es, toi : le Saint de Dieu. »
25. Et Jésus le rabroua : « tais-toi et sors de lui »
26. Et l’esprit impur, dans une convulsion et un grand cri sortit de lui.
27. Tous furent effrayés au point de se demander entre eux : « Qu’est-ce que cela ? Un enseignement neuf de par son autorité naturelle ; il remet à leur place les esprits impurs et ils se soumettent à lui ! »
28. Et sa renommée se répandit aussitôt partout dans toute la région alentour de la Galilée.
Evangile de Marc 1, 21-28 (Traduction Ph. L.)
En vignette : Jésus enseigne à la synagogue (14° s. Kosovo)
La traduction
La traduction étant déjà une interprétation, j’ai préféré, après en avoir consulté plusieurs, en proposer une qui, en suivant rigoureusement le texte grec, introduise déjà mes commentaires. C’est ce que fait d’ailleurs tout traducteur, dans une approche certes personnelle, mais aussi encore trop souvent dépendante de l’interprétation officielle des « scribes » d’aujourd’hui, même à son corps défendant. Aucune traduction ne doit d’ailleurs être considérée comme définitive dans la mesure même où elle dépend de l’interprétation qui est donnée à un texte dans un contexte historique et ecclésial. C’est d’ailleurs toute la pointe de l’enseignement donné par Jésus dans ce passage.
Peut-on se satisfaire de voir sur ce passage toujours les mêmes commentaires où n’est remarquée que l’autorité de Jésus, au sens de pouvoir, sur les esprits impurs :
« Jésus manifeste son autorité à la synagogue de Capharnaüm » (titre pour introduire ce passage dans la TOB) ou « Jésus enseigne à Capharnaüm et guérit un démoniaque » (titre la BJ 1956) ou cette introduction de « Prions en Eglise » à la messe du 12 janvier 2016 où est lu ce passage (p. 81) : « Quoi d’étonnant ? L’enseignement de Jésus est proclamé avec autorité, il a du pouvoir sur les esprits impurs, qui lui obéissent. Cela étonne et cela suffit pour qu’on parle de lui dans la région. » … dans le style d’une brève de dépêche journalistique.
Toute nouvelle traduction et interprétation comporte une part d’incertitude et de risque. Elles naissent bien sûr dans la continuité des précédentes et précèdent elles-mêmes les suivantes. C'est le propre de la Parole de vivre, d’être toujours neuve, jamais enfermée dans des paroles, formulations ou lois dont la rigidité peut être la cause ou la conséquence de la perversion même des esprits.
Nouveauté d’une autorité naturelle
Le terme grec kainos indique une nouveauté sur le fond et non une nouveauté en terme de temporalité. Ainsi le vin qui vient d’être vinifié est-il nouveau (veos) et doit être mis dans des outres neuves (kainos). De même la pièce de vêtement tiré du neuf (kainos) n’ira pas avec le vieux (Luc 5, 36-39). Dans notre article « Jeûne et vin nouveau » (19/03/2015) nous avons déjà évoqué cette thématique du neuf et de l’ancien. L’enseignement de Jésus, vin nouveau bouillonnant, s’impose de par son autorité naturelle. J’ai choisi de traduire le mot grec « exousia » par autorité naturelle (= propre à sa nature). En effet, nous y trouvons « ousia » nature et la particule « ex » qui indique la provenance. L’enseignement de Jésus stupéfait car il s’impose par la vérité qui transparaît de sa personne. Sa vie est en conformité avec ses actes. Il suscite l’interrogation et ne condamne pas. Il est à l’opposé de celui des scribes, spécialistes de l’interprétation des textes qui, héritiers d’une longue tradition, imposent leur autorité de mandarins en jouant une « sainte » comédie (voir mon article « Malheur à vous scribes et pharisiens hypocrites » du 29/08/2015).
Christ Pantocrator byzantin (Mosaïque, 12° s., Cathédrale de Cefalù, Sicile)
L’enseignement inscrit sur le livre est un extrait de Jn 8, 12 : « Je suis la lumière du monde. Celui qui vient à ma suite ne marchera pas dans les ténèbres ; il aura la lumière qui conduit à la vie. »
Autorité et pouvoir
Cette autorité naturelle (exousia) peut « en imposer » et donc donner un pouvoir. Jésus ne veut jouir d’aucun pouvoir et il refuse le titre de messie-roi qu’on aimerait lui attribuer (voir mon article « Fils de David » du 4/07/2015). C’est effectivement son autorité naturelle qui lui attirera les foules et lui fera s’attacher des disciples. C’est parce que Jésus a une autorité naturelle, contrairement à l’autorité institutionnelle des scribes que son enseignement est neuf.
Jésus une fois mort, il manquait son autorité naturelle pour rassembler. Il avait bien promis l’aide de l’Esprit qui avait animé toute sa prédication pour continuer son œuvre :
« Quand on vous conduira pour vous livrer, ne soyez pas inquiets à l’avance de ce que vous direz ; mais ce qui vous sera donné à cette heure-là, dites-le ; car ce n’est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit Saint. »
Marc 13, 11 (Trad. TOB)
Les disciples auraient dû continuer à parler avec cette simple « autorité naturelle » de l’Esprit mais le mot « exousia » prit alors toute la connotation de pouvoir au sens d’ascendance hiérarchique et c’est ce dernier sens qui finira par l’emporter dans le nouveau testament en particulier chez Saint-Paul.
« C’est pourquoi, étant encore loin, je vous écris ceci pour ne pas avoir, une fois présent, à trancher dans le vif selon le pouvoir (exousian) que le Seigneur m’a donné pour édifier son royaume ».
Paul 2 Co 13, 10 (Trad. TOB)
Pouvoir que Paul, les apôtres et les anciens partagent à égal avec l’Esprit-Saint !
« L’Esprit Saint et nous-mêmes, nous avons en effet décidé de ne vous imposer aucune autre charge que ces exigences inévitables. »
Actes 15, 28 (Trad. TOB)
Paul revendique même cette fierté du pouvoir qu’il pense lui avoir été accordé par le Christ :
« Et même si je suis un peu trop fier du pouvoir (exousias) que le Seigneur nous a donné pour votre édification, et non pour votre ruine, je n’en rougirai pas. Je ne veux pas avoir l’air de vous effrayer par mes lettres, - car ses lettres, dit-on, ont du poids et de la force ; mais, une fois présent, il est faible et sa parole est nulle. »
Paul 2 Co 10, 2-10 (Trad. TOB)
Aveu d’un manque d’autorité naturelle compensé par une sévérité dans les écrits. Certes, dans les versets suivants (2 Co 10, 11-15 et 2 Co 11, 4-6) Paul dénonce à juste titre la manipulation rendue possible par les talents oratoires et les références de certains super-apôtres. Du moins, lui, exerce-t-il son ministère gratuitement ! (2 Cor 11, 7)
De la même façon, l’ancien militaire Paul, prêchera la soumission aux autorités qui détiennent leur pouvoir de Dieu même (Paul Rm 13, 1-3) - écrit dévastateur pour la suite des siècles !
Et la soumission de la femme à son mari :
« Je veux pourtant que vous sachiez ceci : le chef de tout homme, c’est le Christ ; le chef de la femme, c’est l’homme, le chef du Christ, c’est Dieu. »
Paul 1 Co 11, 3 (Trad. TOB)
Où Paul est-il allé chercher tout cela dans les évangiles où Jésus revendique une stricte égalité de condition homme-femme et la séparation des pouvoirs politique et religieux (Mc 12, 17) ? Sans oublier que le chef doit être le serviteur de tous (Mc 10, 42-45).
Saint-Paul (Maitre de Rieux, 1333-34, Musée des Augustins, Toulouse). St Paul tient en mains le livre de ses épitres et l’épée instrument de son martyre
Jésus et son autorité
Jésus et ses disciples reviennent à Jérusalem. Et comme Jésus allait et venait dans le Temple, les grands prêtres, les scribes et les anciens vinrent le trouver. Ils lui demandaient : « Par quelle autorité fais-tu cela ? Ou alors qui t’a donné cette autorité pour le faire ? » Jésus leur dit : « Je vais vous poser une seule question. Répondez-moi, et je vous dirai par quelle autorité je fais cela. Le baptême de Jean venait-il du ciel ou des hommes ? Répondez-moi. » Ils se faisaient entre eux ce raisonnement : « Si nous disons : “Du ciel”, il va dire : “Pourquoi donc n’avez-vous pas cru à sa parole ?” Mais allons-nous dire : “Des hommes” ? » Ils avaient peur de la foule, car tout le monde estimait que Jean était réellement un prophète. Ils répondent donc à Jésus : « Nous ne savons pas ! » Alors Jésus leur dit : « Moi, je ne vous dis pas non plus par quelle autorité je fais cela. »
Marc 11, 27-33 (Trad. Bible liturgique)
La synagogue et le temple sont des lieux de pouvoir et c’est évidemment là que se pose le plus le problème de l’autorité de Jésus qui y intervient sans complexe. C’est toujours le même terme grec « exousia » qui est traduit par autorité. Les prêtres, scribes et anciens du temple laissent à Jésus deux possibilités de répondre : il autoproclame son autorité ou il dit de qui il l’a tient. Comme souvent Jésus va désarçonner ses interlocuteurs en leur posant lui-même sa question. Elle concerne Jean Baptiste comme lui pareillement : son autorité vient-elle du ciel ou des hommes (traduction logique de la question de ses interlocuteurs) avec les mêmes réponses possibles. Leur peur de la foule les amène à refuser de répondre, ce qui autorise Jésus à faire de même.
Jésus n’a jamais accepté publiquement les titres de messie, de roi, de prophète, de Fils de Dieu. Le seul qualificatif qu’il s’attribuait était Fils de l’Homme (Voir notre futur article « Fils de Dieu »).
Certains sont allés inventer la théorie du « secret messianique » dans l’Evangile de Marc : Jésus refusait de reconnaître sa gloire de Fils de Dieu avant sa résurrection. Le faire avant aurait conduit pour les nombreux partisans de ce secret à dévaluer l’acte rédempteur de la crucifixion. Les interrogations des théologiens sont nombreuses sur l’évolution éventuelle du degré de conscience de son caractère divin chez Jésus. Et si celui-ci avait refusé ces titres définis par une autorité institutionnelle pour laisser tout simplement s’épanouir son autorité naturelle sous l’action de l’Esprit. Tel est bien là le sens des versets précédant ceux de notre étude où, lors de son baptême par Jean, l’Esprit descend sur lui comme une colombe tandis qu’il entend « tu es mon fils, l’aimé, en toi je me plais » (Mc 1, 10-11. Voir article « En toi je me plais » du 12/01/2015).
Le seul « costume » que Jésus aura revêtu a été celui de serviteur, fils du Père des cieux. Tous les autres « costumes » lui seront taillés ensuite par une communauté chrétienne naissante en mal de reconnaissance et d’autorité naturelle. Une autorité institutionnelle se mettra bientôt en place, de plus en plus coercitive et parfois de manière violente quelques siècles plus tard (voir mon article « les invités au festin » du 7/11/2015). Jésus avait pourtant repoussé les tentations du pouvoir comme le montre son séjour dans le désert qui a suivi son baptême (Mt 4, 1-11)
Comment traduire alors Jean 17,1-2 ?
Après avoir ainsi parlé, Jésus leva les yeux au ciel et dit : « Père, l’heure est venue. Glorifie ton Fils afin que le Fils te glorifie et que, selon le pouvoir sur toute chair que tu lui as donné, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés. Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ. » (Trad. TOB).
Selon le pouvoir ou selon l’autorité (exousian) ? Compte tenu de tout ce que nous venons de dire je préfère « autorité ». L’autorité de Jésus lui vient du Père, elle n’est pas une délégation de pouvoir ; il est Parole vivante du Père.
Encore un problème de traduction du grec en latin
Ceux qui ont suivi mes commentaires vont peut-être croire à une obsession. En fait je n’ai jamais envisagé spécialement de m’attarder sur ce qui pourrait apparaître comme des détails mais à chaque fois ma curiosité d’aller consulter le texte latin de la Vulgate m’a fait mettre le doigt sur un nœud d’interprétation du texte étudié.
En fait, les traductions retiennent habituellement « autorité » pour rendre « exousia », ce qui laisse la porte ouverte à des interprétations qui vont dans le sens d’un enseignement « qui fait autorité » tout en permettant d’imaginer un pouvoir divin qui s’opposerait à celui des scribes. La théologie catholique enseignait jusqu’au Concile Vatican II que l’Alliance nouvelle établie par le Christ se substituait à l’ancienne Alliance des Patriarches. La Déclaration « Nostra aetate » (1965) de ce Concile, dans le but de rétablir des relations « normales » avec la religion juive, entre autres considérations, envisage d’abandonner cette « théologie de la substitution » pour admettre que l’Ancien Testament est un patrimoine commun entre juifs et chrétiens, et pas seulement un recueil de textes prophétiques annonçant la venue du Christ qui inaugurerait une nouvelle Alliance balayant l’Ancienne. Nous sommes maintenant au nœud du problème !
Lorsque Saint Jérôme établit la Vulgate, traduction latine des évangiles à partir du grec (entre 382 et 384), c’est la pleine période de définition du dogme trinitaire par les conciles de Nicée (325) et Constantinople (381). Et la traduction latine veut refléter cette définition trinitaire qui fut loin de faire l’unanimité (nous passerons sur les excommunications réciproques des uns et des autres !). Après le Concile de Trente le Pape Clément VIII en institua une version un peu révisée en 1592, la « Vulgata clementina » qui sera remplacée par une version plus nettement révisée la « Nova Vulgata » promulguée en 1979 par le Pape Jean-Paul II. Cette version est contestée par les catholiques intégristes qui veulent se référer uniquement à la Vulgate de Saint Jérôme
Au v. 22 Jérôme traduit le mot grec « exousia » non par le latin auctoritas (= autorité dans le sens de influence, prestige, poids dans la parole avec de nombreux exemples chez Cicéron) qui semblerait le mieux correspondre mais par « potestas » (= autorité au sens de pouvoir) qui me semble ici indiquer la volonté du traducteur de mettre en valeur un pouvoir, une autorité de Jésus qui traduit sa divinité. Le texte latin dit : « docens eos quasi potestatem habens » = enseignant eux quasiment le pouvoir ayant (quasi est encore une traduction abusive du grec « hôs ») … non pas comme les scribes.
Pour donner plus de poids à son choix de traduction, Jérôme, au v. 27, a fait un choix de construction qui lui fait rattacher la « potestas » non à l’enseignement mais aux esprits impurs qui lui obéissent :
Quaenam doctrina haec nova ? Quia in potestate etiam spiritibus immundis imperat et obediunt ei
Quelle est donc cette doctrine nouvelle ! car avec son pouvoir même aux esprits impurs il commande et ils obéissent à lui.
Ainsi, pour résumer, dans la traduction latine de Saint Jérôme le pouvoir (potestas) se substitue à l’autorité naturelle (de l’enseignement) pour s’opposer à celui des scribes qui défendent une Alliance périmée. Cette « potestas » Jésus l’a aussi sur les esprits impurs.
Ainsi, nous voyons que cette vulgate de Jérôme a conditionné et orienté le commentaire théologique des Ecritures même jusqu’à nos jours comme le suggèrent les introductions citées en tête de cet article.
Une autre remarque concernant la vulgate : le terme grec « didachè » (v. 22 et 27) signifiant enseignement est traduit, ici et ailleurs, par Jérôme par le terme latin « doctrina » (doctrine) avec évidemment toute la connotation que ce mot aura par la suite et déjà à l’époque même de Jérôme puisque Saint Augustin écrivait à l’époque son « De doctrina christiana » (397). Là encore c’est donner à l’enseignement de Jésus une coloration doctrinale qu’il n’a pas tel que le texte grec nous le rapporte. Il me semble que le terme « sermo », qui a d’ailleurs donné « sermon » en français pouvait convenir. Les traductions françaises s’appuyant sur la vulgate jusqu’au 19° siècle (seul texte officiel de référence, même encore maintenant !), l’emploi de « doctrina » traduit par « doctrine » a contribué à donner une idée fausse de l’enseignement de Jésus devenu doctrine. Ainsi les développements ultérieurs du dogme prenaient le pas sur l’enseignement initial de Jésus relaté dans les Evangiles et étaient même suspectés ceux qui voulaient étudier d’un peu plus près le texte originel en grec. On ne s’étonne pas alors que les catholiques intégristes ne retiennent que les traductions françaises établies à partir de la Vulgate de Saint Jérôme !
Un autre terme grec « didaskalia » (construit sur le même verbe « didaskô » que « didachè »), parfois joint à huguiainousunè (sain), sera employé dans le contexte d’un enseignement devant être irréprochable et le latin « doctrina » lui correspond alors effectivement (emploi en dehors des évangiles et particulièrement dans 1 Tm 1, 10 ; 4, 13 et 16 ; 5, 17 ; 6, 1 et 3, et Tt 1, 9 ; 2, 1 et 7).
(Vous voudrez bien excuser les traductions mot à mot qui ont pour objet de permettre une certaine approche linguistique aux non latinistes)
Dans les compléments à cet article, vous trouverez quelques éléments sur des textes, « Didachè » et « Didascalie », postérieurs aux évangiles, dont les intitulés et le contenu ont pu influencer Jérôme dans son choix de traduction « Doctrina » à la fin du 4° siècle.
« Qui parle de lui-même cherche sa propre gloire : seul celui qui cherche la gloire de celui qui l’a envoyé est véridique, et il n’y a pas en lui d’imposture. »
Evangile de Jean 7, 18 (trad. TOB)
« Jamais homme n’a parlé comme cet homme « (Jn 7, 46)
Le Christ en majesté (portail de l’ancienne cathédrale de Villeneuve-lès-Maguelone, Hérault, 12° s.)
Le Christ tient le livre de Vie et est entouré des symboles des quatre évangélistes.
Il remet à leur place les esprits impurs et ils se soumettent à lui !
Marc 1, 27
A la traduction habituelle « il commande aux esprits impurs » j’ai préféré celle-ci-dessus. Le verbe « epitassei » suggère en effet une idée de rangement. Ne dit-on pas « il faudra lui remettre les idées en place » ?
Quel est donc cet esprit impur ou plutôt le type d’impureté secrété par cet esprit ?
« L’impur est l’antonyme du pur, c’est-à-dire de ce qui est sain, saint, intègre, compatible avec la santé, socialement accepté … un « souffle (ou esprit) impur » est donc une puissance asociale, qui s’attaque à l’intégrité de l’être humain, le menace dans sa personnalité ou sa santé, et le coupe de son milieu. » (Nouveau vocabulaire biblique, p. 326).
L’impur ne vient pas de l’extérieur de l’homme mais est incrusté en lui et se manifeste de diverses façons :
« Il n’est rien d’extérieur à l’homme qui, pénétrant en lui puisse le souiller, mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui souille l’homme »
Marc 7, 15
Chez Marc, Jésus est souvent confronté à ces esprits impurs (Marc 3, 10-12 ; 5, 1-20 ; 7, 25-30 ; 9, 17-29). Comme dans notre passage où l’esprit impur le reconnaît comme le Saint de Dieu (= il vient de Dieu), ils se jettent à ses pieds et le reconnaissent comme Fils de Dieu (Mc 3, 11 et 5, 6) et lui demandent de ne pas les tourmenter (Mc 5, 7)
Ici cet homme est certainement un habitué de la synagogue de Capharnaüm où son comportement ne fait pas problème. Il endure le « lavage de cerveau » des scribes. Sans doute, se sent-il obligé de penser, parler et agir pas vraiment comme il le voudrait. L’application de règles figées dans le temps et leur expression, en dehors d’un contexte véritablement humain, l’a dépersonnalisé. « Mon nom est personne » aurait-il pu répondre à Jésus s’enquérant de son identité comme un autre esprit impur lui répondit : "mon nom est légion, car nous sommes beaucoup" (Mc 5, 9). Il faut faire bonne figure, suivre la masse (« nos affaires », « nous perdre », v. 24) mais l’esprit et le cœur ne suivent pas. L’homme s’est renfermé, victime de sa psychorigidité, méfiant (v. 24 : « Pourquoi te mêles-tu de nos affaires ? Es-tu venu pour nous perdre ?).
Cette fois-ci, la force de la vérité intérieure, le langage neuf, stupéfiant de Jésus (v. 22) font sauter le cadenas de son « moi ». L’esprit pervers qui l’habite se trouve devant une évidence qui ne laisse place à aucun doute : "Je sais qui tu es, toi : le Saint de Dieu. » (v. 24). Face à cet homme issu de la pureté divine des origines, à la Parole créatrice, à ses consignes sans appel (« tais-toi et sors de lui », v. 25) il retrouve sa propre pureté non sans certains chambardements intérieurs manifestés par une convulsion et un cri (v. 26). C’est pour lui la fin d’une vie et le début d’une autre.
Le verset 27 marque clairement que c’est l’autorité naturelle de l’enseignement de Jésus qui chasse la perversité ; il est percutant parce qu’il provoque l’interrogation et la libération au contraire de celui des scribes dont l’autorité s’appuie sur le formatage et l’enfermement des esprits ; Jésus remet les esprits en place, en vérité avec eux-mêmes.
Capharnaüm est bien d’après son étymologie « le village de la compassion ».
Nos relations avec la foi et avec les autres sont-elles empreintes de cette vérité qui rend libre ?
Jésus disait à ceux des Juifs qui croyaient en lui : « Si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; alors vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. »
Jn 8, 31-32 (Trad. liturgique)
Au jour solennel où se terminait la fête, Jésus, debout, s’écria : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi ! Comme dit l’Écriture : De son cœur couleront des fleuves d’eau vive. ».
Jn 7, 37-38 (Trad. liturgique)
Note sur la didachè et la didascalie
La didachè est un manuscrit daté de 1056 à Jérusalem retrouvé au 19° siècle. Il est la copie d’un document en grec probablement écrit fin 1er - début 2° siècle. Il a été cité par des Pères de l’Eglise mais son usage semble avoir ensuite été abandonné. Cette sorte de petit catéchisme intitulé « Doctrine du Seigneur transmise aux nations par les douze apôtres », qui présente plusieurs couches rédactionnelles, mérite en effet l’appellation latine de « doctrina » : une doctrine s’appuyant sur les paroles de Jésus ; terme que Jérôme se permettra d’appliquer deux siècles plus tard à l’enseignement même de Jésus.
La didascalie ou « Doctrine catholique des douze apôtres et Saints disciples de notre Sauveur » dont l’original, en grec, aurait été écrit au début du 3° siècle ne subsiste plus que dans une traduction latine incomplète et incertaine et une transcription incomplète et remaniée des « Constitutions apostoliques » (fin 4° siècle).
Didachè :
http://www.spiritualite-chretienne.com/perennit/Didache.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Didach%C3%A8
Didascalie :
http://jesusmarie.free.fr/DTC_Didascalie.html
Constitutions apostoliques :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Constitutions_apostoliques
Ces documents présentent une vision très doctrinale et surtout cléricale de la vie ecclésiale. Il n’aura pas fallu longtemps après la disparition terrestre de Jésus pour que les nouveaux scribes s’emparent de son enseignement, le transforment en doctrine et en lois. Il est vrai que les « ego » se sont alors vite affrontés avec des querelles de préséance accompagnées bientôt de collusions avec divers pouvoirs …
La séparation de l’Eglise d’avec les pouvoirs civils initiée à la Révolution, elle-même héritière des Lumières, aboutit maintenant, deux siècles plus tard, à une société dite sécularisée où la foi au Christ, malgré encore bien des résistances des instances ecclésiales, semble devoir relever du domaine individuel. Ce qui ne doit pas exclure la possibilité d’une expression collective de leur foi par les individus.
L’ « Auctoritas » devrait reprendre le pas sur la « Postestas » après 19 siècles d’absence de véritable remise en question amenant à la disparition programmée du Christianisme de nos sociétés « développées ». Elle le mènera, je n’en doute pas, à sa renaissance. Ce ne sera certes pas sous la forme d’une restauration qui motive certains excités de la « nouvelle évangélisation ». Ce concept a déjà fait long feu dans les paroles de notre Pape François qui est conscient de ce que ce terme recouvre pour beaucoup de ses adeptes.
L’on ne se purifie point pour le plaisir de se voir soi-même pur, car ce plaisir encore serait la plus foncière des impuretés ; mais l’on se purifie pour ne plus se voir et pour trouver enfin dans cette perte de vue, la joie de voir Jésus-Christ.
(« Etincelles » II, p. 96, François Cassingéna-Trévedy, moine de Ligugé. Ed. Ad Solem, 2007)
« Il les envoya deux par deux devant sa face » (Lc 10, 1) – Mais il ne les envoie ni comme des sosies, ni comme des robots. Le disciple véritable n’est pas automatique. Le chemin qu’il leur intime épouse insensiblement le chemin intérieur de chacun. Le chemin qu’il leur prescrit devient à la longue le chemin intime de chacun.
(op. cit. p. 94)
Jésus-Christ n’est pas un prédicateur seulement, car le prédicateur instrumentalise encore la Parole, alors que Jésus-Christ, lui, n’instrumentalise rien, surtout pas sa propre parole avec laquelle il fait corps, avec laquelle il fait chair dans l’unité de sa Personne. Jésus-Christ est la Parole sans autre appareil, sans autre apparition qu’elle-même, immédiate et nue, et la chair de Jésus-Christ est son nécessaire de voyage, son nécessaire minimal, tout émaciée, tout élimée qu’elle est au métier de la Parole.
(op. cit. p. 97)
« Etincelles » : Quatre magnifiques volumes du Frère Cassingéna-Trévedy que je vous recommande chaudement ! On y respire l’air du large …