La Loi n’est pas la loi (1)
Yhwh ta tora est pure
Elle reconstruit les intelligences
(Ps 19, 8)
« Dura lex sed lex » … Dure est la loi, mais c’est la loi
Cet adage est attribué à l’empereur César : il était important pour lui de contenir un empire grandissant dans l’ordre et la paix. Dans un contexte historique ultérieur, les hommes de pouvoir, religieux ou civils, s’en servirent pour imposer au peuple des lois qui ne devaient pas toutes forcément aller dans le sens de l’établissement d’un ordre fondé sur la justice et le respect. « Dura lex » pour les esclaves, les serfs, les femmes, les fidèles de toutes religions … Jésus heurta de plein front un système législatif asservissant le peuple :
A vous aussi, les légistes, malheur, parce que vous chargez les gens de fardeaux impossibles à porter et vous-mêmes ne touchez pas à ces fardeaux d'un seul de vos doigts ! (Luc 11, 46)
Dans ce premier article, nous verrons ce que recouvre le concept de loi dans la tradition juive. Dans un deuxième article, nous verrons comment le Christ revisite ces notions et dans un troisième nous appliquerons la grille de lecture à laquelle nous serons parvenus aux textes du Nouveau Testament concernant le divorce.
Nous utiliserons la traduction du psaume 119 de la Bible Bayard qui distingue bien le terme hébreu « tora » du mot « loi » qui le traduit habituellement mais qui recouvre pour nous des significations souvent différentes (voir la note de la page « Présentation » du blog à propos de cette « Bible Bayard »). Les autres citations bibliques sont tirées de la Bible de Jérusalem ou de la Bible liturgique.
Le psaume 119, le plus long de tous avec 176 versets, est le psaume de la tora méditée, priée, corps et âme (la bible ne fait pas de distinction et considère l’être humain dans son unité). En termes musicaux – mais les psaumes étaient destinés à être chantés ! -, nous pourrions le définir comme un thème (la Tora) décliné en 22 variations – strophes et 176 mesures -versets.
Pour moi tes lois sont des chants (Ps. 119, 54)
Nous étudierons d’abord les trois premières strophes qui contiennent déjà l’essentiel de la pensée du psalmiste puis nous tirerons des strophes suivantes des éléments complémentaires (On trouvera dans les compléments des liens vers des traductions complètes du psaume 119 (ou 118 dans la numérotation liturgique)
Strophe 1
de qui se dirige parfait
Il avance
dans la tora de Yhwh
- Oh bonheur de ceux qui observent ses principes
De toute leur intelligence
ils le cherchent
- Ils ne font pas le mal ils marchent dans ses traces
- Tu imposes des directives
à garder complètement
- Oh mes trajets
s’ils étaient fixes j’observerais tes lois
- Avant j’avais tes ordres sous les yeux
et je n’avais pas honte
- Le cœur droit
je te remercie de m’apprendre les décisions de ta justice
- Je garde tes lois
Ne m’abandonne pas
Surtout
Tout de suite le ton est donné : il s’agit ici de trouver le bonheur. Celui-ci suppose un mouvement et il est donné à celui qui s’avance vers un état de perfection sur le chemin de la Tora(1). Ce chemin part de principes, de données établies par YhWh dès le commencement qui font appel à l’intelligence en questionnement de celui qui avance dans la recherche et la connaissance de YhWh (2). Ces principes sont autant de traces qui s’imposent comme une direction (directives) à garder (3 et 4). C’est en suivant le bon chemin qu’on observe les lois, ici au sens de préceptes (5) ou de commandements (6) et qu’on n’éprouve pas de honte (6), contrairement à Adam et Eve qui se cachent pour éviter Dieu (Gn 3, 7-9) après leur tentative d’expérimenter par eux-mêmes le bon et le mauvais (Gn 3, 5). En effet le cœur droit, qui distingue le bon et le mauvais, résulte d’un apprentissage de la justice dans l’action de grâce (7). S’il y a nécessité de garder les lois (cf. les « traces » du V. 3 et les « directives » du v. 4), il faut en effet compter « surtout » sur l’alliance fidèle de Yhwh (8).
Dans cette 1ère strophe Tora se décline en : principes, directives, lois, ordres, décisions de justice.
Strophe 2
- Ta parole
pour la garder
comment un jeune homme peut-il suivre le bon trajet ?
- Ah de tout mon cœur
je te cherche
Ne me laisse pas perdu loin de tes ordres
- J’ai caché tes promesses dans mon cœur
pour ne pas m’écarter de toi
- Oh sois béni Yhwh
apprends-moi tes lois
- Par mes lèvres
je compte tous les ordres de ta bouche
- En direction de tes principes
je suis heureux comme devenu riche
- Dans tes directives
je vais méditer
Je vais regarder vers où tu marches
- Je trouve ma joie
dans tes coutumes
Je n’oublie pas ta parole
La Tora est avant tout Parole de Yhwh (9), « trace » de ce qu’il est et de ses desseins :
Oui, ils ont rejeté la loi du Seigneur de l’univers, méprisé la parole du Saint d’Israël (Is. 5, 24)
La loi ne va pas disparaître par manque de prêtre, ni le conseil, par manque de sage, ni la parole, par manque de prophète (Jr 18, 18)
« Venez ! montons à la montagne du Seigneur, à la maison du Dieu de Jacob ! Qu’il nous enseigne ses chemins, et nous irons par ses sentiers. » Oui, la loi sortira de Sion, et de Jérusalem, la parole du Seigneur (Mi 4, 2)
Nous retrouvons dans cette dernière citation la thématique du chemin (9 et 15) et, comme dans les deux autres, le lien entre Loi et Parole. Rappelons aussi que le décalogue est au sens étymologique les « dix paroles » transmises à Moïse ; la traduction fréquente pendant très longtemps, « les dix commandements », fausse justement l’interprétation de ce qu’est la Tora-Parole :
Il vous a révélé son Alliance, les Dix Paroles qu’il vous a ordonné de mettre en pratique. Et il les a écrites sur deux tables de pierre. Et à moi, en ce temps-là, le Seigneur ordonna de vous enseigner les décrets et les ordonnances, afin que vous les mettiez en pratique dans le pays où vous allez passer pour en prendre possession (Dt 4, 13-14).
Nous voyons aussi que le lien est profond entre Loi et Alliance comme nous l’avons déjà évoqué (8) et comme le mot promesses (11) le rappelle.
Tes ordres sont fidélité (86)
Mais l'impie, Dieu lui déclare » : Que viens-tu réciter mes commandements, qu'as-tu mon alliance à la bouche, toi qui détestes la règle et rejettes mes paroles derrière toi ? (Ps. 50, 16-17)
Nous retrouvons aussi dans cette 2ème strophe les thématiques de la recherche (11), du bonheur (14, 16), de l’action de grâces (12), du cœur (10, 11). Le cœur représente le centre intime de ce qui fait l’être humain, son principe de vie. La Loi y est gravée comme sur les tables de pierre de Moïse :
Mais voici l'alliance que je conclurai avec la maison d'Israël après ces jours-là, oracle de Yahvé. Je mettrai ma Loi au fond de leur être et je l'écrirai sur leur cœur. Alors je serai leur Dieu et eux seront mon peuple (Jr 31, 33)
Le mot « Parole » se retrouve à la fin comme au début marquant bien l’inclusion des différentes déclinaisons de Tora.
Dans cette 2ème strophe Tora se décline en : Parole, ordres, promesses, lois, principes, directives, coutumes (en italiques les mots figurant déjà dans la 1ère strophe)
Strophe 3
- Ta parole
je la garderai
si tu combles celui qui te sert oh je vivrai
- Ouvre mes yeux
je vais regarder les merveilles de ta tora
- Moi étranger sur la terre
ne me cache pas tes ordres
- Mon être est épuisé du désir sans fin de tes décisions
- Tu menaces les orgueilleux
maudits seront ceux qui se perdent loin de tes ordres
- Enlève de moi honte et mépris
oui j’observe tes principes
- Même si des princes siègent
et s’organisent contre moi
ton serviteur va méditer dans tes lois
- Tes principes
joie de ceux qui m’entourent
Cette 3ème strophe reprend les diverses déclinaisons de la Tora déjà rencontrées. Le psalmiste se considère comme un étranger sur terre (19) qui peut se trouver dans un environnement hostile (23). Il implore la « grâce » pour vivre de la Tora (17), pour que Yhwh lui ouvre les yeux (18), ne lui cache pas les ordres (19). Garder la Tora (17), la méditer (23) est gage de vie (17) au sens plénier du terme : Oh pour toujours je n’oublie pas tes directives
Tu me fais vivre par elles (93)
Maintenant, Israël, écoute les décrets et les ordonnances que je vous enseigne pour que vous les mettiez en pratique. Ainsi vous vivrez, vous entrerez, pour en prendre possession, dans le pays que vous donne le Seigneur, le Dieu de vos pères (Dt 4, 1).
La Tora est le contraire d’un enfermement, elle donne vie, dynamisme et assurance :
Oh marcher dans un grand espace
Oui je cherche tes directives
Je parlerai de tes principes dans les assemblées
devant les rois je n’aurai pas honte (45-46)
Ainsi cette Tora-Parole est merveilles (18) comparables à ce que Yhwh a pu faire pour son peuple dans l’histoire d’Israël, véritable terre promise :
Ta promesse meilleure que miel (Ps 119, 103) à rapprocher de : et tu y écriras toutes les paroles de cette Loi, au moment où tu passeras pour entrer dans la terre que Yahvé ton Dieu te donne, terre qui ruisselle de lait et de miel, comme te l'a dit Yahvé le Dieu de tes pères (Dt 27, 3)
Cette Tora-parole-décisions (20) l’être du psalmiste en est épuisé du désir sans fin (20) comme dans une relation amoureuse :
Paix immense aux amoureux de ta direction (165)
et Yhwh peut dire :
Je suis à mon bien-aimé, et vers moi se porte son désir (Ct 7, 10)
« Tu nous as cherchés sans que nous te cherchions, tu nous as cherchés pour que nous te cherchions… » (Saint Augustin, Confessions, XI, 2, 4). Augustin, comme Paul, soutient la primauté de la grâce, de l’amour gratuit de Dieu (« je suis à mon bien-aimé ») :
Qu’as-tu que tu n’aies reçu (1 Cor 4, 7)
Nul ne peut rien s’attribuer, qui ne lui soit venu du ciel (Jn 3, 27)
La Tora-Parole est le lieu de rencontre, ou plutôt rencontre sur le chemin (1, 3, 5), comme plus tard pour les disciples d’Emmaüs (Lc 24, 13-32) :
Et ils se dirent l'un à l'autre : « Notre cœur n'était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, quand il nous parlait en chemin, quand il nous expliquait les Écritures ? » (Lc 24, 32)
La Tora, chemin de discernement
J’ai réfléchi sur ma direction (59)
Donne-moi l’intelligence (73)
Je suis ton serviteur fais-moi discerner
alors je connaîtrai tes principes (125)
Tes paroles s’ouvrent
lumière
Elle fait discerner les plus simples (130-131)
Justice de tes principes pour toujours
Fais-moi discerner
Je vivrai ((144)
Nous voyons que la Tora est loin d’être un ensemble de lois statiques ; sur le chemin se forme le discernement. Celui-ci évolue dans le temps et est appelé à s’affiner :
Je comprends mieux que tous mes maîtres
tes principes sont ma méditation
Je discerne mieux que les anciens
je considère tes directives (99-100)
La Tora, justice et vérité
Tu ordonnes tes principes dans la justice (138)
Ta justice
juste pour toujours
Ta direction est vérité (142)
Justice de tes principes pour toujours (144)
Vérité
c’est la parole capitale
Pour toujours
toute la décision de ta justice (160)
La justice s’impose comme un principe de base valable pour toujours, comme la vérité même de la Parole de Yhwh. Justice et vérité sont souvent liées :
Celui qui révèle la vérité proclame la justice, le faux témoin n'est que tromperie (Pr 12, 17)
On repousse le jugement, on tient éloignée la justice, car la vérité a trébuché sur la place publique, et la droiture ne trouve point d'accès (Is 59, 14)
Justice et vérité conduisent à la paix :
Voici les choses que vous devez pratiquer : que chacun dise la vérité à son prochain ; à vos portes rendez une justice qui engendre la paix (Za 8, 16)
Amour et Vérité se rencontrent, Justice et Paix s'embrassent ;
Vérité germera de la terre, et des cieux se penchera la Justice ;
Yahvé lui-même donnera le bonheur et notre terre donnera son fruit
Justice marchera devant lui et de ses pas tracera un chemin (Ps 85, 10-13)
On retrouve dans PS. 85 une idée de chemin Tora-justice (13) don de bonheur de la part de Yhwh (12). Amour et paix incluent les principes de justice et de vérité (10). La vérité a été en quelque sorte semée dans la terre, à la Création, et c’est la justice de Yhwh qui la féconde, la transformant de germe en fruit (11-12)
Le terme biblique de justice désigne aussi des réalités différentes de ce qu’il signifie habituellement pour nos civilisations occidentales : « Certes, cette justice biblique et orientale est aussi la vertu qui consiste à rendre à chacun ce qui lui appartient, mais elle est surtout la qualité qui fait qu'un pouvoir, un titre, un acte, un événement, un objet sont conformes à ce que le droit, la coutume ou l'essence des êtres exigent (Dic. Enc. de la Bible, art. Justice, Ed. Brepols).
Fils de Sion, jubilez, réjouissez-vous en Yahvé votre Dieu ! Car il vous a donné la pluie d'automne selon la justice, il a fait tomber pour vous l'ondée, celle d'automne et celle de printemps, comme jadis (Jl 2, 23)
Cette pluie donnée est celle attendue selon l’ordre des choses de la nature.
Ainsi parle Dieu, Yahvé, qui a créé les cieux et les a déployés, qui a affermi la terre et ce qu'elle produit, qui a donné le souffle au peuple qui l'habite, et l'esprit à ceux qui la parcourent.
« Moi, Yahvé, je t'ai appelé dans la justice, je t'ai saisi par la main, et je t'ai modelé, j'ai fait de toi l'alliance du peuple, la lumière des nations » (Is 42, 5-6)
Ce passage d’Isaïe concerne le Serviteur attendu. Sa vocation se situe dans le cadre général de la création : il est appelé dans la justice, c'est-à-dire dans l’ordre des choses créées voulu par Yhwh et modelé par lui comme le premier homme.
Nous retrouvons dans le psaume 119 cette idée d’immuabilité des dispositions divines de la Tora-Parole, garantie par la stabilité du monde créé par Yhwh. Ne pas vivre dans la joie de la tora est s’exposer à disparaître dans la misère (92) :
89. Ta parole
Oh Yhwh pour toujours fixe dans le ciel
90. Ta fidélité de génération en génération
Tu as établi la terre et elle tient debout
91. Debout encore aujourd’hui selon tes décisions
Oui tout est à ton service
92. Si ta tora ne fait pas ma joie
je disparaîtrai dans la misère
La parole créatrice de Yhwh a tout créé et ordonné pour l’éternité selon son plan et ses projets (Psaume 32) :
4. Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ;
il est fidèle en tout ce qu’il fait.
5. Il aime le bon droit et la justice ;
la terre est remplie de son amour.
6. Le Seigneur a fait les cieux par sa parole,
l’univers, par le souffle de sa bouche.
9. Il parla, et ce qu’il dit exista ;
il commanda, et ce qu’il dit survint.
11. Le plan du Seigneur demeure pour toujours
les projets de son cœur subsistent d’âge en âge
L’évolution de la réflexion théologique des hébreux, surtout dans le cadre des livres sapientiaux, devait trouver des résonances dans la sagesse des peuples voisins et bien sûr dans la philosophie grecque et influencer profondément la pensée des premiers chrétiens. Cette idée d’une loi inscrite dans la nature était chère aux grecs. Elle prend le nom de Sagesse, dans laquelle l’évangéliste Jean reconnaissait le « logos », la Parole faite chair. Ainsi s’exprime la Sagesse dans le Livre des Proverbes (8, 22-32) :
« Yahvé m'a créée, prémices de son œuvre, avant ses œuvres les plus anciennes.
Dès l'éternité je fus établie, dès le principe, avant l'origine de la terre.
Quand les abîmes n'étaient pas, je fus enfantée, quand n'étaient pas les sources aux eaux abondantes.
Avant que fussent implantées les montagnes, avant les collines, je fus enfantée ;
avant qu'il eût fait la terre et la campagne et les premiers éléments du monde.
Quand il affermit les cieux, j'étais là, quand il traça un cercle à la surface de l'abîme,
quand il condensa les nuées d'en haut, quand se gonflèrent les sources de l'abîme,
quand il assigna son terme à la mer - et les eaux n'en franchiront pas le bord -, quand il traça les fondements de la terre,
j'étais à ses côtés comme le maître d'œuvre, je faisais ses délices, jour après jour, m'ébattant tout le temps en sa présence,
m'ébattant sur la surface de sa terre et trouvant mes délices parmi les enfants des hommes.
« Et maintenant, mes fils, écoutez-moi : Heureux ceux qui gardent mes voies ! »
Nous sommes arrivés maintenant au contexte théologique dans lequel Jésus proclamera la « Bonne nouvelle » en faisant son exégèse personnelle des Ecritures, se heurtant sans cesse à l’arsenal législatif mis en place par les docteurs de la Loi. Mais quelle est donc cette Tora objet d’une telle vénération mais aussi source de tant d’hypocrisie et d’asservissement ?
La Tôrah
Avec ou sans accent circonflexe sur le « o » et avec ou sans h terminal dans les traductions, le mot dériverait d’un verbe voulant dire « pointer du doigt, donner la direction », ainsi, la Torah serait d’abord « orientation pratique, direction dans la vie » plutôt que norme juridique. La thématique du chemin correspond bien à cela.
D’autres mots sont employés en parallèle dans la Bible – nous avons employé l’expression « Tora se décline » - : principes, directives, lois, ordres, décisions de justice, directives, coutumes, parole, sagesse … tels sont ceux qui apparaissent dans le ps. 119. Cela confirme bien que le terme Torah n’est pas lié uniquement au domaine juridique. Pour les hébreux, la Torah concerne tout le domaine de la révélation contenue dans les cinq premiers livres de la Bible (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome) que la Septante regroupe sous le terme de « Pentateuque » (en grec : les 5 livres). Toutes les lois même ajoutées bien après le décalogue sont considérées comme transmises par Moïse leur conférant ainsi son autorité.
Le Lévitique contient en particulier toutes les prescriptions concernant le culte, le pur et l’impur, mais on aurait tort de n’y voir que des commandements tatillons ; il contient aussi une obligation de sainteté et une dimension morale :
Parle à toute la communauté des Israélites. Tu leur diras : Soyez saints, car moi, Yahvé votre Dieu, je suis saint (Lv 19, 2)
Tu aimeras ton prochain comme toi-même (Lv 19, 18)
Le Deutéronome contient le fameux « Chmâ, Israël, Ado-nay Elo-henou, Ado-naï Ehad' » :
Écoute, Israël : Yahvé notre Dieu est le seul Yahvé.
Tu aimeras Yahvé ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir.
Que ces paroles que je te dicte aujourd'hui restent dans ton cœur !
Tu les répéteras à tes fils, tu les leur diras aussi bien assis dans ta maison que marchant sur la route, couché aussi bien que debout ;
tu les attacheras à ta main comme un signe, sur ton front comme un bandeau ;
tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes. (Dt 6, 4-9)
Jésus lui-même, à propos du premier commandement à observer, reprendra en Mc 12, 29-30 les passages de Dt 6, 4-5 et Lv 19, 18 :
Jésus répondit : « Le premier c'est : Écoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est l'unique Seigneur, et tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force.
La tradition rabbinique du Talmud (commentaire de la Loi) répertorie 613 prescriptions dans la Torah, d’une extrême diversité et parfois surprenantes (lien vers la liste dans les compléments). Au milieu des tribulations, des déportations ou des occupations étrangères le développement interne et l’observance rigoureuse de la loi, partie intégrante d’un récit historique, permettait de cimenter l’identité et la cohésion de la communauté d’Israël ; le risque était sans doute de sacrifier les individus et de faciliter leur manipulation par les dirigeants religieux dans un maquis réglementaire ; Jésus ne manquera pas d’en souligner les excès et les incohérences. C’est ce que nous verrons dans le prochain article.
Le puits de Moïse est le vestige d'un calvaire situé au milieu d'un puits autrefois au centre du grand cloître de la Chartreuse de Champmol (14° s.)
Compléments
1) Loi naturelle
Nous avons abordé dans notre étude le lien perçu par les hébreux entre nature et loi. L’Eglise catholique a défini le concept de Loi naturelle. Le voici tel qu’il est défini sur le site de la conférence épiscopale française :
Ce principe est de plus en plus contesté du moins dans ses applications et le texte référencé ci-dessus marque déjà une certaine évolution par rapport à la définition du Catéchisme de l’Eglise catholique.
Lien vers le texte du Catéchisme :
http://www.vatican.va/archive/FRA0013/__P6O.HTM
Là où le catéchisme dit :
1958 La loi naturelle est immuable (cf. GS 10) et permanente à travers les variations de l’histoire ; elle subsiste sous le flux des idées et des mœurs et en soutient le progrès. Les règles qui l’expriment demeurent substantiellement valables. Même si on renie jusqu’à ses principes, on ne peut pas la détruire ni l’enlever du cœur de l’homme. Toujours elle ressurgit dans la vie des individus et des sociétés.
L’exhortation apostolique du Pape François « Amoris laetitia » tempère dans un chapitre intitulé « Les normes et le discernement » :
305. Par conséquent, un Pasteur ne peut se sentir satisfait en appliquant seulement les lois morales à ceux qui vivent des situations ‘‘irrégulières’’, comme si elles étaient des pierres qui sont lancées à la vie des personnes. C’est le cas des cœurs fermés, qui se cachent ordinairement derrière les enseignements de l’Église « pour s’asseoir sur la cathèdre de Moïse et juger, quelquefois avec supériorité et superficialité, les cas difficiles et les familles blessées ».[349] Dans cette même ligne, s’est exprimée la Commission Théologique Internationale : « La loi naturelle ne saurait donc être présentée comme un ensemble déjà constitué de règles qui s’imposent a priori au sujet moral, mais elle est une source d’inspiration objective pour sa démarche, éminemment personnelle, de prise de décision ».[350] À cause des conditionnements ou des facteurs atténuants, il est possible que, dans une situation objective de péché – qui n’est pas subjectivement imputable ou qui ne l’est pas pleinement – l’on puisse vivre dans la grâce de Dieu, qu’on puisse aimer, et qu’on puisse également grandir dans la vie de la grâce et dans la charité, en recevant à cet effet l’aide de l’Église.[351] Le discernement doit aider à trouver les chemins possibles de réponse à Dieu et de croissance au milieu des limitations. En croyant que tout est blanc ou noir, nous fermons parfois le chemin de la grâce et de la croissance, et nous décourageons des cheminements de sanctifications qui rendent gloire à Dieu. Rappelons-nous qu’ « un petit pas, au milieu de grandes limites humaines, peut être plus apprécié de Dieu que la vie extérieurement correcte de celui qui passe ses jours sans avoir à affronter d’importantes difficultés ».[352] La pastorale concrète des ministres et des communautés ne peut cesser de prendre en compte cette réalité.
La Loi naturelle source d’inspiration objective : si l’on peut concevoir d’imaginer une loi qui régenterait la création, la définir de façon précise reviendrait en quelque sorte à renoncer au bénéfice de toute évolution de nos connaissances pour la figer dans un langage et donc une conception. Une Loi naturelle, toujours à approfondir, est source d’inspiration objective pour le sujet moral, chemin de discernement dans la Torah vers son Créateur.
Dans tes directives
je vais méditer
Je vais regarder vers où tu marches
(Ps. 119, 15)
Lien vers le texte complet de « Amoris laetitia » : http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/apost_exhortations/documents/papa-francesco_esortazione-ap_20160319_amoris-laetitia.html
2) Traductions du psaume 119 (118 dans le psautier liturgique)
Bible de Jérusalem :
http://web.archive.org/web/20000517125700/http://www.tradere.org:80/biblio/bdj/ps119.html
Traduction OEcuménique de la Bible (TOB) :
http://lire.la-bible.net/79/lecture/chapitres/traductions/psaumes/chapitre119/verset1/TOB
Bible de Chouraqui :
http://nachouraqui.tripod.com/id73.htm
Psaume lu par un comédien et médité, strophe après strophe (« Psaume dans le ville ») :
https://psaume.retraitedanslaville.org/psaume/psaume-118-observer-entierement
3) Liens vers deux émissions de Talmudiques « La liberté et la Loi »
https://www.franceculture.fr/emissions/talmudiques/la-liberte-et-la-loi-12
https://www.franceculture.fr/emissions/talmudiques/la-liberte-et-la-loi-22
4) Les 613 prescriptions ou mitsvot
http://fr.chabad.org/library/article_cdo/aid/921775/jewish/Les-613-Mitsvot.htm
5) Le Psaume 119 mis en musique
Gouzes :
https://www.youtube.com/watch?v=LTwYlK3pVKs
Chœur des moines de Moines de l’abbaye de Mondaye (Strophe19) https://www.youtube.com/watch?v=cfSKvyw_lZc
Grégorien :
Les versets de ce psaume très long ont servi pour de multiples pièces grégoriennes. Nous nous attacherons ici seulement aux versets 47-48
Meditabor in mandatis tuis, quae dilexi valde : et levabo manus meas ad mandata tua, quae dilexi
Je méditerai tes préceptes que j’aime beaucoup, et j’étendrai mes mains vers tes commandements que je chéris.
https://www.youtube.com/watch?v=XnI7dBGpTPo
Polyphonies :
Giovanni Pierluigi da Palestrina (v. 1525-1594) : https://www.youtube.com/watch?v=seJT0c5QqWU
ou https://www.youtube.com/watch?v=uIxeER5d09c
Joseph Rheinberger (1839-1901) : https://www.youtube.com/watch?v=XP8dOBEtvdw
Kevin Allen : https://www.youtube.com/watch?v=yz_QqoR_XLY
6) Liens vers d’autres articles du site :
- Psaume 1 : les deux voies :
http://www.bible-parole-et-paroles.com/2016/01/psaume-1-les-deux-voies.html
- Royaume de Dieu et écologie :
http://www.bible-parole-et-paroles.com/2015/06/royaume-de-dieu-et-ecologie.html
7) Epilogue
Si ta tora ne fait pas ma joie
je disparaîtrai dans la misère (ps. 119, 92)
Pour avoir fait de la Loi une suite ennuyeuse de préceptes enfermant l’individu dans un carcan où la réflexion personnelle, la spontanéité sont écartées plutôt qu’un chemin de vie et de bonheur, trop d’hommes de religion – nous ne pouvons dire les femmes ! – ont fait disparaître et continuent de le faire leur peuple dans la misère spirituelle quand ce n’est pas matérielle. Le Pape François nous laisse espérer des jours meilleurs.
Il pourra paraître bien prétentieux de présenter la Loi de manière si succincte alors que tant de livres ont été écrits sur le sujet. Toutefois, comme pour le reste des sujets abordés sur ce site, il me paraît urgent de proposer des pistes de questionnement au « grand public » alors que se maintient généralement dans l’Eglise institutionnelle un discours exégétique conformiste, quand ce n’est pas fondamentaliste, qui veut ignorer les études de plus en plus nombreuses qui apportent un regard nouveau sur ce patrimoine universel que représente la Bible. On ne peut évoquer la foi éclairée et l’intelligence qui seraient à la source du développement doctrinal passé et les refuser à ceux qui apportent un questionnement nouveau. Qui peut se permettre de juger que nous avons moins de foi et d’intelligence que nos lointains prédécesseurs ? Au nom de l’unité de l’Eglise on maintient des interprétations qui défient les connaissances actuelles d’un « honnête homme » quitte à priver nos contemporains de la richesse profonde de la tradition chrétienne. L’humour parfois affiché - tout de même un peu « coincé » - par ces parangons de la tradition pure et dure cache mal leur propre désappointement.