La Loi (3) : Jésus, le mariage et le divorce
Comme dans l’article précédent (http://www.bible-parole-et-paroles.com/2018/01/la-loi-2-jesus-et-la-loi.html ), la comparaison de Marc avec son parallèle en Matthieu 19, 1-9 permettra de mettre en évidence des différences sensibles sur le plan théologique. Nous essaierons d’appliquer ici cette grille de lecture que nous avons essayé d’y dégager à partir de plusieurs péricopes concernant la Loi.
Création et vocation de l’adam
Il nous faut tout d’abord retrouver le contexte des citations de l’Ancien testament faites par Jésus pour éclairer son argumentation. (en couleur rouge les passages repris par Jésus)
27. Dieu crée l’adam à son image,
Le crée à l’image de Dieu,
Les crée mâle et femelle
28. Dieu les bénit et leur dit
A vous d’être féconds et multiples
de remplir la terre
de conquérir la terre
de commander
au poisson de le mer
à l’oiseau du ciel
à toutes les petites bêtes ras du sol (Gn 1, 27-28, Trad. Bible Bayard)
L’adam (le terreux, l’humain) est créé se subdivisant en mâle et femelle pour être fécond et se multiplier. Créé à l’image de Yhwh contrairement aux animaux, il participe ainsi avec lui au développement et à la maîtrise de la création. Dans ce texte Jésus retient l’unicité du couple originel.
A cette citation du premier récit de la création (dit récit sacerdotal, le plus récent) Jésus joint une citation du second récit de la création (dit récit Yahviste, le plus ancien) :
18. Yhwh Dieu dit
L’adam tout seul
ce n’est pas bon
Je vais lui faire une aide
comme quelqu’un devant lui …
21. Yhwh Dieu ensommeille l’adam
et l’adam s’endort
Il prend une des côtes de l’adam
et referme les chairs
22. Avec la côte prélevée sur l’adam
Yhwh Dieu bâtit une femme
et la pousse vers l’adam
23. L’adam parle
C’est elle cette fois
os des mes os
chair de ma chair
C’est elle la femme
qui de l’homme est prise
24. Sur quoi l’homme quitte son père et sa mère et adhère à sa femme, et ils sont vers une chair unique
25. tous les deux sont nus
l’adam et la femme n’ont aucune honte
(Gn 2, 18 et 21-25, Trad. D. Cerbelaud, voir biblio.)
L’adam (= le terreux), l’humain fait avec l’humus, dans les narines duquel yhwh introduit le souffle de la vie (Gn 2, 7) est seul, il n’a pas de vis-à-vis ; sans autre, il n’existe pas complètement et sans doute peut-il difficilement imaginer l’Autre. Il est comme un aveugle dans une chambre sourde. Il n’est qu’une « âme vivante » (Cf. trad. de D. Cerbelaud du v. 7). Même la beauté du paradis ne trouve ne trouve pas d’écho en lui.
Naissance d'Eve, Fresque de l'église de Cazeaux-de-Larboust (Hte Garonne), 15° s. (Photo wikimedia commons)
Sur mon lit, la nuit, j’ai cherché celui que mon âme désire ;
je l’ai cherché ; je ne l’ai pas trouvé (Ct 3, 1)
Du moins un rêve d’amour fou peut-il le projeter hors de ses ténèbres sourdes et lui faire découvrir celle qui est peut-être déjà là à son côté, chair de sa chair, mais qu’il n’avait pas su regarder comme une autre, une déprise, isha (femme en hébreu), de lui-même, ish (homme).
Il parle, mon bien-aimé, il me dit :
Lève-toi, mon amie, ma toute belle, et viens (Ct 2, 10)
De la même façon l’homme doit se déprendre de ses père et mère pour reconnaître pleinement cet « autre », celle qui est devenue sa femme, vers l’unicité d’une recréation. « Ils sont vers une chair unique. La préposition a son importance, comme l’a bien compris la version grecque de la Septante (préposition eis). Il n’est pas dit qu’ils sont une chair unique : ce serait un fantasme de fusion ; mais qu’ils ont pour tâche d’élaborer une chair unique » (D. Cerbelaud, Cf. biblio.)
Le mot chair, ici basar en hébreu (sarx en grec), représente le corps humain mais aussi tout ce qui fait l’être humain animé (par le Souffle) : sa conscience et son intériorité (cœur).
Je suis à mon bien-aimé, mon bien-aimé est à moi (Ct 6, 3)
Cette nudité vécue sans honte est la preuve même d’une re-création complète de l’homme et de la femme : il n’existe pas cette impudicité honteuse qu’implique la proximité parentale (Lv 18, 7)
Celui que j’aime moi
Je le tiens
je ne le lâcherai plus (Ct 3, 4)
Adam et Eve au paradis terrestre, par Jean-Joseph Thorelle (1806-1899) , Musée de Miremont. (Photo Wikimedia commons)
La controverse sur le divorce
1. Partant de là, il vient dans le territoire de la Judée et au-delà du Jourdain, et de nouveau les foules se rassemblent auprès de lui et, selon sa coutume, de nouveau il les enseignait.
2. S'approchant, des Pharisiens lui demandaient : « Est-il permis à un mari de répudier sa femme ? » C'était pour le mettre à l'épreuve.
3. Il leur répondit : « Qu'est-ce que Moïse vous a prescrit ? » -
4. « Moïse, dirent-ils, a permis de rédiger un acte de divorce et de répudier. »
5. Alors Jésus leur dit : « C'est en raison de votre dureté de cœur qu'il a écrit pour vous cette prescription.
6. Mais dès l'origine de la création Il les fit homme et femme.
7. Ainsi donc l'homme quittera son père et sa mère,
8. et les deux ne feront qu'une seule chair. Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair.
9. Eh bien ! ce que Dieu a uni, l'homme ne doit point le séparer. »
10. Rentrés à la maison, les disciples l'interrogeaient de nouveau sur ce point.
12. et si une femme répudie son mari et en épouse un autre, elle commet un adultère. »
(Mc 10, 1-12, Trad. B.J.)
La controverse ne s’engage pas de la même façon en Mt 19, 3 : « Est-il permis de répudier sa femme pour n'importe quel motif ? »
Elle porte ici sur le motif possible de répudiation alors qu’en Mc 10, 2 elle porte sur la possibilité même de répudier l’épouse. Les pharisiens s’appuient sur Dt 24, 1 :
Soit un homme qui, après avoir pris femme et l’avoir épousée, découvre en elle quelque chose de honteux qui fait qu’elle ne trouve plus grâce à ses yeux. Il rédige donc à son intention un acte de répudiation, le lui remet et la renvoie de sa demeure. (Dt 24,1)
En fait Mt cantonne la controverse dans le débat qui opposait partisans de Shammaï (nécessité d’une raison objective de honte pour le mari, telle l’inconduite de la femme) et partisans de Hillel (n’importe quelle cause de déplaisir du mari). Confronté aux lois sociales Athénienne et Romaine qui autorisaient le divorce à l’initiative de l’un ou l’autre des époux, le judaïsme de l’époque, en particulier les mouvements esséniens, tentait alors de mettre fin définitivement à la polygamie et voulait éviter les mariages mixtes avec des étrangères. La lutte renforcée contre l’adultère faisait ainsi partie de la stratégie de lutte contre un relâchement des mœurs patriarcales.
Si le décalogue interdisait l’adultère c’était surtout dans la perspective de maintenir la cohésion sociale : Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain ; tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne : rien de ce qui lui appartient. (Ex 20, 17).
C’est pourquoi les relations d’un homme marié avec une femme non mariée, une concubine ou une esclave ne sont pas considérées comme adultérines. Dans la même logique, une femme mariée est adultère dès qu’elle a des relations avec un autre homme que le mari auquel elle appartient. Rappelons-nous aussi le cas de Joseph qui pouvait répudier Marie enceinte (Mt 1, 18-20), à lui fiancée, engagée de fait dans le mariage, sans avoir encore cohabité (Cf. Dt 22, 13-28).
Comme nous l’avons déjà vu (Cf. article La Loi 2), Mt ne souhaite pas remettre en question le statut de la loi. En Mt 19, 7-8 le rappel de la permission mosaïque de répudiation moyennant un acte intervient après le rappel de Gn par Jésus, semblable à celui de Mc. Mt attribue même à Jésus, dans son explicitation après une nouvelle allusion à Gn, une confirmation de motif possible de divorce pour porneia (prostitution ou même impudicité ?) qui le rapprocherait de la position de Shammaï :
- Or je vous le dis : quiconque répudie sa femme - pas pour » prostitution » - et en épouse une autre, commet un adultère (Mt 19, 9)
Un autre verset explicite la position de Mt dans un passage qu’on appelle les « antithèses » et qui fait suite à la proclamation des Béatitudes (Mt 5, 17-48) « Vous avez appris … eh bien ! moi, je vous dis … » Mt met dans la bouche de Jésus une défense inconditionnelle de la Loi mais avec une demande d’en faire plus que les scribes et les pharisiens (Cf aussi « le jeune homme riche » dans l’article La Loi 2) :
Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. Amen, je vous le dis : Avant que le ciel et la terre disparaissent, pas un seul iota, pas un seul trait ne disparaîtra de la Loi jusqu’à ce que tout se réalise ... Je vous le dis en effet : Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux (Mt 5, 17-18 et 20)
« Il a été dit d'autre part : Quiconque répudiera sa femme, qu'il lui remette un acte de divorce. Eh bien ! moi je vous dis : Tout homme qui répudie sa femme, hormis le cas de « prostitution », expose celle-ci à l'adultère ; et quiconque épouse une répudiée, commet un adultère. (Mt 5, 31-32)
Dans cet autre contexte, les paroles de Jésus concernant l’adultère sont différentes et semblent dans la ligne de Dt 24, 1-4 : Ce n’est pas l’homme qui commet ici l’adultère, mais la femme répudiée, si elle se remarie. De cette façon un homme qui épouse une femme répudiée, donc adultère par le fait qu’elle se remarie avec lui, devient lui-même adultère ! Quel changement de perspective ! C’était depuis Eve encore et toujours à la femme de supporter la faute ! Peut-on imaginer Jésus dire des choses pareilles quand on a lu Mc 10, 1-12 !
En fait, les évangélistes écrivaient pour une communauté donnée et adaptaient le message de Jésus en fonction des nécessités d’édification qui lui étaient propres. Matthieu écrivait pour une communauté juive qu’il ne fallait pas bousculer dans son attachement encore solide à la Torah.
Marc n’échappait pas non plus à cette tendance comme nous le verrons plus loin. Sa grande conviction était que la tradition humaine des anciens avait fini par se couper des fondements de la Loi (Cf. « Le premier commandement » dans l’article La Loi 2). Il donnait son interprétation de la Loi en se référant à l’anthropologie humaine telle qu’elle peut s’interpréter à partir de la Création ou du Décalogue.
"Mariage d'Adam et Eve", manuscrit "Cité des dieux" par Maître de l'Echevinage de Rouen (entre 1457 et 1480), BnF (Photo Wikimedia Commons)
Revenons à la question posée par les pharisiens :
« Est-il permis à un mari de répudier sa femme ? » (Mc 10, 2)
La Loi ne l’envisage dans cette société patriarcale que pour les hommes. C’est ce que Moïse leur a concédé (Dt 24, 1) en raison de la dureté de leur cœur :
Car c'est du dedans, du cœur des hommes, que sortent les desseins pervers : débauches, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, ruse, impudicité, envie, diffamation, orgueil, déraison. (Mc 7, 21-22)
Jésus cite deux versets de la Genèse :
Les crée mâle et femelle (Gn 1, 27)
L’homme quitte son père et sa mère et adhère à sa femme, et ils sont vers une chair unique (Gn 2, 24)
Je rétablis chez Mc le vers (eis en grec) une seule chair (présent dans texte hébreu et chez Mt, Cf. ci-dessus). L’homme et la femme créés adam à l’image de Dieu, sont indissolublement liés par le Créateur dans leur création – une même nature en deux personnes en quelque sorte - et dans leur « re-création » de couple, après avoir quitté leurs parents.
ce que Dieu a uni, l'homme ne doit point le séparer (Mc 10, 9)
Les traditions humaines des anciens ne doivent pas prévaloir sur l’intention fondamentale du Créateur.
On doit bien se garder de projeter nos propres images traditionnelles du mariage sur les versets de la Genèse et même des évangiles. En particulier, et on pourrait le dire de cette institution jusqu’à une date encore bien récente, amour et mariage n’étaient pas forcément liés. Cette institution consacrait aussi la nette inégalité entre l’homme et la femme au sein d’une société patriarcale.
L’intention de Jésus n’est visiblement pas de se centrer sur les modalités de la Loi mosaïque mais sur une perspective de re-création dans le cadre de la venue du Royaume de Dieu. Il est important de souligner cette perspective eschatologique qui est d’ailleurs soulignée dans un autre passage de l’évangile de Marc :
Alors viennent à lui des Sadducéens - de ces gens qui disent qu'il n'y a pas de résurrection - et ils l'interrogeaient en disant :
19. « Maître, Moïse a écrit pour nous : « Si quelqu'un a un frère qui meurt en laissant une femme sans enfant, que ce frère prenne la femme et suscite une postérité à son frère. »
20. Il y avait sept frères. Le premier prit femme et mourut sans laisser de postérité.
21. Le second prit la femme et mourut aussi sans laisser de postérité, et de même le troisième ;
22. et aucun des sept ne laissa de postérité. Après eux tous, la femme aussi mourut.
23. A la résurrection, quand ils ressusciteront, duquel d'entre eux sera-t-elle la femme ? Car les sept l'auront eue pour femme. »
24. Jésus leur dit : « N'êtes-vous pas dans l'erreur, en ne connaissant ni les Écritures ni la puissance de Dieu ?
25. Car, lorsqu'on ressuscite d'entre les morts, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans les cieux.
26. Quant au fait que les morts ressuscitent, n'avez-vous pas lu dans le Livre de Moïse, au passage du Buisson, comment Dieu lui a dit : Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob ?
27. Il n'est pas un Dieu de morts, mais de vivants. Vous êtes grandement dans l'erreur ! »
(Mc 12, 18-27
Jésus souligne ici l’importance de bien connaître les Ecritures (par exemple la Genèse comme nous l’avons vu). La résurrection sera l’occasion pour l’homme et la femme de retrouver leur unicité primordiale (25), l’aboutissement de leur chemin vers une chair unique (Gn 2, 24). Et encore une fois, comme nous l’avons constaté dans l’article La Loi 2, Jésus insiste sur le principe générateur de vie qui doit régler toute l’éthique humaine car les considérations légalistes se révèlent finalement mortifères (27).
Adam et Eve chassés du paradis, ancienne clôture du choeur, Abbaye du Mont-Saint-Michel (16° s.) (Photo Wikimedia commons)
Je ne prie pas pour eux seulement, mais aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi, afin que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu'eux aussi soient en nous, afin que le monde croie que tu m'as envoyé. Je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée, pour qu'ils soient un comme nous sommes un : moi en eux et toi en moi, afin qu'ils soient parfaits dans l'unité, et que le monde reconnaisse que tu m'as envoyé et que tu les as aimés comme tu m'as aimé. (Jn 17, 20-23)
C’est certainement cette conception trinitaire de l’amour, d’ailleurs actuellement remise en valeur (Amoris laetitia, n°11), qui permet d’appréhender le mieux ce que Jésus a à nous dire de l’union de l’homme et de la femme.
Alors, les modalités réglementaires de cette union doivent s’efforcer de respecter cette vision du Créateur.
Et il leur dit : « Quiconque répudie sa femme et en épouse une autre, commet un adultère à son égard ; et si une femme répudie son mari et en épouse un autre, elle commet un adultère. » (Mc 10, 11-12)
Or je vous le dis : quiconque répudie sa femme - pas pour « prostitution » - et en épouse une autre, commet un adultère (Mt 19, 9)
Eh bien ! moi je vous dis : Tout homme qui répudie sa femme, hormis le cas de « prostitution », expose celle-ci à l'adultère ; et quiconque épouse une répudiée, commet un adultère. (Mt 5, 31-32)
« Tout homme qui répudie sa femme et en épouse une autre commet un adultère, et celui qui épouse une femme répudiée par son mari commet un adultère. (Lc 16, 18)
J’ai ajouté ici le passage de Luc qui traite du divorce. Il se retrouve au milieu d’un certain nombre de paraboles juste après un verset rappelant la pérennité de la Loi. Il reprend dans sa première partie Mc 10, 11 et Mt 19, 9, mais sans sa réserve « pas pour prostitution ». Dans sa seconde partie il reprend Mt 5, 32. La forme de précepte légal prise par ces formules, ou tout au moins leur interprétation en tant que tel, surprend. Ce serait bien le seul commandement édicté par Jésus qui fait plus appel au discernement de ses auditeurs et à la critique sans ménagement de certains comportements. Tout ce que nous venons d’étudier dans cet article et le précédent, nous le montre prenant de la hauteur par rapport aux questions juridiques en dégageant un idéal lié à la vision divine de l’humain à partir des récits de la Genèse. Mais les évangélistes se doivent d’édicter pour leurs communautés chrétiennes destinataires des règles de conduite dont le radicalisme est à replacer dans le cadre des antithèses qui suivent les Béatitudes (Mt 5, 20-48). Mt s’adressait à des juifs convertis et Marc plutôt à des communautés d’hellènes ou de romains.
Ces préceptes légaux sont-ils réellement des ipsissima verba (paroles tout à fait authentiques) de Jésus ou des prolongements inventés par les évangélistes développant ce qu’ils pensent être sa pensée et destinés aux communautés réceptrices ? La variété des formulations (et parfois une signification différente chez Mt même !), et l’ajout éventuel de restrictions, le manque d’intérêt de Jésus pour le légalisme peuvent pousser à les considérer comme des ajouts des évangélistes.
Quand nous considérons ce qu’une interprétation littérale de ces textes a pu entraîner de traditions inhumaines, divines selon une Eglise institutionnelle qui prétend détenir seule la vérité, nous nous réjouissons d’une certaine ouverture impulsée par le Pape François lors du Synode romain sur la famille en 2015 aboutissant à une conception plus eschatologique de l’union homme-femme. Celle-ci ne devrait pas se limiter à la conjugalité mais déborder aussi sur tous les secteurs de la vie où se joue leur destinée commune voulue par le Créateur. L’Eglise a sans nul doute devant elle un vaste chantier pour délaisser certains préjugés sexistes qui n’ont aucune assise scripturaire solide si du moins elle ne veut pas lire les Ecritures de manière fondamentaliste.
Dans cette perspective le mariage peut redevenir cette grande histoire d’amour exaltée par le Cantique des cantiques, Eros et Agapè maîtrisés dans une temporalité qui ne fige pas l’humain dans un contrat initial mortifère dans ses conséquences légalistes, mais qui le fait advenir vers une chair unique, arrachée à la mort, dans une « nudité » où l’adam et la femme n’ont aucune honte.
Il n'est pas un Dieu de morts, mais de vivants !
La Loi (3) Compléments
Avec cette tradition que vous vous êtes transmise, vous bafouez la parole de Dieu et vous en faites beaucoup du même genre (Mc 7, 13)
Qu’est-ce que le mariage ?
- Selon le Code droit canonique de 1917
N° 1013
p.1 La fin première du mariage est la procréation et l'éducation des enfants ; la fin secondaire est l'aide mutuelle et le remède à la concupiscence.
N° 1081
p.1 C'est le consentement des parties, personnes capables en droit, légitimement manifesté qui fait le mariage ; il ne peut y être suppléé par aucune puissance humaine.
p.2 Le consentement matrimonial est un acte de la volonté par lequel chaque partie donne et accepte le droit perpétuel et exclusif sur le corps, pour l'accomplissement des actes aptes de soi à la génération des enfants.
- Selon le Catéchisme à l’usage des églises de France de 1807
D. Qu’est-ce que le Mariage ?
R. Le Mariage est un sacrement qui donne à ceux qui se marient la grâce de vivre ensemble chrétiennement, et d’élever leurs enfants selon Dieu.
D Que signifie ce sacrement ?
R. Il signifie l'union de Jésus-Christ avec l'Eglise,
D. Comment le Mariage signifie-t-il union de Jésus-Christ avec l'Eglise ?
R. Parce que le mari représente Jésus- Christ, époux de l'Eglise, et que la femme représente l'Eglise, épouse de Jésus-Christ.
D. Comment le mari doit-il particulièrement représenter Jésus-Christ ?
R. En aimant sincèrement son épouse, comme le Fils de Dieu aime l'Eglise.
D. En quoi la femme doit-elle particulièrement représenter l'Eglise ?
R. Dans le respect et la soumission qu'elle doit avoir pour son mari, comme l'Eglise respecte Jésus- Christ, et lui est soumise. "
D. Cette union du mari et de la femme est-elle indissoluble ?
R. Oui : elle est indissoluble, comme celle de Jésus-Christ avec son Eglise.
D. En quoi consistent les obligations du Mariage ?
R. A vivre dans l'union et la charité, à supporter les peines du mariage avec patience, et à donner une bonne et sainte éducation aux enfants.
Cas d’annulation possible du mariage
Si l’Eglise n’autorise pas le divorce, du moins peut-elle au moyen d’une procédure conduite devant un tribunal ecclésiastique (officialité), annuler le mariage pour différentes causes définies par le Code de Droit canonique.
Un mariage peut être tenu pour nul, c'est-à-dire comme non réalisé (= le mariage est réputé n’avoir jamais existé) selon trois types de motifs :
- Un vice du consentement (principal « chef de nullité) car c’est le consentement qui « fait » le mariage
- L’existence d’un empêchement qui s’opposait à la vérité du consentement
- Un défaut de forme (dans la façon réglementaire de célébrer le sacrement)
Je m’appuie pour les quelques exemples suivants, parmi les plus caractéristiques, sur le livre du Père Jacques Vernay et Bénédicte Draillard « L’ABC des nullités de mariages catholiques » (Ed. « Nouvelle cité », 2011)
- Pierre et Pierrette ne sont pas baptisés et se sont mariés à la mairie : ils ne peuvent divorcer car c’est un mariage non sacramentel, mais vrai et légitime contracté selon la situation personnelle de chacun (p. 47)
- Pierre et Pierrette sont baptisés et mariés seulement à la mairie. Ils peuvent divorcer car la forme canonique n’a pas été respectée et leur mariage est donc considéré comme nul (présence obligatoire d’un prêtre lorsqu’au moins un des deux est baptisé) (p. 132)
- Pierre et Pierrette se sont mariés. Sans que Pierrette le sache, Pierre était en rémission d’un problème d’alcoolisme (ou psychiatrique) et il rechute après le mariage dont Pierrette peut obtenir l’annulation car Pierre est alors réputé ne pas avoir donné un consentement valable sous l’emprise de ses graves problèmes personnels. (p. 68-70)
- Pierrette s’est mariée avec Pierre après un temps de fiançailles normal. Elle découvre au bout de quelque temps que Pierre est complètement sous la dépendance de sa mère, incapable de construire un foyer autonome ; Pierre la délaisse et la prend en grippe. Pierrette peut demander l’annulation du mariage pour immaturité affective car Pierre a toujours été maladivement sous la coupe de sa mère et son consentement n’était pas libre (p. 74)
- Pierre, non baptisé (musulman par exemple), et Pierrette, baptisée, sont mariés à l’église sans avoir demandé la dispense de disparité de culte » (« dispar »). Leur mariage est considéré comme nul. (p. 105-106)
- Pierre est catholique et sa femme est protestante (peu importe la religion chrétienne). Il s’agit alors d’un mariage mixte. Pierre doit juste demander l’autorisation de son évêque. (p. 107)
- Pierre, luthérien, a épousé au temple, Pierrette, luthérienne. Pierre ne peut faire annuler son mariage pour épouser Jacqueline, catholique, bien que le mariage ne soit pas un sacrement pour les protestants (p. 113)
- Pierrette, catholique, ne peut épouser Jacob, israélite, divorcé de Ruth, israélite, mariés à la synagogue. (p. 113)
- Pierrette, protestante, se marie au temple avec Pierre, catholique. Le mariage sera considéré comme nul si Pierre n’a pas demandé la dispense de forme (mariage au temple devant le pasteur protestant sans autorisation de l’évêque)
- Enfin les possibilités suivantes ne résultent aucunement des motifs précédents et s’apparentent tout de même beaucoup plus à un divorce qu’à une annulation (situation initiale sans vice) :
o Pierre et Pierrette ne sont pas baptisés et ils se sont mariés à la mairie. Pierrette se convertit au catholicisme et pourra obtenir la dissolution de son mariage et contracter une nouvelle union avec Jacques qui est baptisé. Cette possibilité appelée « privilège paulin » s’appuie sur 1 Co 7, 15 (voir texte ci-dessous). En effet il est possible que Pierre s’oppose à la pratique religieuse de Pierrette.
o Pierre et Pierrette sont, ou pas, baptisés et mariés, ou pas, à l’église. Pierre devient violent ou se livre à l’adultère. Pierrette peut demander à l’Eglise – sauf au-delà de 6 mois car elle est alors réputée avoir pardonné à Pierre ! – de l’autoriser à rompre la vie commune conjugale mais Pierrette n’est évidemment pas autorisée à se remarier ou même à vivre en concubinage « sauf « en frère et sœur » !
o Can. 1142 - Le mariage non consommé (absence de relations sexuelles) entre des baptisés ou entre une partie baptisée et une partie non baptisée peut être dissous par le Pontife Romain pour une juste cause, à la demande des deux parties ou d'une seule, même contre le gré de l'autre. (Can. 1142 du Code de Droit canonique de 1983)
Séparation autorisée des époux
L’Eglise peut autoriser officiellement la séparation – en fait un divorce ! -- (Droit canon 1152 et 1153) mais c’est le lien conjugal (remariage ou relations sexuelles) avec une autre personne qu’elle interdit. On peut donc considérer que l’Eglise « admet le divorce » à condition que le lien avec une autre personne, s’il ne peut exclure évidemment l’amour - au nom de quoi ? – exclue les relations sexuelles (ce qu’elle appelle « vivre en frère et sœur » !)
Si les personnes remariées civilement ou vivant en concubinage ont des relations sexuelles, elles sont considérées par l’Eglise comme persistant manifestement en état de péché grave ; elles ne peuvent donc recevoir l’absolution et communier. En fait, ces personnes sont considérées comme excommuniées de fait même s’il ne s’agit pas d’une excommunication au sens canonique du terme. C’est le même article du Droit canon (915) qui règle d’ailleurs ces deux cas (excommunication ou persistance dans le péché grave et manifeste).
Les divorcés remariés et l’eucharistie
« L'Eglise, cependant, réaffirme sa discipline, fondée sur l'Ecriture Sainte, selon laquelle elle ne peut admettre à la communion eucharistique les divorcés remariés. Ils se sont rendus eux-mêmes incapables d'y être admis car leur état et leur condition de vie est en contradiction objective avec la communion d'amour entre le Christ et l'Eglise, telle qu'elle s'exprime et est rendue présente dans l'Eucharistie. Il y a par ailleurs un autre motif pastoral particulier : si l'on admettait ces personnes à l'Eucharistie, les fidèles seraient induits en erreur et comprendraient mal la doctrine de l'Eglise concernant l'indissolubilité du mariage.
La réconciliation par le sacrement de pénitence - qui ouvrirait la voie au sacrement de l'Eucharistie - ne peut être accordée qu'à ceux qui se sont repentis d'avoir violé le signe de l'Alliance et de la fidélité au Christ, et sont sincèrement disposés à une forme de vie qui ne soit plus en contradiction avec l'indissolubilité du mariage. Cela implique concrètement que, lorsque l'homme et la femme ne peuvent pas, pour de graves motifs - par l'exemple l'éducation des enfants -, remplir l'obligation de la séparation, « ils prennent l'engagement de vivre en complète continence, c'est-à-dire en s'abstenant des actes réservés aux époux »
(Jean-Paul II, Familiaris Consortio, § 84, 1981)
En fait, dans la forme, le discours institutionnel s’est adouci ; on hésite davantage à parler de persistance dans le péché grave de l’adultère qui empêche de se confesser et de communier. C’est difficile de continuer à parler ainsi quand des personnes qui se revendiquent catholiques pratiquants se sont remariées civilement après divorce d’un premier mariage raté pour diverses raisons et qu’ils ont donné naissance à des enfants dans leur nouveau couple stable et aimant ! Jean-Paul II fait allusion à cette absolution impossible dans le second paragraphe : sauf en s'abstenant des actes réservés aux époux (ce qui peut être considéré objectivement comme un adultère). Qu’en termes élégants ces « choses » sont dites ! L’Eglise tolère finalement le divorce, le remariage civil mais y interdit les relations sexuelles.
Dans le 1er paragraphe, nous trouvons une autre argumentation, « fondée sur l’Ecriture sainte », qui ne fait d’ailleurs l’objet d’aucune référence en note. Il s’agit en fait de l’épitre aux Ephésiens, attribuée par les exégètes aux disciples de Paul et écrite entre 80 et 100.
21. Soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ.
22. Que les femmes le soient à leurs maris comme au Seigneur :
23. en effet, le mari est chef de sa femme, comme le Christ est chef de l'Église, lui le sauveur du Corps ;
24. or l'Église se soumet au Christ ; les femmes doivent donc, et de la même manière, se soumettre en tout à leurs maris.
25. Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Église : il s'est livré pour elle,
26. afin de la sanctifier en la purifiant par le bain d'eau qu'une parole accompagne ;
27. car il voulait se la présenter à lui-même toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de tel, mais sainte et immaculée.
28. De la même façon les maris doivent aimer leurs femmes comme leurs propres corps. Aimer sa femme c'est s'aimer soi-même.
29. Car nul n'a jamais haï sa propre chair ; on la nourrit au contraire et on en prend bien soin. C'est justement ce que le Christ fait pour l'Église :
30. ne sommes-nous pas les membres de son Corps ?
31. Voici donc que l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et les deux ne feront qu'une seule chair :
32. ce mystère est de grande portée ; je veux dire qu'il s'applique au Christ et à l'Église.
33. Bref, en ce qui vous concerne, que chacun aime sa femme comme soi-même, et que la femme révère son mari. (Ep 5, 21-33, Trad. Bible Jérusalem)
Le raisonnement consiste en fait en une analogie entre le lien qui unit le Christ et l’Eglise et celui qui unit les époux entre eux. Remarquons au passage que l’épouse est soumise à son mari comme l’Eglise est soumise au Christ. Tout se vit dans la mentalité patriarcale la plus pure. Comme le lien qui lie le Christ à l’Eglise est indissoluble, celui qui unit l’époux à l’épouse doit l’être tout autant. Ce fut l’argument imbattable qu’opposèrent à toute évolution possible un grand nombre d’évêques lors du Synode de 2015.
L’image des relations entre le Christ et son Eglise est une pure invention de Paul sans fondement dans les évangiles et d’autant plus qu’elle repose sur conception hiérarchique étrangère aux idées du Christ. Sur cette image Paul calque une autre image, celle des relations entre époux. Le verset 32 est éloquent dans sa confusion : on ne sait plus si ce sont les relations entre époux qui servent à décrire celles entre le Christ et l’Eglise, ou l’inverse. Comme il n’y a pas de référence évangélique, il y a de fortes chances que Paul ait d’abord imaginé les relations entre le Christ et l’Eglise avec dans son subconscient l’image des relations dans le couple humain. Cette référence insistante à ce texte de Paul est une imposture dans la mesure où il impose une image du couple humain idéalisée par la référence aux relations du Christ et de l’Eglise qui elle-même est bâtie de toutes pièces sur une conception très contextuelle – c’est le moins qu’on puisse dire ! – de l’amour humain vu par Paul.
L’eucharistie exprime la communion d’amour entre le Christ et l’Eglise (Catéchisme de l’Eglise catholique, 1997, n° 1396) ; celle-ci est pérenne comme doivent l’être, à son image, les liens entre les époux. Il y a donc obligation pour ceux qui se séparent de ne plus communier car ils sont en contradiction objective avec l’eucharistie.
Oui, mais on peut autoriser à communier les couples remariés civilement ou vivant en concubinage qui n’ont pas de relations sexuelles, comprenne qui pourra !
Une fois de plus l’Eglise autorise la séparation (elle ne peut employer le mot divorce !), le concubinage ou le remariage civil éventuellement mais sans relations sexuelles.
Face à toutes ces situations inextricables, l’Eglise a élargi la possibilité d’accéder à l’annulation du mariage. Le divorce est interdit mais l’annulation peut être autorisée pour des motifs dont certains ont été exposés plus haut. Annuler un mariage c’est dire qu’il n’a pu exister canoniquement et sacramentellement, que les personnes concernées n’ont finalement jamais été mariées … et en voie de conséquence qu’elles ont vécu maritalement en état de péché grave et donné naissance à des enfants en dehors du mariage …
Je laisse chacun juger en conscience tout ce que je viens d’exposer dans ces compléments mais nous devons tout de même convenir que les développements théologiques et canoniques ont entraîné des contradictions insupportables dans une problématique très sensible. Après tout le mariage reposait dans l’antiquité et à l’époque de Jésus essentiellement sur un contrat. Son développement théologique date du Moyen-Age et il n’a été élevé au rang de sacrement qu’au concile de Florence en 1439.
Le développement souhaité par l’Eglise des demandes d’annulation de mariage pour faire face à des situations difficiles de plus en plus fréquentes ne me paraît pas relever d’une bonne considération de la grandeur et des difficultés de l’amour conjugal en réduisant leur gestion à des pratiques dont la casuistique n’est pas exemple d’une certaine hypocrisie. Nos frères protestants ne considèrent pas le mariage comme un sacrement et nos frères orthodoxes autorisent le divorce et le remariage religieux (avec un côté pénitentiel) à trois reprises en s’appuyant sur une exception possible à la règle générale comme en Mt 19,9.
En replaçant comme le fait Jésus l’union de l’homme et de la femme dans une anthropologie héritée des récits de la Création dans la Genèse, il est possible de leur offrir à frais nouveaux un chemin de vie ouvert tant dans leurs relations sociétales que conjugales.
Liens
- Code de Droit canonique de 1983 : http://www.vatican.va/archive/FRA0037/_INDEX.HTM
- Code de Droit canonique de 1917 :
- Catéchisme à l’usage de toutes les églises de France (1807) : https://play.google.com/books/reader?id=L3IU2zG0LUQC&printsec=frontcover&output=reader&hl=fr&pg=GBS.PP2
- Catéchisme de l’Eglise catholique (1997) : http://www.vatican.va/archive/FRA0013/_INDEX.HTM
- Exhortation apostolique « Familiaris consortio » de Jean-Paul II (1981) : http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/apost_exhortations/documents/hf_jp-ii_exh_19811122_familiaris-consortio.html
- Exhortation apostolique « Amoris laetitia » de François (2016) : http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/apost_exhortations/documents/papa-francesco_esortazione-ap_20160319_amoris-laetitia.html
Texte de 1 Co 7, 10-16 (Cf. le « privilège paulin »)
Quant aux personnes mariées, voici ce que je prescris, non pas moi, mais le Seigneur : que la femme ne se sépare pas de son mari - au cas où elle s'en séparerait, qu'elle ne se remarie pas ou qu'elle se réconcilie avec son mari - et que le mari ne répudie pas sa femme. Quant aux autres, c'est moi qui leur dis, non le Seigneur : si un frère a une femme non croyante qui consente à cohabiter avec lui, qu'il ne la répudie pas. Une femme a-t-elle un mari non croyant qui consente à cohabiter avec elle, qu'elle ne répudie pas son mari. En effet le mari non croyant se trouve sanctifié par sa femme, et la femme non croyante se trouve sanctifiée par le mari croyant. Car autrement, vos enfants seraient impurs, alors qu'ils sont saints ! Mais si la partie non croyante veut se séparer, qu'elle se sépare ; en pareil cas, le frère ou la sœur ne sont pas liés : Dieu vous a appelés à vivre en paix. Et que sais-tu, femme, si tu sauveras ton mari ? Et que sais-tu, mari, si tu sauveras ta femme ?