Iustitiae Domini
Les prescriptions du Seigneur sont droites, elles mettent la joie au cœur, plus douces que le miel, que le suc des rayons : aussi ton serviteur les gardera-t-il.
Iustitiae Domini rectae, laetificantes corda, et dulciora super mel et favum : nam et servus tuus custodiet ea
Offertoire du 16ème dimanche du temps ordinaire
« Elle est courte, cette parole ; mais c'est une délicieuse source de miel »
Cette citation de Saint Jean Chrysostome, que vous retrouverez dans son contexte en complément, illustre très bien le propos de cet offertoire du 16° dimanche pour le temps ordinaire.
Nous avons déjà évoqué dans notre commentaire sur l’antienne de communion du 14° dimanche du temps ordinaire « Gustate et videte » la synesthésie des perceptions sensorielles aboutissant à une perception d’ordre spirituel (http://www.bible-parole-et-paroles.com/2019/07/gustate-et-videte.html).
Ce qui est valable pour la gustation du pain eucharistique l’est aussi pour la Parole de Dieu et nous avions renvoyé à un autre article (http://www.bible-parole-et-paroles.com/2018/09/un-pays-ruisselant-de-lait-et-de-miel.html) qui traite justement de la symbolique du miel dans la bible. Vous y retrouverez dans le chapitre « Douceur du miel, douceur de la Parole » des éléments intéressants pour « savourer » cet offertoire.
Après la liturgie de la Parole et l’homélie, l’offertoire est le moment idéal pour chanter la douceur de la Parole, comparable à celle du miel, où le Seigneur donne ses préceptes de vie.
Manger du miel est d’ailleurs réputé accorder la clairvoyance :
Jonathan répondit : « Mon père a fait le malheur du pays ! Voyez donc comme j'ai les yeux plus clairs pour avoir goûté ce peu de miel. » (1 S 14, 29)
Le psaume 18 d’où est issu notre offertoire a, en partie, en commun avec le psaume 118 la thématique de la Loi du Seigneur :
Qu'elle est douce à mon palais ta promesse : le miel a moins de saveur dans ma bouche ! Tes préceptes m'ont donné l'intelligence : je hais tout chemin de mensonge. (Ps 118, 103-104)
A ces deux versets du ps. 118, très voisins dans l’esprit de ceux du ps. 18 choisis pour notre offertoire nous sommes tentés de joindre le suivant qui pourrait évoquer la procession que le chant d’offertoire est sensé accompagner :
Ta parole est la lumière de mes pas, la lampe de ma route. (Ps 118, 105)
Mais c’est le Ps. 18 qui doit maintenant retenir notre attention pour avoir fourni le texte de cet offertoire Iustitiae Domini.
Le psaume 18 (hb 19)
Je présente ci-dessous une version modifiée de la traduction liturgique en tenant compte de celle de Jean-Luc Vesco **
Le Ps 18 est divisé en deux parties :
- La première (v. 2-7) est un hymne à la gloire de Dieu révélée par la vie cosmique :
02 Les cieux proclament la gloire de Dieu, le firmament raconte l'ouvrage de ses mains.
05 sur toute la terre en paraît le message et la nouvelle, aux limites du monde. Là, se trouve la demeure du soleil :
06 tel un époux, il paraît hors de sa tente, il s'élance en conquérant joyeux.
07 Il paraît où commence le ciel, il s'en va jusqu'où le ciel s'achève : rien n'échappe à son ardeur.
Dans l’ancien Orient le soleil révélait l’ordre cosmique et symbolisait la justice. On retrouve cette image chez le prophète Malachie :
Mais pour vous qui craignez mon Nom, le soleil de justice brillera, avec la guérison dans ses rayons ; vous sortirez en bondissant comme des veaux à l'engrais. (Ml 4, 2)
Dans Ps 18, 2-7 le soleil est personnifié et son lever à l’orient est poétiquement comparé à celui d’un époux qui sort de la chambre nuptiale, plein d’une ardeur joyeuse, traduisant le dynamisme créateur de Yhwh. On retrouve à travers l’époux cette belle image de l’Alliance qui se concrétise justement avec le don de la Loi.
Que le jeune époux sorte de sa maison, que la jeune mariée quitte sa chambre ! (Jl 2, 16)
La Création dans son cycle journalier et universel proclame la gloire du Dieu Créateur mais n’en donne pas une transcription intelligible :
03 Le jour au jour en livre le récit et la nuit à la nuit en donne connaissance.
04 Pas de paroles dans ce récit, pas de voix qui s'entende.
- La deuxième partie (v. 8-15) va justement chanter la valeur des prescriptions, enseignement, commandement, jugements, divins (la Torah) dont la pureté clarifie le regard car elles sont justice et vérité. Désirables et savoureuses, elles illuminent celui qui s’en fait le serviteur comme le soleil illumine le cosmos :
08 L’enseignement du Seigneur est parfait, qui redonne vie ; le témoignage du Seigneur est sûr, qui rend sages les simples.
09 Les prescriptions du Seigneur sont droites, elles réjouissent le coeur ; le commandement du Seigneur est limpide, il clarifie le regard.
10 La crainte qu'il inspire est pure, elle est là pour toujours ; les jugements du Seigneur sont justice et vérité :
11 plus désirables que l'or, qu'une masse d'or fin, plus savoureuses que le miel qui coule des rayons.
12 Aussi ton serviteur en est illuminé ; à les garder, il trouve son profit.
« Le psaume 18 (hb 19) vient apporter la preuve que le juste adhère à l’ordre du monde inscrit par Yhwh dans les lois qui régissent l’ordre de la création et qu’il trouve dans la Loi divine révélée une façon de vivre heureux, en parfaite harmonie avec les lois de la nature. » (Jean-Luc Vesco, op. cit. p. 210 **)
15 Accueille les paroles de ma bouche, le murmure de mon cœur ; qu’ils parviennent devant toi, Seigneur, mon rocher, mon défenseur !
13 Qui peut discerner ses erreurs ? Purifie-moi de celles qui m'échappent.
14 Préserve aussi ton serviteur de l'orgueil : qu'il n'ait sur moi aucune emprise. Alors je serai sans reproche, pur d'un grand péché.
15 Accueille les paroles de ma bouche, le murmure de mon cœur ; qu'ils parviennent devant toi, Seigneur, mon rocher, mon défenseur !
« Le psaume 18 (hb 19) démontre que la perfection se trouve dans la pratique des préceptes divins. Le juste trouve là une révélation de Dieu qu’il peut comprendre et qui le rend capable, dans la prière, de rendre hommage à un Dieu qui l’agrée, mieux et plus encore que ne saurait le faire l’ordre du cosmos dont le message universel demeure silencieux. » (Jean-Luc Vesco, op. cit. p. 211 **)
** Jean-Luc Vesco : « Le psautier de David traduit et commenté », Ed. Cerf, Coll. Lectio Divina, T. I pp. 204-212.
Texte de l’offertoire
9 iustitiae Domini rectae laetificantes corda
praeceptum Domini lucidum inluminans oculos
10 timor Domini sanctus permanet in saeculum saeculi
iudicia Dei vera iustificata in semetipsa
11 desiderabilia super aurum et lapidem pretiosum multum
et dulciora super mel et favum
12 nam et servus tuus custodiet ea
in custodiendo illa retributio multa
Le texte latin choisi par le compositeur de l’offertoire est celui du psautier romain. Il n’a retenu que certains versets (marqués en bleu) qui donnent son interprétation du Ps. 18 résumée en fonction de l’impératif liturgique :
La rectitude des prescriptions du Seigneur qui réjouissent le cœur ; joie encouragée par cette image synesthésique de la douceur gustative du miel, et qui provoquera l’adhésion du serviteur.
Le cosmos de toute la première partie du Ps 18 se trouve en quelque sorte concentré dans le miel qui exalte parfaitement la douceur de la création, Parole tacite de justice et de vérité, et dont la texture et les rayons rayonnent comme un soleil.
On notera le terme iudicia (jugements, au neutre pluriel) laissé de côté et le côté libre de la construction qui accorde au neutre pluriel dulciora et ea à ce mot sous-entendu, le renvoi selon le sens se faisant avec iustitiae (féminin pluriel).
Signalons que nous retrouvons l’offertoire iustitiae Domini au 3ème dimanche de Carême.
Einsiedeln, Stiftsbibliothek, Codex 121(1151), p. 133 – Graduale – Notkeri Sequentiae
Ce manuscrit de Einsiedeln (10ème siècle) montre les neumes dessinés au-dessus du texte latin. Le "E" inscrit en marge de la transcription solesmienne ci-dessous indique justement la provenance de l'appareil neumatique transcrit au-dessous de la notation établie par les moines. L'écriture neumatique peut être considérée comme la mise en espace sonore du texte de la Parole.
La mélodie
Le 4ème mode est reconnu pour son caractère contemplatif.
« Il reste discret, doux, aimant ; il fuit le tapage. Chant de l’âme intérieure, il ne tient pas à s’extérioriser ; contemplatif absorbé dans sa contemplation, il ne cherche pas à faire voir ce qu’il voit. » (J. Janneteau)
Dans cet offertoire, les six tristropha (la même note répétée 3 fois consécutivement avec une légère percussion, sept dans le manuscrit de Laon) sur le fa faisant office de corde (iustitiae – rectae - laetificantes – nam – ea) donnent un caractère un peu planant, car répétitif et un peu ondulant (légère percussion). Laetificantes, mot le plus long, est gratifié de deux tristropha (début et fin) comme pour marquer le caractère contemplatif de cette joie du cœur.
L’ambitus est restreint, du do grave au la, avec des intervalles limités en nombre et en écart, marquant ainsi l’intimité. La mélodie se tient même le plus souvent entre fa et la.
On retrouve certaines de ces caractéristiques par exemple dans l’introït Resurrexi de Pâques, d’une joie très intérieure.
Après la très douce intonation ré-fa, iustitiae développe sur sa finale un dessin mélodique (fa-sol-la-sol-la-sol, mais avec des neumes parfois un peu différents) que l’on retrouve dans rectae marquant le lien très fort entre les deux mots. On retrouve ce dessin mélodique sur corda : ces prescriptions droites sont inscrites au cœur même de l’homme :
Elle est tout près de toi, cette Parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique. (Dt 30, 14)
Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai sur leur cœur. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. (Jr 31, 33)
Nous avons vu que les deux tristropha de laetificantes marquent le caractère contemplatif d’une joie dont l’intériorité est aussi marquée par une descente intermédiaire en une courte broderie sur le do.
Dulciora développe en finale un dessin mélodique (fa-sol-la-sol-fa-sol-sol-fa) que l’on a déjà rencontré dans Domini : la douceur des préceptes est celle même du Seigneur.
Favum (suc mielleux des rayons) bénéficie de la plus grande broderie avec aussi quelques neumes appuyés, en écoulement par paliers vers le do grave : on croit voir le miel coulant des rayons.
Nam avec un intervalle do-fa, le plus grand de la pièce, et une tristropha, marque une reprise pleine d’allant, procédé que l’on retrouve inversé dans custodiet. Les tristropha de la dernière incise marquent assurément la conviction du serviteur en réponse à la rectitude des prescriptions du Seigneur.
Rectitude, conviction, tout se passe dans la douceur, celle d’un miel qui a la couleur d’un soleil qui ne se meut pas seulement dans le cosmos mais rayonne au fond du cœur humain.
Comme interprétation j’ai choisi
- Pour voix soliste (avec défilement de la mélodie) :
https://www.youtube.com/watch?v=ML8sEql46Sc&t=6s
- Pour chœur :
https://www.youtube.com/watch?v=9XyJWPbC0f0
- Version en musique ancienne (Palestrina, 1525-1594)) :
https://www.youtube.com/watch?v=ulMWXfI_D6s
Complément
« Elle est courte, cette parole ; mais c'est une délicieuse source de miel, d'un miel dont on ne se dégoûte jamais. Le miel d'ici-bas finit par blaser notre palais, et corrompre notre goût. Mais le miel de la doctrine demeure en réserve dans notre conscience, pour nous procurer une joie perpétuelle, et nous acheminer à l'immortalité. L'un est composé avec le suc des plantes, les rayons de l'autre proviennent des divines Ecritures. Vous venez de vous en nourrir, grâce aux excellentes paroles de Celui que vous venez d'entendre : et votre docilité a couronné ses efforts : il a fait voir la force de la charité, la noblesse de la foi. C'est à notre tour maintenant, d'apporter tout notre zèle à vous offrir le repas accoutumé. »
Saint Jean Chrysostome (Homélie sur cette parole du prophète : « Moi, le Seigneur Dieu, j’ai fait la lumière et les ténèbres, faisant paix et créant les maux » [Is 45, 7], n° 1)