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Lux fulgebit

Aujourd’hui la lumière surgira sur nous, car le Seigneur nous est né. On l’appellera : Dieu admirable, Prince de la paix, Père du siècle à venir. Son règne n’aura pas de fin

V/ Le Seigneur est Roi, il s’est revêtu de majesté ; le Seigneur s’est revêtu de force, il s’en est ceint.

(Is 9, 2.6 – Lc 1, 33 – Ps 92, 1)

 

Lux fulgebit hodie super nos :

quia natus est nobis Dominus :

et vocabitur Admirabilis, Deus,

princeps pacis, Pater futuri saeculi :

cuius regni non erit finis.

 

V/Dominus regnavit, decorem indutus est :

indutus est Dominus fortitudinem, et praecinxit se.

 

Introït de la messe de l’Aurore de la Nativité

 

Liens vers les articles sur les autres introïts des messes de Noël :

Introït Dominus dixit de la messe de la nuit : 

http://www.bible-parole-et-paroles.com/2017/12/dominus-dixit-ad-me.html

Introït Puer natus est de la messe du jour : 

http://www.bible-parole-et-paroles.com/2022/12/puer-natus-est.html

 

Ta rosée est une rosée de lumière (Is 26, 19)

 

Pour le quatrième et dernier dimanche de l’Avent, l’introït (Rorate caeli , Cf mon article http://www.bible-parole-et-paroles.com/2018/12/rorate-caeli-desuper.html ) est extrait du Prophète Isaïe (45, 8) qui annonce le jaillissement, à partir de la terre recouverte de rosée, du Salut et de la Justice :

 

Cieux, distillez d’en haut votre rosée, que, des nuages, pleuve la justice, que la terre s’ouvre, produise le salut, et qu’alors germe aussi la justice. Moi, le Seigneur, je crée tout cela.

 

Isaïe associe même un peu plus loin la rosée et la lumière :

Tes morts revivront, leurs cadavres se lèveront. Ils se réveilleront, crieront de joie, ceux qui demeurent dans la poussière, car ta rosée, Seigneur, est rosée de lumière, et le pays des ombres redonnera la vie. (Is 26, 19)

 

Cette rosée qui brille à la lumière du jour naissant annonce le Messie soleil de Justice :

Mais pour vous qui craignez mon nom, le Soleil de justice se lèvera : il apportera la guérison dans son rayonnement. (Ml 3, 20)

 

Isaïe reprend à de multiples reprises ce thème de la Justice et de la lumière associé à la naissance d’un Sauveur :

Moi, le Seigneur, je t’ai appelé selon la justice ; je te saisis par la main, je te façonne, je fais de toi l’alliance du peuple, la lumière des nations (Is 42, 6)

 

Et il dit : « C’est trop peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob, ramener les rescapés d’Israël : je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. » (Is 49, 6)

 

Nous sommes tous invités au partage avec les pauvres et c’est notre propre lumière, à l’image de celle du Sauveur, qui jaillira comme l’aurore :

N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ?

Alors ta lumière jaillira comme l’aurore, et tes forces reviendront vite. Devant toi marchera ta justice, et la gloire du Seigneur fermera la marche. (Is 58, 7-8)

 

L’introït Lux fulgebit qui introduit la Messe de l’Aurore célèbre le surgissement de la lumière du Sauveur (le verbe fulgere et fulgur-éclair ont même racine), clarté de l’aurore, vers laquelle les nations marcheront :

Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi.

Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples. Mais sur toi se lève le Seigneur, sur toi sa gloire apparaît.

Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. (Is 60, 1-3)

 

En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes ;

la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée…

Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde.

(Jn 1, 4-5. 9)

Cette lumière symbolisant la naissance du Sauveur « Soleil de Justice » est à rapprocher de celle symbolisant la Résurrection du Christ se relevant des ténèbres de la mort. La messe de l’Aurore était d’ailleurs dans l’antiquité chrétienne célébrée à la basilique Sainte Anastasie de Rome (anastasis = résurrection en grec).

Georges de La Tour (1593-1652), Le Nouveau-Né, Musée des Beaux-Arts de Rennes (Photo Wikimedia commons)

Georges de La Tour (1593-1652), Le Nouveau-Né, Musée des Beaux-Arts de Rennes (Photo Wikimedia commons)

Le texte de l’introït

 

Lux fulgebit hodie super nos :

quia natus est nobis Dominus :

et vocabitur Admirabilis, Deus,

princeps pacis, Pater futuri saeculi :

cuius regni non erit finis.

 

Aujourd’hui la lumière surgira sur nous, car le Seigneur nous est né. On l’appellera : Dieu admirable, Prince de la paix, Père du siècle à venir. Son règne n’aura pas de fin

 

Le texte de l’antienne « Lux fulgebit » est une création à partir des versets 2 et 6 du chapitre 9 d’Isaïe (en rouge les thèmes repris) :

 

Vulgate 9, 2

Populus qui ambulabat in tenebris vidit lucem magnam

Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière,

 

habitantibus in regione umbrae mortis lux orta est eis.

sur les habitants du pays de l’ombre de la mort une lumière s’est levée.

 

Vulgate 9, 6

Parvulus enim natus est nobis, et filius datus est nobis,

En effet un enfant nous est né et un fils nous a été donné,

 

et factus est principatus super humerum ejus :

et le pouvoir a été mis sur ses épaules

 

et vocabitur nomen ejus, Admirabilis, Consiliarius, Deus, Fortis,

On lui donnera comme nom : Conseiller admirable, Dieu fort,

 

Pater futuri sæculi, Princeps pacis.

Père éternel, Prince de la paix.

 

Luc 1, 33 a également servi d’inspiration :

et regnabit in domo Jacob in æternum, et regni ejus non erit finis (Vulgate)

il régnera éternellement sur la maison de Jacob, et son règne n'aura point de fin.

 

Dans l’introït Lux fulgebit l’accent est mis sur la divinité de l’Enfant par l’emploi de Dominus, Deus. L’accent sera mis sur l’Enfant dans l’introït Puer natus est de la Messe du jour.

 

Le verset de l’introït est emprunté au psaume 92, v. 1 :

V/Dominus regnavit, decorem indutus est :

indutus est Dominus fortitudinem, et praecinxit se.

V/ Le Seigneur est Roi, il s’est revêtu de majesté ;

le Seigneur s’est revêtu de force, il s’en est ceint.

 

Les thèmes d’Is 9,6 surlignés en bleu ont été repris dans l’introït Puer natus est de la Messe du jour.

Lux fulgebit
Lux fulgebit

Photo ci-dessus : Einsiedeln, Stiftsbibliothek, Codex 121(1151), p. 26-27 – Graduale – Notkeri Sequentiae

Ce manuscrit de Einsiedeln (10ème siècle) montre les neumes dessinés au-dessus du texte latin. Le "E 26" (Einsiedeln p. 26) inscrit en marge de la transcription solesmienne ci-dessous indique justement la provenance de l'appareil neumatique transcrit au-dessous de la notation établie par les moines. L'écriture neumatique peut être considérée comme la mise en espace sonore du texte de la Parole.

Graduale Triplex de Solesmes pp.44-45
Graduale Triplex de Solesmes pp.44-45

Graduale Triplex de Solesmes pp.44-45

La mélodie grégorienne

 

Les chants des trois introïts de la Nativité pourraient s’enchaîner l’un à la suite de l’autre : Dominus dixit ad me termine sur un repris pour le début de Lux fulgebit qui s’achève sur un sol, note de départ de Puer natus est. Cet enchaînement aurait aussi le mérite de mettre en valeur le climat de chacun d’eux : le premier, presque tout contenu sur l’intervalle ré-fa, reflète le silence de la nuit, l’intimité de la crèche et de la confidence intra-trinitaire du Père à son Fils : Tu es mon Fils … ; Lux fulgebit traduit le surgissement de la lumière en plusieurs élans joyeux principalement dans l’intervalle, déjà plus élevé, fa-do ; L’Introït Puer natus de la messe du jour pourrait être considéré comme une synthèse des deux précédents introïts : même joie radieuse du second associée à la contemplation de l’enfant dans l’intimité de la crèche propre au premier, dans un intervalle encore plus élevé sol-ré avec quelques ornements au mi voire au fa.

 

Si ou si bémol ?

Nous retrouvons dans cet introït le problème de l’attribution ou non d’un bémol aux si (cf. mon commentaire sur les introïts Laetare, Iudica me). Il est certain que l’attribution ou non à certains si d’un bémol peut jouer sur le caractère (ethos) de la pièce.

 

Le manuscrit de Einsiedeln datant du X° s. (voir photo ci-dessus) comme celui de Notre-Dame de Laon datant de la fin du IX° s. (voir photo ci-dessous) n’indiquent pas les hauteurs précises des notes et donc d’éventuels si bémols. Les chantres connaissaient par cœur les mélodies et les neumes indiquaient principalement le rythme avec parfois quelques indications de hauteur relative par des lettres (comme par exemple l = levate-levez) ou une disposition des neumes les uns par rapport aux autres (manuscrit de Notre-Dame de Laon)

Les moines de Solesmes, sur la base comparative de plusieurs autres manuscrits, ont choisi, pour l’édition du graduel Triplex, d’attribuer ou non un bémol aux si.

 

Le graduel de l’abbaye de Bellelay (voir photo ci-dessous) été rédigé vers 1140-1150 et il indique les hauteurs (diastématie). Il indique seulement deux si bémol notés b sur super nos et Deus,

 

Dom Gajard incite à supprimer le bémol de super nos au nom de l’atmosphère de clarté qui doit pour lui prédominer. Dom Saulnier, à propos du 8ème mode, parle de la difficulté de trancher sur la qualité des si et juge les deux premiers de notre introït très discutables (super nos et Dominus).

Le manuscrit du Graduel de Bellelay (vers 1140-50, voir photo ci-dessous) indique seulement deux si bémol notés b sur super nos et Deus. Pour ma part je serais tenté de proposer de supprimer tous les bémols au nom de cette clarté vantée par Dom Gajard. Les bémols ajoutent pour moi une sorte de mélancolie qui tranche avec le contexte. J’ai trouvé sur YouTube une rare interprétation qui supprime ces bémols (voir interprétations ci-dessous).

La mélodie s’élance joyeusement, presque d’un seul jet, du au do, corde de récitation principale, où s’appuie un hodie en valeurs appuyées (tristropha et podatus subpunctis) ; super nos développe ce caractère appuyé avec une cadence affirmée sur la note sol, finale du mode : la fulgurance de cette lumière est sur nous et pour nous.

Retour à la corde de récitation do avec natus également en valeurs appuyées (tristropha : 3 notes consécutives de même hauteur chantées légèrement en répercussion). Dominus reprend le même schéma mélodique que super nos : cette lumière sur nous, c’est le Seigneur.

Et vocabitur … suivent les trois qualificatifs attribués à l’Enfant, une mélodie assez ornée au début (et vocabitur admirabilis Deus) et à la fin (futuri saeculi) encadre une mélodie à la simplicité syllabique (Princeps pacis, Pater).

La cadence de saeculi se posant sur un la inattendu donne aussitôt l’élan à l’incise finale dont l’enthousiasme rejoint celle du début ; le schéma mélodique de erit (fa-la-do-si) est d’ailleurs le même que celui de fulgebit : à la fulgurance de la lumière du Fils correspond le règne sans fin du Père. Ici la mélodie va se déployer avec de nombreux ornements mais aussi des valeurs appuyées. Elle atteint d’emblée le , apex (note la plus haute de la pièce) sur cujus (dont) marquant le lien entre Pater futuri saeculi (Père du siècle à venir) et regni non erit finis (le règne n’aura pas de fin). L’ornementation très riche de non erit finis marque la longueur infinie de ce règne.

 

Hyacinth Rigaud (1659-1743), Nativité, Musée des Beaux-Arts de Rennes (Photo Wikimedia commons)

Hyacinth Rigaud (1659-1743), Nativité, Musée des Beaux-Arts de Rennes (Photo Wikimedia commons)

Comme interprétations j’ai choisi :

 

 

Compléments

 

  • On pourra écouter la version de l’introït Lux fulgebit en chant vieux romain (VI°-XIII° s.). Ce chant très orientalisant évoque pour nous le chant des Eglises orthodoxes. Ensemble Organum dirigé par Marcel Pérès : https://www.youtube.com/watch?v=o1TjcrQhgw8

 

 

 

Bibliographie

-         Dom Gajard, Les plus belles mélodies grégoriennes, Ed. Solesmes, 1985, pp. 58-59.

-         Dom Daniel Saulnier, Les modes grégoriens, Ed. Solesmes, 1997, p. 99.

 

Lux fulgebit

Ci-dessus : Laon, Bibliothèque municipale, Manuscrit de Notre-Dame de Laon, n° 239 f° 27

Cet exceptionnel Graduel de la fin du IX° siècle provient de Notre-Dame de Laon. Il constitue l’un des plus beaux fleurons de la notation messine et il a été vraisemblablement en usage dans la cathédrale jusqu’au XIII° siècle. Livre de travail ou livre d’un maître de chœur savant, la mélodie a été notée avec un soin tout particulier … Ecriture rapide, faite de pleins et de déliés subtils sur une plume d’une grande souplesse déterminant des angles aigus et des signes allongés, la notation messine est profondément élégante. La répartition des neumes traduit déjà une certaine diastématie **

(Olivier Cullin, « L’image musique », Fayard 2006, p. 45)

Lux fulgebit

Ci-dessus : Porrentruy, Bibliothèque cantonale jurassienne, Ms 18, graduel de l'abbaye de Bellelay, p. 31

« Le graduel de l’abbaye de Bellelay est l’un des premiers manuscrits prémontrés. Il a été rédigé vers 1140-1150 dans un scriptorium du nord de la France, là où l’ordre prémontré a connu sa première expansion. Le manuscrit est ensuite parvenu à Bellelay (Jura suisse) où il est demeuré jusqu’au XVIII° siècle.

Le manuscrit est noté en notation messine, sur quatre lignes guidoniennes avec indication des clés au début des systèmes. A la diastématie ** déjà présente dans ce type de notation, il offre davantage de précision en combinant la souplesse de l’écriture neumatique et la rigueur d’un système théorique permettant de rendre compte exactement des hauteurs, en principe ».

(Olivier Cullin, « L’image musique », Fayard 2006, p. 95)

** Diastématie : représentation des intervalles sur une hauteur fictive ou figurée par une ou plusieurs lignes. Les neumes diastématiques cherchent alors à rendre compte de la hauteur des sons.

Philippe de Champaigne (1602-1674), La Nativité, Palais des Beaux-Arts de Lille (Photo Wikimedia commons)

Philippe de Champaigne (1602-1674), La Nativité, Palais des Beaux-Arts de Lille (Photo Wikimedia commons)

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