Deus in loco sancto suo
Dieu est dans son Lieu Saint,
Dieu qui rend unanimes les habitants de la maisonnée ;
C’est lui qui donnera la force et la vaillance à son peuple.
V/ Que Dieu se lève et que ses ennemis se dispersent,
Et qu’ils fuient devant sa face, ceux qui le haïssent !
(Ps 67, 6-7, 36 et 2) **
Deus in loco sancto suo
Deus qui inhabitare facit unanimes in domo
Ipse dabit virtutem et fortitudinem plebi suae.
V/ Exsurgat Deus, et dissipentur inimici eius
Et fugiant, qui oderunt eum, a facie eius.
Introït du 17° dimanche du temps ordinaire
Dieu est dans son Lieu Saint, mais où donc ?
L’introït du 16° dimanche transmettait l’expression de la joie de découvrir que Dieu me vient en aide : Ecce Deus adjuvat me.
Mais d’où me vient ce secours ?
Je lève les yeux vers les montagnes : d'où le secours me viendra-t-il ?
Le secours me viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre. (Ps 120, 1-2)
Ce Dieu qui me secourt habite un lieu saint
Du sanctuaire, qu'il t'envoie le secours, qu'il te soutienne des hauteurs de Sion. Mittat tibi auxilium de sancto, et de Sion tueatur te (Ps 19, 3)
Nous avons vu dans nos études précédentes combien les perceptions extérieures sont appelées à s’intérioriser. Ce « locus sanctus » réside finalement en moi-même qui s’éprouve, tous sens confondus, comme partie intégrante de l’unanimité (une seule âme) que constitue la communauté rassemblée où le Seigneur est présent :
En effet, quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. (Mt 18, 20)
Confirmé par l’expérience de la première communauté apostolique :
Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière, avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus, et avec ses frères. (Ac 1, 14)
« L’unanimité est le Lieu même, le Lieu saint. L’unité est le Lieu même : celle qui -incréée- se fait de Lui dans la vie trinitaire, celle qui se fait en nous dans la vie spirituelle, celle qui se fait de nous tous ensemble dans la vie ecclésiale. » (François Cassingéna-Trévedy, op. cit. p. 131 **)
Quelle entente y a-t-il entre le sanctuaire de Dieu et les idoles ? Nous, en effet, nous sommes le sanctuaire du Dieu vivant, comme Dieu l’a dit lui-même : J’habiterai et je marcherai parmi eux, je serai leur Dieu et ils seront mon peuple. (2 Co 6, 16)
Quel chant mieux que l’introït introduit l’Eglise locale dans le lieu église pour former le locus sanctus, ce Lieu saint, vers lequel le Seigneur marche avec son peuple et où il manifeste sa gloire dans le partage de la Parole et du Pain de Vie qui rend unanimes et donne la force et la vaillance.
« Le but de ce chant est d’ouvrir la célébration, de favoriser l’union des fidèles rassemblés, d’introduire leur esprit dans le mystère liturgique du temps ou de la fête, et d’accompagner la procession du prêtre et des ministres. » (Présentation Générale du Missel Romain)
Mais le Seigneur ne cohabite avec les hommes dans son temple qu’à condition qu’ils se convertissent :
Ecoutez la parole du Seigneur, vous tous, les hommes de Judée,
Vous qui entrez par les portes du temple pour adorer le Seigneur.
Ainsi parle le Seigneur Sabaoth, lui le Dieu d’Israël :
Améliorez votre conduite et vos actions ; alors j’habiterai avec vous en ce lieu. (Jr 7, 2-3, trad. Abbaye de Ligugé)
Le lieu véritable que le Seigneur habite c’est le cœur, l’âme des justes :
« Nous pouvons considérer notre âme comme un château, fait d’un seul diamant ou d’un cristal parfaitement limpide, et dans lequel il y a beaucoup d’appartements, comme dans le ciel il y a bien des demeures. Et en effet, mes sœurs, si nous y réfléchissons bien, l’âme du juste n’est autre chose qu’un paradis, où le Seigneur, comme il nous l’assure lui-même, prend ses délices. Mais que penser, je vous le demande, de l’appartement où un Roi si puissant, si sage, si pur, si riche de tous biens, prend plaisir à résider ? Pour moi, je ne vois rien à quoi l’on puisse comparer l’excellente beauté d’une âme et son immense capacité. » (Thérèse d’Avila, « Le château intérieur », Premières demeures, chapitre 1er, n° 1, Œuvres complètes, Ed. du Cerf, Paris 1995, p. 969)
Le psaume 67 (hb 68)
Lien vers la traduction liturgique : https://www.aelf.org/bible/Ps/67
Chaque assemblée dominicale commémore la résurrection et le psaume 67 qui a inspiré notre introït est souvent utilisé dans la période pascale. Il commence par Que Dieu se lève et que ses ennemis se dispersent (v. 2) qui est repris dans le verset d’introït. C’est l’invocation de Moïse au moment du départ de l’arche d’alliance (Nb 10, 35).
Le Ps 67 relate l’épopée du peuple hébreu de la sortie d’Egypte à l’intronisation du Seigneur à Sion au temps de la monarchie davidique.
Le récit est conçu comme une espèce de processionnal :
Dieu, on a vu ton cortège, le cortège de mon Dieu, de mon roi dans le Temple :
en tête les chantres, les musiciens derrière, parmi les jeunes filles frappant le tambourin.
Rassemblez-vous, bénissez Dieu ; aux sources d'Israël, il y a le Seigneur !
Voici Benjamin, le plus jeune, ouvrant la marche, les princes de Juda et leur suite, les princes de Zabulon, les princes de Nephtali. (Ps 67, 25-28)
Processional liturgiquement actualisé dans une cérémonie de louange au temple pendant laquelle ce psaume était chanté (on pense à une fête automnale à cause du v. 10 : Tu répandais sur ton héritage une pluie généreuse) :
Royaumes de la terre, chantez pour Dieu, jouez pour le Seigneur,
celui qui chevauche au plus haut des cieux, les cieux antiques. Voici qu'il élève la voix, une voix puissante ;
rendez la puissance à Dieu. Sur Israël, sa splendeur ! Dans la nuée, sa puissance !
Redoutable est Dieu dans son temple saint, le Dieu d'Israël ; c'est lui qui donne à son peuple force et puissance. Béni soit Dieu ! (Ps 67, 33-36)
Cet exode du peuple hébreu rappelle celui de son Seigneur lui-même, en tête de son peuple, du Sinaï vers la montagne sainte de Sion :
Chantez pour Dieu, jouez pour son nom, frayez la route à celui qui chevauche les nuées. Son nom est Le Seigneur ; dansez devant sa face. (Ps 67, 5)
Dieu, quand tu sortis en avant de ton peuple, quand tu marchas dans le désert, la terre trembla ;
les cieux mêmes fondirent devant la face de Dieu, le Dieu du Sinaï, devant la face de Dieu, le Dieu d'Israël. (Ps 67, 8-9)
Sion où il résidera éternellement dans son temple, où les adversaires une fois mis en fuite les rois de la terre viendront apporter leurs présents (v. 30) :
Mont de Basan, divine montagne, mont de Basan, fière montagne !
Pourquoi jalouser, fière montagne, la montagne que Dieu s'est choisie pour demeure ? Là, le Seigneur habitera jusqu'à la fin. (Ps 67, 16-17)
Texte de l’introït
Le texte latin de l’introït est extrait du psautier romain remanié
6. patris orfanorum et iudicis viduarum
Deus in loco sancto suo
7. Deus qui habitare facit un(i)animes in domo
qui educit vinctos in fortitudine
similiter et eos qui in ira provocant qui habitant in sepulchris
36. mirabilis Deus in sanctis suis
Deus Israhel ipse dabit virtutem
et fortitudinem plebis suae benedictus Deus.
2. Exsurgat Deus et dissipentur inimici eius
et fugiant a facie eius qui oderunt eum
Le début du v. 6 non repris (patris orfanorum …) éclaire le unanimes du v. 7 :
« Père des orphelins et justicier des veuves », voilà bien les qualités du Roi biblique idéal, auxquelles doit aussi adhérer tout juste, s’il veut participer à l’unanimité, « lieu saint » où Dieu offre une famille aux esseulés.
Le pain eucharistique est le symbole de cette unité :
Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain. (1 Co 10, 17)
Une invitation à participer au combat même de Dieu rappelé dans le v. 2 :
En définitive, rendez-vous puissants dans le Seigneur et dans la vigueur de sa force. Revêtez l'armure de Dieu, pour pouvoir résister aux manœuvres du diable. (Ep 10, 11)
Sans renoncer au contexte exprimé par le Ps 67, le compositeur de l’introït a réagencé les extraits choisis des versets pour leur donner une nouvelle cohésion adaptée au contexte liturgique.
Einsiedeln, Stiftsbibliothek, Codex 121(1151), p. 322 – Graduale – Notkeri Sequentiae
Ce manuscrit de Einsiedeln (10ème siècle) montre les neumes dessinés au-dessus du texte latin. Le "E 322" (Einsiedeln p. 322) inscrit en marge de la transcription solesmienne ci-dessous indique justement la provenance de l'appareil neumatique transcrit au-dessous de la notation établie par les moines. L'écriture neumatique peut être considérée comme la mise en espace sonore du texte de la Parole.
La mélodie
L’intonation est franche et s’installe immédiatement sur la dominante do du 5ème mode, comme une déclamation qui va s’amortir, sans perdre de son dynamisme, en neumes appuyés jusqu’au fa, note finale du mode.
Cette proclamation très affirmative est soulignée par le début de chaque phrase mettant en relief cette stature du Dieu qui préside à tout depuis son lieu saint sur la montagne de Sion (Deus à deux reprises et ipse -c’est lui-).
La deuxième phrase va débuter en légèreté (trois « c », celeriter -rapidement- figurent au-dessus de neumes). Les deux porrectus consécutifs (la-sol-la) sur inhabitare sont à considérer comme une vibration légère. La mélodie monte graduellement au do puis au mi (apex -note la plus haute) sur l’accent tonique de unanimes, le mot le plus important de la pièce.
La dominante do est très présente ainsi qu’au début de la troisième phrase (ipse, dabit, virtutem) qui retrouve des neumes appuyés pour asseoir en quelque sorte cette vaillance et cette force que Dieu donne à son peuple. La déclamation va s’enrichir de broderies ; celles très développées sur plebi permettent de parcourir une dernière fois l’arc fa-do-fa dont l’intervalle est structurel du 5ème mode, pour terminer posément sur le fa, note finale du mode.
Comme interprétation j’ai choisi
- Pour chœur :
https://www.youtube.com/watch?v=XOiOWZIYB78
https://www.youtube.com/watch?v=UWr5U1iQRRA
- Pour chœur avec accompagnement léger d’orgue et défilement de la partition grégorienne : https://www.youtube.com/watch?v=x7Nw2RUzoUg
- Pour voix seule avec défilement du manuscrit neumé de Einsiedeln :
https://www.youtube.com/watch?v=f6XKSs-aQug
Petite bibliographie
** François Cassingéna-Trévedy : « Les introïts – Chante et marche », t. III, Ed. Ad Solem, 2014, pp. 127-143.
Jean-Luc Vesco : « Le psautier de David traduit et commenté », Ed. Cerf, Coll. Lectio Divina, T. I pp. 586-601.
Chronique des Moniales de l‘abbaye du Pesquié : article non signé, n° 205, Juin 2017, pp. 17-20.
Photos suivantes : le cloître de l’abbaye du Mont Saint-Michel, le lieu saint de l’intimité avec Dieu sur un mont …