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Panem de caelo

Panem de caelo

 

Tu nous as donné, Seigneur, le pain venant du ciel,

Plein de délices,

Et au goût très doux.

 

Panem de caelo dedisti nobis, Domine,

habentem omne delectamentum,

et omnem saporem suavitatis.

 

Antienne de communion du 18ème dimanche du temps ordinaire

 

 

 Encore une fois goûtons la suavité du pain venu du ciel

 

On se souvient de la communion du 14ème dimanche du temps ordinaire :

Gustate et videte quoniam suavis est Dominus

Goûtez et voyez comme est doux le Seigneur

Nous retrouvons dans cette communion du 18ème dimanche la même idée de suavitas, de douceur, celle perçue par les sens (ici au palais) :

et omnem saporem suavitatis

et au goût très doux

 

Nous avions parlé du concept de synesthésie défini par Eric Palazzo pour désigner la complémentarité des perceptions sensorielles permettant en quelque sorte une perception d’ordre spirituel.

 

Nous en avons parlé aussi à propos de l’offertoire du 16ème dimanche du temps ordinaire ; ce qui est valable pour la gustation du pain eucharistique l’est aussi pour la Parole de Dieu :

Iustitiae Domini rectae, laetificantes corda, et dulciora super mel et favum

Les prescriptions du Seigneur sont droites, elles mettent la joie au cœur, plus douces que le miel, que le suc des rayons.

 

Nous avons aussi rappelé ce concept à l’occasion de l’introït du 17ème dimanche :

Deus in loco sancto suo

Dieu dans son lieu saint

Nous avions dit que ce « locus sanctus » résidait finalement en moi-même qui s’éprouve, tous sens confondus, comme partie intégrante de l’unanimité (une seule âme) que constitue la communauté rassemblée où le Seigneur est présent.

 

Ce pain du ciel c’est le Seigneur lui-même :

« Au désert, nos pères ont mangé la manne ; comme dit l’Écriture : Il leur a donné à manger le pain venu du ciel. ». Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel ; c’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel. Car le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. »

Ils lui dirent alors : « Seigneur, donne-nous toujours de ce pain-là. »

Jésus leur répondit : « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif. (Jn 6, 31-35)

Cet extrait de l’Evangile de Jean est lu lors de l’année « B » (la 1ère lecture relate l’épisode de la manne : Ex 16, 2-4.12-15) tandis que l’année « A » voit la lecture de Mt 14, 13-21 (multiplication des pains)

 

On se reportera utilement aux articles suivants du blog :

 

Le texte de la communion du 18ème dimanche est extrait du Livre de la Sagesse (16, 20)

 

Photo d'en-tête : "Le dernier repas", par Lippo Memmi (1291-1356) (photo Wikimédia Commons)

"La Cène", par Mariotto di Nardo (v. 1393-1424)

"La Cène", par Mariotto di Nardo (v. 1393-1424)

Le texte de l’antienne de communion

 

Le Livre de la Sagesse a été écrit en grec. Il est placé sous le patronyme de Salomon, le roi à la sagesse légendaire. Son auteur, anonyme, est probablement un juif vivant à Alexandrie au 1er siècle av. J. C. et témoignant de la rencontre entre la foi juive et le monde hellénistique.

La partie consacrée à l’Exode est plus particulièrement développée. Les versets 20-21 du chapitre 16 relatent l’épisode de la manne que nous trouvons dans l’Exode :

Et au matin, c’est une couche de rosée tout autour du camp. La couche de rosée monte, et voici : sur la surface du désert, du fin, de l’écailleux, fin comme du givre sur la terre. Les fils d’Israël voient, et chaque homme dit à son frère : Qu’est-ce que c’est ? Parce qu’ils ne savent pas ce que c’est. Moïse leur dit : C’est le pain que Yhwh vous donne pour nourriture.

Exode 16, 13-15 (Trad. Bible Bayard)

 

Nous prendrons la traduction de Sg 16, 20-21 donnée par la Bible Bayard qui me paraît transcrire plus fidèlement le texte grec :

20. Au contraire, c’est une nourriture d’anges que tu as donnée à manger à ton peuple,

un pain tout pétri , sans effort de sa part, que tu lui as fait tomber du ciel,

bon pour tous les plaisirs, pour tous les goûts.

21. Car la substance que tu donnais manifestait ta douceur pour tes enfants,

et se pliant au désir de qui la portait à sa bouche,

elle se changeait en ce que chacun voulait. (Sg 16, 20-21)

 

On peut la comparer à la traduction de la Bible liturgique qui me paraît plus plate :

20 À l’inverse, tu donnais à ton peuple une nourriture d’ange ; tu envoyais du ciel un pain tout préparé, obtenu sans effort, un pain aux multiples saveurs qui comblait tous les goûts,

21 substance qui révélait ta douceur envers tes enfants, qui servait le désir de chacun et s’accordait à ses vœux.

 

Les expressions à comparer sont de la même couleur. La traduction Bayard est plus radicale dans les notions de plaisir et désir vis-à-vis de la nourriture des anges.

On remarquera que le mot substance traduit le mot grec hypostasis qui a donné hypostase, substantia  et substance. Le Christ, pain de vie venu du ciel, est une des trois hypostases de la Trinité. Le contexte philosophique grec de l’écriture du Livre de la Sagesse n’est sans doute pas étranger à l’emploi de ce mot.

La traduction latine reprend la notion de « nourriture des anges » (angelorum esca) mais affaiblit le côté sensuel.

Le texte de la communion retient l’expression pain venant du ciel (panem de caelo) par référence aux paroles de Jésus dans Jn 6, 31-35 et limite l’expression sensitive à omne delectamentum (« tout à fait délectable ») et à saporem suavitatis (« saveur de suavité »)

 

A propos de cette « saveur de suavité », l’Exode précise le goût de la manne :

La maison d’Israël donna à ce pain le nom de « manne ». C’était comme de la graine de coriandre, de couleur blanche, au goût de beignet au miel. (Ex 16, 31)

 

Pour les latinistes nous donnons le texte de la Vulgate avec en rouge les passages correspondant au texte de la communion. Comme on le voit le compositeur a fait de légères modifications dans ce qu’il a retenu du verset. On retiendra surtout nobis qui remplace illis : ce sont ceux qui communient et chantent cette antienne de communion qui sont directement concernés

 

20. Pro quibus angelorum esca nutrivisti populum tuum ; et paratum panem de cælo præstitisti illis sine labore. Omne delectamentum in se habentem, et omnis saporis suavitatem.

21. Substantia enim tua dulcedinem tuam, quam in filios habes, ostendebat ; et deserviens uniuscujusque voluntati, ad quod quisque volebat convertebatur.

 

Pour les hellénistes nous donnons le texte original en grec (couleurs en rapport avec la traduction Bayard ci-dessus) :

  1.  ἀνθ' ὧν ἀγγέλων τροφὴν ἐψώμισας τὸν λαόν σου καὶ ἕτοιμον ἄρτον ἀπ' οὐρανοῦ παρέσχες αὐτοῖς ἀκοπιάστως πᾶσαν ἡδονὴν ἰσχύοντα καὶ πρὸς πᾶσαν ἁρμόνιον γεῦσιν
  2. .  ἡ μὲν γὰρ ὑπόστασίς σου τὴν σὴν πρὸς τέκνα ἐνεφάνιζεν γλυκύτητα τῇ δὲ τοῦ προσφερομένου ἐπιθυμίᾳ ὑπηρετῶν πρὸς ὅ τις ἐβούλετο μετεκιρνᾶτο

 

 

Le Salut au Saint-Sacrement utilise entre le Tantum ergo et l’oraison qui précède la bénédiction une partie de Sg 16, 20 comme invocation :

V/ Panem de cælo præstitisti eis

R/ Omne delectamentum in se habentem

Panem de caelo

Einsiedeln, Stiftsbibliothek, Codex 121(1151), p. 324 – Graduale – Notkeri Sequentiae

Ce manuscrit de Einsiedeln (10ème siècle) montre les neumes dessinés au-dessus du texte latin. Le "E 324" (Einsiedeln p. 324) inscrit en marge de la transcription solesmienne ci-dessous indique justement la provenance de l'appareil neumatique transcrit au-dessous de la notation établie par les moines. L'écriture neumatique peut être considérée comme la mise en espace sonore du texte de la Parole.

Graduel triplex de Solesmes p. 319

Graduel triplex de Solesmes p. 319

La mélodie

 

Le 5ème mode chante ici avec joie et lyrisme.

La 1ère phrase monte par paliers successifs du fa au la (panem de caelo), puis du fa au do (dedisti nobis) puis du do au mi sur le mot Domine mis en valeur par une belle arche ornementée (do-mi-ré-do-la).

Habentem omne est proclamé avec beaucoup de vigueur sur la corde do caractéristique du mode : omne marque l’importance de la délectabilité (tristropha sur do – 3 notes consécutives avec une légère percussion).

Delectamentum comporte de nombreuses broderies par degrés conjoints ou disjoints marquant la complexité et la suavité de la dégustation. On retrouve le même procédé de composition, même un peu plus développé, sur suavitatis qui vient se poser « en faisant durer le plaisir » sur le fa, cadence finale du mode.

Finalement la mélodie dit ce que le texte choisi pour l’antienne a un peu gommé (plaisir, désir) et par les mélismes développés sur delectamentum et suavitatis rétablit le sens premier donné par le Livre de la Sagesse.

 

Comme interprétation j’ai choisi

- Chœur (avec versets du psaume 77) : https://www.youtube.com/watch?v=7fFetL7kTDA

 - Pour voix féminine soliste : https://www.youtube.com/watch?v=_O3YPYLS-_4

Paraphrase grégorienne à l'orgue sur cette communion par Charles Tournemire (1870-1939) :  https://www.youtube.com/watch?v=-xJrbywEJFA&feature=youtu.be&fbclid=IwAR1Litr-guZ5DV8YV6tAt10s0dAgWlCjWpNaH5Cfzr1JBEyuJfJrJnQYBjg

Chapiteau (12° s. pour la sculpture) de l'église Saint Austremoine à Issoire (63). "La Cène"

Chapiteau (12° s. pour la sculpture) de l'église Saint Austremoine à Issoire (63). "La Cène"

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