Fils de David ?
Jésus intervient et dit,
tandis qu’il enseigne dans le temple :
« Comment les scribes disent-ils que le messie est fils de David ?
David lui-même a dit, dans l’Esprit-Saint :
‘Le seigneur a dit à mon Seigneur :
Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je mette tes ennemis sous tes pieds’.
David lui-même le dit : ‘Seigneur’
Alors d’où vient qu’il est son fils ? »
La foule nombreuse l’entendait volontiers.
Evangile de Marc 12, 35-37 (Trad. Sœur Jeanne d’Arc)
Vignette : David accorde sa harpe (v. 1160, Toulouse, La Daurade, ancien portail de la salle capitulaire, au Musée des Augustins)
Ce petit passage de l’évangile de Marc est lu le vendredi qui suit le dimanche de la Trinité (en 2015, le 5 juin). Il paraît pour le moins assez obscur et a entraîné de nombreux et copieux commentaires exégétiques. Nous limiterons donc notre étude à l’essentiel.
Avec autorité, non comme les scribes
Pour une fois c’est Jésus qui introduit la controverse, signe que ses contradicteurs habituels ne voulaient pas spécialement l’aborder. Jésus est un fin exégète qui passionne son auditoire comme à la synagogue de Capharnaüm au début de sa vie publique :
Ils pénètrent à Capharnaüm. Aussitôt, le sabbat, il entre dans la synagogue, il enseigne. Ils étaient frappés par son enseignement, car il les enseignait comme ayant autorité et non comme les scribes.
Marc 1, 21-22
La traduction de Sœur Jeanne d’Arc que nous avons choisie parce qu’elle suit le texte grec de très près me semble faible pour traduire « hèdeôs » : c’est plus que « volontiers » que la foule l’écoutait, c’est « avec plaisir », comme traduit le plus souvent ; plaisir de voir et entendre tant de science et d’intelligence des Ecritures et tant d’adresse, voire de malice pour « coincer » ses habituels contradicteurs. Sa manière d’enseigner lui donnait une autorité que les scribes, exégètes officiels, n’avaient plus à force de répéter les mêmes choses à l’appui en particulier des pharisiens qui imposaient une loi rigide, fondamentaliste dirait-on aujourd’hui.
Dans son enseignement, il disait : « gardez-vous des scribes …
Marc 12, 38
Avec Jésus le cercle s’agrandit : il n’est pas venu conforter une minorité de purs mais chercher les brebis perdues (Mt 15, 24). Si le discours est très exigeant - tout abandonner pour le suivre – la miséricorde en est le nécessaire pendant. Jésus se situe à un autre niveau que celui du strict respect d’une Loi codifiée dans les moindres détails ou d’une organisation sociale, politique et religieuse à maintenir ou rétablir dans des codes immuables.
A de l’autorité celui qui parle vrai !
L’attente d’un messie roi
L’idée que l’on se faisait d’un messie, homme providentiel qui rétablirait le peuple d’Israël dans tous ses droits et possessions, a beaucoup évolué au cours des siècles de son histoire. A l’époque de Jésus, les scribes et les pharisiens attendaient l’arrivée imminente d’un messie roi issu de la lignée du roi David. On trouve de pareilles attentes dans les « Psaumes de Salomon », livre non canonique en partie rédigé après l’arrivée de Pompée à Jérusalem (63 avant notre ère) : « Regarde, Seigneur, et fais surgir ton roi, le fils de David ; au temps que tu as choisi, qu’il vienne régner sur son serviteur Israël. Ceins-le de force, qu’il, piétine les impies ! Dans sa sagesse et sa justice, qu’il chasse les pécheurs de ton héritage … Il viendra alors rassembler un peuple saint qu’il régira dans la justice ».
(Ps. Sal. 17, 21 … , cité par Drewermann, 326 sq, cf. bibliographie).
Les scribes et les pharisiens s’appuyaient sur Ps 131, 11 et sur 2 S 7, 12-13 mais plus particulièrement sur le psaume 110 cité par Jésus dans notre péricope.
Le psaume 110
1 Oracle du Seigneur à mon seigneur :
« Siège à ma droite,
et je ferai de tes ennemis
le marchepied de ton trône. »
2 De Sion, le Seigneur te présente
le sceptre de ta force :
« Domine jusqu’au cœur de l’ennemi. »
3 Le jour où paraît ta puissance
tu es prince, éblouissant de sainteté :
« Comme la rosée qui naît de l’aurore,
je t’ai engendré. »
4 Le Seigneur l’a juré
dans un serment irrévocable :
« Tu es prêtre à jamais s
elon l’ordre du roi Melkisédek. »
5 À ta droite se tient le Seigneur :
il brise les rois au jour de sa colère.
6 Il juge les nations : les cadavres s’entassent ;
il brise les chefs, loin sur la terre.
7 Au torrent il s’abreuve en chemin,
c’est pourquoi il redresse la tête.
Psaume 110 (Traduction liturgique de la Bible)
C’est sans doute le plus connu des psaumes de David, chanté aux vêpres des dimanches et grandes fêtes. Pour l’exégète Louis Jacquet (cf. bibliographie) c’est aussi un de ceux dont le texte a été le plus mal conservé et dont l’interprétation s’avère la plus délicate. Il n’est que consulter les diverses traductions pour s’en rendre compte.
Il s’agit d’un oracle de Yhwh à un seigneur ; sa place à droite de Yhwh en fait presque un égal ; on pense à un roi de Juda, peut-être David parlant de lui-même ? On peut penser à une évocation globale de la royauté comme le suggère le psaume 2 considéré aussi comme messianique.
Le roi doit défendre Israël contre ses ennemis (v. 1 et 2), sa sainteté repose sur la puissance qu’il tient de son engendrement de Yhwh ; on pense alors au Credo de Nicée : « engendré non pas créé, de même nature que le Père ». Jacquet donne cette version du v. 3 :
A toi le Principat !
Au jour de ta naissance, tu fus choisi,
Consacré dès le sein.
Sur toi, de l’aurore est venue
Une rosée de jeunesse.
Ce n’est pas tout à fait la même perspective !
La traduction liturgique se place résolument dans une perspective chrétienne aboutie qui ne semble pas correspondre à une tradition textuelle plus ancienne.
Il est certain que le succès grandissant de ce psaume pour appuyer la vision messianique en construction juste avant Jésus a largement inspiré les auteurs du Nouveau Testament pour établir l’éminente dignité de Jésus-Christ, devenu le fils unique de Dieu.
Le verset 4 fait allusion à la fonction sacerdotale du roi ; celle-ci était dévolue normalement à la lignée sacerdotale, mais le roi la transcendait en quelque sorte car assis à la droite de Yhwh. Evidemment, là encore, le Nouveau testament puisait l’idée d’un Christ roi et prêtre … et fils en lien avec le psaume 2 :
« Moi, j’ai sacré mon roi
Sur Sion, ma sainte montagne. »
Je proclame le décret du Seigneur !
Il m’a dit : « Tu es mon fils ;
Moi, aujourd’hui, je t’ai engendré … »
Psaume 2, v. 6-7 (Trad. liturgique de la Bible)
En résumé, en s’appuyant sur le psaume 110, les scribes affirmaient que le messie attendu devait être un roi, donc issu de la lignée de David.
Ma royauté n’est pas de ce monde
Alors Pilate rentra dans le Prétoire ; il appela Jésus et lui dit : « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus lui demanda : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet ? » Pilate répondit : « Est-ce que je suis juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? » Jésus déclara : « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. » Pilate lui dit : « Alors, tu es roi ? » Jésus répondit : « C’est toi-même qui dis que je suis roi … »
Evangile de Jean 18, 33-37 (Trad. liturgique de la Bible)
Jésus parla souvent du Royaume de Dieu (voir notre dernier article « Royaume de Dieu et écologie »). Un royaume qui n’est pas de ce monde, dont il veut bien admettre qu’il peut en être le roi, c'est-à-dire, dans son optique, le serviteur, comme il l’avait montré à ses disciples la veille de sa passion :
"Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous."
Evangile de Jean 13, 14-15
Ou comme il l’avait dit à la mère des fils de Zébédée qui réclamait une place de choix pour ses fils dans son Royaume :
« Vous le savez : les chefs des nations les commandent en maîtres, et les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi : celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ; et celui qui veut être parmi vous le premier sera votre esclave. Ainsi, le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. »
Evangile de Matthieu 20, 25-27
Fils de David
Frappées de stupeur, toutes les foules disaient : « celui-là n’est-il pas le Fils de David ? »
Mt 12, 23
Luc et Matthieu sont les deux seuls évangélistes à nous donner des généalogies de Jésus au début de leurs évangiles. D’ailleurs divergentes, elles aboutissent à cette même conclusion : Jésus est fils de David par Joseph son père adoptif.
Luc (3, 23-38) commence sa généalogie par la fin : « Jésus fils de Joseph … fils d’Adam, fils de Dieu ». Marie « fiancée à un homme du nom de Joseph, de la maison de David » (1,27) apprend de l’ange Gabriel qu’elle concevra par l’Esprit Saint (voir mon article « Voici la servante du Seigneur »)
Matthieu (1, 1-17) commence par le début : « Généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham … Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle naquit Jésus, que l’on appelle Christ. Et c’est par l’annonce angélique faite à Joseph, que nous apprenons la conception virginale de Jésus par l’Esprit Saint : « Joseph, fils de David … » (1, 20).
Né à Bethléem, cité de David
Pour corroborer cette généalogie, Luc et Matthieu sont d’ailleurs les seuls à préciser le lieu de naissance de Jésus :
Hérode réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple, pour leur demander où devait naître le Christ. Ils lui répondirent : « À Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète :
Et toi, Bethléem, terre de Juda,
tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Juda,
car de toi sortira un chef,
qui sera le berger de mon peuple Israël. » (cf. Mi 5, 1-3)
Matthieu 2, 4-6 (Trad. liturgique de la Bible)
Joseph, lui aussi, monta de Galilée, depuis la ville de Nazareth, vers la Judée, jusqu’à la ville de David appelée Bethléem. Il était en effet de la maison et de la lignée de David. Il venait se faire recenser avec Marie, qui lui avait été accordée en mariage et qui était enceinte. Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter fut accompli.
Luc 2, 4-6 (Trad. liturgique de la Bible)
Jean se retranche prudemment derrière les interrogations de la foule :
Dans la foule, on avait entendu ses paroles, et les uns disaient : « C’est vraiment lui, le Prophète annoncé ! ». D’autres disaient : « C’est lui le Christ ! » Mais d’autres encore demandaient : « Le Christ peut-il venir de Galilée ? L’Écriture ne dit-elle pas que c’est de la descendance de David et de Bethléem, le village de David, que vient le Christ ? » C’est ainsi que la foule se divisa à cause de lui.
Jean 7, 40-43 (Trad. liturgique de la Bible)
En fait, pour les exégètes de notre temps, rien n’est moins sûr que Jésus naquît à Bethléem.
Tout le monde se perd en conjectures sur cette histoire de recensement qui obligea Joseph et Marie habitant Nazareth à se rendre à Bethléem, surtout avec la proximité de la naissance de Jésus. Alors pourquoi chez Luc et Matthieu, une telle nécessité de faire naître Jésus fils de David ?
C’est ainsi que la foule se divisa à cause de lui (Jn, 43)
Jésus entendait ce qu’on l’on disait de lui ; au besoin il sollicitait ses disciples pour le savoir. Très souvent les premiers mots des pauvres gens qui venaient lui demander de les guérir commençait par : « Fils de David, aie pitié de moi ».
Paroles relatées trois fois par Matthieu (9, 27 - 15, 22 – 20, 30-31) et une seule fois par Marc (10, 47) et Luc (18, 38).
L’expression « Fils de David » est aussi proclamée par la foule lors de l’entrée de Jésus à Jérusalem :
Les disciples amenèrent l’ânesse et son petit, disposèrent sur eux leurs manteaux, et Jésus s’assit dessus. Dans la foule, la plupart étendirent leurs manteaux sur le chemin ; d’autres coupaient des branches aux arbres et en jonchaient la route. Les foules qui marchaient devant Jésus et celles qui suivaient criaient :
« Hosanna au fils de David !
Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !
Hosanna au plus haut des cieux ! »
Comme Jésus entrait à Jérusalem, toute la ville fut en proie à l’agitation, et disait : « Qui est cet homme ? » Et les foules répondaient : « C’est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée. » Matthieu 21, 7-11
« Fils de David », « Prophète Jésus, de Nazareth en Galilée » … visiblement tout le monde n’est pas d’accord sur cet homme Jésus qui ajoutera un brin de provocation ensuite dans le temple :
Des aveugles et des boiteux s’approchèrent de lui dans le Temple, et il les guérit. Les grands prêtres et les scribes s’indignèrent quand ils virent les actions étonnantes qu’il avait faites, et les enfants qui criaient dans le Temple : « Hosanna au fils de David ! » Ils dirent à Jésus : « Tu entends ce qu’ils disent ? » Jésus leur répond : « Oui. Vous n’avez donc jamais lu dans l’Écriture : De la bouche des enfants, des tout-petits, tu as fait monter une louange » Jusqu’aux cieux, ta splendeur est chantée ?
Matthieu 21, 14-16
Devant ce triomphe de Jésus, les grands prêtres et les scribes s’étranglent d’indignation mais, avec beaucoup d’habileté et certainement d’émotion, Jésus ne se place pas sur leur terrain « Fils de David … messie roi ». Ce sont ces enfants, à qui appartient le Royaume de Dieu (Mc 10,14), qui sont le dernier rempart de ce curieux roi :
Jusqu’aux cieux, ta splendeur est chantée
Par la bouche des enfants, des tout-petits :
rempart que tu opposes à l’adversaire,
où l’ennemi se brise en sa révolte
Psaume 8, 2-3
Un roi juché sur un ânon
Attardons-nous un peu sur cette entrée de Jésus qualifiée le plus souvent de solennelle. Par qui fut-elle organisée ? Sans doute par les disciples comme semble le suggérer Luc (Lc 19, 37). Voulaient-ils canaliser un des habituels mouvements de foule autour de Jésus, surtout en ces jours précédant le fête de la Pàque, avec une mise scène « royale » ? En effet, c’était une tradition dans l’orient ancien, juif ou gréco-romain, d’accueillir solennellement à l’entrée d’une ville un personnage important : roi ou chef militaire. Le peuple était invité à fleurir le parcours et à étendre des manteaux devant le cortège.
Devant les difficultés de Jésus avec le pouvoir religieux, cette mise en scène de consécration de Jésus en roi fils de David imposerait-elle le pouvoir du peuple face à ses préventions ?
Placé devant l’accueil royal et les acclamations de la foule, Jésus finirait-il par être tenté par le pouvoir royal ?
Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire. Il lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi. » Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan ! car il est écrit : C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte.
Evangile de Matthieu 4, 8-10
C’était bien là une tentation de Jésus devant ce soutien massif des foules : s’emparer du pouvoir pour accélérer la venue de son Royaume.
Mais Jésus ne devait pas tomber dans ce piège tendu, dans leur zèle intempestif, par ses disciples qui décidément n’avaient toujours pas compris de quel royaume il voulait être roi.
Or, ce qui est peut-être la clé de cet événement se trouve bien mis en évidence chez Marc (11, 1-7).
En prévision de cette entrée organisée par les disciples, Jésus demande à deux d’entre eux d’aller au village chercher un ânon qu’ils devront détacher de l’ânesse : le plus petit et le plus humble des animaux de bât avec surtout cette précision : « Et si l’on vous dit pourquoi faîtes-vous cela ? Dites : Le Seigneur en a besoin. » (11, 3). Et Marc (comme Luc) prend bien soin de noter que les disciples détachent l’ânon en répétant les paroles de Jésus. Pourquoi une telle insistance sur ce détail ? Matthieu mentionne le texte du prophète Zacharie auquel renvoie ce détail :
Exulte de toutes tes forces, fille de Sion !
Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem !
Voici ton roi qui vient à toi :
il est juste et victorieux,
pauvre et monté sur un âne,
un ânon, le petit d’une ânesse.
Ce roi fera disparaître d’Éphraïm les chars de guerre,
et de Jérusalem les chevaux de combat ;
il brisera l’arc de guerre,
et il proclamera la paix aux nations.
Zacharie 9, 9-10 (Trad. liturgique de la Bible)
Cet ânon symbolise l’image d’un roi dont le pouvoir repose sur la justice, la pauvreté et la paix, celle qui correspond à l’idée que Jésus se fait du Royaume de Dieu.
Les disciples, la foule voulaient accueillir un vrai Fils de David, roi puissant qui rétablirait Israël dans toutes ses prérogatives, qui verrait ses ennemis placés sous ses pieds par Yhwh (Ps 110, 1). Se présente à eux un homme certes admiré pour ses paroles et ses miracles, mais humble, « trônant » sur un ânon et non sur un cheval de conquérant victorieux.
Fils de David, non, Jésus n’y aspire pas ; il est fils de son Père des cieux comme il veut aussi que nous le soyons. C’est ce Père qui a besoin de cet ânon pour son fils (11, 3) pour exprimer son désir de paix et d’humilité dans le Royaume qu’il veut bâtir dans son alliance avec les humains. Il vient du Père et c’est justement au Temple que Jésus se rend aussitôt après :
Il entre à Jérusalem, dans le temple,
Il regarde tout à la ronde
Marc 11, 11
Il retourne au temple le lendemain, en chasse les usurpateurs de toutes sortes : « ma maison sera appelée maison de prière » (Mc 11, 17).
Son royaume est de nature spirituelle : « Ce qui est à César, rendez-le à César. Et ce qui est à Dieu, à Dieu » (Mc 12, 17). S’ensuivent plusieurs controverses avec les scribes les pharisiens, dont celle qui nous préoccupe à l’initiative de Jésus.
Fils de Dieu
Il temps maintenant de revenir à notre péricope de Marc. En fait, ici, Jésus se moque des scribes qui attendent un messie fils de David ; il ridiculise leur exégèse du psaume 110 en leur disant que le messie annoncé par David, son seigneur, de rang plus élevé que lui, car siégeant à la droite de Yhwh, ne peut être en même temps son fils qui devrait le respect à son ancêtre. Ainsi Jésus coupait court à cette appellation de « Fils de David » qui venait parfois dans la bouche de miraculés ou dans celle de la foule qui l’acclamait à son entrée dans Jérusalem. Plusieurs fois Jésus a rabroué des miraculés qui s’empressaient de lui attribuer un titre ou même ses disciples à qui il demandait comment eux-mêmes ou les gens autour d’eux le considéraient. :
Et lui les interrogeait :
« Et vous ? Qui dites-vous que je suis ? »
Pierre répond et lui dit :
« Tu es le messie ! »
Il les rabroue :
Qu’à personne ils ne parlent de lui !
Marc 8, 29-30, (Trad. Sœur Jeanne d’Arc)
Il est certain que Jésus prit conscience peu à peu de la pertinence des idées et de l’action qu’il développait pour renouveler le cœur des croyants et les arracher aux mains castratrices du pouvoir religieux de son temps.. En ce sens il pouvait se voir correspondre à l’image d’un messie proclamant des temps nouveaux. Mais toute appellation qu’il aurait acceptée l’enfermait tout de suite dans un corset de définitions dogmatiques auquel il ne pouvait adhérer.
Alors, messie, peut-être, mais pas messie roi fils de David.
Alors, pourquoi cette insistance de Matthieu et Luc à en faire un fils de David dès le début de leurs évangiles ? Fait-elle partie des premières versions de ces évangiles ?
La réponse est sans doute dans les Actes (2 29-38). Pierre s’adresse à des juifs et leur fait une exégèse du psaume 110 tout à fait en concordance avec celle des scribes (et pourtant l’auteur des Actes, Luc, a relaté la critique de Jésus par rapport à cette exégèse !). Il termine ainsi :
Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité ; nous tous, nous en sommes témoins. Élevé par la droite de Dieu, il a reçu du Père l’Esprit Saint qui était promis, et il l’a répandu sur nous, ainsi que vous le voyez et l’entendez.
(suit le verset 34 qui reprend Ps 110, 1)
Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié. »
Les auditeurs furent touchés au cœur ; ils dirent à Pierre et aux autres Apôtres : « Frères, que devons-nous faire ? » Pierre leur répondit : « Convertissez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés ; vous recevrez alors le don du Saint-Esprit.
Actes 2, 32-33 et 36-38 (Trad. liturgique de la Bible)
Après sa résurrection, Jésus annonce à Marie de Magdala qu’il va monter vers son Père (Jn 20, 17). Pierre fait donc le rapprochement avec Ps 110, 1 et de là Jésus envoie l’Esprit Saint (cf. Lc 24, 49) que tout nouveau baptisé recevra.
Le mot grec « Christos » signifiant « l’oint » est utilisé dans les évangiles pour traduire le mot hébreu qui signifie Messie ; après la résurrection, Jésus étant exalté à la droite du Père selon la promesse, on le traduit par Christ. L’argumentation de Pierre est que les Juifs ont crucifié Jésus qui est maintenant assis à la droite du père selon la prophétie de David dans Ps 110,1. Pris de remords, ils doivent donc recevoir le baptême de Jésus Christ dans l’Esprit Saint. Le recentrage se fait sur Jésus à la droite de Dieu qui envoie l’Esprit Saint plutôt que sur un roi issu de David. Alors pourquoi maintenir cette filiation avec David ? Certainement sous la pression des milieux juifs très attachés à la personne de David et à cette conception du messie. Mais il fallait faire accepter aux juifs que le messie est ce Jésus crucifié comme un bandit ; alors les apôtres insisteront beaucoup sur son exaltation à la droite du père qui fait partie aussi du message de David.
Christus vincit, Christus regnat, Christus imperat ..
Cependant le concept de royauté séculière du messie n’était pas définitivement abandonné . La collusion des prêtres (évêques, papes …) avec les pouvoirs royaux, leurs visées conquérantes et absolutistes, commença au 4ème siècle avec l’empereur romain Constantin : définition de dogmes intangibles et exclusion des hérétiques contre la protection de Constantin qui consolidait ainsi par le réseau chrétien sa domination sur l’Orient où il crée Constantinople qui devait devenir la future capitale de l’empire romain …
Comment, en se référant toujours à Jésus Christ, l’Eglise des pauvres, persécutée, devint elle-même persécutrice ?
Cette collusion avec les pouvoirs royaux, universelle, se poursuivit jusqu’à l'époque de la Révolution française et même encore après avec d’autres formes de pouvoirs. L’alliance du sabre et du goupillon comme l’on disait !
Devant la remise en question aux 19ème et 20éme siècles du pouvoir séculier de l’Eglise (c’est en 1900, que les états pontificaux étaient abolis), le Pape Pie XI, par l’encyclique « Quas primas », en 1925 instituait la fête du Christ-Roi pour « restaurer la souveraineté de Notre Seigneur » (n° 5) face « à la peste de notre époque, le laïcisme » (n° 18). Cette encyclique s’appuie évidemment sur l’Ecriture au moyen d’interprétations fondamentalistes qui font maintenant sourire ou … pleurer.
L’hymne « Christus vincit » instituée par les rois carolingiens pour accompagner en particulier leur sacre fut alors enrichie de variantes pour accompagner d’autres formes de pouvoir mais l’idée est toujours la même :
Le Christ vainc, le Christ règne, le Christ commande !
Elle sert maintenant de chant de ralliement pour les tendances les plus traditionnalistes du catholicisme, celles qui condamnent ouvertement le Concile Vatican II, comme celles qui le condamnent de fait en l’ignorant dans leur pratique chrétienne.
C’est ainsi qu’en « ce beau royaume de France », un petit village du sud ouest, à l’initiative d’un curé traditionnaliste a pu entendre carillonner les heures au clocher sur l’air du « Christus vincit » ; le même curé plantant une croix, comme un étendard, sur un buffet d’orgue flambant neuf financé à 80% par de l’argent public !
Nostalgie quand tu nous tiens !
Jésus disait à ceux des Juifs qui croyaient en lui : « Si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; alors vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. » Evangile de Jean 8, 31-32
Compléments :
- Texte de l’encyclique « Quas primas » ... A lire !
http://w2.vatican.va/content/pius-xi/fr/encyclicals/documents/hf_p-xi_enc_11121925_quas-primas.html
- Texte avec ses variantes du « Christus vincit »
http://saintsepulcre-france.org/index.php/spiritualite/lectures/2-non-categorise/341-christus-vincit
- Chant du « Christus vincit » dans sa version carolingienne
https://www.youtube.com/watch?v=wCq8zMd69us
- Version 20° s. (ou 19° ?) du chant « Christus vincit » sur fond d’images de messe tridentine https://www.youtube.com/watch?v=ymGYJws9zB4