Malheur à vous scribes et pharisiens hypocrites !
Prenez garde, comédiens ! Scribes et séparés ! Vous êtes des tombeaux de craie. L’extérieur a belle apparence. Mais l’intérieur n’est qu’un tas d’ossements et de détritus. Oui, voilà ce que vous êtes : justes aux yeux de chacun, mais faux à l’intérieur, et dépravés.
Prenez garde, comédiens ! Scribes et séparés ! Vous élevez des monuments aux prophètes, vous ornez les caveaux des justes et vous allez, répétant : « Si nous avions été là, au temps des anciens, le sang des prophètes n’aurait pas coulé. »
Mais votre témoignage se retourne contre vous. Vous êtes bien les fils de ceux qui ont tué les prophètes. La mesure de vos pères, vous l’avez remplie à ras bord. Serpents ! Race de vipères ! Le feu du Dépotoir : voilà le verdict ! Comment pourriez-vous y échapper ?
Evangile de Matthieu 23, 27-33
En vignette : Tombeaux dans la vallée de l’Hinnom
Voilà le texte d’évangile proposé à notre méditation ce mercredi 26 août 2015.
De quoi nous faire sortir de la torpeur caniculaire de ces dernières semaines !
Jésus sent la tension qui monte autour de lui et qui annonce des jours très difficiles.
Son langage prend la violence imprécatoire (« serpents, races de vipères ») caractéristique des grands prophètes. Il s’inscrit dans leur lignée pour dénoncer les cœurs perfides des scribes et des pharisiens, sachant ce qu’il risque : ses interlocuteurs scribes et pharisiens, se révèleront bien, le moment venu, « les fils de ceux qui ont tué les prophètes ».
Le prophète Jérémie se lamentant sur les ruines de Jérusalem, fresque de Michel-Ange (1510) pour la chapelle Sixtine au Vatican
Le texte
J’ai choisi comme habituellement la traduction des éditions Bayard réalisée par des exégètes et des écrivains. Elle essaie de transmettre toute la saveur et la force des textes dans le contexte poétique original mais aussi avec le souci d’être compréhensible pour nos contemporains. Elle s’attache à reprendre les termes dans les acceptions d’origine contemporaines de leur rédaction en évitant les évolutions sémantiques qui ont marqué l’évolution exégétique et théologique du christianisme Cette traduction s’impose particulièrement dans ce passage tant les mots et les images sont fortes.
- Le mot grec « pharisaioi » est une transcription d’un verbe hébreu qui signifie « séparer ». Le terme « Séparés « montre bien que ceux qu’on appelle les pharisiens, un mouvement juif assez ancien, revendiquaient d’avoir une interprétation et une mise en pratique de la Loi très rigoristes qui les mettaient à part des autres. Les pharisiens n’étaient sans doute pas tous condamnables : Jésus sera protégé par quelques uns d’entre eux contre Hérode (Luc 13, 31), certains l’invitent à leur table (Luc 7, 36 et 14, 1) ; Paul, traduit devant le sanhédrin, se revendique « pharisien, fils de pharisiens » (Ac 23, 6).
- Ceux-ci font bon ménage avec les scribes spécialistes de l’interprétation des textes – on pourrait dire les mandarins – héritiers d’une longue tradition s’imposant d’autorité.
- Le mot grec hypocrithès désigne à l’origine le comédien : toutes les pratiques pointilleuses, en particulier rituelles, des « Séparés » tournaient à la comédie ; pour Jésus, derrière le comédien, se cache le vrai personnage pas toujours reluisant, d’où le terme « hypocrite » habituellement utilisé mais qui n’a pas toute la saveur d’origine.
- Tombeaux de craie : je préfère ici la traduction habituelle « blanchis » et je dirais plutôt « crépis à la chaux », peut-être encore plus parlant (on sait ce qu’il en est des crépis destinés à cacher des malfaçons) et en rapport avec deux autres textes :
* Toujours dans le même passage des actes cité ci-dessus (Ac 23, 3) Paul déclare au Grand Prêtre qui a ordonné de le frapper sur la bouche : « C’est toi que Dieu va frapper, muraille blanchie ».
* Le prophète Ezéchiel (Ez 13, 8-16) s’en prend aux faux prophètes qui se contentent de « crépir le mur » au lieu de le refaire, sur le plan moral bien sûr : « J’abattrai le mur que vous aurez couvert de crépi et je le jetterai à terre, et ses fondations seront mises à nu. Il tombera et vous périrez sous lui, et vous saurez que je suis Yhwh » (Ez 13, 14).
Ces deux extraits me semblent bien mettre en perspective les paroles de Jésus.
- Le feu du dépotoir : traduit habituellement par feu ou châtiment de la géhenne. Ce mot vient du grec gueennès transcription d’un mot hébreu qui signifie vallée de l’Hinnom, ravin situé au sud-ouest de Jérusalem, lieu malfamé converti en décharge pestilentielle plus ou moins en feu, «dépotoir » servant métaphoriquement de lieu de relégation et de purification par le feu. Voilà qui devait parler aux interlocuteurs de Jésus ! Cela rejoint aussi ses propos initiaux :
Mais l’intérieur n’est qu’un tas d’ossements et de détritus (Mt 23, 27)
Le prophète Ezéchiel, peint par Michel-Ange (1510) pour le plafond de la chapelle Sixtine au Vatican
Jésus prophète
Durant tout ce chapitre 23 de Matthieu, Jésus lance des imprécations à la manière des prophètes à l’encontre du comportement hypocrite des scribes et des pharisiens. Jésus ne se désigne pas lui-même comme un prophète mais les gens se demandent s’il en est un ou une réincarnation de l’un d’entre eux et ils en seront même convaincus quand tout y ira au plus mal pour Jésus (c’est le propre des prophètes d’être persécutés comme il le dit) :
Comme Jésus entrait à Jérusalem, toute la ville fut en proie à l’agitation, et disait : « Qui est cet homme ? » Et les foules répondaient : « C’est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée.»
(Matthieu 21, 10-11, TLB)
Alors ils lui crachèrent au visage et le giflèrent ; d’autres le rouèrent de coups en disant : « Fais-nous le prophète, ô Christ ! Qui t’a frappé ? »
(Matthieu 26, 67-68, TLB)
Jésus n’a cessé de mettre en garde contre les faux prophètes qui, comme les pharisiens jouent la comédie :
Méfiez-vous des faux prophètes qui viennent à vous déguisés en brebis, alors qu’au-dedans ce sont des loups voraces. C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. Va-t-on cueillir du raisin sur des épines, ou des figues sur des chardons ?
(Matthieu 7, 15-16, TLB)
Dans les versets suivants Jésus déclare qu’une maison, pour résister aux intempéries, doit être fondée sur le roc et non sur du sable (Mt 7, 24-27). On reste sur la même idée : ce qui est important c’est le fondement, les dispositions intérieures du cœur, et non l’apparence d’être juste comme donne l’illusion de solidité le crépi sur un mur ou un tombeau.
Jésus en colère
Il est regrettable que sous prétexte de diviniser Jésus on l’en fasse un peu moins homme. Il est trouvé choquant dans les milieux « religieusement corrects » de dire que Jésus se mettait en colère qui est considérée comme un péché capital. Pourtant le Dieu de l’Ancien Testament apparaît souvent en colère même s’il est réputé « lent à la colère » (Ex 34, 6) et Jésus lui-même semble condamner la colère :
Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère devra passer en jugement. Si quelqu’un insulte son frère, il devra passer devant le tribunal.
(Matthieu 5, 22, TLB)
La colère de Jésus est poussée au paroxysme lorsqu’il chasse les vendeurs du temple lors d’une scène très violente en particulier dans l’évangile de Jean (2, 13-25).
Lytta Basset, pasteure et professeur de théologie en suisse, a écrit un très beau livre « Sainte colère » (Cf. bibliographie) pour analyser en profondeur ce que peut être une sainte colère à travers Jacob, Job et Jésus. Elle invite à « considérer la colère comme un moteur capable de transformer une énergie potentiellement dévastatrice en cette violence de vie qui accompagne le processus de toute naissance » (p. 15).
Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre : je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive.
(Matthieu 10, 34, TLB)
Présenter Jésus en colère c’est évidemment aller à contre courant de la présentation du « Jésus doux et humble de cœur » ou de l’ « Agneau si doux » de certains cantiques des deux précédents siècles, fruits du langage doucereux d’une religion liée aux convenances bourgeoises de retenue. Une certaine violence psychologique à l’égard du bon peuple qui pouvait se révolter contre sa condition se cachait derrière de pieuses images lénifiantes qui font penser aux comédies des pharisiens.
Et maintenant encore, pourquoi donc, en plus d’être une traduction assez « atone », le passage de cet évangile proposé pour ce mercredi de la 21ème semaine du temps ordinaire, s’arrête-t-il juste avant le verset 23 : Serpents ! Race de vipères ! Le feu du Dépotoir : voilà le verdict ! Comment pourriez-vous y échapper ?
Ou, dans la Traduction liturgique de la Bible (TLB) : Serpents, engeance de vipères, comment éviteriez-vous d’être condamnés à la géhenne ?
Le langage prophétique de Jésus, par sa violence, s’apparente à la colère. Il est véritablement en colère dans la forme de ses propos mais aussi sur le fond : une communication sereine et construite l’aurait empêché d’employer encore cette image de tombeau pour évoquer les prophètes honorés de façon posthume par ceux mêmes qui les ont mis à mort et qui sont semblables à des tombeaux. Au-delà de la survenue possible d’une certaine confusion dans l’esprit de ses auditeurs, nous voyons bien que c’est le mot tombeau qui marque l’ensemble du passage.
Un autre de ses disciples lui dit : « Seigneur, permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père. » Jésus lui dit : « Suis-moi, et laisse les morts enterrer leurs morts. »
(Matthieu 8, 21-22, TLB)
De la mort à la vie
Toute sa vie Jésus a lutté pour la vie, par ses miracles, par sa parole, et sa résurrection montre sa victoire définitive sur la mort.
L’attitude des pharisiens qui prétendent par leur rigueur religieuse mener une vie différente de celle des autres mène à la pourriture du tombeau et à la puanteur enfumée du Dépotoir. Ils s’érigent en guides et en juges, croient fermement à leur salut car ils respectent les plus petits détails de la Loi. Plus qu’à une seule faute morale d’hypocrisie, ce comportement mène à la mort parce que c’est un monde fermé sur lui-même comme un tombeau, fermé à une vie humble de miséricorde et de générosité envers les plus petits, fermé au souffle prophétique de l’Esprit passant par les prophètes.
Comme des chacals, ils rôdent autour des tombeaux des prophètes qu’ils ont contribué à mettre à mort pour récupérer à leur profit un peu de leur notoriété posthume.
Ils dégagent un parfum de mort …
Comme ceux qui enferment l’Ecriture dans une tradition d’interprétation fermée à toute évolution
Comme certaines de nos assemblées dominicales de gens sûrs de leur qualités et jugeant indignes de la communion au Christ certains de leurs frères
Comme des institutions vaticanes qui après avoir mis à l’index des théologiens jugés progressistes les réhabilitent à l’occasion d’un concile ou de l’évolution de « l’air du temps »
Comme ces cardinaux qui s’offrent de luxueux appartements ou voitures, ou comme l’un d’eux, ancien préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de 2005 à 2012, arrêté pour conduite en état d’ivresse (Journal La Croix du 26/08/15 p. 14)
Comme ceux qui, écrasés par un surmoi rigide, n’avouent ni à eux-mêmes ni aux autres ce que serait pour eux la honte d’une quelconque faiblesse
Comme vous, comme moi, chaque fois que nous restons à « enterrer nos morts » au lieu de suivre Jésus sur son chemin de vie.
Merci à Dieu
il nous emporte
dans le Christ
dans son cortège
de triomphe toujours
il révèle partout
le parfum de sa connaissance
par notre intermédiaire
pour Dieu
nous sommes l’arôme du Christ
parmi ceux qui vont à la délivrance
parmi ceux qui courent à la perte
pour les uns
parfum de mort pour la mort
pour les autres
parfum de vie pour la vie
Mais qui en a les capacités ?
Non, nous ne sommes pas comme tous ceux qui font du langage de Dieu leur petit commerce, mais en toute sincérité, de la part de Dieu, et face à Dieu, nous parlons dans la force du Christ. (2ème épitre de Paul aux Corinthiens 2, 15-17, Trad. Bible Bayard)
Les minuscules fleurs du catalpa disposées en grosses grappes ont un parfum puissant qui envahit toute la cour
Compléments
Vous retrouvez ci-dessous des liens vers ces chants que j’ai évoqués plus haut et qui, il y a un peu moins de soixante ans, ont marqué mes années de catéchisme. Il est triste de constater que des groupes traditionnalistes s’arque boutent à un passé dévotionnel, qui certes mérite le respect, sans percevoir la nécessité d’une évolution dans la manière de penser et exprimer la foi chrétienne.
« Le voici l’Agneau si doux »
Paroles et enregistrement :
http://gauterdo.com/ref/ll/le.voici.l.agneau.html Enregistrement tp://
Enregistrement
« Jésus doux et humble de cœur »
Enregistrement : https://www.youtube.com/watch?v=Tzi8Q9h61hY
Paroles : http://notredamedesneiges.over-blog.com/article-24274742.html