Saine et sainte famille
Sa mère et ses frères arrivèrent et, restant debout dehors, l’envoyèrent appeler. La foule l’entourait. On lui dit :
- Ta mère et tes frères sont dehors. Ils te cherchent.
- Ma mère ? répondit-il. Qui est-ce ? Et qui sont mes frères ?
Et, embrassant du regard ceux qui faisaient cercle autour de lui :
- Les voici, ma mère et mes frères ! Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, et ma sœur, et ma mère.
Marc 3, 31-35 (Trad. Bible Bayard)
En vignette : roses symboles du don de l’amour pur
Passage très troublant où Jésus semble rejeter sa famille naturelle pour lui préférer celle, élargie, de ses disciples et de ceux de « bonne volonté » qui se pressent autour de lui. Jésus vient de choisir ses douze apôtres parmi les disciples (3, 13-19) et rentrant à la maison, il est à nouveau happé par une foule si dense « qu’on ne pouvait même plus avaler une bouchée » (3, 20).
Ayant appris tout cela, les siens quittèrent leur village pour se saisir de lui. Ils disaient : « il a perdu la tête. » Quant aux scribes, descendus de Jérusalem, ils disaient : « il est la proie du Prince des mouches », ou encore : « C’est par le chef des démons qu’il chasse les démons. » (3, 21-22)
Visiblement l’entourage familial de Jésus (littéralement en grec « ceux d’auprès de lui ») est très ému de toutes ces foules qui se pressent autour de lui et des accusations qui sont portées contre lui. Ils viennent là pour l’arracher à cette agitation et le ramener à la raison !
Saine famille
Cette velléité d’indépendance de Jésus avait commencé très tôt : Jésus, âgé de douze ans, et ses parents se trouvaient à Jérusalem pour la Pâque. Au retour, au bout d’une journée, ils s’aperçurent que Jésus n’est pas avec eux ; ils l’avaient cru présent dans la caravane. Ils le retrouvèrent au bout de trois jours dans le temple de Jérusalem discutant avec les docteurs de la Loi.
« Enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Voici que ton père et moi, torturés, nous te cherchons.» Et il leur dit « Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? »
(Luc 2, 48-49)
Luc est le seul à rédiger cet épisode ; son évangile est destiné à démontrer très tôt que le père et le destin de Jésus sont d’ordre divin.
Mais enfin quelle est cette famille ? On ne s’inquiète de la présence d’un enfant de douze ans qu’au bout d’une journée, et, lorsqu’il a trente ans et une forte personnalité, on veut l’arracher à son destin d’homme … et de Fils de Dieu. D’après les (seuls) Luc et Matthieu, son père et sa mère sont pourtant censés être bien au courant de son destin divin !
Et eux ne comprirent pas la parole qu’il leur dit (Luc 2, 50)
Les évangiles ne sont visiblement pas écrits pour faire l’apologie d’une sainte famille. La famille, d’ailleurs très peu présente dans les textes, n’est là que pour servir le propos des évangélistes, l’annonce de la Bonne Nouvelle du Royaume par Jésus dans lequel des chrétiens s’attacheront ensuite à reconnaître le Fils unique du père.
Saine famille
Celle où on laisse une certaine indépendance à l’enfant quand il aborde l’adolescence Celle qui montre encore sa solidarité à l’époque de la maturité lorsqu’il paraît « aller dans le mur »
Famille très unie sans doute, légèrement possessive … une famille saine, sans histoires, laborieuse …
Enfin, il faut signaler que la notion de famille telle que nous l’envisageons (le couple parental et les enfants) n’existait pas à l’époque de Jésus. On utilisait une périphrase (voir ci-desssus) ou des mots issus de la racine oikia (maison) car c’est la maison où elle habite qui définit la famille, comprise parfois dans un sens large : oikiakoi = personnes appartenant à la maison (Mt 10, 36, seule occurrence dans le NT), oikos = maison ou maisonnée (Ac 11, 14 ; 1 Cor 1, 16 ; 1 Tm 5, 4 ; 2 Tm 1, 16 ; 2 Tm 4, 19, He 11, 7)
Un père charpentier
… Joseph, dont l’évangile de Marc ne cite même pas le nom. Jean cite deux fois Jésus comme fils de Joseph (1, 44 et 6, 42). Seuls Luc et Matthieu en parlent dans les évangiles de l’enfance, si caractéristiques de la littérature merveilleuse qui entoure dans la tradition antique la naissance d’un Dieu. La généalogie de Joseph développée chez l’un et l’autre vise à en montrer la filiation davidique utile pour appuyer le destin royal et messianique de Jésus. Filiation, indirecte donc, par alliance de Marie avec Joseph, son père adoptif ou nourricier. Quant au père biologique de Joseph, il est différent selon les évangélistes : fils de Jacob chez Matthieu (1, 16), d’Héli chez Luc (3, 23). Notons tout de même que ces deux généalogies, d’ailleurs inversées, font remonter Jésus à Dieu (Lc 3, 38) ou à Isaac (Mt 1,2), conçu par la grâce de Yhwh alors que Sara et Abraham étaient dans l’extrême vieillesse (Gn 18, 9-15 et 21, 1-7), seul héritier de la Promesse par rapport à Ismaël, conçu par Abraham avec la servante Agar et renvoyé par la suite avec sa mère.
Chez Luc et Matthieu nous ne trouvons ensuite mention de Joseph qu’au moment où les juifs se posent la question de savoir d’où vient Jésus en remarquant sa sagesse et ses miracles (Mt 13, 55 et Luc4, 22) : « Celui-là n’est-il pas le fils du charpentier (Mt), de Joseph (Luc) ? » Tout cela est très peu, assez cependant pour nourrir les imaginations et laisser s’épanouir une littérature et une dévotion à propos de St Joseph qui, après un certain déclin, retrouvent une certaine vigueur : en juin 2013, un décret de la Congrégation pour le culte divin ajoute la mention de Joseph dans les nouvelles prières eucharistiques. Joseph était ainsi rétabli dans son modèle de père de famille éducateur et de patron des travailleurs.
Plus encore, il est souvent montré comme exemple de paternité spirituelle pour les prêtres et les religieux. Dans un remarquable chassé-croisé, Joseph, dépouillé de sa paternité au profit de l’Esprit qui intervient biologiquement dans la fécondation de Marie, devient l’être spirituellement inspiré.
Sans doute la foi chrétienne devait-elle faire ce détour dans son explicitation du mystère divin incarné, dans les évangiles de Matthieu et Luc, pour montrer que toute véritable paternité vient du Dieu Créateur. Il fallait bien cela pour faire bouger un système patriarcal (cf. par exemple Exode 20, 17) érigé en système socio-politique :
Je fléchis mes genoux devant le Père, qui donne son nom à toute forme de paternité terrestre ou céleste
Et Paul (Epitre aux Ephésiens 3, 14 et 20) conclut par un hommage à celui qui peut vaincre toutes nos stérilités paternelles ou maternelles :
A celui qui peut tout faire à l’infini Au-delà de nos souhaits et de nos pensées limités à notre capacité d’agir, à lui la gloire …
Qui rejoint bien sûr la parole de Jésus :
N’appelez aucun de vous père sur la terre, vous n’avez qu’un seul père, dans les cieux
(Matthieu 23, 9)
Ce père des cieux, Jésus l’appelle « Abba », papa, quand il s’adresse à lui sur la croix (Marc 14, 36) ; c’est dire toute la tendresse qu’évoquait pour lui la vraie paternité : celle qui transparait dans la figure du père de l’enfant prodigue (Luc 15, 11-32), celle du confident que l’on prie dans le secret (Mt 6, 6) et à qui Jésus nous a appris à nous adresser (Mt 6, 7-13). Tous nos raisonnements, théologiques ou autres, doivent être transcendés par ce cri de tendre affection que l’Esprit nous souffle d’adresser au Père des cieux comme l’exprime si bien notre Pape François avec aussi sa fibre de tendresse paternelle si touchante :
« Saint Joseph est le modèle de l’éducateur et du papa, du père …Nous pouvons prier pour tous les papas du monde, pour les papas vivants et aussi pour ceux qui sont morts et pour les nôtres, et nous pouvons le faire ensemble, chacun de nous se souvient de son papa, qu’il soit vivant ou mort. Et prions le Père, notre grand papa à tous : un « Notre Père », pour nos papas. Notre Père … » (Catéchèse du pape François le 19 mars 2014 à l’audience générale)
Les Noces de Cana, huile sur bois, Frans Francken II, dit Francken le jeune, Anvers 1581-1642. Musée des Augustins, Toulouse.
Né d’une femme … (Ga 4, 4)
Le troisième jour, une noce avait lieu à Cana de Galilée, la mère de Jésus y était. Jésus aussi était invité à la noce avec ses disciples. Le vin a manqué, la mère de Jésus lui a dit : Ils n’ont plus de vin.
Femme, ne te mêle pas, dit Jésus. Mon heure n’est pas encore venue.
Et sa mère dit aux serveurs : Quoi qu’il vous dise, faites-le.
Evangile de Jean 2, 1-5
La richesse en symboles possibles de cet épisode surprend face au peu de détails donnés : rien sur les circonstances, sur le lien entre Jésus et les mariés qui ne nous sont pas présentés ; la mariée n’apparaît même pas, Quelle est l’attitude des disciples ? … Il semble que la base historique de cet épisode seulement rapporté par Jean soit devenue un peu floue au moment de la rédaction.
Matthieu et Luc ajoutent parfois au titre de « mère de Jésus », son nom, Marie ; dans Jean elle n’est désignée que par « la mère de Jésus » dans l’épisode de Cana et lorsque Jésus, sur la croix, la confie à Jean. Dans ces deux circonstances nous entendons le mot « femme » (gunaï) dans la bouche de Jésus - ce n’est guère tendre et même familier - alors que justement il savait, à l’opposé des coutumes de son époque, être si proche de la sensibilité féminine. De plus, il la rabroue assez méchamment : le texte grec signifie mot à mot « quoi à moi et à toi », transcription d’une formule sémitique du genre « chacun ses affaires ».
L’évangéliste semblerait suggérer une parole d’agacement par rapport à Marie qui pourrait se montrer d’un caractère un peu envahissant comme sans doute toutes les mères (ce que semble aussi indiquer le fait qu’elle passe outre et recommande aux serviteurs de faire ce qu’ « il » dira).
L’emploi du mot femme et cette attitude marqueraient plutôt chez l’évangéliste la volonté de marquer la rupture de Jésus avec sa famille temporelle, ici sa mère, pour aborder les affaires de son Père des cieux.
Plus curieuse est encore la réponse de Jésus : « mon heure n’est pas encore venue » (2, 4) surtout si l’on rapproche cette expression de « il manifesta ainsi sa gloire et ses disciples crurent en lui » à la fin de l’épisode (2, 11). Oui, l’heure de Jésus n’est pas, par un miracle, de sauver l’honneur d’une famille qui n’avait pas prévu assez de vin !
A deux autres reprises, Jean sera d’ailleurs le seul évangéliste à parler de l’heure de la glorification qui est maintenant arrivée :
- A l’annonce de sa propre mort :
Elle est venue l’heure où le Fils de l’homme doit être glorifié (Jean 12, 23)
- A l’heure imminente de sa passion dans ce qu’on appelle la « Prière sacerdotale » :
« Père, l’heure est venue. Manifeste la gloire de ton Fils, afin que le Fils manifeste aussi ta gloire » (Jean 17, 1)
A Cana, Jésus n’intervient pas ouvertement au moment du miracle ; il se contente de dire : « Remplissez d’eau ces jarres » (2, 7) et « Maintenant puisez et portez-en au maître du repas » (2, 8). Tout se passe dans la plus grande discrétion et la conclusion « Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui » est une lecture chrétienne post-pascale de cet événement qui renvoie aux passages ci-dessus (Jn 12, 23 et 17, 7)
Il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix. C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom
Epitre de Paul aux Philippiens 2, 8-9
Comme nous l’avons déjà dit, nous avons peu détails sur les circonstances historiques de cet épisode de Cana. Toutefois, il est mentionné tout à fait au début qu’il se passe le troisième jour. Ce détail rappelle évidemment la résurrection de Jésus, sa pâque, coïncidant elle-même avec la pâque juive. Comme le sang répandu sur les linteaux de portes avait sauvé les hébreux lors du passage de l’ange exterminateur et protégé leur fuite d’Egypte (Exode 12, 21-28), le sang versé par Jésus sur la croix sauverait l’humanité de la mort et du péché et l’élèverait à « la droite du Père ».
Rappelons aussi que, pour la première plaie envoyée par Yhwh aux égyptiens, Moïse avait frappé l’eau du fleuve et elle s’était changée en sang (Exode 7, 14-25).
Certes, à Cana, l’Heure n’était pas encore venue mais clairement annoncée. Le langage très symbolique de Jean établit comme les deux colonnes d’un gigantesque portique littéraire et théologique : l’épisode de Cana situé au début de son évangile où l’eau transformée en vin rappelle ce vin de la cène, sang de l’Alliance nouvelle qui va être répandu pour une multitude (Lc 22, 20 ; Mc 14, 22 ; Mt 26, 28). A Cana, au signe du vin qui annonce son sang est joint celui de la noce qui annonce l’Alliance nouvelle.
Jean, qui n’a pas relaté pas l’institution eucharistique, a cependant relaté la méditation de Jésus sur le pain qu’il donnerait « Chair pour la vie du monde » (6, 51) :
Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui
Jean 6, 56
L’un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et aussitôt il sortit du sang et de l’eau
Jean 19, 34
Qu’il boive celui qui croit en moi ! Selon le mot de l’Ecriture :
De son sein couleront des fleuves d’eau vive.
Il parlait de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croient en lui ; car il n’y avait pas encore d’Esprit, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié.
Jean 7, 37-39 (trad. Bible Jérusalem)
Cette eau est l’eau du baptême dans l’Esprit née du baptême dans son sang qu’il annonce aux disciples et en particulier aux fils de Zébédée. Ils avaient aussitôt quitté leur barque et leur père pour suivre Jésus (Mt 4, 22). Cependant leur mère s’était tout de même cramponné à eux et un jour demanda à Jésus avec beaucoup de révérence de faire siéger ses deux fils à sa droite et à sa gauche.
La coupe que je vais boire, vous la boirez, et du baptême dont je vais être baptisé, vous serez baptisés (Marc 10, 39)
Quant à siéger à ma droite et à ma gauche, il ne m’appartient pas de l’accorder : ce sera donné à ceux pour qui mon Père l’a préparé (Matthieu 20, 23)
Encore une intervention maternelle vertement contrée !
Au terme de l’évocation de ces deux colonnes du gigantesque portique littéraire et théologique de Jean, il nous faut revenir sur le dialogue avec sa mère et Jean lui-même au pied de la croix :
Voyant ainsi sa mère et près d’elle le disciple qu’il aimait, jésus dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Il dit ensuite au disciple : « Voici ta mère. » Et depuis cette heure-là, le disciple la prit à ses côtés.
Jean 19, 26-27
Oui, c’est maintenant l’heure préfigurée à Cana (2, 4). Le mot femme prend tout son relief, le lien charnel avec son fils va être définitivement rompu. C’est un lien mère-fils d’une autre nature, non charnel, qui va la lier au disciple. Elle vivra cette grande fraternité instaurée par son fils sur la croix, lui le fils premier-né d’une multitude de frères :
Ceux que d’avance il a connus, ils les a aussi prédestinés à être conformes à l’image de son Fils, afin que celui-ci soit le premier-né d’une multitude de frères ; ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés; ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés. Epitre de Paul aux Romains 8, 29-30
Du personnage de Marie, mère de Jésus, nous aurons peu parlé. En fait, nous trouvons très peu d’éléments sur elle en dehors des évangiles de l’enfance (Matthieu et Luc) dont pratiquement tous les exégètes s’accordent maintenant pour souligner leur ajout tardif aux textes primitifs, leur contenu et langage proche des récits mythologiques et un caractère symbolique qui découle des préoccupations des communautés chrétiennes de la fin du premier siècle (définition de Jésus comme fils unique du Père et de même nature que lui).
Les évangiles de l’enfance racontent la conception virginale de Jésus par Marie. Sa virginité perpétuelle relève de la Tradition et du dogme (2ème concile de Constantinople en 553) tout comme son Immaculée conception (dogme proclamé en 1854) qui définit sa naissance sans le péché originel et son Assomption qui signifie qu’à sa mort Marie est monté au ciel corps et âme (dogme proclamé en 1950).
Comme à la fin du précédent chapitre (Joseph), je me garderai bien de jouer l’iconoclaste ; le langage imagé des évangiles et des développements théologiques ultérieurs ménage des latitudes à notre sensibilité pour tenter d’approcher l’Ineffable.
Il fallait bien, et il faut toujours Marie, mère, pour apporter une tendresse maternelle dans un monde marqué, encore maintenant, par le patriarcat culturel d’un dieu a priori masculin dans les imaginaires et d’une société – et d’une Eglise ! – aux mâles exigences.
Tous les développements menés dans ce chapitre, le précédent et le suivant prendront leur sens dans la fin de cet exposé.
Les frères et sœurs de Jésus
Le jour où elle devait enfanter arriva ; elle accoucha de son fils premier-né, l’emmaillota et le déposa dans une mangeoire
Luc 2, 6-7
Une note de la Bible de Jérusalem (éd. 1955, note L p. 1354) stipule « En grec biblique, le terme « premier-né » n’implique pas nécessairement des frères puinés, mais souligne la dignité et les droits de l’enfant ». Certes, mais ne l’écarte pas non plus !
Dans la Loi, le premier-né de la femme, ou des troupeaux, était destiné à être consacré à Yhwh (Ex 13, 2.12.15), ce qui conduit d’ailleurs Joseph et Marie à présenter Jésus au temple pour cela (Luc 2, 23). Le même terme grec « prôtotokos » (premier-né) est utilisé de très nombreuses fois dans la bible des Septantes pour désigner le premier-né de lignées parfois importantes. Par exemple, parmi les douze fils de Jacob :
Les fils de Léa : le premier-né de Jacob, Ruben, puis Siméon, Lévi, Juda, Issachar et Zabulon (Genèse 35, 23)
« N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie et le frère de Jacques, de Josès, de Jude et de Simon ? Et ses sœurs ne sont-elles pas ici, chez nous ? »
Marc 6, 3
Je n’ai vu aucun autre apôtre, mais seulement Jacques, le frère du Seigneur.
Epitre de Paul aux Galates 1, 19
Comme dans le passage que nous citerons plus loin (Marc 3, 31-36), Marc parle clairement des frères et sœurs de Jésus. Pour Camille Focant, professeur à l’université catholique de Louvain (« L’évangile selon Marc », p. 155 , cf. bibliographie),
« Il ne fait guère de doute que Marc entendait le mot « frères » au sens courant du terme et qu’il ne considérait donc pas Jésus comme un fils unique. Les partisans de cette dernière thèse ont, depuis St Jérôme tenté de contourner la difficulté en évoquant le sens parfois peu précis du terme hébreu « ’ah » rendu par le grec « adelphos » dans la LXX, alors qu’il a un sens large et peut désigner non seulement le frère, mais aussi le cousin, le neveu, voire l’allié (Gn 13, 8 ; 29, 15 ; 42, 15 ; 43, 5 ; 1 Ch 23, 21-22). Toutefois le NT connaît bien le mot « anepsios » pour désigner un cousin (Col 4, 10) et il n’y a aucun indice en faveur d’un emploi sémitisant de « adelphos » en Mc 3, 31-35. »
De plus, nous sommes ici dans le cadre d’une famille au sens restreint : Jésus, le fils de Marie, et ses frères et sœurs. C’est le charpentier (le fils du charpentier dans le passage parallèle de Mt 13, 55-56) ; a-t-il succédé à son père Joseph qui n’est pas évoqué chez Marc et qui pourrait être décédé ?
En tous les cas l’usage de « adelphos » pour dire cousin n’exclue nullement celui, infiniment plus fréquent et étymologique, pour dire frère. Quant au mot « adelphè » (sœur) il ne désigne jamais une personne dans une famille élargie, et patriarcale, où seuls les hommes comptent. A l’initiative même de Jésus (voir ci-dessous), « Adelphos » sera ensuite employé sans ambigüité (tout en gardant aussi son sens originel) dans les Actes pour désigner les frères en Christ, les chrétiens. Franchement, qu’y-aurait-il de choquant à ce que Jésus ait eu des frères et sœurs ?
Evidemment, il fallait le nier pour développer plus tard le dogme de la virginité perpétuelle de Marie. Dans le contexte culturel grec et dans celui du premier christianisme en attente d’une parousie proche, les valeurs de la virginité étaient mises en avant (1 Co 7, 7-8 et 29-34). Pour nous aujourd’hui une femme qui a perdu sa virginité pour concevoir et mettre au monde un enfant est-elle moins digne de considération, moins digne de la divinité, que celle qui est demeurée vierge ?
Cette supériorité de la virginité a toujours été proclamée par l’Eglise, y compris par le Concile Vatican II (Décret sur le ministère et la vie des prêtres, III, 10) ; elle repose sur une interprétation pour le moins exagérée de Mt 19, 12 (cf Catéchisme de l'Eglise Catholique, n° 922, 1618-20). Il ne s’agit pas de contester le choix de la virginité pour le Royaume, mais sa prétendue supériorité.
Il y a des gens qui ne se marient pas car, de naissance, ils en sont incapables ; il y en a qui ne peuvent pas se marier car ils ont été mutilés par les hommes ; il y en a qui ont choisi de ne pas se marier à cause du royaume des Cieux. Celui qui peut comprendre, qu’il comprenne ! » (Mt 19, 12)
Seule une lecture moins fondamentaliste des évangiles peut nous permettre de voir quelle est la Parole qui se cache sous ces paroles, ces écrits. Nous sommes ici au cœur de notre problématique.
De grandes foules faisaient route avec Jésus ; il se retourna et leur dit « si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple.
Luc 14, 25-26 (Trad. TOB)
« Familles, je vous hais ! »
Bien avant Gide dans « les Nourritures terrestres » (1897), Jésus aurait-il renié sa propre famille ? Aurait-il même eu un dégoût pour toute famille qui empêcherait d’être son disciple ? Voilà qui est bien paradoxal dans cette période précédant le prochain synode romain d’octobre 2015 consacré à la famille où est exaltée, dans tous les documents et enseignements, la Sainte Famille.
Nous venons de voir que nous savons très peu de choses sur la famille de Jésus et surtout des choses finalement peu glorieuses en dehors des beaux récits merveilleux appartenant aux évangiles de l’Enfance de Luc et Matthieu. Alors pourquoi tant d’extrapolations à travers les siècles, et encore maintenant, sur ce qu’aurait été la Sainte Famille modèle pour nos familles ?
« L’adjectif « sainte » dans l’expression « la Sainte Famille » signifie donc qu’elle défait les liens charnels, biologiques, sociaux, naturels, ou, comme on a dit, structuraux : chacun à sa manière, le père n’est pas le père, ni le fils vraiment le fils, ni la mère absolument la mère ; amoindrissement et suppression des relations de sang ». (Michel Serres, « La saine famille », Revue Etudes, février 2013, p. 166).
Michel Serres poursuit en imaginant que cette déconstruction de la famille charnelle pourrait en quelque sorte autoriser certaines évolutions dans la notion de famille : celle-ci se construisant alors sur le lien de l’élection et non plus sur celui du sang. Ce qui met Fabrice Hadjadj fortement en colère :
« Il est évident que cet amour (de charité, ndlr) dépasse les promiscuités charnelles (il dépasse même les affinités électives), mais il n’est pas dit qu’il les défait. Déjà, la parenté adoptive ne saurait défaire la parenté naturelle, puisqu’elle la présuppose : où le père adoptif prendrait-il son nom de père, et non celui de coach ou de maître, si ce n’est dans l’obscure, fatale, physique paternité ? De même que la famille naturelle reste l’analogie majeure pour exprimer le surnaturel Royaume : le Christ est venu pour être « l’aîné d’une multitude de frères » (Rm 8, 29). Les « liens de sang » ne sont pas détruits, ils sont élargis, transfigurés par le sang du Christ. » (Fabrice Hadjadj, « Contre la saine famille », Revue Etudes, avril 2013, p. 468).
Jésus défend les liens familiaux. Toute sa vie, il a participé par des repas, des miracles, des conversations, à la vie familiale et l’a évoquée en plusieurs paraboles. Il affectionne et défend les enfants contre ceux par qui le scandale arrive. Il rappelle même vigoureusement leur devoir filial à ceux qui négligent d’aider leurs parents sous prétexte qu’ils font des offrandes sacrées au temple (Matthieu 15, 3-9).
Ce qu’il rejette clairement ce sont des liens familiaux, ou socio-politiques (la grande famille Israël) reposant sur l’appartenance patriarcale à un même sang clanique, sang versé par la circoncision mais aussi par les luttes fratricides.
Le sang dont il s’agit maintenant est celui de Jésus, conséquence d’une persécution clanique mais aussi symbole du don parfait ; baptisés dans son sang nous devenons ses frères appelés à participer avec lui à sa glorification auprès de notre Père commun. Comme lui, nous venons de Dieu et nous retournons à Dieu.
Ignorez-vous que nous tous, baptisés en Jésus Christ, c’est en sa mort que nous avons été baptisés ? Par le baptême, en sa mort, nous avons donc été ensevelis avec lui, afin que, comme Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous menions aussi une vie nouvelle.
(Epitre de Paul aux Romains 6, 3-4)
Jésus nous invite dans un langage très ferme à dépasser les liens charnels familiaux pour envisager d’entrer dans la grande famille de ceux qui veulent partager son chemin. Israël est invité aussi à dépasser ses liens tribaux pour s’ouvrir à l’humanité entière. Dépasser les liens du sang est-ce à terme les oublier ? C’est-là que Michel Serres et Fabrice Hadjadj ne sont pas d’accord. Pourtant les désirs de notre société sembleraient donner raison à Michel Serres. Ils feront l’objet en tous les cas d’un examen attentif du prochain synode romain.
Qu’est-ce que, fondamentalement, une famille ?
Des expressions telles que l’Evangile de la Famille (présentes à longueur de pages dans l’ « Instrumentum laboris » du synode), forgées récemment de toutes pièces, entretiennent la confusion : est-ce la bonne nouvelle, l’Evangile qui jaillirait de l’application d’un modèle de famille idéale, ou la bonne nouvelle de l’Evangile qui doit irriguer la vie familiale ?
De nos considérations précédentes, nous pouvons voir la famille comme une fraternité née par le sang du père et de la mère, tournée vers le don de soi, consacrée par l’alliance dans le sang du Christ mort sur la croix (« Femme, voici ton fils », Jn 19, 26) à l’opposé d’une « tribu patriarcale » symbolisée par la circoncision des hommes (ou tout autre signe tribal) et la soumission des femmes à l’entière volonté des hommes.
Mais alors, à quel type de famille rattacher une famille avec un enfant adopté ?
Curieusement (?) le catéchisme passe très rapidement sur l’adoption et ne l’envisage pas comme calquée sur une parentalité issue du sang alors qu’il encourage la paternité et la maternité spirituelles en s’associant à la Croix du Seigneur !
« L’Evangile montre que la stérilité physique n’est pas un mal absolu. Les époux qui, après avoir épuisé les recours légitimes à la médecine, souffrent d’infertilité, s’associeront à la Croix du Seigneur, source de toute fécondité spirituelle. Ils peuvent marquer leur générosité en adoptant des enfants délaissés ou en remplissant des services exigeants à l’égard d’autrui. (Catéchisme, n° 2379).
Evidemment, accorder une parentalité calquée sur celle du sang à l’adoption c’était ouvrir la porte à d’autres formes d’adoption par PMA, GPA … et pour des couples parfois différents de celui homme-femme !
La Sainte Famille est présentée par l’Eglise comme un modèle humain et pas seulement d’ordre spirituel. Pourtant Marie conçoit par PSA (procréation spirituellement assistée) et Joseph n’est qu’un père adoptif. La femme, à cette époque, n’était pas sensée apporter un matériel génétique, elle ne faisait que développer en son sein la semence masculine. Donc, dans l’esprit des premiers chrétiens, Jésus, en tant que petit d’homme, n’avait connu qu’une gestation suivie d’une naissance (et quel pouvait alors être son génome ?)
L’Eglise ne peut plus faire l’économie d’une confrontation de son interprétation de l’Ecriture concernant une sexualité et une famille relevant pour elle d’une loi dite naturelle avec les récentes découvertes génétiques et les pratiques sociales qui en découlent.
Elle ne peut prôner « la nécessité d’une évangélisation qui dénonce avec franchise les conditionnements culturels, sociaux, économiques, comme la place excessive donnée à la logique du marché, qui empêchent une vie familiale authentique » (Instrumentum Laboris-IL 2015 n°90) sans faire retour sur les conditionnements qui auraient pu agir tout autant lors de l’élaboration de sa théologie da la famille. En particulier, il faut tout de même souligner que la théologie de la famille repose sur une interprétation de l’Ecriture largement fantasmée par les hommes célibataires - supériorité de la chasteté oblige !- qui y détiennent le pouvoir depuis près de1900 ans.
En fait l’Eglise s’est toujours intéressée à la famille avec le souci, non exempt d’un certain clanisme, d’imposer un type de société dont elle a le contrôle et favorable à ses institutions. Elle encourage en particulier les naissances nombreuses par l’obligation que toute relation sexuelle soit ouverte sur la vie (aucune base scripturaire ! cf Catéchisme n° 2366-2370 et 2373). Ainsi les grandes familles chrétiennes donneront en nombre les futurs parents chrétiens et surtout les prêtres et les religieuses nécessaires pour le renouvellement de l’encadrement ecclésial (IL 2015, n° 88). Ce n’était pourtant pas le cas de la Sainte Famille où, par interprétation tendancieuse de l’Ecriture, Jésus se voyait privé de frères et sœurs !
Homme et femme
Dieu crée l’adam à son image
le crée à l’image de Dieu
les crée mâle et femelle
(1er récit de la création, Genèse 1, 27, trad. Bible Bayard)
Yhwh Dieu dit
L’adam tout seul ce n’est pas bon
Je vais lui faire une aide
comme quelqu’un devant lui
…
Oui l’homme quitte son père et sa mère pour s’attacher à sa femme
Ils ne font qu’un
(2ème récit de la création, Genèse 2, 24, Trad. Bible Bayard)
Il nous faut remonter aux symboles profonds du récit mythologique de la création. Les versets Gn 1, 27 et 2, 24 ont été repris presque intégralement par Jésus dans la controverse au sujet du divorce (Mt 19, 4-6 et Mc 10, 6-9). Pour ma part, je vais rapprocher Gn 2, 24 de Mt 19, 29 (parallèle dans Mc 10, 29-30) :
Celui qui aura quitté son toit, ses frères, ses sœurs, son père, sa mère, ses enfants, ses champs, et qui l’aura fait à cause de moi, sera payé cent fois de retour. Car il aura la vie éternelle en héritage.
Ce passage est évidemment à rapprocher de Mc 3, 31-3 étudié au tout début et Lc 14, 25-26 cité plus haut où Jésus paraît mépriser la famille. C’est le même verbe « quitter » qui nous interpelle en Gn 2, 24 et Mt 19, 29. Cette même traduction correspond à deux verbes grecs de sens très voisin. Toutes les considérations développées précédemment, ce rapprochement entre ces deux textes de Gn et Mt, avec aussi ceux du Cantique des Cantiques (Ct) et des Evangiles de l’Enfance intéressants dans leur symbolique me conduit à vous proposer une petite grille d’interprétation suggérant quelques pistes pour peut-être progresser dans notre vision de la famille.
La Famille : altérité, effusion, fusion, diffusion (chronologiquement ou concurremment)
Altérité :
« l’adam tout seul ce n’est pas bon (Gn 2, 24)
« Les crée mâle et femelle » (Gn 1, 27)
« Comme quelqu’un devant lui » (Gn 2, 24)
Présence et absence du Bien aimé : « Avez-vous vu celui que mon cœur aime ? » (Ct 3, 3)
Marie, mère « naturelle »/Joseph, père adoptif
Attirance/répulsion dans les relations amoureuses
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Effusion :
Effusion de l’Esprit sur Marie : « L’Esprit Saint viendra sur toi » (Lc 1, 35)
« Dieu crée l’adam à son image » (Gn 2, 24)
« Tu me fais perdre le sens, ma fiancée » (Ct 4, 9)
Sentiment profond de participer à une réalité amoureuse qui dépasse
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Fusion
« Ils ne font qu’un » (Gn 2, 24)
« Je suis à mon Bien-aimé et mon Bien-aimé est à moi» (Ct 6, 3)
« Ton père et moi, nous te cherchions angoissés » (Lc 2, 48)
Tendance à la famille fusionnelle, possessive, parfois tribale (son toit, ses frères, sœurs, père, mère, enfants, ses champs, cf. Mt 19, 29)
Fidélité, procréation
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Diffusion (action de transmettre)
« Oui l’homme quitte son père et sa mère pour s’attacher à sa femme » (Gn 2, 2)
L’amour universel : « Les grandes eaux ne pourront éteindre l’amour, ni les fleuves le submerger » (Ct 8, 7)
Ouverture à la fraternité christique : « Qui aura quitté son toit … et l’aura fait à cause de moi » (Mt 19, 29)
« Les voici, ma mère et mes frères ! Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, et ma sœur, et ma mère » (Mc 3, 35)
Effusion et fusion sont précédées de la prise de conscience de l’altérité, de la différence, de la faille voulue par le Créateur entre lui et ses créatures. L’effusion permet de combler cette faille et de participer à la Création (les enfants) dans la fusion : « Il faut naître d’en haut » (Jn 3, 3-8).
Le danger est alors de se replier dans une famille de type tribal issue du sang. Jésus n’a eu de cesse d’inciter à sortir de ce type de famille pour vivre avec lui la fraternité universelle où tous sont appelés à se reconnaître fils et filles du Père des Cieux dans la glorification de Jésus qui fait le don de son sang versé pour la multitude (diffusion).
Le Christ glorifié de la Résurrection, vitrail de Frère Eric, église de la Réconciliation, Taizé (71)
Ce cycle précédemment évoqué est éminemment féminin : la femme doit admettre en elle-même l’altérité masculine, puis vivre la fusion pendant neuf mois avec son enfant, le nourrissant à travers des échanges sanguins, et ensuite l’expulser d’elle-même, dans la douleur et à travers le sang, pour le livrer à une humanité qu’elle ne pourra totalement maîtriser mais qu’elle espère fraternelle. Ce cycle féminin de la procréation s’inscrit évidemment dans celui plus fréquent pour elle de l’ovulation et de la menstruation, qui fait partie de son corps (fusion), mais échappe à son contrôle (altérité) pour se terminer aussi dans une expulsion de sang. Ce cycle est semblable celui de la lune (un peu plus de 28 jours) qui doit aussi à un autre, le soleil, le fait de produire une lumière (altérité).
La lune dans la plupart des représentations symbolise le féminin. La durée de 28 (jours) se décompose en 4 x 7 avec comme symbolique des nombres (Dictionnaire des symboles, cf. bibliographie) : 7 représente bien sûr la perfection de la Création divine achevée tandis que 4 suggère l’idée d’universalité. La femme et la lune représenteraient alors symboliquement des lois universelles qui régissent la création. Notons aussi l’alternance apparition/disparition : le sang et la lumière se donnent épisodiquement. Ces éléments symboliques sont à prendre au service d’une poétique qui puisse nous aider à entrer dans le mystère d’une dynamique du couple et de la famille.
Don féminin de l’enfant confisqué par la famille patriarcale pour augmenter le potentiel de force guerrière ou de richesse, au même titre que les animaux ou les biens (Cf. Exode 20, 17). Ecoulement de sang mensuel, signe d’un don totalement gratuit mais signe de perte pour le développement clanique et qui rend impure et exclut la femme de la société durant sa durée. Jésus à deux reprises a guéri des femmes pour rétablir la régularité du flux menstruel (voir article (« Talitha koum » du 4/02/15). La fille de Jaïre subit une véritable castration psychologique de ses parents qui l’empêche de devenir femme et l’entraîne dans l’anorexie.
La société patriarcale en s’accaparant ainsi le sang des femmes à l’usage exclusif d’une vision clanique de la vie refermée sur elle-même ne pouvait qu’attirer les foudres de Jésus qui envisage le sang sous forme d’un don fraternel que toute sa prédication conduirait inévitablement à faire.
Ainsi, autant Jésus rejette la famille patriarcale, autant il recherche la compagnie de femmes, parfois au ban de la société, nous livrant alors des enseignements parmi les plus importants de la Bonne Nouvelle. Pour sa mère et celle des fils de Zébédée, bien intégrées dans le système patriarcal, il ne manqua pas d’évoquer une vision élargie de la famille.
Après Jésus, la famille patriarcale de sang tribal a entamé un lent déclin qui se précipite sous l’influence de l’émancipation féminine depuis surtout une soixantaine d’années.
L’Eglise ne pourra dire des choses pertinentes sur le couple et la famille tant qu’elle ne sera pas sortie elle-même de son organisation patriarcale. Il ne faut pas négliger que l’Eglise a défendu la dignité féminine au long des siècles mais pour mieux l’enfermer dans une prétendue humilité à l’image de Marie qui a dit Oui (Fiat !) au projet divin, mais pouvait-elle dire non puisqu’elle avait été conçue sans péché ? Assurément les femmes ne peuvent dire non, soumises aux hommes d’Eglise et à leur interprétation fondamentaliste des écritures qui les empêchent d’accéder à une fraternité entière avec les hommes. Si vraiment nous croyons que le Royaume de Dieu est en marche alors il faut faire nôtre la parole de Paul :
Oui, vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n’y a plus ni juif, ni grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous vous n’êtes qu’un en Jésus Christ.
Epître de Paul aux Galates 3, 27-28 (Trad. TOB)
Paul parle bien ici de la fraternité universelle en Christ, il ne nie pas la distinction sexuelle. La femme dans son rythme biologique s’inscrit au cœur même de la création en perpétuel renouvellement. L’affranchissant de l’esclavage du sang tribal, elle emmène de toutes ses fibres la famille à l’universelle fraternité scellée par Jésus sur la croix.
Comme le chantait le poète (Jean Ferrat), la femme est décidément l’avenir de l’Homme … et de la famille !
Il parut un grand signe dans le ciel : une femme enveloppée du soleil, avec la lune sous les pieds et sur la tête une couronne de douze étoiles. Elle est enceinte et elle crie, tourmentée par les douleurs de l’enfantement. Il parut un autre signe dans le ciel ; et voici un grand dragon rouge feu avec sept têtes, dix cornes et sept diadèmes sur ses têtes. Sa queue entraîne le tiers des étoiles du ciel, et les jette sur la terre ; et le dragon se tient devant la femme qui va enfanter, pour dévorer son enfant quand elle enfantera. Elle enfanta un fils, un mâle, qui doit faire paître toutes les nations avec un sceptre de fer. Et son enfant fut enlevé vers Dieu et son trône. La femme fuit au désert où elle a un lieu préparé par Dieu pour que là-même on la nourrisse mille deux cent soixante jours.
Apocalypse 12, 1-6