Inclina, Domine
Incline, Seigneur, ton oreille vers moi et écoute-moi ;
sauve ton serviteur, ô mon Dieu : il espère en toi !
aie pitié de moi, Seigneur, car je crie vers toi tout le jour.
V/ Réjouis l’âme de ton serviteur, car vers toi, Seigneur, j’élève mon âme.
(Trad. François Cassingéna-Trévedy)
Inclina, Domine, aurem tuam ad me et exaudi me ;
salvum fac servum tuum Deus meus, sperantem in te
miserere mihi Domine quoniam ad te clamavi tota die.
V/ Laetifica animam servi tui : quoniam ad te, Domine, animam levavi.
(Ps 85, 1-4)
Introït du 21ème Dimanche du Temps ordinaire.
Photo d’entête : Chapelle Saint-Sernin de Bensa à Lavelanet (Ariège)
Nous avons choisi pour illustrer cet article les photos d’intérieurs d’humbles églises ariégeoises. Les murs de ces sanctuaires parfois un peu désertés sont encore imprégnés des prières de tous les fidèles qui subissaient souvent l’adversité de conditions très modestes, de la guerre, de la maladie. Comme notre psalmiste ils criaient tout le jour, silencieusement, à Dieu et à Marie leur espoir d’être écoutés.
Inclina …
« Il y a du penchant dans ce premier mot. Le penchant est à l’ordre du jour, à l’ordre du temps. Enluminure de l’inclination. Sans parler que pour ceux qui sont sensibles au contexte saisonnier de ces chants qui, de semaine en semaine, donnent le ton du temps qu’il fait autant qu’ils prennent sa couleur, autrement dit à l’indissoluble mariage du son et de la lumière, cet introït Inclina, participant du déclin de la lumière estivale – si perceptible à la fin du mois d’août – s’illustre en premier chant de l’arrière-saison, en chant pour le temps où le jour baisse ». (F. Cassingéna-Trécedy, op. cit. p. 189)
C’est la douceur de Dieu qui se penche qui est célébrée aujourd’hui comme elle le sera la semaine prochaine dans l’introït Miserere mihi, Domine. Après l’appel collectif pour que Dieu protecteur regarde vers la face de son Christ dans l’introït de la semaine dernière Protector noster, la prière se fait plus intime, de bouche à oreille :
« Viens, ô mon Dieu, que je Te parle à l’oreille : il n’y a que Ton oreille, ô mon Dieu, qui soit capable de me regarder ». (Paul Claudel, Psaume 85, cité par F. Cassingéna-Trévedy, op. cit. p. 191)
Le psaume 85 (hb 86)
01 Penche ton oreille, Seigneur, réponds-moi, car je suis humilié et indigent.
02 Garde mon âme, car je suis fidèle, ô mon Dieu, sauve ton serviteur qui se confie en toi.
03 Prends pitié de moi, Seigneur, toi que j'appelle chaque jour.
04 Réjouis l’âme de ton serviteur, car vers toi, Seigneur, j'élève mon âme.
05 Toi qui es bon et qui pardonnes, plein d'amour pour tous ceux qui t'appellent,
06 Tends l’oreille à ma prière, Seigneur, sois attentif à ma voix qui te supplie.
07 Je t'appelle au jour de ma détresse, et toi, Seigneur, tu me réponds.
08 Aucun parmi les dieux n'est comme toi, et rien n'égale tes oeuvres.
09 Toutes les nations, que tu as faites, viendront se prosterner devant toi et rendre gloire à ton nom, Seigneur,
10 car tu es grand et tu fais des merveilles, toi, Dieu, le seul.
11 Montre-moi ton chemin, Seigneur, que je marche suivant ta vérité ; unifie mon coeur pour qu'il craigne ton nom.
12 Je veux te rendre grâce de tout mon coeur, Seigneur mon Dieu, toujours je veux rendre gloire à ton Nom ;
13 il est grand, ton amour pour moi : tu as délivré mon âme de l'abîme des morts.
14 Mon Dieu, des présomptueux se lèvent contre moi, cette bande de violents en veut à mon âme et de toi ils ne tiennent pas compte.
15 Toi, Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, plein d'amour et de fidélité,
16 Tourne-toi vers moi, prends pitié de moi. Donne à ton serviteur ta force, et sauve le fils de ta servante.
17 Accomplis un signe en ma faveur ; alors mes ennemis, humiliés, verront que toi, Seigneur, tu m'aides et me réconfortes.
(Traduction Bible liturgique modifiée d’après Psautier de Ligugé et traduction de J.-L. Vesco)
Le psalmiste, David, à qui est attribué ce psaume, se présente comme un serviteur humilié (v. 1) par des ennemis présomptueux (v. 14) qui nient la grandeur de son Dieu (v. 14) qui dépasse celle de tous les autres (v. 8). Il proteste de sa foi par un hymne (v. 8-10) et de sa bonne volonté envers son Dieu (v. 12-13) à qui il demande de pencher son oreille pour lui répondre (v. 1) et d’accomplir un signe en sa faveur (v. 17)
Penche ton oreille, Seigneur
La supplication, la louange passent par la voix du psalmiste et l’oreille de Dieu, son attention, sont sollicitées pour se tourner vers lui :
01 Penche ton oreille, Seigneur, réponds-moi …
03 … toi que j'appelle chaque jour
06 Tends l’oreille à ma prière, Seigneur, sois attentif à ma voix qui te supplie.
16 Tourne-toi vers moi, prends pitié de moi …
Dans ta justice, défends-moi, libère-moi, tends l'oreille vers moi, et sauve-moi.
(Ps 70, 2)
Comme souvent dans les psaumes la demande intervient dans le même temps que la réponse est considérée comme apportée, c’est là un témoignage de foi dans la bonté du Seigneur :
07 Je t'appelle au jour de ma détresse, et toi, Seigneur, tu me réponds.
A pleine voix je crie vers le Seigneur ; il me répond de sa montagne sainte (Ps 3, 5)
Je t'appelle, toi, le Dieu qui répond : écoute-moi, entends ce que je dis. (Ps 16, 6)
L’âme
Comme un cerf altéré cherche l'eau vive, ainsi mon âme te cherche toi, mon Dieu.
Mon âme a soif de Dieu, le Dieu vivant ; quand pourrai-je m'avancer, paraître face à Dieu ? (Ps 41, 2-3)
Si le sens de l’audition est sollicité, c’est de l’âme qu’il est question ; employé cinq fois le mot âme désigne en fait la totalité de l’être humain, tout ce qui fait qu’un corps est animé en tension vers les réalités physiques et spirituelles :
02 Garde mon âme, car je suis fidèle, ô mon Dieu …
04 Réjouis l’âme de ton serviteur, car vers toi, Seigneur, j'élève mon âme.
13 … tu as délivré mon âme de l'abîme des morts
14 … cette bande de violents en veut à mon âme …
Le serviteur
Comme les yeux de l'esclave vers la main de son maître, comme les yeux de la servante vers la main de sa maîtresse, nos yeux, levés vers le Seigneur notre Dieu, attendent sa pitié. (Ps 122, 2)
Le psalmiste se présente en tant que serviteur. En plus des sens habituels du mot, le serviteur est celui qui a un lien privilégié, une connivence souhaités par lui-même ou accordés par Yhwh.
C’est le cas exemplaire de David :
En tête de psaume :
Du maître de chant. Du serviteur de Yahvé. De David (Ps 35, 1)
Tu diras donc à mon serviteur David : Ainsi parle le Seigneur de l’univers : C’est moi qui t’ai pris au pâturage, derrière le troupeau, pour que tu sois le chef de mon peuple Israël. (2 S, 7, 8)
Qu’est-ce que David pourrait encore ajouter par ses paroles ? Toi, Seigneur Dieu, tu connais ton serviteur. À cause de ta parole et selon ton cœur, tu as accompli toute cette grande action pour instruire ton serviteur. (2 S 7, 20-21)
Dans Ps. 85, le psalmiste (David) évoque cette proximité avec Yhwh pour solliciter avec encore plus d’insistance sa réponse. L’expression fils de ta servante ne fait que rajouter un peu d’antériorité et de profondeur à cette connivence revendiquée :
04 Réjouis l’âme de ton serviteur …
02 … sauve ton serviteur qui se confie en toi.
16 … Donne à ton serviteur ta force, et sauve le fils de ta servante.
Si la condition de serviteur suppose l’humilité, elle ne supporte pas l’humiliation de la part des ennemis :
01 … Seigneur, réponds-moi, car je suis humilié et indigent
Cette humiliation est ressentie comme une violence venant d’ennemis présomptueux qui l’humilient, lui, mais aussi Yhwh :
14 Mon Dieu, des présomptueux se lèvent contre moi, cette bande de violents en veut à mon âme et de toi ils ne tiennent pas compte.
Le signe souhaité de la part de Yhwh est un retournement de situation : aux ennemis d’être humiliés en voyant son soutien à son serviteur :
17 Accomplis un signe en ma faveur ; alors mes ennemis, humiliés, verront que toi, Seigneur, tu m'aides et me réconfortes.
Le Nom
Si les Fils d’Israël ne pouvaient ni voir ni nommer leur Dieu – Yhwh étant par nature imprononçable – ils le désignaient alors par le Nom. Celui-ci fait référence des attributs de Yhwh :
Moïse dit : « Je t’en prie, laisse-moi contempler ta gloire. ». Le Seigneur dit : « Je vais passer devant toi avec toute ma splendeur, et je proclamerai devant toi mon nom qui est : LE SEIGNEUR. Je fais grâce à qui je veux, je montre ma tendresse à qui je veux. »
Il dit encore : « Tu ne pourras pas voir mon visage, car un être humain ne peut pas me voir et rester en vie. » Le Seigneur dit enfin : « Voici une place près de moi, tu te tiendras sur le rocher ; quand passera ma gloire, je te mettrai dans le creux du rocher et je t’abriterai de ma main jusqu’à ce que j’aie passé. Puis je retirerai ma main, et tu me verras de dos, mais mon visage, personne ne peut le voir. »
Le Seigneur descendit dans la nuée et vint se placer là, auprès de Moïse. Il proclama son nom qui est : LE SEIGNEUR. Il passa devant Moïse et proclama : « LE SEIGNEUR, LE SEIGNEUR, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de fidélité, qui garde sa fidélité jusqu’à la millième génération, supporte faute, transgression et péché, mais ne laisse rien passer, car il punit la faute des pères sur les fils et les petits-fils, jusqu’à la troisième et la quatrième génération. » Aussitôt Moïse s’inclina jusqu’à terre et se prosterna. (Ex 33, 18-23 et 34, 5-8, cité par F. Cassingéna-Trévedy, op. cit. p. 204-205, ici trad. Bible liturgique)
Le Nom mérite d’être glorifié par le psalmiste mais aussi par toutes les nations :
09 Toutes les nations, que tu as faites, viendront se prosterner devant toi et rendre gloire à ton nom, Seigneur,
11 … unifie mon coeur pour qu'il craigne ton nom.
12 … toujours je veux rendre gloire à ton Nom
Le Nom se décline en attributs :
05 Toi qui es bon et qui pardonnes, plein d'amour pour tous ceux qui t'appellent,
08 Aucun parmi les dieux n'est comme toi, et rien n'égale tes oeuvres.
10 car tu es grand et tu fais des merveilles, toi, Dieu, le seul.
13 il est grand, ton amour pour moi : tu as délivré mon âme de l'abîme des morts.
15 Toi, Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, plein d'amour et de fidélité,
Si les versets 8 et 10 rappellent le Dieu Créateur, les versets 5, 13 et 15 rappellent l’amour tendre de Dieu pour ses créatures :
il supporte les fautes … mais ne laisse rien passer (Ex 34, 7)
Cet apparent paradoxe trouve sa résolution dans Ps 85, 15 :
15 Toi, Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, plein d'amour et de fidélité,
Reprise exacte de Ex 34, 6 :
LE SEIGNEUR, LE SEIGNEUR, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de fidélité
Et que l’on trouve aussi dans Ps 102, 8 et Ps 144, 8.
Pour bénéficier de la tendresse et de la miséricorde, il convient de prendre le bon chemin, celui de la Vérité du Seigneur, avec un cœur unifié, certes à dire en accord avec la Vérité. Être en Vérité avec Dieu fait craindre de prendre un chemin loin de son Nom :
11 Montre-moi ton chemin, Seigneur, que je marche suivant ta vérité ; unifie mon coeur pour qu'il craigne ton nom.
L’introït Miserere mihi, Domine du dimanche suivant développera cette idée de la miséricorde divine en empruntant son texte au même psaume 85 (versets 3 et 5).
Le texte de l’introït
Le texte de notre introït est emprunté au psautier romain :
1 Inclina, Domine, aurem tuam ad me et exaudi me
quoniam egenus et pauper sum ego
2 custodi animam meam quoniam sanctus sum ;
salvum fac servum tuum, Deus meus, sperantem in te ;
3 miserere mihi, Domine, quoniam ad te clamavi tota die
Inclina, Domine, aurem tuam ad me et exaudi me ;
salvum fac servum tuum Deus meus, sperantem in te
miserere mihi Domine quoniam ad te clamavi tota die.
V/ Laetifica animam servi tui : quoniam ad te, Domine, animam levavi.
Incline, Seigneur, ton oreille vers moi et écoute-moi ;
sauve ton serviteur, ô mon Dieu : il espère en toi !
aie pitié de moi, Seigneur, car je crie vers toi tout le jour.
V/ Réjouis l’âme de ton serviteur, car vers toi, Seigneur, j’élève mon âme.
(Trad. François Cassingéna-Trévedy)
Le compositeur a emprunté aux versets 1, 2, et 3 du psaume 85, mettant l’accent sur l’attente du serviteur qui crie et espère être écouté, sauvé par la miséricorde divine. Le verset enrichit le contenu de l’antienne en rappelant certaines thématiques du psaume 85 (serviteur, âme)
Einsiedeln, Stiftsbibliothek, Codex 121(1151), p. 325-326 – Graduale – Notkeri Sequentiae
Ce manuscrit de Einsiedeln (10ème siècle) montre les neumes dessinés au-dessus du texte latin. Le "E 325" (Einsiedeln p. 325) inscrit en marge de la transcription solesmienne ci-dessous indique justement la provenance de l'appareil neumatique transcrit au-dessous de la notation établie par les moines. L'écriture neumatique peut être considérée comme la mise en espace sonore du texte de la Parole.
La mélodie grégorienne
Inclina, Domine, aurem tuam ad me et exaudi me
Incline, Seigneur, ton oreille vers moi et écoute-moi
L’intonation caractéristique du 1er mode ré-la, ornée d’un do à la base et d’un sib à son sommet, donne à Inclina un élan qui tranche avec la signification du mot. C’est plus l’ascension de la prière qui est envisagée ici tandis que Domine exprimé en valeurs appuyées passera du Do, apex (sommet) de la mélodie, au la puis au fa en une inclination expressive. Autour de cette corde la principale, aurem tuam développe une broderie tandis que et exaudi me descend progressivement au ré, finale du mode, marquant la demande d’exaucement.
salvum fac servum tuum Deus meus, sperantem in te
sauve ton serviteur, ô mon Dieu : il espère en toi !
L’intonation sur salvum (ré-fa-sol-la-sol) assez développée met bien en relief ce mot important (mot à mot : sauf fais ton serviteur) et introduit une courte récitation sur la corde sol, autre corde importante. Deus est en valeurs appuyées comme précédemment Domine. Meus va relancer la mélodie vers un nouveau sommet culminant au do sur la syllabe accentuée de sperantem, mot développé en valeurs appuyées, et en broderies (comme in te). L’espérance est au cœur du message de cet introït.
miserere mihi Domine quoniam ad te clamavi tota die.
aie pitié de moi, Seigneur, car je crie vers toi tout le jour.
La mélodie va progressivement descendre jusqu’au la grave marquant une intériorisation du cri de l’orant. Les deux torculus de miserere (sol-la-sol et fa-sol-fa) donnent beaucoup d’expression à l’imploration. Domine, comme les précédents Domine et Deus est en valeurs appuyées donnant un ton très direct à cette adresse. Quoniam est plus qu’une conjonction : son développement et son caractère grave (ré-ré-do-ré-do-la-la) introduisent comme un non-dit ou tout au moins un cri (clamavi) qui paraît de modeste envergure. C’est tota qui donne toute la puissance à ce cri qui se perpétue tout le jour : sur la première syllabe tristropha (trois mêmes notes répercutées) sur le degré fort fa et broderie en valeurs appuyées sur la deuxième (ré-do-mi-do-ré)
Comme interprétation j’ai choisi
- Par les moines de Ligugé : https://www.youtube.com/watch?v=fFDsLQbzGAg
- Par un soliste avec un défilement du manuscrit d’Einsiedeln : https://www.youtube.com/watch?v=7_8XNYvZGaM
Bibliographie
- François Cassingéna-Trévedy, « Chante et marche, les Introïts III », Ed. Ad Solem, 2014, pp.187-200.
Le lecteur désireux d’approfondir se reportera bien sûr à ce livre très complet.
- Jean-Luc Vesco, « Le psautier de David traduit et commenté », 2 tomes, Ed. Cerf, Coll . Lectio Divina, 2011. Tome 1, pp. 778-786)
La Communion De fructu, également au programme du 21° dimanche du Temps ordinaire, a fait l'objet d'un commentaire paru sur ce même blog : http://www.bible-parole-et-paroles.com/2018/08/de-fructu-operum-tuorum.html
Complément
Inclina Domine a été mis en musique par divers compositeurs :
- Cristóbal de Morales (1500-1553) : https://www.youtube.com/watch?v=fFDsLQbzGAghttps://www.youtube.com/watch?v=l9EryJTEWRA
- Roland de Lassus (1532-1594) : https://www.youtube.com/watch?v=fiX29u65Zs4
- Joseph Rheinberger(1839-1901) : https://www.youtube.com/watch?v=9IWr0ZFxdrY