La Parabole des aveugles
Pieter Brueghel l’Ancien (vers 1525 – 1569)
« La Parabole des aveugles » (1568), Naples, Galleria Nazionale di Capodimonte).
Ce tableau illustre le passage d’évangile de Luc lu ce dimanche 2 mars (8° dimanche du Temps ordinaire, année C) :
« Il leur dit encore en parabole : « Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ? » (Luc 6, 39)
Ils sont six hommes aveugles dont l’habillement ne laisse pas présumer l’indigence. Leur nombre traduit leur côté diabolique, six est le chiffre de l’imperfection : 666 est le chiffre de la Bête, monstre diabolique, dans l’Apocalypse (Ap 13, 18).
Ces aveugles se guident mutuellement par l’intermédiaire d’un bâton ou la main sur l’épaule de celui qui précède.
L’effet de la perspective inscrite dans la diagonale du tableau renforce le côté dramatique de la chute dans le trou, effective pour l’un, en cours pour le deuxième, annoncée pour le troisième dont les taches sur le vêtement et le chapeau dans la main traduisent une chute précédente, tandis que les trois derniers paraissent encore stables. Le dernier possède même un bâton dans chaque main.
Au regard naturellement hagard des aveugles se joint une sorte de folie qui rend la scène grotesque ; la bouche bée, ils semblent viser un ciel imaginaire, méconnaissant la chute chaotique dans le trou qui les attend.
« Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ? » (Luc 6, 39)
Le paysage traduit un automne avancé à proximité d’un village ; nous pouvons même discerner un petit arbre complètement sec devant l’église. Celui-ci annonce par analogie la fin de la grande Eglise, alors en plein schisme, vertement critiquée par Luther qui fut alors excommunié. Cette analogie rappelle bien sûr le Temple dont Jésus annonçait la destruction, stigmatisant l’attitude des scribes et des pharisiens dont l’aveuglement volontaire les éloignait d’un langage et d’une attitude de vérité.
La suite de l’évangile de Luc lu ce dimanche fait d’ailleurs allusion à l’arbre pourri qui ne peut produire de bon fruit (Luc 6, 43)
Matthieu se fait plus précis en racontant cette parabole dont il ne cache pas qu’elle s’adresse aux pharisiens :
« … Alors les disciples s’approchèrent et lui dirent : « Sais-tu que les pharisiens ont été scandalisés en entendant cette parole ? » …
« Laissez-les ! Ce sont des aveugles qui guident des aveugles. Si un aveugle guide un aveugle, tous les deux tomberont dans un trou. » (Mt 15, 12.14)
Une autre fois Matthieu relate, à propos de l’hypocrisie des scribes et des pharisiens qui imposent de multiples prescriptions au peuple, cette parole sans appel de Jésus :
« Guides aveugles ! Vous filtrez le moucheron, et vous avalez le chameau ! » (Mt 23, 24)
Les versets qui suivent la parabole des aveugles en complètent le message.
« Le disciple n’est pas au-dessus du maître ; mais une fois bien formé, chacun sera comme son maître. » (Luc 6, 40)
Un disciple aveugle peut prétendre en savoir autant que son maître. Une fois bien formé, à l’égal de son maître, il se confrontera à lui avec clairvoyance. On peut voir ici le regret de Jésus de voir opposés à son enseignement ceux qui prétendent avoir des yeux et des oreilles :
« Si je leur parle en paraboles, c’est parce qu’ils regardent sans regarder, et qu’ils écoutent sans écouter ni comprendre.
Ainsi s’accomplit pour eux la prophétie d’Isaïe : Vous aurez beau écouter, vous ne comprendrez pas. Vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas.
Le cœur de ce peuple s’est alourdi : ils sont devenus durs d’oreille, ils se sont bouché les yeux, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n’entendent, que leur cœur ne comprenne, qu’ils ne se convertissent, – et moi, je les guérirai.
Mais vous, heureux vos yeux puisqu’ils voient, et vos oreilles puisqu’elles entendent » ! (Mt 13, 13-16)
De même, la poutre dans l’œil rend aveugle et ne permet pas un regard juste sur le frère, avec l’obsession de trouver la paille dans l’œil de celui-ci. L’« hypocrite » (même mot utilisé pour qualifier les scribes et les pharisiens) est alors prié par Jésus d’y « voir clair » :
« Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère. » (Luc 6, 42)
Alors, dimanche, aveugles sur le chemin, nous demanderons au Maître de nous ouvrir les yeux dans ce très beau chant :
« Ouvre mes yeux, Seigneur, aux merveilles de ton amour ;
Je suis l’aveugle sur le chemin, guéris-moi, je veux te voir. »
Pour lire l'évangile de dimanche en entier (Luc 6, 39-45) : AELF — Evangile de Jésus-Christ selon saint Luc — chapitre 6