De ces choses réjouis-toi !
"Une femme dans la foule a crié : Chanceux, le ventre qui t’a abrité et les seins qui t’ont nourri ! Il a répondu : Ils sont vraiment chanceux ceux qui écoutent la parole de Dieu et vivent selon elle. »
Evangile de Luc 11 27-28
Photo : Vierge à l'Enfant de Formiguères (Pyrénées Orientales)
… « Il y a plus encore : le Christ naît dans une étable et « il est déposé dans une mangeoire ». Et pourtant n’est-ce-pas lui-même qui dit : « Le monde m’appartient avec tout ce qu’il contient (h)» ? Pourquoi donc choisit-il une étable ? Assurément c’est pour réprouver la gloire du monde, pour condamner la vanité de ce siècle. Sa langue ne parle pas encore, mais déjà tout ce qui le concerne crie, proclame, évangélise… (2) Oui, vraiment, frères, « le Verbe s’est fait chair et il a demeuré parmi nous ». « Au commencement, alors qu’il était près de Dieu », « il habitait une lumière inaccessible », et nul ne pouvait le saisir. « Qui donc en effet a pénétré la pensée du Seigneur, ou qui lui a donné des conseils (d) ? » L’homme charnel ne comprendra jamais ce qui vient de l’Esprit de Dieu (e). » Mais maintenant que Dieu s’est fait chair, même l’homme charnel peut le comprendre. S’il ne peut rien écouter d’autre que ce qui est chair, eh bien ! voici que « le Verbe s’est fait chair » : qu’il écoute le Verbe au moins dans la chair. Ô homme, la sagesse se montre à toi dans la chair ; elle qui jadis était cachée, la voici qui pénètre maintenant jusque dans tes sens charnels … » (3)
Bernard de Clairvaux (1090-1153). Sermons pour l’année. Tome I.2. Sermon III, pour Noël, extraits de 2 et 3. Sources chrétiennes, n°481, traduction Marie-Imelda Huile
(h) : Ps 49, 12 (d) : Rom. 11, 34 (e) : 1 Cor. 2, 14
La statue de Nostre Dame de Grasse qui se trouve aux Musée des Augustins à Toulouse date de la seconde moitié du XV° siècle. Elle est en calcaire recouvert de polychromie. L’intitulé « Notre Dame de Grasse » figure en lettres gothiques sur la base de la statue qui a été magnifiquement restaurée il y a quelques années.
Le visage menu, presque enfantin de Marie, contraste avec le drapé du tissu lourd et épais du bas de son vêtement. C’est celui d’une reine comme le montre la couronne dont est ceinte la tête de Marie. Marie est considérée comme reine car mère de Jésus Christ-roi. Mais souvenons-nous des paroles de Jésus : « Mon royaume n’est pas de ce monde » (Evangile de Jean, 18, 36). Une hypothèse propose que cette sculpture était insérée dans un ensemble plus important pouvant représenter l’adoration des Mages.
Sous son bras droit Marie porte un livre dont la reliure présente un fermoir et se prolonge, comme couramment à l’époque, sous la forme d’une enveloppe en tissu permettant de saisir ou suspendre l’ouvrage. Il s’agit sans aucun doute d’un livre d’heures qui permet aux laïcs de prier, à la façon du bréviaire des clercs, à diverses heures de la journée.
L’enfant Jésus est représenté comme un poupon bouclé de son âge en opposition avec la statuaire romane qui le montre le plus souvent comme un adulte en réduction. Un petit pied dépasse même de sa tunique. L’enfant semble animé de la volonté ferme de s’échapper en direction de ce qu’il fixe tandis que Marie a le regard comme perdu dans la direction opposée, dans une mélancolie accentuée par ses yeux comme baignés de larmes et la contraction de ses lèvres. L’interdiction d’employer le flash pour photographier dans le musée m’a empêché de montrer complètement le visage de Marie qui est à moitié dans l’ombre. En fait, cela ne fait que renforcer la part d’ombre que cette statue veut faire saisir.
L’enfant Jésus, se hâte avec enthousiasme vers son avenir de sauveur des hommes qu’il aimera jusqu’à en mourir. Marie pressent aussi son avenir sombre de mère d’un enfant qui est destiné à lui échapper et dont elle recevrait sur ses genoux le cadavre de jeune adulte descendu de la croix. Remarquons que les piéta qui représentent cette scène ont une assise très développée pour justement accueillir le corps du Christ. Ici, la place serait déjà préparée en quelque sorte pour cet événement futur ?
Au plus sombre de l’hiver, nous sommes appelés à l’espérance d’une vie naissante mais une autre espérance anime aussi les chrétiens : celle de la résurrection après la croix et la mort. Gardons la même sérénité que Nostre Dame de Grasse !
Cette part sombre qui caractérise Marie jeune mère est mise en relief par ce texte où Romanos le Mélode (493-555/565) imagine un dialogue entre l’enfant Jésus et Marie sa mère :
« … Marie dit encore : « Si je parle, ne t’irrite pas contre la boue que je suis, ô Créateur ; je vais te parler librement comme à un fils, j’ai la confiance d’une mère, car tu m’as donné, à moi ton enfant, tous les titres de gloire. Ce que tu dois accomplir, qu’est-ce que c’est ? Je voudrais le savoir tout de suite. Ne me cache pas le dessein que tu as pris de toute éternité. Je t’ai engendré tout entier ; révèle ton intention à notre égard, afin que j’apprenne ainsi toute l’étendue de la grâce que j’ai reçue, moi, pleine de grâce. (15)
- Je suis vaincu par la tendresse que j’ai pour l’homme, répondit le Créateur. Moi, ma servante et ma mère, je ne te contristerai pas. Je te ferai connaître ce que je veux faire, et je prendrai soin de ton âme, Marie. L’enfant que tu portes dans tes mains, avant peu tu le verras les mains clouées, parce que j’aime ton peuple ; l’enfant que tu allaites, d’autres l’abreuveront de fiel ; l’enfant que tu embrasses, on doit le couvrir de crachats ; l’enfant que tu appelais vie, il te faudra le voir pendu à la croix, et tu pleureras ma mort … (16)
- Tiens ma mort pour un sommeil, ma mère ; au bout de trois jours passés dans le tombeau de mon plein gré, tu me verras revivre et renouveler la terre et tous les enfants de la terre. Ces choses, mère, annonce-les à tous ; en ces choses enrichis-toi, par ces choses sois reine, de ces choses réjouis-toi … » (18)
« Romanos le Mélode, Hymnes », Hymne XI – La Nativité, extraits des strophes 15, 16 et 18 Tome 2, Editions du Cerf (Sources chrétiennes, n° 110, Traduction José Grosdidier de Matons)
Chers amis lecteurs du blog,
J’ai entrepris de vous parler de l’Annonciation (Evangile de Luc 1 26-38). La tâche est plus longue que prévue pour vous présenter un commentaire de ce texte important qui soulève bien des questionnements. Je suis sur le point d’aboutir mais je ne voulais pas passer ce Noël sans vous adresser quelques mots. J’ai pris quelques textes susceptibles de guider notre méditation d’une manière un peu particulière.
Malgré une certaine entreprise de « dépoussiérage » que j’aime mener pour essayer de rendre la Parole plus vivante pour moi et j’espère pour les autres, je suis attaché à la forme traditionnelle de vivre Noël qui repose principalement sur les évangiles de Luc et Matthieu, et aussi les évangiles apocryphes. Au-delà de la forme mythologique que peuvent prendre ces récits de la Nativité (ce que nous commencerons à voir dans le commentaire de l’Annonciation), il convient de comprendre en quoi ils répondaient aux inquiétudes et aux espérances profondes des gens de cette époque. Nous les partageons toujours avec eux et nous verrons bientôt comment nous sommes appelés à enfanter nous-mêmes cet enfant Dieu enfoui au plus profond de notre être tant que nous voulons bien nous tenir sous l’ombre fécondante du Très-Haut.
Joyeux Noël à tous !