Psaume 50 - Miserere ...
1 Du maître de chœur. Psaume. De David.
2 Lorsque le prophète Nathan vint à lui
après qu’il fut allé vers Bethsabée.
3 Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon l’abondance de tes tendresses, efface mes rébellions
4 Lave-moi tout entier de mon iniquité,
purifie-moi de mon péché.
5 Oui, je connais mes rébellions,
mon péché est toujours devant moi.
6 Envers toi, envers toi seul, j’ai péché,
Et ce qui est mal à tes yeux, je l’ai mis en œuvre.
Ainsi, tu es juste quand tu parles,
Tu es pur quand tu juges.
7 Moi, je suis né dans l’ iniquité,
Et dans le péché ma mère m’a conçu.
8 Mais tu veux au fond de moi la vérité ;
dans le secret, tu m’a fait connaître la sagesse.
9 Enlève mon péché avec l’hysope, et je serai purifié ;
lave-moi et je serai blanc, plus que la neige.
10 Fais que j’entende les chants et la fête :
ils danseront, les os que tu as broyés.
11 Détourne ta face de mes péchés,
efface toutes mes iniquités.
12 Crée en moi un cœur purifié, ô mon Dieu,
Et renouvelle un souffle ferme à l’intérieur de moi.
13 Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton souffle saint.
14 Rends-moi la joie d’être sauvé ;
Qu’un souffle comme un feu m’anime.
15 Aux rebelles, j’enseignerai tes chemins ;
vers toi, reviendront les pécheurs.
16 Libère-moi du sang versé, Dieu, mon Dieu sauveur,
et ma langue acclamera ta justice.
17 Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange.
18 Si j’offre un sacrifice, tu n’en veux pas,
tu n’acceptes pas d’holocauste.
19 Le sacrifice qui plaît à Dieu,
c’est un souffle brisé ;
tu ne méprises pas, ô mon Dieu,
un cœur brisé et broyé.
20 Accorde à Sion le bonheur,
relève les murs de Jérusalem.
21 Alors tu accepteras de justes sacrifices,
oblations et holocaustes ;
alors on offrira des taureaux sur ton autel.
(Traduction établie à partir de celles de la Bible liturgique et de Jean-Luc Vesco, Cf. Bibliographie)
Compréhension
Ce psaume 50, (51 dans la numérotation hébraïque) emblème des psaumes de pénitence, est universellement connu sous le nom de « Miserere » (pitié !) qui débute sa version latine. Il est attribué au roi David. Il sous-entend l’épisode où le prophète Nathan vient le voir pour lui reprocher d’avoir envoyé Hourias le Hittite se faire tuer au combat pour s’emparer de sa femme Bethsabée. Nous retrouvons quelques traits qui rapprochent Ps 50 de 2 S 12, 1-14 où est exposée cette histoire particulièrement lamentable :
- David dit à Nathan : « J’ai péché contre le Seigneur (2 S 12, 13) // Envers toi, envers toi seul, j’ai péché (6)
- Pourquoi donc as-tu méprisé le Seigneur en faisant ce qui est mal à ses yeux ? dit Nathan (2 S 12, 9) // Et ce qui est mal à tes yeux, je l’ai mis en œuvre (6)
- Qui sait ? Le Seigneur aura peut-être pitié de moi (2 S 12, 22) // Pitié pour moi, mon Dieu (3)
- Nathan à David : Pourquoi donc as-tu méprisé le Seigneur - Cependant, parce que tu as bafoué le Seigneur, le fils (né du péché) que tu viens d’avoir mourra (2 S 12, 9 et 14) // tu ne méprises pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé (19)
De nombreux exégètes pensent maintenant que ce psaume, s’il peut être attribué au roi David lui-même, peut l’être aussi à un poète qui s’identifie à son histoire, par exemple lors de l’Exil à Babylone (6° s. avt JC), pour exprimer le repentir du peuple qui a été ainsi puni de ses fautes. Les versets 20-21 font pencher vers cette hypothèse (relèvement des murs de Jérusalem et rétablissement du temple). Dans le cas d’une composition par David, ces deux versets auraient été ajoutés plus tard.
Photo en tête : David pénitent, Enluminure des "Heures à l'usage de Saint-Pierre de Lagny" (entre 1525 et 1546) par Maitre François de Rohan (Photo Wikimédia commons)
3 Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon l’abondance de tes tendresses, efface mes rébellions
4 Lave-moi tout entier de mon iniquité,
purifie-moi de mon péché.
Cette invocation initiale résume tout le poème : conscient de ses rébellions, iniquité, péché, le psalmiste sollicite l’attitude bienveillante de Dieu (Pitié, amour, tendresses) pour effacer -laver ses souillures et le purifier.
Effacer, laver, purifier
Remarquons que c’est d’abord la miséricorde de Dieu qui apparaît avant même sa justice ou l’évocation des péchés, dans une vision positive de l’avenir du pécheur qui demande pardon :
- Il efface (3, 11) : allusion au grand livre divin où les péchés étaient censés s’inscrire. Le Seigneur répondit à Moïse : « Celui que j’effacerai de mon livre, c’est celui qui a péché contre moi. » (Ex 32, 33). C’est moi, oui, c’est moi qui efface tes crimes à cause de moi-même ; de tes péchés je ne vais pas me souvenir. (Ps 43, 25)
- Il lave (4, 11) : allusion aux vêtements qu’on « lessive en les foulant aux pieds ». Le Seigneur dit encore à Moïse : « Va vers le peuple ; sanctifie-le, aujourd’hui et demain ; qu’ils lavent leurs vêtements. (Ex 19, 10) Et quiconque porte une partie de leur cadavre (des animaux impurs) devra laver ses vêtements et sera impur jusqu’au soir (Lv 11, 25).
Ici il s’agit bien sûr d’une lessive morale, celle du péché. « Car il (le messager de l’Alliance) est pareil au feu du fondeur, pareil à la lessive des blanchisseurs. (Ml 3, 3). Lave ton cœur de tout mal, Jérusalem, afin d’être sauvée ! (Jr 4, 14)
- Il purifie (4, 9, 12) : « Je les sauverai en les retirant de tous les lieux où ils habitent et où ils ont péché, je les purifierai » (Ez 37, 23).
9 Enlève mon péché avec l’hysope, et je serai purifié
L’hysope (origanum syriacum), plante aromatique méditerranéenne, servait à fabriquer des aspersoirs (comme quelquefois le buis de nos jours) utilisés dans les cérémonies de purification soit avec du sang, soit avec de l’eau. Puis, un homme en état de pureté prendra un rameau d’hysope, le plongera dans cette eau et aspergera la tente, ainsi que tous les objets et les personnes qui s’y trouvent. (Nb 19, 18)
Cette plante est devenue le symbole de la purification intérieure effectuée par Dieu :
Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés ; de toutes vos souillures, de toutes vos idoles, je vous purifierai. Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair (Ez 36, 25-26)
12 Crée en moi un cœur purifié, ô mon Dieu,
Et renouvelle un souffle ferme à l’intérieur de moi.
Cette re-création du cœur du pécheur, ce renouvellement et affermissement de son souffle intérieur rappellent la création même : Alors le Seigneur Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie (Gn 2, 7). En quelque sorte, comme on dit, « on efface tout et on recommence ». Le cœur représente ce qui est le plus intérieur à l’homme, sa capacité de discerner et de mener sa vie. On se souvient de Jésus reprochant aux pharisiens la dureté de leur cœur (Mc 10, 5) et de sa volonté de revenir en ce qui concerne la Loi à l’anthropologie qui découle de la Création (Cf. mon article La Loi (3) : http://www.bible-parole-et-paroles.com/2018/01/la-loi-3-jesus-le-mariage-et-le-divorce.html )
Cette nouvelle création concerne aussi le peuple de Dieu à son retour d’exil : Quand le Seigneur rebâtira Sion, quand il apparaîtra dans sa gloire, il se tournera vers la prière du spolié, il n’aura pas méprisé sa prière. Que cela soit écrit pour l’âge à venir, et le peuple à nouveau créé chantera son Dieu. (Ps 101, 17-19)
Le re-création du peuple se joint d’ailleurs ici à la reconstruction de Jérusalem au retour de l’exil, ce que nous retrouvons dans notre Ps 50 :
20 Accorde à Sion le bonheur,
relève les murs de Jérusalem.
Rébellions, iniquité, péché
Nous trouvons également trois termes pour exprimer la culpabilité :
- rébellion (3, 5, 15) [péscha’ en hébreu] : dans le sens d’une révolte : Mais, à la mort d’Acab, le roi de Moab se révolta contre le roi d’Israël. (2 R 3, 5), d’une trahison : « Mais comme une femme qui trahit son compagnon, ainsi m’avez-vous trahi, maison d’Israël, – oracle du Seigneur. » (Jr 3, 20)
- péché (4, 5, 6, 7, 9, 11, 15) [hatta’t] : dans le sens de ce qui manque la cible, être en porte-à-faux vis-à-vis de quelqu’un, volontairement ou non, donc en situation de rupture : Jonathan fit à son père Saül l’éloge de David ; il dit : « Que le roi ne commette pas de faute contre son serviteur David, car lui n’a commis aucune faute envers toi. Au contraire, ses exploits sont une très bonne chose pour toi (1 S 19, 4) ou vis-à-vis de Dieu : Ce jour-là, ils jeûnèrent, et ils déclarèrent en ce lieu : « Nous avons péché contre le Seigneur. » (1 S 7, 6). C’est le terme le plus fréquent pour désigner le péché dans la Bible.
- iniquité (4, 7, 11) [‘awon] : désigne ce qui est déviant, tordu, met l’accent sur la subjectivité de la personne, donc sa culpabilité, sur la perversité : Si un homme commet une faute parce qu’il a entendu l’appel solennel à témoigner et qu’ayant été témoin direct, ou ayant vu ou ayant eu connaissance des faits, il ne se présente pas comme témoin, il portera le poids de son péché. (Lv 5, 1)
Nous sommes évidemment loin d’une doctrine formalisée de ce que peut être le péché telle qu’elle sera formalisée par la suite. La traduction du texte hébreu doit rendre compte de cette diversité d’approche qui s’est trouvée quelque peu gommée ensuite par les traductions en grec et en latin. La grande tentation du pécheur est de méconnaître ou mal évaluer ses failles qui entachent les moindres pensées, paroles, actions ou omissions de notre vie (cf. le « Je confesse à Dieu »), de par notre nature, ce que rappelle le psalmiste :
7 Moi, je suis né dans l’ iniquité,
Et dans le péché ma mère m’a conçu.
Il est temps de revenir maintenant à l’histoire de David et Bethsabée. De leur union, après la mort au combat de Hourias, son mari, naquit un fils.
David dit à Nathan : « J’ai péché contre le Seigneur ! » Nathan lui répondit : « Le Seigneur a passé sur ton péché, tu ne mourras pas. Cependant, parce que tu as bafoué le Seigneur, le fils que tu viens d’avoir mourra. » (2 S 12, 13-14).
Comment comprendre l’attitude du Seigneur qui épargne le pécheur mais fait retomber la faute sur les fils. C’était là la croyance des Hébreux, qui persistait à l’époque de Jésus
A Pilate qui se dégage de toute responsabilité dans la mort de Jésus : Tout le peuple répondit : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants ! » (Mt 27, 25)
L’enfant tomba gravement malade. David implora Dieu pour le petit enfant : il jeûna strictement, et, quand il rentrait chez lui, il passait la nuit couché par terre. Les anciens de sa maison insistaient auprès de lui pour qu’il se relève, mais il refusa, et ne prit avec eux aucune nourriture. Le septième jour, l’enfant mourut. (2 S 12, 16-18)
Et comment comprendre l’attitude, ensuite, de David ?
Alors David se releva de terre, se baigna, se parfuma et changea de vêtement. Il entra dans la maison du Seigneur et se prosterna. Puis il rentra chez lui ; il demanda qu’on lui serve de la nourriture et il mangea. Ses serviteurs lui dirent : « Mais que fais-tu ? Pour l’enfant, quand il était en vie, tu as jeûné et pleuré, et maintenant qu’il est mort, tu te relèves et tu prends de la nourriture ! » Il répondit : « Tant que l’enfant était encore en vie, j’ai jeûné et j’ai prié en me disant : Qui sait ? Le Seigneur aura peut-être pitié de moi, et l’enfant vivra ! Mais maintenant qu’il est mort, à quoi bon jeûner ? Pourrais-je encore le faire revenir ? C’est moi qui m’en irai le rejoindre, mais lui ne reviendra pas vers moi. » (2 S 12, 20-23).
Qu’est-ce que ce récit probablement très loin d’une vérité historique veut nous montrer ?
Cet enfant représentait pour David le résultat de son péché. Son absence de nom en fait plutôt un symbole. David fit pénitence en implorant Dieu pour lui. En même temps que mourait l’enfant, se terminait la période de pénitence. Il se lava (signe de purification), se parfuma (agréable odeur pour son Dieu), changea de vêtement (le vêtement est traditionnellement le signe des dispositions intérieures), en quelque sorte la mort de cet enfant, symbole de son péché, le faisait renaître à la vie.
Il fallait encore pour nos ancêtres dans la foi un bout de chemin spirituel à parcourir pour imaginer traduire le symbole d’une nouvelle vie autrement que par la mort d’un enfant ! Et pourtant la Sagesse était déjà à l’œuvre depuis longtemps …
Cette enluminure de David pénitent est extraite du Psautier de Paris (v. 940-960) déposé à la BnF.
David est d'abord représenté sur son trône, à gauche. Au centre, le prophète Nathan qui le sermonne. A droite, David est représenté pénitent à genoux ; au-dessus de lui se tient une femme symbole de la "métanoia" (comme le nom écrit en grec au-dessus l'indique), c'est à dire du repentir.
Miséricorde
Cette prise de conscience de l’omniprésence du péché individuel ou collectif pourrait conduire à un pessimisme paralysant mais Dieu, oubliant cela, propose son Alliance à l’homme. Ainsi après le déluge lorsque Noé lui offre un holocauste :
Le Seigneur respira l’agréable odeur, et il se dit en lui-même : « Jamais plus je ne maudirai le sol à cause de l’homme : le cœur de l’homme est enclin au mal dès sa jeunesse, mais jamais plus je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait. » (Gn 8, 21)
Tout se passe comme si l’homme prenant conscience de l’issue mortelle d’une conscience aigüe de ses fautes qui seraient punies par un Dieu en courroux en action à travers le déchaînement des éléments ou donnant la mort, imaginait peu à peu une voie de sagesse libératrice de son angoisse :
Nous avons peine à nous représenter ce qui est sur terre, et nous trouvons avec effort ce qui est à notre portée ; ce qui est dans les cieux, qui donc l’a découvert ? Et qui aurait connu ta volonté, si tu n’avais pas donné la Sagesse et envoyé d’en haut ton Esprit Saint ? C’est ainsi que les sentiers des habitants de la terre sont devenus droits ; c’est ainsi que les hommes ont appris ce qui te plaît et, par la Sagesse, ont été sauvés. (Sg 9, 16-18)
Et plus tard cette sublime figure de la Sagesse :
Ce Christ, nous l'annonçons, avertissant tout homme et instruisant tout homme en toute sagesse, afin de rendre tout homme parfait dans le Christ. (Col 1, 28)
Quels sont les mots du psalmiste pour dire la miséricorde de Dieu qu’il peut seule implorer sans se prévaloir de rien ?
3 Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon l’abondance de tes tendresses, efface mes rébellions
- Pitié [ânan] : le geste de « condescendance » de celui qui donne « gratuitement », ce qui pourra être appelé plus tard « grâce ».
- Amour [héséd] : notion de réciprocité, de fidélité et de générosité dans une relation qui caractérise l’amour divin partagé, ainsi exprimé dans le nom de Yedidya, « Aimé-du-Seigneur », donné au second fils de David et Bethsabée et qui consacre ainsi sa réconciliation avec Dieu :
David consola Bethsabée sa femme : il la retrouva et coucha avec elle. Elle lui donna un fils qu’il nomma Salomon. Le Seigneur l’aima, et il le fit savoir par le prophète Nathan qui lui donna, à cause du Seigneur, le nom de Yedidya : Aimé-du-Seigneur. (2 S 12, 24-25)
Plus tard ce terme prendra toute sa dimension dans l’Agapè chrétien.
- Tendresses [réhém] : désigne au singulier le ventre de la mère puis au pluriel, ses entrailles, et avec une notion d’affectivité c’est l’amour « des entrailles maternelles », les tendresses comme celles d’une mère pour son enfant. C’est ce terme qui donnera la notion de miséricorde. Dieu a la tendresse d’une mère comme l’exprime si bien ce passage du Ps 21, où l’homme est « jeté » de la tendresse maternelle dans celle de Dieu :
Car toi, tu m’as fait jaillir hors du ventre,
tu m’as mis en confiance sur les seins de ma mère.
Sur toi je fus jeté, hors de la matrice ;
Hors du ventre de ma mère, mon Dieu, c’est toi !
(Ps 21, 10-11. Trad. J.-L. Vesco)
Cette miséricorde de Dieu est matricielle, créatrice de vie. Elle sera symbolisée par la matrice que représente le temple restauré. Elle est accordée par pure grâce à condition que l’homme se tienne dans un face à face de vérité avec Dieu pour permettre à sa justice d’apporter la paix.
Amour et vérité se rencontrent,
justice et paix s’embrassent ;
la vérité germera de la terre
et du ciel se penchera la justice. (Ps 84, 11-12)
Le face à face
Le face à face en vérité avec Dieu suppose d’abord le face à face avec soi-même :
5 Oui, je connais mes rébellions,
mon péché est toujours devant moi.
sous le regard de Dieu pur et juste :
6 Et ce qui est mal à tes yeux, je l’ai mis en œuvre.
Ainsi, tu es juste quand tu parles,
Tu es pur quand tu juges.
Dans le fond du cœur de l’homme Dieu a mis la Sagesse pour lui faire découvrir la vérité :
8 Mais tu veux au fond de moi la vérité ;
dans le secret, tu m’a fait connaître la sagesse.
L’homme demande à Dieu de détourner sa face de ses péchés mais pas de lui-même car il ne se réduit pas à son péché :
11 Détourne ta face de mes péchés,
13 Ne me chasse pas loin de ta face,
Ce face à face est déstabilisant pour l’homme, il secoue son « architecture intérieure » :
10 ils danseront, les os que tu as broyés.
19 Le sacrifice qui plaît à Dieu,
c’est un souffle brisé ;
tu ne méprises pas, ô mon Dieu,
un cœur brisé et broyé.
Je suis comme l’eau qui se répand,
tous mes membres se disloquent.
Mon cœur est comme la cire,
il fond au milieu de mes entrailles.
(Ps 21, 15)
Dieu n’impose pas d’autre sacrifice ou pénitence que d’éprouver ce cœur broyé, cette « mort dans l’âme ». Ce souffle de vie Dieu va le restaurer dans l’homme qui le lui demande :
12 Et renouvelle un souffle ferme à l’intérieur de moi.
13 ne me reprends pas ton souffle saint.
14 Qu’un souffle comme un feu m’anime.
Il nous reste à étudier ce qui pour nous peut être une énigme :
6 Envers toi, envers toi seul, j’ai péché,
David n’aurait-il pas péché contre le pauvre Hourias qu’il a envoyé au combat, volontairement dans une zône très dangereuse avec l’espoir qu’il meure pour lui prendre sa femme Bethsabée. N’a-t-il pas été malhonnête envers Bethsabée ?
Ce péché ne peut-il concerner que Dieu ? Certes le mort ne peut ressusciter, mais David peut-il regarder Bethsabée en face même s’il semble qu’elle ne résista guère à ses avances.
Cette lithographie de Marc Chagall intitulée « David et Bethsabée » (1956) pourrait nous aider à comprendre.
Marc Chagall ( 1887-1985) aimait peindre David car il voyait en lui comme musicien une sorte de patron des artistes. Avec « David et Bethsabée » il représente une métaphore possible de l’amour passionnel. Cette œuvre nous montre les visages en fusion des deux amants. A gauche, l’œil de David regarde fixement :
- Nous-mêmes qu’il prend à témoins ?
15 Aux rebelles, j’enseignerai tes chemins ;
vers toi, reviendront les pécheurs.
- Dieu ?
6 Envers toi, envers toi seul, j’ai péché,
Et ce qui est mal à tes yeux, je l’ai mis en œuvre.
- Sa conscience ?
5 Oui, je connais mes rébellions,
mon péché est toujours devant moi.
A gauche du visage, très sombres, un ange des ténèbres (?) et en-dessous, une sorte de magma : les os broyés (10, 19) ? La bouche est dans l’ombre, c’est le temps de la réflexion intérieure, pas encore de la louange.
En haut à gauche, en bleu, en position lovée, le prophète Nathan avec un livre (figuration fréquente chez Chagall). Il a contribué à rendre David conscient de son péché en lui racontant une parabole :
Pourquoi donc as-tu méprisé le Seigneur en faisant ce qui est mal à ses yeux ? (2 S 12, 9)
La main de David, énorme, joue de la harpe mais elle est tachée de sang : celui de Hourias mort injustement à la guerre :
16 Libère-moi du sang versé, Dieu, mon Dieu sauveur,
Un ange rouge apporte à son âme le souffle libérateur :
14 Qu’un souffle comme un feu m’anime.
David ne peut voir le visage de Bethsabée à angle droit avec le sien, fermé (bouche close, œil dirigé vers le sol (réflexion, honte ?).
Sans doute pour l’instant, son péché est une affaire intime entre Dieu et lui :
8 Mais tu veux au fond de moi la vérité ;
dans le secret, tu m’a fait connaître la sagesse.
Il devra passer par le seul sacrifice qui plaît à Dieu :
19 Le sacrifice qui plaît à Dieu,
c’est un souffle brisé ;
Ce n’est qu’ensuite, libéré du sang versé, qu’il pourra regarder en face Bethsabée, ses lèvres s’ouvriront pour acclamer la justice et chanter la louange du Dieu Sauveur. Cette union pourra devenir féconde en la personne du jeune Salomon, surnommé par Nathan Yedidya : Aimé-du-Seigneur.
A l’époque de David, la vie d’un guerrier et le consentement d’une femme ne représentaient pas grand-chose. Jésus cherchera à faire évoluer les consciences, Ainsi le fils prodigue peut-il déclarer :
« Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.” (Lc 15, 21)
A mettre en face de : 6 Envers toi, envers toi seul, j’ai péché,
Mais la chrétienté mettra du temps pour évoluer. Encore actuellement, il n’est pas obligatoire de faire acte de réparation pour mériter l’absolution dans le sacrement de réconciliation :
« Beaucoup de péchés causent du tort au prochain. Il faut faire le possible pour le réparer (par exemple restituer des choses volées, rétablir la réputation de celui qui a été calomnié, compenser des blessures). La simple justice exige cela. » (Catéchisme de l’Eglise Catholique, n° 1459).
Et j’ajouterai la simple justice humaine l’exige déjà, et de plus en plus !
Et Jésus en fait une obligation :
Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande. (Mt 5, 23-24)
David pénitent, enluminure du livre des "Grandes Heures de Jean de Berry" (v. 1407) déposé à la BnF (Photo Wikimedia commons)
La reconstruction de Jérusalem
On l’aura compris, ce péché de David nous concerne tous : de quelles compromissions, de quelles actions malhonnêtes et cachées sommes-nous capables, pour éliminer l’autre sur le chemin de notre entier pouvoir sur un ou des individus, sur des territoires ou des biens ? Nos regrets, nos aveux devant Dieu, sont nécessaires mais la réparation envers le prochain ne l’est pas moins.
Du moins David se fait-il apôtre :
15 Aux rebelles, j’enseignerai tes chemins ;
vers toi, reviendront les pécheurs.
Cette action collective de purification est d’abord celle de la joie débordante de David réconciliée avec Dieu :
14 Rends-moi la joie d’être sauvé ;
10 Fais que j’entende les chants et la fête :
ils danseront, les os que tu as broyés.
16 … et ma langue acclamera ta justice.
17 Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange.
Ce bonheur a sa fin dans le pardon de Dieu au peuple d’Israël puni de l’exil pour ses errements et qui pourra lui demander en le regardant en face :
20 Accorde à Sion le bonheur,
relève les murs de Jérusalem.
Constatant le cœur brisé et broyé de son peuple, Dieu pourra enfin accepter ses oblations et holocaustes :
21 Alors tu accepteras de justes sacrifices,
oblations et holocaustes ;
alors on offrira des taureaux sur ton autel.
Epilogue
Curieux psaume 50, dont on a fait principalement un psaume de désolation du pécheur devant son péché qui l’accable, l’obsède, donnant prétexte à des traductions (Cf. ci-dessous celle de Pierre Corneille) et des œuvres musicales (Cf. Le « Miserere » d’Allegri) bouleversantes. Rarement les états d’âme d’un pécheur ont été décrits avec une telle acuité d’analyse et de sentiments et surtout à la première personne.
Certes cette histoire d’amour entre David et Bethsabée est particulièrement sordide, mais elle offre de contempler la miséricorde de Dieu à l’œuvre dans le destin d’un individu mais aussi d’un peuple. Tout l’art du psalmiste se déploie pour montrer ce passage de l’individuel au collectif par le rite du sacrifice. Cependant la prise de conscience de l’incidence collective de toute faute ne l’amène pas encore à en envisager la réparation vis-à-vis d’un tiers individuel. La réconciliation avec Dieu implique en elle-même la réconciliation avec le prochain identifié au groupe.
Jésus marquera dans un long processus qui est loin d’être terminé la volonté de prendre en compte le prochain dans son individualité, et non réduit à un groupe où l’on s’identifie.
En ce sens, le Temple, symbole du groupe dans l’expression de sa ritualité, dont il n’a cessé de dénoncer l’hypocrisie et la volonté de puissance, est voué pour lui à la disparition.
Dieu ne nous a pas fait jaillir hors de la matrice de notre mère pour seulement retrouver le confort rituel dans la matrice d’un temple.
Comme le disait Jésus à la Samaritaine : « Crois-moi, femme, l'heure vient où ce n'est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. » (Jn 4, 21)
Jetés hors de la matrice de notre mère, Dieu nous accueille dans les entrailles de sa miséricorde toute maternelle pour découvrir dans le face à face la merveille de notre humanité faite à son image :
« En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait. » (Mt 25, 40)
Texte latin du Miserere
3. Miserere mei, Deus: secundum magnam misericordiam tuam.
Et secundum multitudinem miserationum tuarum, dēlē iniquitatem meam.
4. Amplius lavā me ab iniquitate mea: et peccato meo mundā me.
5. Quoniam iniquitatem meam ego cognōscō: et peccatum meum contra me est semper.
6. Tibi soli peccāvī, et malum coram te fēcī: ut justificeris in sermonibus tuis, et vincās cum judicaris.
7. Ecce enim in iniquitatibus conceptus sum: et in peccatis concepit me mater mea.
8. Ecce enim veritatem dilexisti: incerta et occulta sapientiae tuae manifestasti mihi.
9. Asperges me, Domine, hyssopo, et mundābor : lavābis me, et super nivem dēalbābor.
10. Auditui meo dabis gaudium et laetitiam: et exsultabunt ossa humiliata.
11. Averte faciem tuam a peccatis meis: et omnes iniquitates meas dele.
12. Cor mundum crea in me, Deus: et spiritum rectum innova in visceribus meis.
13. Ne projicias me a facie tua: et spiritum sanctum tuum ne auferas a me.
14. Redde mihi laetitiam salutaris tui: et spiritu principali confirma me.
15. Docebo iniquos vias tuas: et impii ad te convertentur.
16. Libera me de sanguinibus, Deus, Deus salutis meae: et exsultabit lingua mea justitiam tuam.
17. Domine, labia mea aperies: et os meum annuntiabit laudem tuam.
18. Quoniam si voluisses sacrificium, dedissem utique: holocaustis non delectaberis.
19. Sacrificium Deo spiritus contribulatus: cor contritum, et humiliatum, Deus, non despicies.
20. Benigne fac, Domine, in bona voluntate tua Sion: ut aedificentur muri Jerusalem.
21. Tunc acceptabis sacrificium justitiae, oblationes, et holocausta: tunc imponent super altare tuum vitulos.
Méditation grégorienne
Asperges me
C’est l’antienne qui accompagne l’aspersion de l’eau bénite avant la grand-messe du dimanche. Rite riche de sens malheureusement très peu pratiqué sauf dans les monastères.
Cette antienne grégorienne reprend le verset 9 du Ps 50 avec en psalmodie le verset 3
Asperges me, Domine, hyssopo, et mundābor : lavābis me, et super nivem dēalbābor.
Miserere mei, Deus: secundum magnam misericordiam tuam.
- Antienne du 7° ton ( 13° s.)
Aspersion au cours d’une messe papale :
https://www.youtube.com/watch?v=Dabiw3nwNoo
et en Corée :
https://www.youtube.com/watch?v=N_PM6sO-dfs
- Antienne du 4° ton (12° s.)
https://www.youtube.com/watch?v=kRh1GUbjn_U
- Chant ambrosien (Chant ancien de l’Eglise de Milan)
https://www.youtube.com/watch?v=tmM5qkGRnps
- « Asperges me" en polyphonie par l’ensemble Gilles Binchois
https://www.youtube.com/watch?v=S01f7VZW5yo
Communion du 16° dimanche (A et B) du temps ordinaire
Acceptabis sacrificium justitiae, oblationes, et holocausta, super altare tuum, Domine.
(cf. verset 21 du Ps 50)
https://www.youtube.com/watch?v=L4eGpcyv6Es
A l’orgue thème de cette Communion repris dans une composition du recueil « L’orgue mystique de Charles Tournemire (1870-1939) :
https://www.youtube.com/watch?v=bLXtN0-OITQ
Compléments
Une très belle psalmodie en français du psaume 50 par les moines de l’abbaye de Tamié :
https://www.youtube.com/watch?v=qhUCmPZDykA
Une œuvre musicale célèbre et magnifique de Gregorio ALLEGRI (1582-1652) : "Miserere mei, Deus" par
- The Choir of New College, Oxford (dir. Edward HIGGINBOTTOM)
https://www.youtube.com/watch?v=3s45XOnYOIw
- The Choir of Claire College, Cambridge, (dir. Timothy Brown)
https://www.youtube.com/watch?v=IA88AS6Wy_4
David roi et musicien chante le péché et le pardon
Article du journal La Croix
Autre traduction
Je vous propose celle de Pierre Corneille (1606-1684). J’ai reproduit une édition de 1862 (Hachette) par Ch. Marty-Laveaux. Je l’ai choisie parce qu’elle m’a fourni l’idée d’une traduction possible du v. 14 :
14 Rends-moi la joie d’être sauvé ;
Qu’un souffle comme un feu m’anime.
Que Corneille avait traduit :
Rendez-moi ce divin transport
Où s’élevoit ma joie en votre salutaire,
Cet esprit tout de feu qui s’efforce à vous plaire,
Et dont vous bénissez l’effort.