La messe grégorienne de Pâques
Resurrexi …
Je suis ressuscité, et je suis toujours avec toi, alleluia ! Tu as posé la main sur moi, alleluia Ta sagesse s’est montrée admirable, alleluia, alleluia !
V/ Seigneur tu m’as mis à l’épreuve et tu me connais ; tu connais mon repos et ma résurrection.
C’est le Fils lui-même qui parle à son père. Cette nuit pascale où il renaît peut être mise en parallèle avec la nuit de Noël où il naquit. C’est le même dialogue trinitaire entre le Père et le Fils.
Mais alors que dans l’introït Dominus dixit ad me (http://www.bible-parole-et-paroles.com/2017/12/dominus-dixit-ad-me.html) le Fils nous confiait les paroles que son père lui adressait, ici il s’adresse directement à son Père et c’est par la proclamation chantée de cet introït que nous en prenons connaissance.
Au mode de la confidence succède comme un écho lointain, entendu d’abord intérieurement, de la proclamation pascale du ressuscité vers lequel se mettent en marche les apôtres et les saintes femmes.
Contrairement à l’iconographie pascale attachée à montrer le triomphe du Christ sur la mort, l’ambiance musicale est ici toute en discrétion.
La Trinité du corps rompu par Robert Campin (1378-1444)
La peinture en camaïeu donne l’impression d’un marbre dont la couleur unique symbolise l’unicité de la substance des trois personnes de la Trinité. Dieu le Père soutient le corps de son Fils s’affaissant. La colombe symbole de l’Esprit saint est posée sur l’épaule du Christ. (Photo Wikiart)
Le psaume 138
L’introït est tiré du psaume 138 (hb 139) qui traduit l’intimité bienveillante de Yhwh avec le psalmiste qui se sent reconnu d’une façon particulière au milieu de la Création pour laquelle il rend grâce :
C'est toi qui m'as formé les reins, qui m'as tissé au ventre de ma mère ;
je te rends grâce pour tant de prodiges merveille que je suis, merveille que tes œuvres. Mon âme, tu la connaissais bien, mes os n'étaient point cachés de toi, quand je fus façonné dans le secret, brodé au profond de la terre. (Ps 138, 13-15)
En plus de cette intimité interprétée comme trinitaire, ce psaume joue sur l’opposition lumière et ténèbres tout à fait dans la tonalité pascale :
Je dirai : « Que me presse la ténèbre, que la nuit soit pour moi une ceinture » ; même la ténèbre n'est point ténèbre devant toi et la nuit comme le jour illumine. (Ps 138, 11-12)
La fin du psaume est nettement moins dans la tonalité évangélique et sera évidemment écartée des versets retenus pour l’introït :
Yahvé, n'ai-je pas en haine qui te hait, en dégoût, ceux qui se dressent contre toi ? Je les hais d'une haine parfaite, ce sont pour moi des ennemis. (Ps 138, 21-22)
(Traductions BJ)
Lien vers le psaume 138 (traduction liturgique) : http://www.aelf.org/bible/Ps/138
Le texte de l’introït
Texte latin :
Resurrexi, et adhuc tecum sum, alleluia. Posuisti super me manum tuam, alleluia. Mirabilis facta est scientia tua, alleluia, alleluia.
V/ Domine probasti me, et cognovisti me : tu cognovisti sessionem meam, et resurrectionem meam.
Traduction d’après le texte latin :
Je suis ressuscité, et je suis toujours avec toi, alleluia ! Tu as posé la main sur moi, alleluia Ta sagesse s’est montrée admirable, alleluia, alleluia !
V/ Seigneur tu m’as mis à l’épreuve et tu me connais ; tu connais mon repos et ma résurrection.
Traduction d’après le texte hébreu (Jean-Luc Vesco, cf. bibliographie) :
v. 18 : … Je me réveille et je suis encore avec toi
v. 5 : En arrière et en avant tu m’assièges, tu mets sur moi la paume de ta main
v. 6 : Connaissance trop merveilleuse pour moi, lieu si sûr que je ne puis l’atteindre !
v. 1 : … Tu me scrutes et me connais.
v. 2 : Toi, tu connais quand je demeure et quand je me dresse, de loin, tu comprends ma pensée.
Nous retrouvons résumé dans ces quelques versets retenus ce qui fait l’essentiel du psaume 138 : l’intimité bienveillante et continue de Dieu qui est une caractéristique même de la Trinité.
Ce parallélisme entre Noël et Pâques a été bien mis en valeur dans l’iconographie de Noël où l’on voit assez souvent des mangeoires où est déposé le nouveau-né ressembler à des tombeaux. Ici dans cette Nativité de Veneziano Lorenzo (1290-1358) (Photo Wikimedia commons)
Einsiedeln, Stiftsbibliothek, Codex 121, p.205 – Graduale – Notkeri Sequentiae
Ce manuscrit de Einsiedeln (11 ème siècle) montre les neumes dessinés au-dessus du texte latin qui commence avec l'initiale enluminée « R » de Resurrexi reproduite en tête de l’article et se poursuit ici avec et adhuc …
Le "E 205" (Einsiedeln p. 205) inscrit en marge de la transcription solesmienne ci-dessous indique justement la provenance de l'appareil neumatique transcrit au-dessous de la notation établie par les moines. L'écriture neumatique peut être considérée comme la mise en espace sonore du texte de l’Ecriture.
La mélodie grégorienne
Elle reflète bien cette intimité pleine de douceur de la Trinité comme l’introït de la nuit de Noël reflétait celle de la crèche.
Elle se développe aussi au début principalement sur la tierce ré-fa et se développe ensuite sur la quinte ré-la (sauf dans la troisième partie). Ce statisme de la mélodie, renforcé par des mélismes peu développés et la répétition de six tristropha sur le fa (groupe de trois mêmes notes répétées avec une légère percussion, ici caractéristique du 4° mode) : Resurrexi … Alleluia … super … manum … Alleluia … scientia …
« En réalité, le fa surplombe le mi et la mélodie ne vient pas, à chaque instant, retrouver le mi structurel [note finale]. Elle continue de chanter ailleurs, comme si elle avait toujours quelque chose à dire : elle ne veut pas s’arrêter et ne consent pas à finir. Le fa, comme une note d’attente, forme une sorte de balcon au-dessus du mi. » (J. Janneteau cité par Dom Saulnier, p. 72, voir bibliographie)
Effectivement, nous sommes dans une atmosphère très planante, suspendue dans le temps. Le Ressuscité nous introduit dans l’éternité du Père. L’alleluia qui conclut la deuxième partie est particulièrement caractéristique en ce sens avec ses balancements.
« A mon sens, il [cet introït] est, dans toute l’acception du mot, « incomparable », unique ; je ne sais rien qui l’égale ; il occupe une place à part dans tout l’art ecclésial, tellement il est prenant, tellement il est vivant, tellement il dépasse toutes nos conceptions ! A propos de lui, je crois à l’inspiration du chant grégorien, car je ne pense pas qu’un homme, même un saint, eût trouvé quelque chose d’aussi prodigieusement simple un jour de Pâques. » (Dom Gajard, p. 144, voir bibliographie).
Comme interprétation de cette messe grégorienne de Pâques j’ai choisi celle, déjà ancienne, des moines de Fontgombault qui, soutenue par un discret accompagnement d’orgue, traduit parfaitement la spiritualité de cet introït empreint de sérénité contemplative.
(2) Messe du Dimanche de Pâques - Chant grégorien - Fontgombault - YouTube
La mélodie grégorienne s’affiche pendant le chant.
(Après l’audition arrêter la diffusion pour la reprendre et écouter les autres pièces)
Graduel « Haec dies »
Comme nous l’avons déjà expliqué le chant du graduel vient prendre place après la première lecture (http://www.bible-parole-et-paroles.com/2018/02/angelis-suis-mandavit-de-te.html). Celui-ci est emblématique de la liturgie pascale et sa première partie sera reprise durant toute la semaine appelée octave de Pâques suivie comme ici d’un autre verset du ps 117 qui variera chaque jour.
Le psaume 117 (Hb 118)
C’est par excellence un chant d’action de grâce. Le verset 1 forme comme une antienne que l’on retrouve aussi à la fin (v. 29). La formule éternel est son amour revient dans les quatre premiers versets. Après cette proclamation de l’amour éternel du Seigneur viennent le récit de faits où il s’est manifesté et l’action de grâce en forme d’hymne liturgique (vv. 22-27). Ce psaume se prête facilement à une lecture christique qui rappelle la passion et la résurrection du Christ :
v. 26 : Béni soit au nom de Yahvé celui qui vient ! Nous vous bénissons de la maison de Yahvé.
v. 27 : Yahvé est Dieu, il nous illumine. Serrez vos cortèges, rameaux en main, jusqu'aux cornes de l'autel.
V. 17 : Non, je ne mourrai pas, je vivrai et publierai les œuvres de Yahvé ;
v. 22 : La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue la tête de l'angle ;
v. 23 : c'est là l'œuvre de Yahvé, ce fut merveille à nos yeux. (Trad. BJ)
Lien vers le psaume 117 (traduction liturgique) : http://www.aelf.org/bible/Ps/117
Le texte du graduel
Texte latin :
Haec dies, quam fecit Dominus : exsultemus, et laetemur in ea.
V/ Confitemini Domino, quoniam bonus : quoniam in saeculum misericordia ejus
Traduction d’apprès le texte latin :
Voici le jour que le Seigneur a fait ; vivons-le dans la joie et dans l’allégresse.
V/ Rendez grâces au Seigneur, car il est bon, car éternel est son amour
Traduction d’après le texte hébreu (Jean-Luc Vesco, cf. bibliographie) :
v. 24 : Ceci est le jour où Yhwh a œuvré, exultons et réjouissons-nous en lui !
v. 1 : Rendez grâce à Yhwh, oui il est bon, oui pour toujours est son amour
Le verset 24 résume le contexte d’action de grâce du psaume 117 qui convient parfaitement au cadre pascal : la pierre rejetée par le peuple hébreu (v. 22), le Christ, est devenue, par sa résurrection, la pierre d’angle, l’assise de la nouvelle alliance, manifestation de l’amour éternel du Seigneur.
La mélodie grégorienne
La sérénité contemplative de l’introït fait place maintenant à une joie démonstrative empreinte de légèreté et de fluidité. Le démonstratif Haec (ceci ou voici) qui débute le graduel se déploie comme l’étendard porté par le Christ victorieux de la mort dans l’iconographie pascale : mouvement à la fois large et léger que vont traduire aussi les nombreux mélismes dans un intervalle resserré et une tessiture élevés, la plupart du temps entre la et mi, parcourus sans cesse par la mélodie qui se déploie et se replie comme le fanion de l’étendard flottant au vent (le vent de l’Esprit, troisième personne de la Trinité ?). Cette joie relie le ciel et la terre : le Fils incarné ressuscité avec son corps est aussi le Fils de la Trinité. La mélodie montera plusieurs fois jusqu’au fa (ea, domino) et même jusqu’au sol (quoniam) mais ne descendra jamais au-dessous du fa inférieur. De nombreux c (celeriter = rapidement) émaillent l’appareil neumatique pour souligner le caractère enlevé de la mélodie et les neumes longs ou appuyés ne sont là que pour mettre en valeur certains mots (Dominus, ea, quoniam bonus, ejus), ou donner du rythme à la phrase musicale (Haec, fecit, exsultemus).
Dom Gajard souligne que l’adaptation de ce graduel composé selon la formule des graduels dits du 2ème mode (voir http://www.bible-parole-et-paroles.com/2018/02/angelis-suis-mandavit-de-te.html) a été faite « avec une liberté, une aisance, et une souplesse qui dénotent l’artiste de race. » (p. 145, voir bibliographie). Ce graduel emblématique traduit bien le dynamisme du message pascal à l’unisson d’une nature en plein renouveau.
Au petit jardin de la Résurrection : les tulipes "pivoines" blanches entourent des écorces d'eucalyptus figurant les linges du linceul abandonné par Jésus ressuscité.
Allelulia « Pascha nostrum »
Le texte
Alleluia, alleluia. Pascha nostrum immolatus est Christus.
Alleluia, alleluia, Le Christ notre Pâque a été immolé.
Le texte est issu d’une épitre de Saint-Paul aux Corinthiens où il critique leur comportement :
Il n'y a pas de quoi vous glorifier ! Ne savez-vous pas qu'un peu de levain fait lever toute la pâte ? Purifiez-vous du vieux levain pour être une pâte nouvelle puisque vous êtes des azymes. Car notre Pâque, le Christ a été immolé. Ainsi donc, célébrons la fête, non pas avec du vieux levain, ni un levain de malice et de méchanceté, mais avec des azymes de pureté et de vérité. (1 Cor 5, 6-8)
Grâce à ce passage de cette épitre de Paul est évoquée dans cette messe la continuité entre la première pâque qui marquait le départ des Hébreux d’Egypte et celle où le Christ fut immolé sur la croix.
Vous prendrez un agneau ou un chevreau. Vous le garderez jusqu’au quatorzième jour du mois. Dans toute l’assemblée de la communauté d’Israël, on l’immolera au coucher du soleil. On prendra du sang, que l’on mettra sur les deux montants et sur le linteau des maisons où on le mangera. On mangera sa chair cette nuit-là, on la mangera rôtie au feu, avec des pains sans levain et des herbes amères … Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur … Le sang sera pour vous un signe, sur les maisons où vous serez. Je verrai le sang, et je passerai : vous ne serez pas atteints par le fléau dont je frapperai le pays d’Égypte. (Ex 12, 5-8 ; 11 ; 13. Trad. Bible liturgique)
Comme le sang de l’agneau avait permis aux Hébreux d’être épargnés, de même le sang du Christ est offert pour sauver la multitude. Ainsi sont bien justifiés les joyeux alleluia qui accompagnent cette citation.
Pendant sept jours, vous mangerez des pains sans levain. Dès le premier jour, vous ferez disparaître le levain de vos maisons. Et celui qui mangera du pain levé, entre le premier et le septième jour, celui-là sera retranché du peuple d’Israël. (Ex 12, 15)
Le vieux levain, le péché, doit disparaître parmi les Corinthiens pour qu’ils deviennent des pains azymes (sans levain) de pureté et de vérité. (1 Cor 5, 8). Ce thème sera évidemment repris fort à propos dans de la texte la Communion de cette messe.
La mélodie grégorienne
Les alleluia du temps pascal sont autant d’échos du grand alleluia solennel de la nuit tant attendu après la période de Carême qui nous en privait.
Celui-ci est empreint d’une grandeur marquée par des neumes longs ou appuyés (alleluia, nostrum, Christus) et mêlée à des vocalises jubilatoires très développées et marquées dans l’appareil neumatique de nombreux c (celeriter = rapidement). L’alleluia culmine au la supérieur atteint à deux reprises : cette joie vient du ciel comme des trilles de chants d’oiseaux !
Séquence « Victimae paschali »
La séquence, ou prose, était à l’origine une prolongation des longs mélismes de l’alleluia. L’usage vint d’y ajouter des mots pour mieux les retenir de mémoire. Cette « suite » (sequentia) de notes ornées de paroles prit peu à peu son autonomie. Les paroles n’en étaient pas tirées de l’Ecriture comme dans les autres pièces de la messe mais inventées. Ces séquences autorisèrent une expression plus populaire à la fois dans le texte mais aussi dans la forme musicale. Ainsi certaines séquences adoptèrent des formes rythmées rendant plus facile leur exécution par le peuple ; sans doute est-ce le cas de cette séquence de Pâques dont je vous propose deux interprétations possibles.
L’aspect populaire de cette forme est encore plus évident ici dans le petit dialogue entre Marie-Madeleine et les apôtres. Remarquons aussi la très belle image : l’Agneau a racheté les brebis. La joyeuse fraîcheur populaire de cette séquence dont on atteste le chant au XI° siècle ajoute une note complémentaire aux autres pièces de la messe de Pâques.
Victimae Paschali laudes immolent Christiani. Agnus redemit oves : Christus innocens Patri reconciliavit peccatores. Mors et vita duello conflixere mirando : dux vitae mortuus, regnat vivus. Dic nobis Maria quid vidisti in via ? Sepulcrum Christi viventis, et gloriam vidi resurgentis : Angelicos testes, sudarium et vestes. Surrexit Christus spes mea : praecedet suos in Galilaeam. Scimus Christum surrexisse a mortuis vere : tu nobis victor Rex, miserere.
A la victime pascale, chrétiens, offrez le sacrifice de louange. – l’Agneau a racheté les brebis ; le Christ innocent a réconcilié les pécheurs avec le Père. – La mort et la vie s’affrontèrent en un duel prodigieux. Le Maître de la vie mourut ; vivant, il règne. – « Dis-nous, Marie-Madeleine, qu’as-tu vu en chemin ? » - « J’ai vu le tombeau du Christ vivant, j’ai vu la gloire du Ressuscité. – J’ai vu les anges ses témoins, le suaire et les vêtements. » - Le christ mon espérance est ressuscité, il précédera les siens en Galilée. – Nous le savons : le Christ est vraiment ressuscité des morts – Roi victorieux, prends-nous en pitié !
Après l’audition de l’interprétation des moines de Fontgaubault, vous pouvez écouter celle, rythmée, dans une adaptation du chanoine Jehan Revert qui dirigeait la maîtrise de Notre-Dame de Paris avec Pierre Cochereau à l’orgue (frissons garantis !) : https://www.youtube.com/watch?v=zlSK8vn55ZA
« Résurrection du Christ et les femmes au tombeau » par Fra Angelico (1400-1455). Couvent Saint Marc à Florence (Photo Wikimedia commons)
Offertoire « Terra tremuit »
La terre a tremblé, puis s’est apaisée, lorsque Dieu s’est relevé pour le jugement, alleluia.
L’Offertoire est la pièce musicale qui accompagne la procession des offrandes. Sans lien de sens direct avec elle, il s’harmonise souvent, mais pas obligatoirement, avec les autres textes de la messe ou le temps liturgique.
Ici, l’offertoire « Terra tremuit » rappelle bien sûr le tremblement de terre qui a accompagné le dernier souffle de Jésus sur la croix :
Or Jésus, poussant de nouveau un grand cri, rendit l'esprit. Et voilà que le voile du Sanctuaire se déchira en deux, du haut en bas ; la terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s'ouvrirent et de nombreux corps de saints trépassés ressuscitèrent : ils sortirent des tombeaux après sa résurrection, entrèrent dans la Ville sainte et se firent voir à bien des gens. Quant au centurion et aux hommes qui avec lui gardaient Jésus, à la vue du séisme et de ce qui se passait, ils furent saisis d'une grande frayeur et dirent : « Vraiment celui-ci était fils de Dieu ! » (Mt 27, 51-54)
Un autre tremblement de terre accompagne aussi la résurrection du Christ :
Et voilà qu'il se fit un grand tremblement de terre : l'Ange du Seigneur descendit du ciel et vint rouler la pierre, sur laquelle il s'assit. (Mt 28, 2)
Dans l’AT le tremblement de terre qui a comme parallèle le tremblement de crainte des hommes en face de Dieu est le signe d’une manifestation divine.
Ce tremblement de terre et l’obscurité sont le signe d’une réaction du cosmos, manifestation de Dieu, qui cautionne l’importance de la mort de Jésus auprès d’une communauté chrétienne qui aurait pu sombrer dans le pessimisme provoqué par cet échec apparent. La résurrection de corps de saints annonce bien sûr la résurrection du Christ et son retour ultérieur pour le jugement dernier.
Sans doute ne faut-il pas accorder au contexte apocalyptique de ce chant d’offertoire un message théologique qui viendrait se surajouter aux thématiques abordées dans les autres pièces de la messe. Cet offertoire est, comme bien d’autres, un simple accompagnement du rite, une pièce de genre assez descriptive s’appuyant deux passages d’évangile lus lors des offices de la Passion et de la Résurrection ; le simple prétexte de leur faire allusion se retrouve dans resurget Deus (Dieu s’est dressé) qui rappelle que le Christ (qui est Dieu !) est ressuscité. En effet c’est le même verbe grec anistèmi qui est employé dans les deux cas. Cette double signification s’est transmise au verbe latin resurgere.
Comme le disent les orthodoxes le jour de Pâques : Χριστός Ανέστη (christos avesti en prononciation moderne) : le Christ est ressuscité (cf. 1 Th 4, 14)
Si la terre a tremblé, elle s’est ensuite apaisée (Ps 75, 9) et c’est dans ce contexte de joie sereine que se situe notre offertoire " Terra tremuit "
Le psaume 75 (Hb 76)
Ce psaume est constitué d’un diptyque : une première partie (vv. 2-7) montre un Dieu guerrier vainqueur des ennemis à Jérusalem (« ville de la paix »), à la fois en brisant les armes des guerriers (v. 4) et même par sa seule menace (v. 7). La deuxième partie (vv. 8-13) évoque, après la victoire passée, le jugement à venir (vv. 9-10 retenus pour l’offertoire). Ce qui est intéressant ici c’est que la violence humaine est montrée comme servant finalement la gloire de Dieu :
La fureur des humains tourne à ta gloire ; les rescapés de la fureur, tu les prendras autour de toi. (v. 11)
Ce qui entraînera l’action de grâce :
Vous pourrez rendre grâce au Seigneur, votre Dieu ; les nations d’alentour apportent leur offrande au Dieu terrible. (v. 12)
C’est tout cet arrière-plan qui est évidemment présent derrière les deux versets choisis pour notre offertoire du jour de Pâques. Peut-être même ces versets 11 et 12 étaient-ils chantés avec l’offertoire actuel comme antienne dans les tout premiers temps ?
La fureur qui s’est exercée contre le Christ, humble serviteur (cf. v. 10), tourne finalement à la gloire de Dieu à travers sa résurrection et, en action de grâce, les peuples apportent leur offrande. Après le tumulte, vient la paix, celle qui découle du Jugement de Dieu.
Lien vers le psaume 75 (traduction liturgique) : http://www.aelf.org/bible/Ps/75
Le texte de l’offertoire
Texte latin :
Terra tremuit, et quievit, dum resurget in judicio Deus, alleluia.
Traduction d’après le texte latin :
La terre a tremblé, puis s’est apaisée, lorsque Dieu s’est relevé pour le jugement, alleluia.
Traduction d’après le texte hébreu (d’après celle des moines de Ligugé et de J-L. Vesco) un peu élargi au contexte immédiat :
v. 9 : Du haut des cieux, tu fais entendre la sentence ; la terre tremble d’épouvante et ne bouge plus.
v. 10 : Voici que Dieu se dresse pour juger, pour sauver tous les humbles de la terre.
Après s’être reporté plus haut aux considérations initiales sur cet offertoire, on notera les allitérations dures de terra tremuit s’opposant à celles plus douces de quievit qui traduisent parfaitement le propos.
Dans le cadre du rapprochement déjà esquissé entre les fêtes de Noël et Pâques, on peut aussi penser à un rapprochement des paroles de cet offertoire avec celles tirées du psaume 2 qui alimente le verset de l’introït de la Nuit de Noël. Elles tranchent toutes deux avec la paix régnant tant dans la nuit de la Nativité que lors du matin de la Résurrection :
Pourquoi ce tumulte des nations, à quoi bon ce grondement des peuples ? (Ps 2, 1) // La terre a tremblé (Ps 75, 9)
En opposition à :
Il m’a dit : tu es mon fils, moi-même, aujourd’hui je t’ai engendré (Ps 2, 7) // … puis s’est apaisée lorsque Dieu s’est relevé pour le jugement. (Ps 75, 9-10)
La mélodie grégorienne
Nous retrouvons le quatrième mode qui est celui de l’introït caractérisé par son caractère contemplatif qui n’empêche pas un certain lyrisme comme ici dans l’alleluia final au bercement très marqué avec les répétitions ré-fa-la-sol et sol-fa (alleluia). Ce mode est aussi celui des Gloria, Sanctus et Agnus chantés au temps pascal.
La ligne mélodique un peu chahutée du début avec ses descentes et remontées de tierce brusques : fa-ré-fa (terra) et sol-fa-la (tremuit) se pose avec tranquillité sur quievit.
On notera l’élévation rapide du ré au do de la mélodie sur resurgeret (s’est relevé), la même élévation, encore plus rapide sur in judicio, avec lente retombée au ré sur Deus pour revenir à la contemplation de l’alleluia qui se tient majoritairement sur une tessiture moins large et élevée, entre ré et la.
Communion « Pascha nostrum »
Pascha nostrum immolatus est Christus, alleluia : itaque epulemur in azimis sinceritatis et veritatis, alleluia, alleluia, alleluia.
Le Christ, notre Pâque, a été immolé, alleluia : célébrons donc cette fête avec les pains sans levain de la pureté et de la vérité, alleluia, alleluia, alleluia.
Nous avons étudié le texte de cette Communion avec celui de l’alleluia.
Le pain sans levain (azyme) de la communion eucharistique rappelle bien sûr la Paque juive.
La mélodie grégorienne
Recueillie, comprise seulement entre le ré et le la, avec des vocalises courtes et discrètes, comme une simple broderie, elle exhale une douce joie qui s’émancipe juste sur les trois alleluia de la fin s’étageant progressivement dans un ambitus élargi du do au si bémol. Les neumes liquescents marquant les deux derniers alleluia – indiqués avec une 2ème note plus petite ils impliquent ce qu’on pourrait appeler une « réduction sonore » - leur confèrent légèreté et élan.
Comme interprétation des pièces de cette messe de Pâques, j’ai choisi celle, déjà ancienne, des moines de Fontgombault qui, soutenue par un discret accompagnement d’orgue, en traduit parfaitement la spiritualité empreinte de sérénité contemplative.
Messe du Dimanche de Pâques - Chant grégorien - Fontgombault - YouTube
La mélodie grégorienne s’affiche pendant le chant.
(Arrêter la diffusion après chaque pièce pour la reprendre et écouter les autres pièces)