Hostis Herodes impie
Heureuse rencontre entre cette très belle hymne de l’Epiphanie
et les fresques de l’église romane de Vals (Ariège) !
Cette très belle hymne (1) des vêpres de l’Epiphanie et des dimanches qui suivent cette fête est due au poète latin Sedulius (Vème siècle). Elle fait partie d’une hymne plus développée formée de vingt-trois quatrains octosyllabiques qui intègre en première partie celle de l’office des Laudes de Noël « A solis ortus cardine ». Chaque strophe débute par une lettre de l’alphabet latin :
A solis ortus cardine …
Beatus Auctor saeculi …
Castae Parentis viscera …
Domus pudici pectoris …
Enixa est Puerpera …
Foeno jacere pertulit …
Gaudet chorus caelestium …
Hostis Herodes impie,
Christum venire quid times ?
Non eripit mortalia
qui regna dat caelestia.
Hérode, cruel ennemi,
pourquoi crains-tu la venue du Christ ?
Il n'enlève pas les royaumes de la terre
lui qui donne de régner au ciel.
Ibant Magi, qua venerant,
stellam sequentes praeviam,
lumen requirunt lumine,
Deum fatentur munere.
Les mages marchaient en suivant l'étoile
qui leur montrait le chemin
à sa lumière ils reconnaissent
Dieu par leur offrande.
Lavacra puri gurgitis
caelestis Agnus attigit ;
peccata, quae non detulit
nos abluendo sustulit.
L'Agneau du ciel a touché
les eaux d'une source pure ;
en nous lavant il a enlevé
les péchés qu'il n'a pas commis.
Novum genus potentiae :
aquae rubescant hydriae,
vinumque iussa fundere,
mutavit unda originem.
Nouveau signe de puissance :
les eaux des urnes rougissent ;
sur son ordre, le vin coule,
et l'eau change de nature.
Avec la doxologie conclusive :
Iesu, tibi sit gloria,
qui te revelas gentibus,
cum Patre et almo Spiritu,
in sempiterna saecula. Amen.
Toute gloire à toi , ô Jésus,
qui te révèles aux païens;
même gloire au Père, à l´Esprit,
à travers les siècles sans fin!
Adoration des mages
Cette scène en haut du mur plat du chevet est la moins bien conservée, déjà endommagée primitivement par le percement d’une fenêtre.
Le relevé effectué par le restaurateur Jean-Marc Stouffs vient ici à notre secours (Bulletin de l’association des Amis de Vals n°67, p. 16)
On peut distinguer :
-Le visage de Marie
-A sa droite, l’étoile en forme de marguerite
-Encore un peu plus à sa droite les inscriptions STELLA et BALTASAR
-Au-dessous de ces inscriptions le visage de Baltasar coiffé d’un bonnet phrygien (symbolise le mage oriental)
Cette scène de l’Epiphanie, manifestation de la gloire du Fils de Dieu, annonce bien sûr celle de la Parousie à l’autre extrémité de l’abside.
Fresque romane de Vals (1ère travée) : la Vierge parturiente (photo initiale) et le bain de l'enfant.
Le texte de l'hymne
Le texte de Sedulius cite les 3 théophanies, signes de la puissance divine, célébrées successivement par le rite romain, à la suite de celle de la Nativité, lors de la fête de l’Epiphanie et des dimanches qui la suivent : l’adoration des Mages, le baptême dans le Jourdain et les noces de Cana.
Je fais ici le rapprochement avec ces fresques (début 12° s.) de l’église romane rupestre de Vals en Ariège que nous avons récemment étudiées. (2)
La scène en haut du mur plat du chevet, la moins bien conservée, représente la venue des Mages (Mt 2, 1-12) avec en particulier cette marguerite figurant l’étoile représentée sur la droite de la Vierge.
Dans la scène du bain (1ère travée) l’allusion au futur baptême du Christ par Jean-Baptiste dans le Jourdain est ici évidente si on se souvient qu’elle fut aussi une manifestation de sa gloire de Fils de Dieu (Mc 1, 9-11) et une annonce de notre propre baptême :
Vous tous en effet, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ (Gal 3, 27)
Je remarquais aussi dans cette étude des fresques que les deux anses de la cuve font penser à ceux d’un calice roman mais ceci peut s’expliquer par le fait que Jésus considérait sa passion et sa mort sur la croix comme une coupe (celle de son sang, cf. la Cène) et un baptême :
« Jésus leur dit : « La coupe que je vais boire, vous la boirez ; et vous serez baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé. » (Mc 10, 39)
Nous avons vu aussi (3) que l’épisode des Noces de Cana (Jn 2, 1-11), auquel fait allusion la quatrième strophe de l’hymne, annonce par l’eau transformée en vin celui de la cène, sang de l’Alliance nouvelle qui va être répandu pour une multitude (Lc 22, 20 ; Mc 14, 22 ; Mt 26, 28)
(1) Rappel : l’hymne chrétienne est de genre féminin tandis que celui de l’hymne antique ou national est masculin.
(2) Vals : fresques romanes sur la Nativité : http://demeuresdesirables.monsite-orange.fr/page-5c2a12ec3d90f.html
(3) Commentaire sur “les Noces à Cana” sur mon site “Bible : Parole et paroles”, dans l’article “Saine et sainte famille”, paragraphe “Né d’une femme” : http://www.bible-parole-et-paroles.com/2015/09/saine-et-sainte-famille.html
La mélodie grégorienne
Je me contente de reprendre ici le commentaire enthousiaste de Dom Joseph Gajard, ancien maître de chœur (1914-1971) de l’abbaye de Solesmes (« Les plus belles mélodies grégoriennes », Ed. Solesmes 1985, p. 56) :
« La mélodie est d’une grâce merveilleuse et toute baignée de clarté, enthousiaste en même temps que d’une réserve délicieuse, tout à fait adaptée aux paroles qu’elle revêt. Quel élan irrésistible l’emporte, depuis la première note jusqu’au début du troisième vers ! Et quelle flexibilité dans les méandres de la ligne mélodique, venant se poser tour à tour sur toutes les notes modales ! La descente progressive de l’aigu, qui remplit les deux derniers vers, n’est pas moins remarquable, avec ses gracieuses ondulations qui la reconduisent, à travers de jolies reprises de mouvement, vers la finale. Nous sommes en troisième mode ; c’en est bien partout la suavité caractéristique ; mais elle n’exclut pas, il s’en faut, la fermeté. A cet égard, la version monastique est plus significative encore, avec ses rapprochements du si bécarre et du fa, et sa splendide envolée du quatrième vers, tout illuminée par le si bécarre aigu. »
Ce court article montre combien la théologie, ici celle de l’Incarnation, inspire l’art iconographique et musical se conjuguant dans une véritable mise en scène liturgique, récit poétique destiné à frapper tant les esprits que les cœurs des fidèles spectateurs mais aussi acteurs.
Comme interprétation j’ai choisi celle des moines de l’abbaye de Solesmes :
https://www.youtube.com/watch?v=w5Sbd6WZjdI
Des compositeurs ont composé des versets qui peuvent s’intercaler avec le plain-chant :
Pedro de Escobar (1465-1535), « Hostis Herodes impie » :
https://www.youtube.com/watch?v=d6NycRoaGZc
Guillaume Dufay (c.1400-1474), « Hostis Herodes » :
Ci-dessus, fresque romane de Vals, 3ème et dernière travée (à partir du chevet), l'ultime théophanie du Christ, à la fin des temps : la Parousie