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Rorate caeli desuper

Cieux, distillez d’en haut votre rosée, que, des nuages, pleuve la justice, que la terre s’ouvre, produise le salut, et qu’alors germe aussi la justice. Moi, le Seigneur, je crée tout cela.

 

Des extraits de ce verset d’Isaïe 45, 8 ont fourni le texte de deux pièces grégoriennes très différentes : l’une est un cantique célèbre chanté autrefois pendant toute la période de l’Avent, l’autre est l’Introït (chant d’entrée) du 4ème et dernier dimanche de l’Avent.

 

Caspar David Friedrich (1774-1840), "Nuages flottant" (Photo Wikimedia commons)

Caspar David Friedrich (1774-1840), "Nuages flottant" (Photo Wikimedia commons)

Le cantique « Rorate »

 

Rorate caeli desuper et nubes pluant Iustum.

 

Cieux, répandez d’en haut votre rosée et que les nuages fassent pleuvoir le

Juste !

 

Un très beau chant grégorien pour l’Avent !

 

Ce texte est issu d’Isaïe 45, 8

Cieux, distillez d’en haut votre rosée, que, des nuages, pleuve la justice, que la terre s’ouvre, produise le salut, et qu’alors germe aussi la justice. Moi, le Seigneur, je crée tout cela.

 

La Vulgate (traduction latine) cherchant à mettre en valeur l’attente messianique a préféré personnifier Justice en le traduisant par le Juste (Iustum) (Traduction avec le mot Justice sans article dans le psaume 84, lui aussi dédié à l’Avent que nous avons précédemment étudié qui reprend cette personnification présente dans le texte hébreu **)

 

 Vérité germera de la terre et du ciel se penchera Justice. (Ps 84, 12)

 

Le Seigneur enverra la rosée (traduction possible : bienfait ou rosée, don divin de l’humidité) qui fera donner son fruit à la terre : Vérité. Rappelons-nous les paroles de Jésus : Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père que par moi. (Jn 14, 6)

 

Ces paroles constituent le refrain de ce magnifique cantique qui était chanté autrefois systématiquement pendant l’Avent. Attesté au 17° s., il appartient au répertoire de Solesmes (Variae preces) qui l’a fait connaître. Ce cantique reprend dans les couplets plusieurs autres passages d’Isaïe. Le caractère mélancolique de la mélodie fait penser à celui des Leçons de Ténèbres de la Semaine Sainte et s’accorde parfaitement à une ambiance hivernale.

Rorate caeli desuper
Rorate caeli desuper

On remarque au début de la mélodie du refrain le bel élan vers les hauteurs (jusqu’au aigu) qui sont aussi celles du ciel puis la lente descente (jusqu’au grave) de cette rosée du Juste marquant l’attente de la venue du Messie sur terre.

 

« L’appel entre terre et cieux du « Rorate » de l’Avent, sa sublime aspiration désolée et consolée … » (Marie-Noël, « Notes intimes », Ed. Stock 1959, p. 132)

 

Pour écouter ce cantique :

https://www.youtube.com/watch?v=D3SNXuRW08s

Une autre version, émouvante mais incomplète, celle du film magnifique « Les innocentes » : https://www.youtube.com/watch?v=N9a6LGIOBAU

 

Note :

** http://www.bible-parole-et-paroles.com/2018/12/psaume-84-h-85.html

 

Rorate caeli desuper

Nous allons maintenant nous intéresser à l’Introït qui reprend d’une manière plus large le texte d’Isaïe auquel s’ajoute un verset du Ps 18. Il est programmé le 4ème et dernier dimanche de l’Avent.

 

Le texte de l’Introït

 

Rorate caeli desuper et nubes pluant Iustum.

Aperiatur terra, et germinet Salvatorem.

V/ Caeli enarrant gloriam Dei et opera manuum ejus anuntiat frumentum

 

Cieux, répandez d’en haut votre rosée et que les nuages fassent pleuvoir le Juste ! Que la terre s’entrouvre et fasse germer le Sauveur !

Ps 18, 2/ Les cieux racontent la gloire de Dieu ; l’ouvrage de ses mains, le firmament l’annonce. **

 

Ce texte est issu d’Isaïe 45, 8 :

 

La Vulgate (traduction latine) cherchant à mettre en valeur l’attente messianique a préféré personnifier Justice en le traduisant par le Juste (Iustum) (Traduction avec le mot Justice sans article dans le psaume 84, lui aussi dédié à l’Avent que nous avons précédemment étudié qui reprend cette personnification présente dans le texte hébreu ***)

 

Vérité germera de la terre et du ciel se penchera Justice.

Le Seigneur donnera ses bienfaits, et notre terre donnera son fruit.

(Ps 84, 12-13)

 

Le Seigneur enverra la rosée (traduction possible : bienfait ou rosée, don divin de l’humidité) qui fera donner son fruit à la terre : Vérité. Rappelons-nous les paroles de Jésus : Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père que par moi. (Jn 14, 6).

 

De la même façon, « salut » est traduit par « Salvatorem » « Sauveur »

Ainsi entre Is 48, 5, Ps 84 12-13 et vulgate s’établit une polysémie qui caractérise « Salvatorem », le « Sauveur» : salut, bienfait, fruit, Justice, Juste, Vérité.

 

Je rendrai proche ma justice, mon salut va paraître, et mon bras gouvernera les peuples…. Levez les yeux vers le ciel, regardez en bas vers la terre … mon salut est pour toujours, ma justice ne sera jamais abattue. (Is 51,5-6)

Vincent van Gogh (1853-1890), "Le champ labouré" (photo Wikimedia commons)

Vincent van Gogh (1853-1890), "Le champ labouré" (photo Wikimedia commons)

Cet introït prenait place à l’origine dans le contexte des « Quatre temps » de décembre. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Quatre-Temps). Il n’est donc pas surprenant d’y trouver des symboles en référence à la nature. On peut dire que la « germination du Sauveur » s’inscrit dans cette création que nous sommes, nous aussi, invités à poursuivre :

 

« O plante céleste ! arbre de vie transplanté du ciel en terre, vous prenez d’abord racine en Marie, cette terre fidèle, et vous viendrez ensuite chercher en nous un sol reconnaissant qui vous garde et vous fasse fructifier. » (Dom Guéranger ****)

 

Les cieux racontent la gloire de Dieu ; l’ouvrage de ses mains, le firmament l’annonce. (Ps 18, 2)

Le V. 2 du Ps. 18 peut aussi être considéré comme une annonce de l’Incarnation toute proche, à rapprocher des récits de la naissance de Jésus :

Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu en disant : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. (Lc 2, 13-14)

 

Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. (Mt 2, 1-2)

 

Notes :

** Traduction et commentaire de François Cassingéna-Trévedy, « Les Introïts » I (Ed. Ad Solem, p. 151 sqq)

*** http://www.bible-parole-et-paroles.com/2018/12/psaume-84-h-85.html

**** Don Guéranger (« L’année Liturgique », « Le quatrième mercredi de l’Avent », Edition Oudin de 1905 pp. 268, voir texte complet ci-dessous)

 

Graduale Triplex de Solesmes pp. 34-35

Graduale Triplex de Solesmes pp. 34-35

La Mélodie de l’Introït

 

Sur le plan mélodique, l’introït montre ce même élan sur rorate que nous avions remarqué dans le cantique : ici, passant du do grave au supérieur (sur desuper, apex ou sommet), la mélodie évoque la supplication qui s’élève vers les régions célestes. Elle redescend ensuite, dessinant un léger flottement de nuage (et nubes pluant), comme « en pluie » sur iustum.

Aperiatur terra suit ce même dessin « montée-descente » (fa-do supérieur-ré grave) : la terre s’ouvre, offre ses entrailles au ciel, mais la germination se fera à « hauteur de terre », sur ce soubassement de la note , autour duquel s’enveloppe Salvatorem, le mot le plus important de la pièce, bénéficiant d’une ornementation de trois neumes de trois notes, longs et appuyés. Les deux versants de la pièce, de chacun 15 syllabes, mettent bien en parallèle leurs derniers mots iustum et Salvatorem : c’est parce qu’il est le Juste que l’envoyé du Ciel sera le Sauveur.

Il n'y a pas d'autre dieu que moi. Un dieu juste et sauveur, il n'y en a pas excepté moi. (Is 45, 21)

 

« O ciel, envoyez votre rosée, et que les nues pleuvent le juste ; que la terre s'ouvre, et qu'elle germe le Sauveur ! » Pour être Sauveur, il faut qu'il soit juste, d'une justice qui vienne du ciel, qui soit divine, infinie et celle de Dieu même, afin que nous puissions l'appeler après le prophète : « Le Seigneur notre justice (Jr 23, 5-6) »

(J. -B. Bossuet, Elévations sur les Mystères, X° semaine, V° Elévation, Paris, Louis Vivès Éditeur, 1862, tome VII, p.185, voir extraits plus longs ci-dessous)

Caspar David Friedrich (1774-1840), "Le matin" (Photo Wikimedia commons)

Caspar David Friedrich (1774-1840), "Le matin" (Photo Wikimedia commons)

Comme interprétations j’ai choisi

 

-         Introït grégorien par les moines de Solesmes (avec la mélodie affichée et deux versets) : https://www.youtube.com/watch?v=YY_FtpJ4tB0

 

-         Introït mis en musique par quelques compositeurs :

 

+ Heinrich Schütz (1585-1672) : https://www.youtube.com/watch?v=NCmoOvtFuds

+ Giovanni Pierluigi da Palestrina (1525-1594) :

https://www.youtube.com/watch?v=i32p_rubFdw

+ William Byrd (1538-1623) :

https://www.youtube.com/watch?v=z9hAMqEFU7o

+ Joseph Rheinberger (1899-1911) : Rorate caeli - Rheinberger (Saint Agnes, New York City) - YouTube

 

 

Rorate caeli desuper

Textes complémentaires

 

Texte complet de Dom Guéranger

« L’année Liturgique », « Le quatrième mercredi de l’Avent », Edition Oudin de 1905 pp. 268-269.

 

« O vous, qui êtes la Fleur des champs et le Lis des vallons, vous venez donc transformer notre terre ingrate et aride en un jardin de délices. Par notre péché, nous avions perdu Eden et toutes ses magnificences ; et voilà que cet Eden nous est rendu ; voilà que vous venez l’établir dans notre cœur. O plante céleste ! arbre de vie transplanté du ciel en terre, vous prenez d’abord racine en Marie, cette terre fidèle, et vous viendrez ensuite chercher en nous un sol reconnaissant qui vous garde et vous fasse fructifier. Préparez ce sol, divin agriculteur ! vous que la pécheresse pardonnée aperçut un jour sous la forme d’un jardinier. Vous savez combien il manque encore à nos cœurs, pour être propres à vos desseins. Remuez, arrosez cette terre, la saison est venue ; elle ne voudrait pas être stérile, ni se voir privée de posséder cette riche Fleur qui fait la gloire du ciel, et qui daigne venir cacher un moment son éclat ici-bas. O Jésus ! faites que nos âmes soient fertiles, qu’elles se couronnent de la fleur des vertus ; qu’elles-mêmes deviennent autant de fleurs ; qu’elles soient du nombre de celles qui, croissant autour de la vôtre, préparent à l’œil du Père céleste un jardin digne d’être uni à celui qu’il a planté dans l’éternité. O Fleur céleste ! vous êtes aussi la rosée, gardez-nous de la sécheresse ; vous êtes le soleil, gardez-nous de la froidure ; vous êtes l’odorant parfum, communiquez-nous votre suavité ; vous êtes la souveraine beauté, Fleur blanche et pourprée, faites que nous soyons radieux autour de vous dans l’éternité, comme la couronne que vous avez conquise. »

 

Dom Prosper Guéranger (1805-1875) moine bénédictin de l’abbaye de Solesmes est considéré comme le restaurateur du chant grégorien et un initiateur du « Mouvement liturgique » ; il a écrit « L’année liturgique », une véritable somme qui propose une méditation sur tous les textes de la liturgie. Sur Don Guéranger : http://www.abbayedesolesmes.fr/abbe/dom-prosper-gueranger

 

 

Texte de Bossuet (1627-1704) déjà cité dans la précédente étude sur le cantique « Rorate » et cité partiellement plus haut. Il entre particulièrement bien en correspondance avec l’ambiance très XVII° s. du cantique « Rorate » :

 

« O ciel, envoyez votre rosée, et que les nues pleuvent le juste ; que la terre s'ouvre, et qu'elle germe le Sauveur ! » Pour être Sauveur, il faut qu'il soit juste, d'une justice qui vienne du ciel, qui soit divine, infinie et celle de Dieu même, afin que nous puissions l'appeler après le prophète : « Le Seigneur notre justice (Jr 23, 5-6) ». Ce juste qui devait venir du ciel, doit aussi sortir de la terre : il faut qu'il joigne en sa personne le ciel et la terre : qu'il soit Dieu et homme tout ensemble : que par une double naissance, il vienne tout ensemble et du ciel « dans les jours de l'éternité, » et « de Bethléem » (Mi 5, 2) dans le temps, comme l'avait dit le prophète; et c'est ainsi que « dans peu de temps », dans le dernier période du peuple de Dieu, ce grand Dieu « devait remuer le ciel et la terre » (Ag 2, 7).

Cependant tout se préparait à son arrivée : le royaume de Juda vivait sous ses lois dans une parfaite liberté : peu à peu il se dégradait; et quand le temps approcha qu'il devait être détruit, il tomba entre les mains des étrangers : un nouveau peuple se prépare au Christ futur ; et on va voir toutes les nations venir en foule composer ce nouveau royaume, qui était sous « le Fils de l'homme le royaume des saints du Très-Haut qui ne devait point avoir de fin » (Dn 7, 13.14.27) : nous touchons au dénouement des mystères ; et le Dieu-Homme va paraître.

Purifions nos cœurs pour le recevoir : songeons au malheur de ceux pour qui il était venu, et qui cependant n'ont pas voulu le connaître. »

 

J. -B. Bossuet, Elévations sur les Mystères, X° semaine, V° Elévation, Paris, Louis Vivès Éditeur, 1862, tome VII, p.185-186).

Nicolas Poussin (1594-1665), "L'adoration des bergers" (photo Wikimedia commons)

Nicolas Poussin (1594-1665), "L'adoration des bergers" (photo Wikimedia commons)

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