Dominus fortitudo
Le Seigneur est la force de son peuple et le bouclier sauveur de son Oint
Sauve ton peuple, Seigneur, bénis ton héritage, et règne sur lui jusque dans les siècles des siècles. (Trad. François Cassingéna-Trévedy)
V/ Vers toi, Seigneur, je crie ; mon Dieu, ne garde pas le silence envers moi. Si tu restais muet, je serais comme ceux qui descendent au tombeau. (Trad. Missel Feder)
Dominus fortitudo plebis suae
et protector salutarium Christi sui est.
Salvum fac populum tuum, Domine,
et benedic hereditati tuae
et rege eos usque in saeculum.
V/ Ad te Domine clamabo, Deus meus, ne sileas a me : ne quando taceas a me , et assimilabor descendentibus in lacum
(Ps 27, 8-9, 1)
Dieu fort
Pour François Cassingéna-Trévedy, l’introït Dominus fortitudo traduit vocalement l’idée de force : « force de l’assemblée chrétienne célébrant comme un seul homme, force du peuple de Dieu dans son apparition et son exercice liturgiques, fortitudo plebis dans l’eucharistie célébrée – dont le Seigneur en personne est la source. In fortitudine cibi illius … « Fort de cette nourriture », est-il rapporté du prophète Elie … » (op. cit. p. 60)
Puis il s’étendit sous le buisson, et s’endormit. Mais voici qu’un ange le toucha et lui dit : « Lève-toi, et mange ! »
Il regarda, et il y avait près de sa tête une galette cuite sur des pierres brûlantes et une cruche d’eau. Il mangea, il but, et se rendormit.
Une seconde fois, l’ange du Seigneur le toucha et lui dit : « Lève-toi, et mange, car il est long, le chemin qui te reste. »
Élie se leva, mangea et but. Puis, fortifié par cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu.
(1 R 19, 5-8)
Le Seigneur est ma force et mon rempart (Ps 27, 7)
Abbaye Saint Michel de la Cluse (Italie, à 30 km à l’ouest de Turin) (Photo Wikimédia commons)
Le psaume 27 (hb 28)
Confiance absolue en un Dieu fort qui élève
Lien vers la traduction liturgique du psaume que nous utilisons ici en apportant quelques précisions ou modifications : https://www.aelf.org/bible/Ps/27
01 Seigneur, mon rocher, c'est toi que j'appelle : ne reste pas sans me répondre, car si tu gardais le silence, je m'en irais, moi aussi, vers la tombe.
02 Entends la voix de ma prière quand je crie vers toi, quand j'élève les mains vers le Saint des Saints !
La supplication du psalmiste a pour cadre une prière liturgique : dans une gestique rituelle il lève les mains vers le Saint des Saints, la partie la plus sacrée du temple où trône l’Arche d’Alliance, lieu sûr comme un roc. A l’appel de l’orant doit répondre l’écoute du Seigneur. Son silence le conduirait à la mort, royaume du silence
03 Ne me traîne pas chez les impies, chez les hommes criminels ; à leurs voisins ils parlent de paix quand le mal est dans leur coeur.
04 Traite-les d'après leurs actes et selon leurs méfaits ; traite-les d'après leurs oeuvres, rends-leur ce qu'ils méritent.
05 Ils n'ont compris ni l'action du Seigneur ni l'oeuvre de ses mains ; que Dieu les renverse et jamais ne les relève !
Cette mort le psalmiste la partagerait avec les impies dont le crime est d’abord d’avoir un double langage. En vertu du principe de rétribution, le Seigneur ne leur donnera que ce qu’ils méritent. Ce qu’ils font (leurs œuvres) montre qu’ils n’ont rien compris à l’œuvre du Seigneur. Ils sont voués à péricliter.
06 Béni soit le Seigneur qui entend la voix de ma prière !
07 Le Seigneur est ma force et mon rempart ; à lui, mon coeur fait confiance : il m'a guéri, ma chair a refleuri, mes chants lui rendent grâce.
08 Le Seigneur est la force de son peuple, le refuge et le salut de son messie.
09 Sauve ton peuple, bénis ton héritage, et sois leur berger et élève les, jusqu’à toujours
Dans ce troisième volet du triptyque le psalmiste est persuadé que le Seigneur entend sa prière, il a confiance en sa force. L’action de grâce se traduit par des chants qui doivent là encore trouver place dans une liturgie (cf. v.1) du temple puisqu’aussi bien le destin individuel du psalmiste se fond dans le destin collectif (v. 8 et 9) du peuple qui est l’héritage promis par Yhwh :
Tandis que vous, le Seigneur vous a pris et fait sortir de l’Égypte, cette fournaise à fondre le fer. Il vous a pris pour que vous deveniez son peuple, son héritage, comme vous l’êtes encore aujourd’hui. (Dt 4, 20)
Même si le mot n’apparaît pas, cet héritage repose sur l’Alliance entre Dieu et son peuple dont la vocation messianique est concrétisée par celui que le Seigneur aura oint.
J’ai choisi au V. 9 la traduction de Jean Luc Vesco (op. cit. t. 1 p. 279) pour son évocation du Seigneur pasteur qui prend la brebis perdue « sur ses épaules » (Lc 15, 5). Cette « élévation » s’oppose à la tombe évoquée dans le v. 1.
Le texte de l’introït
Un « Te Deum » pour célébrer la force du Dieu qui sauve
8 Dominus fortitudo plebis suae
et protector salutarium Christi sui est.
9 Salvum fac populum tuum, Domine,
et benedic hereditati tuae
et rege eos, et extolle eos usque in saeculum.
1 V/ Ad te Domine clamabo, Deus meus, ne sileas a me : ne quando taceas a me , et assimilabor descendentibus in lacum
(Ps 27, 8-9, 1))
Le texte latin de l’introït emprunte aux deux grandes versions latines des psaumes qui ont servi à composer les pièces grégoriennes : Gallican et
Romain
Et extolle illos (« et élève-les - prends-les sur tes épaules ») a été supprimé mais appartient aux deux versions. Notre introït ne retient donc pas cette belle image du pasteur qui porte ses brebis. Dans sa lecture christologique le compositeur de l’introït a voulu retenir en priorité l’image triomphale de la force du Dieu qui sauve par son Christ.
« Nous en sommes ici en présence d’un Te Deum et l’on ne saurait oublier, du reste, que Ps 27,9 est le premier des versets de la stichologie additionnelle du Te Deum liturgique ». (F. Cassingéna-Trévedy, op. cit. p. 59)
Le Te Deum est un chant de victoire chanté dans de grandes occasions.
Cette acclamation collective (Ps 27, 8-9) tout à fait en lien avec le chant communautaire de l’introït qui marque l’entrée dans le sanctuaire (cf. Ps 27, 2) est suivie du verset chanté par un soliste qui est justement le premier verset du psaume 27 où le psalmiste s’exprime personnellement.
Pour affirmer encore plus le caractère triomphal de la force divine le deuxième volet du triptyque de Ps 27 (3-5) qui met en relief l’iniquité criminelle d’hommes au double langage n’est pas retenu ; terrassés, ils sont comme devenus hors de propos : que Dieu les renverse et jamais ne les relève ! (Ps 27, 5)
La mélodie grégorienne
Dominus fortitudo plebis suae
L’intonation tranquille la-do-ré sur Dominus est caractéristique du 2ème mode. Fortitudo s’enroule tel un ressort autour de cette corde en s’appuyant sur le do en deux valeurs appuyées pour rebondir sur le fa, corde principale : la force divine (fortitudo) se communique avec énergie au peuple (plebis).
et protector salutarium Christi sui est
Ici le ré dialogue plus à égalité avec le fa en particulier dans salutarium (qui sauve) mot bien mis en valeur par des broderies légères : deux porrectus flexus (fa-mi-fa-ré) rapides (marqués celeriter) sur salutarium. Nous retrouvons l’élan de la quarte do-fa passant cette fois par le ré (Christi) et aussi le mi (sui) ; les deux arches constituées par Christi et sui constituent deux élans de tendre douceur. Est conclut symétriquement (ré-do-la) par rapport à l’intonation (do-ré-la) formant ainsi inclusion : la force du Dieu qui sauve.
Salvum fac populum tuum, Domine
Nous retrouvons l’intonation la-do-ré pour débuter cette deuxième partie avec broderie au mi (salvum) ou identique (populum). Fac mot important (« fais le salut de ton peuple »), bref mais développé en tierces consécutives comme une déploration (ré-fa, fa-ré, mi-do, do-la). Fac s’enchaîne directement avec salvum (deux notes appuyées, ici tractulus) et forme une arche. La dominante fa va prendre ensuite toute son importance de corde principale.
et benedic hereditati tuae
Nous retrouvons l’élan do-ré-fa (et benedic). Le rappel au Seigneur qu’il doit bénir son héritage (peuple de l’Alliance) est vigoureux : deux tristropha (trois mêmes notes consécutives et appuyées) sur la corde fa (hereditati), relancées par un pes quadratus lui aussi appuyé (ré-fa : hereditati) ; le pes quadratus final do-mi s’enchaîne avec celui, mi-sol, (épisémé) de tuae soulignant lui aussi toute l’éloquence de cette supplication. Cet intervalle mi-sol introduit comme un apaisement après cette affirmation répétée et vigoureuse de la tierce ré-fa.
et rege eos, et extolle eos usque in saeculum.
Nous retrouvons cette tierce mi-sol où le sol est puissant et constitue l’apex (sommet) de la pièce : cette gouvernance du peuple s’exerce d’en haut. La corde principale fa reprend de l’importance avec une distropha (deux mêmes notes consécutives et appuyées) sur eos (« les ») et une bivirga épisémée (deux mêmes notes consécutives allongées) sur usque (« jusqu’à ») mettant l’accent sur ces mots. Saeculum se pose en une délicate broderie sur ré note finale caractéristique du 2ème mode.
Comme interprétation j’ai choisi
- Par un soliste avec le défilement de la mélodie : https://www.youtube.com/watch?v=rqZhxDa3TEY
- Par le chœur des moines bénédictins de l'abbaye Notre-Dame de Triors: https://www.youtube.com/watch?v=WjyGXcxxCoA
Bibliographie
- François Cassingéna-Trévedy, « Chante et marche, les Introïts III », Ed. Ad Solem, 2014. Le lecteur désireux d’approfondir se reportera bien sûr à ce livre très complet.
- Jean-Luc Vesco, « Le psautier de David traduit et commenté », 2 tomes, Ed. Cerf, Coll . Lectio Divina, 2011.
Compléments
- En dehors de la liturgie des heures, le Te Deum est chanté à l'occasion de services solennels d'action de grâce (victoires, fêtes nationales, naissances princières, saluts, processions etc.) et dans toutes les circonstances où l'on veut remercier Dieu de quelque chose : https://fr.wikipedia.org/wiki/Te_Deum
Interprétation
Par des moines : https://www.youtube.com/watch?v=sqwV9l-U8ds
Par la maîtrise de Notre-Dame de Paris en alternance avec Pierre Cochereau au grand-orgue (frisson garanti !) : https://www.youtube.com/watch?v=ohDqL6pjpjY
- Le Seigneur est ma force et mon rempart (Ps 27, 7)
Les églises fortifiées peuvent assez bien symboliser cette force du Dieu qui protège et sauve : https://fr.wikipedia.org/wiki/Église_fortifiée
- Photos ci-dessous : Porrentruy, Bibliothèque cantonale jurassienne, Ms 18, feuillets 244-245
« Le graduel de l’abbaye de Bellelay est l’un des premiers manuscrits prémontrés. Il a été rédigé vers 1140-1150 dans un scriptorium du nord de la France, là où l’ordre prémontré a connu sa première expansion. Le manuscrit est ensuite parvenu à Bellelay (Jura suisse) où il est demeuré jusqu’au XVIII° siècle.
Le manuscrit est noté en notation messine, sur quatre lignes guidoniennes avec indication des clés au début des systèmes. A la diastématie ** déjà présente dans ce type de notation, il offre davantage de précision en combinant la souplesse de l’écriture neumatique et la rigueur d’un système théorique permettant de rendre compte exactement des hauteurs, en principe ».
** Diastématie : représentation des intervalles sur une hauteur fictive ou figurée par une ou plusieurs lignes. Les neumes diastématiques cherchent alors à rendre compte de la hauteur des sons.
(Olivier Cullin, « L’image musique », Fayard 2006, p. 95)