Iustus es Domine
Tu es juste Seigneur, et ton jugement est droit
Agis avec ton serviteur selon ta miséricorde.
V/ Heureux ceux dont le chemin est sans tache, qui marchent dans la Loi du Seigneur.
(Ps 118, 137, 124 et 1)
Iustus es Domine et rectum iudicium tuum : fac cum servo tuo secundum misericordiam tuam
V/ Beati immaculati in via, qui ambulant in lege Domini.
Introït du 23° dimanche du temps ordinaire
Photo d'entête : Portail (12° s.) de l'abbatiale de Moissac (Tarn et Garonne) avec son tympan évoquant le Jugement dernier
Tympan du portail de l'abbatiale de Moissac (12° s.) : Les vieillards entourant le trône du Christ en majesté (côté gauche)
A l'instant, je tombai en extase. Voici, un trône était dressé dans le ciel, et, siégeant sur le trône, Quelqu'un... Celui qui siège est comme une vision de jaspe et de cornaline ; un arc-en-ciel autour du trône est comme une vision d'émeraude. Vingt-quatre sièges entourent le trône, sur lesquels sont assis vingt-quatre Vieillards vêtus de blanc, avec des couronnes d'or sur leurs têtes. (Ap 4, 2-4)
Tympan du portail de l'abbatiale de Moissac (12° s.) : Les vieillards entourant le trône du Christ en majesté (côté droit)
Justice et miséricorde
Cet introït fait suite à Miserere Mihi Domine de la semaine dernière où la miséricorde de Dieu répond à la supplication du fidèle :
et copiosus in misericordia omnibus invocantibus te.
Copieuse, ta miséricorde, pour tous ceux qui t’invoquent
http://www.bible-parole-et-paroles.com/2020/08/miserere-mihi-domine.html
Tu es juste … Agis selon ta miséricorde
Justice et miséricorde apparaissent comme les deux soubassements de notre introït Iustus est Domine.
Le texte de l’introït et le psaume 118
Le texte de cet introït est tiré du psaume 118 (h 119) qui est le grand psaume de la Loi. Le psaume 118, le plus long de tous avec 176 versets, est le psaume de la tora méditée, priée, corps et âme (la bible ne fait pas de distinction et considère l’être humain dans son unité). En termes musicaux – mais les psaumes étaient destinés à être chantés ! -, nous pourrions le définir comme un thème (la Tora) décliné en 22 variations-strophes et 176 mesures-versets.
Pour un commentaire plus approfondi sur le psaume 118, voir sur mon blog l’article « la Loi-1 » : http://www.bible-parole-et-paroles.com/2017/10/la-loi-n-est-pas-la-loi-1.html
Ainsi « tu es juste Seigneur parce que ton jugement est droit »
Le verset 1 adopté comme verset alternant avec l’antienne Iustus es le proclame d’emblée : il s’agit ici de trouver le bonheur. Celui-ci suppose un mouvement et il est donné à celui qui s’avance vers un état de perfection sur le chemin de la Loi
La justice s’impose comme un principe de base valable pour toujours, comme la vérité même de la Parole du Seigneur.
Le terme biblique de justice désigne aussi des réalités différentes de ce qu’il signifie habituellement pour nos civilisations occidentales : « Certes, cette justice biblique et orientale est aussi la vertu qui consiste à rendre à chacun ce qui lui appartient, mais elle est surtout la qualité qui fait qu'un pouvoir, un titre, un acte, un événement, un objet sont conformes à ce que le droit, la coutume ou l'essence des êtres exigent ». (Dic. Enc. de la Bible, art. Justice, Ed. Brepols).
Fils de Sion, jubilez, réjouissez-vous en Yahvé votre Dieu ! Car il vous a donné la pluie d'automne selon la justice, il a fait tomber pour vous l'ondée, celle d'automne et celle de printemps, comme jadis. (Jl 2, 23)
Cette pluie donnée est celle attendue selon l’ordre des choses de la nature.
Cette prise de conscience d’une justice divine sans contournement possible pourrait conduire à un pessimisme paralysant mais Dieu, oubliant cela, propose son Alliance à l’homme. Ainsi après le déluge lorsque Noé lui offre un holocauste :
Le Seigneur respira l’agréable odeur, et il se dit en lui-même : « Jamais plus je ne maudirai le sol à cause de l’homme : le cœur de l’homme est enclin au mal dès sa jeunesse, mais jamais plus je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait. » (Gn 8, 21)
Et c’est donc parce que le Seigneur a un jugement droit en constatant le mal inhérent à l’homme qu’il est aussi miséricordieux.
Sa miséricorde est accordée par pure grâce à condition que l’homme se tienne dans un face à face de vérité avec Dieu pour permettre à sa justice d’apporter la paix.
Amour et vérité se rencontrent,
justice et paix s’embrassent ;
la vérité germera de la terre
et du ciel se penchera la justice. (Ps 84, 11-12)
Sur péché et miséricorde voir mon commentaire du psaume du 50 : http://www.bible-parole-et-paroles.com/2018/02/psaume-50-miserere.html
Einsiedeln, Stiftsbibliothek, Codex 121(1151), p. 327 – Graduale – Notkeri Sequentiae
Ce manuscrit de Einsiedeln (10ème siècle) montre les neumes dessinés au-dessus du texte latin. Le "E 327" (Einsiedeln p. 327) inscrit en marge de la transcription solesmienne ci-dessous indique justement la provenance de l'appareil neumatique transcrit au-dessous de la notation établie par les moines. L'écriture neumatique peut être considérée comme la mise en espace sonore du texte de la Parole
La mélodie grégorienne
Iustus es Domine et rectum iudicium tuum
Tu es juste Seigneur, et ton jugement est droit
Iustus s’élance du ré au la (corde principale du 1er mode et enrichi du si bémol) comme un pilier à la base bien assurée d’une conviction sans appel (neumes appuyés) sur lequel s’appuie rectum iudicium lui-même très solide avec des neumes appuyés et un élan à deux reprises vers le do pour le mettre en valeur.
Fac cum servo tuo
Agis avec ton serviteur
La mélodie trône au ré (servo) puis au mi (tuo) traduisant l’imploration du serviteur. On remarque que le tuum précédent est une simple cadence (motif de notes pour terminer une phrase musicale) se posant, certes en valeurs appuyées, sur la corde la tandis que tuo se fait insistant à l’apex (mi, sommet de la pièce). La rectitude du jugement divin s’efface en quelque sorte devant la réalité du serviteur.
Secundum misericordiam tuam
selon ta miséricorde
Elle le fait parce que le Seigneur est miséricordieux. La mélodie redescend progressivement par paliers sur le la (secundum) puis sur le mi (misericordiam) puis sur le ré autour duquel s’enroule la cadence finale de tuam, autre base solide du second pilier de ce portique monumental que constituent justice et miséricorde.
« Si l’entrée dans l’espace et l’action liturgiques sont une entrée en grâce - fac cum servo tuo secundum misericordiam tuam (Agis avec ton serviteur selon ta miséricorde) -, elles sont aussi une comparution en Justice, une entrée par ces « portes de Justice » dont parle le grand psaume pascal :
Ouvrez-moi les portes de Justice :
J’entrerai, je rendrai grâce au Seigneur.
C’est ici la porte du Seigneur :
Par elle entreront les justes (Ps 117, 19-20)
Chaque introït dominical apporte décidément sa contribution spécifique au dégagement d’une signification extrêmement riche de l’acte rituel et vocal concerné ».
(F. Cassingéna-Trévedy, op. cit. p. 223-224)
Comme interprétations j’ai choisi :
- Voix soliste avec le défilement du texte du manuscrit de Einsiedeln : https://www.youtube.com/watch?v=jKCSYByJbSY
- Avec accompagnement d’orgue très doux : https://www.youtube.com/watch?v=qj_lJGoKcII
Bibliographie
- François Cassingéna-Trévedy, « Chante et marche, les Introïts III », Ed. Ad Solem, 2014, pp.215-229.
Le lecteur désireux d’approfondir se reportera bien sûr à ce livre très complet.
Dans ce beau portail du 12° s. de l’abbatiale de Conques (Aveyron), comme dans celui de Moissac montré auparavant, on pourrait considérer les deux solides colonnades soutenant le tympan représentant le jugement dernier comme les deux piliers « justice et miséricorde » évoqués à propos de notre introït.
A propos du Jugement dernier voir mon article : http://www.bible-parole-et-paroles.com/2014/11/le-jugement-dernier.html