Les Mages
Fixée au 6 janvier, la fête de l’Epiphanie est célébrée dans les paroisses le dimanche le plus proche.
L’étude de trois œuvres picturales va nous permettre de pénétrer dans l’univers théologique qui sous-tend la visite des Mages au-delà du beau récit qu’en fait Matthieu. Ces trois œuvres très différentes nous font entrer chacune dans une partie du mystère, en référence à chaque fois aux Ecritures.
Seul l’évangéliste Matthieu raconte cette visite de mages à l’enfant Jésus. Il n’en précise pas le nombre ni la personnalité.
01 Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem
02 et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »
03 En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé, et tout Jérusalem avec lui.
04 Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple, pour leur demander où devait naître le Christ.
05 Ils lui répondirent : « À Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète :
06 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Juda, car de toi sortira un chef, qui sera le berger de mon peuple Israël. »
07 Alors Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ;
08 puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant. Et quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. »
09 Après avoir entendu le roi, ils partirent. Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant.
10 Quand ils virent l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie.
11 Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
12 Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin. (Mt 2, 1-12)
Ci-dessus : « La chevauchée des mages » et « Les mages devant Hérode », enluminure du « Psautier d’Oscott », vers 1265-1270. Londres, Bristish Library. (Photo Wikimedia commons)
Dans le médaillon du haut les mages arrivent à cheval, coiffés de leurs couronnes. La main levée de l’un exprime leur questionnement : « où est le roi des Juifs qui vient de naître ? », l’autre montre le ciel. De la même façon, dans le médaillon du bas, ils s’adressent au roi Hérode assis sur son trône, dont le sourire exprime la duplicité car il a l’intention de supprimer cet enfant roi des Juifs, futur rival.
C’est plus tard que la tradition fit de ces mages trois rois, probablement à cause de la richesse de leurs présents au nombre de trois. On donna même à chacun des mages un nom : Gaspard, Melchior et Balthazar. Les artistes leur firent aussi représenter les trois âges de la vie et les trois continents du monde alors connu.
Ci-dessus : Giorgione (1477-1510), « Les trois philosophes, vers 1505. Vienne, Kunsthistoriches Museum. (Photo Wikimedoa commons, Google Arts et culture)
Ce tableau intitulé « Les trois philosophes » a toutes les chances de représenter les Rois mages en voyage. On y reconnaît la tradition de représenter à travers eux les trois âges de la vie, mais aussi des races différentes. Le personnage du milieu, avec une barbe assez courte, a un aspect très oriental.
Les mages (magis en persan) sont en fait des savants perses qui pratiquent l’art divinatoire en particulier en étudiant les astres. Le plus âgé, avec une longue barbe, porte des cartes astronomiques. Le plus jeune, assis, se livre à des expériences à l’aide d’un instrument scientifique.
Leur attention, et la nôtre, est attirée par une caverne qui dans les traditions orientales représente le lieu des origines et de l’initiation (cf. Le mythe de la caverne chez Platon). Ces Mages ont des préoccupations transcendantales, leur initiation les situe déjà dans la lumière et l’harmonie (cf. le paysage en arrière-plan). L’étoile dans la nuit est le symbole de cette lumière que doivent suivre les hommes.
Ci-dessus : Albrecht Dürer (1471-1528), « Adoration des Mages » (1504), huile sur bois, 100x114 cm, Florence, Galerie des Offices.
Ce tableau permet d’aborder un autre aspect théologique présenté par cet épisode de la visite des mages, seulement évoquée par Matthieu, dont la véracité historique ** peut être remise en question et qui emprunte beaucoup à des récits de l’Ancien Testament dont l’évangéliste s’est servi pour construire son propos à visée apologétique (technique d’écriture midrashique propre aux écrivains juifs).
« 03 Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore.
04 Lève les yeux alentour, et regarde : tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi ; tes fils reviennent de loin, et tes filles sont portées sur la hanche.
05 Alors tu verras, tu seras radieuse, ton cœur frémira et se dilatera. Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi, vers toi viendront les richesses des nations.
06 En grand nombre, des chameaux t’envahiront, de jeunes chameaux de Madiane et d’Épha. Tous les gens de Saba viendront, apportant l’or et l’encens ; ils annonceront les exploits du Seigneur. » (Is 30, 3-6)
Les mages représentent les Nations – les peuples non juifs – auxquelles le message du Christ s’adresse désormais.
C’est là un grand thème de l’Evangile de Matthieu ; après la destruction du Temple en 70, il s’agit de redonner courage aux judéo-chrétiens : Jésus est le Messie venu libérer tous les peuples et vaincre le paganisme.
Dürer montre des ruines de civilisation antique telles qu’il a pu en voir lors de ses voyages en Italie. Sur celles-ci naissent çà et là quelques plantes ou arbrisseaux, promesses de la renaissance apportée par le Christianisme.
Si donc quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né. (2 Co 5, 17)
A gauche sur une fissure de la meule, fleurit un œillet, symbole de la mort du Christ, sur lequel se pose un papillon qui symbolise la résurrection (le papillon sort de la chrysalide).
En bas, à droite, un lucane cerf-volant, espèce de gros scarabée aux mandibules impressionnantes, fait allusion à la passion et Crucifixion du Christ. ***
Dans l’espace de ciel dégagé entre les ruines sur le côté gauche, on peut voir deux colombes symboles d’un avenir plein d’espoir de pureté retrouvée (Cf. La colombe envoyée par Noé pour constater la fin du déluge, Gn 8, 8-12)
La cabane devant laquelle est assise Marie symbolise le nouvel ordre instauré par la naissance humble du Messie :
« Déployant la force de son bras, il disperse les superbes.
Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. » (« Magnificat » de Marie, Lc 1, 51-52)
Les animaux ne sont pas mentionnés dans les évangiles canoniques mais dans l’évangile apocryphe du Pseudo- Matthieu (chap. XIV).
Une raison biblique justifierait leur présence auprès de l’enfant Jésus. Le prophète Isaïe (1, 3) reproche, en effet, au peuple d’Israël de ne pas connaître son Dieu au contraire de l’âne et du bœuf : “Le bœuf a connu son propriétaire et l’âne la crèche de son maître, Israël ne connaît pas, mon peuple ne comprend pas…”. Le bœuf et l’âne marqueraient ainsi la fidélité, la soumission au Christ, et représenteraient ceux qui vont reconnaître en Jésus le Messie. Par ailleurs, dans la version grecque de la Bible, la Septante, le prophète Habacuc (3,2) écrit : “Tu te manifesteras au milieu de deux animaux”.
Au loin, une ville étale ses fortifications sur une haute montagne qui semble se perdre dans le ciel : on peut y voir la Jérusalem céleste qui symbolise le nouvel ordre des hoses qui remplacera le monde présent à la fin des temps inaugurés par la venue du messie :
« 01 Alors j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés et, de mer, il n’y en a plus.
02 Et la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle, je l’ai vue qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari.
03 Et j’entendis une voix forte qui venait du Trône. Elle disait : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes ; il demeurera avec eux, et ils seront ses peuples, et lui-même, Dieu avec eux, sera leur Dieu.
04 Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur : ce qui était en premier s’en est allé. »
05 Alors celui qui siégeait sur le Trône déclara : « Voici que je fais toutes choses nouvelles. » Et il dit : « Écris, car ces paroles sont dignes de foi et vraies. »
06 Puis il me dit : « C’est fait. Moi, je suis l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin. À celui qui a soif, moi, je donnerai l’eau de la source de vie, gratuitement. (Ap 21, 1-6)
« 10 Les rois de Tarsis et des Iles apporteront des présents. Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande.
11 Tous les rois se prosterneront devant lui, tous les pays le serviront. » (Ps 71, 10-11)
Les mages sont ici richement vêtus comme des rois. L’éventail des âges est respecté. Le plus âgé présente à genoux un coffret d’or que l’enfant Jésus semble vouloir saisir, tirant sur les bras de sa mère sur les genoux de laquelle il est assis. L’or rappelle la lignée royale de David à laquelle appartient l’enfant. Marie est vêtue d’un somptueux vêtement bleu sombre. Le roi au centre est un auto-portait de Dürer ; il porte un vase contenant l’encens d’une grande richesse ornementale ; l’encens rappelle la divinité de l’enfant. Albrecht Dürer apprit avec son père le métier d’orfèvre. Il regarde l’autre objet d’orfèvrerie tenu par le troisième roi, jeune et de peau noire (encore la diversité). Il contient la myrrhe destinée à embaumer les morts rappelant l’ensevelissement futur de Jésus. Sur le couvercle on distingue un anneau en forme de serpent, rappelant la mort conséquence du péché originel que le Fils de Dieu vaincra par sa résurrection.
En bas des marches, à droite, un personnage à l’accoutrement très oriental protège un grand sac ouvert où il plonge sa main gauche, peut-être pour en retirer un objet tout aussi précieux, en jetant un œil suspicieux sur le côté, craignant sans doute un vol. Au fond, derrière lui, des cavaliers de l’escorte des Rois Mages semblent exécuter une parade.
** A propos de l’historicité des récits de la Nativité, voir mes articles sur mon blog :
- « Histoire(s) de Noël » : http://www.bible-parole-et-paroles.com/2016/12/histoire-s-de-noel.html
- « Jésus est-il né à Bethléem : http://www.bible-parole-et-paroles.com/2017/01/jesus-est-il-ne-a-bethleem.html
*** « Certes, le Seigneur Jésus était en croix. Mais il rayonnait sur la croix par sa majesté royale. Il était sur la croix comme un ver, sur la croix comme un scarabée. Mais quel bon ver était lié au bois, quel bon scarabée criait depuis le bois. […] Et quel bon scarabée qui, par les traces de ses vertus, pétrissait la boue de notre corps, jusque-là informe et pesante, quel bon scarabée qui a élevé le pauvre depuis son fumier ! »
(Saint Ambroise, « Traité sur l’Evangile de Saint Luc », cité dans « Entomologie et mélancolie - Quelques aspects du symbolisme des insectes dans l’art européen du XIVe au XXIe siècle » par Yves Cambefort, p. 396) https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers16-08/010041929.pdf
Ci-dessus : Lorenzo Monaco (env. 1370- env. 1425), « Adoration des Mages »
Pour continuer sur cette visite des Mages :
L’heureuse rencontre entre cette très belle hymne de l’Epiphanie « Hostis Herodes impie » et les fresques de l’église romane de Vals (Ariège) : http://www.bible-parole-et-paroles.com/2019/01/hostis-herodes-impie.html
Sur l’aspect légendaire du récit de la visite des Mages :
https://miscellanees.monsite-orange.fr/page-5c33882c1ceaa.html
Pour illustrer musicalement cette visite des Mages :
La « Marche des Rois » est un Noël populaire provençal du XVIII° s. créé sur la musique de la « Marche de Turenne », marche militaire pour honorer le retour victorieux du Maréchal de Turenne (1675).
https://www.youtube.com/watch?v=YBZLW7ljrUQ
Improvisation sur ce thème musical par Pierre Cochereau à Notre Dame de Paris en 1971 :
https://www.youtube.com/watch?v=CEosp8dLTsg
On doit évidemment mentionner que la « Marche des Rois » est le thème de la Farandole dans l’Arlésienne de Bizet (1872) :
https://www.youtube.com/watch?v=k0nbcTDdJWc
Paroles de la « Marche des Rois »
De bon matin, j’ai rencontré le train
De trois grands Rois qui allaient en voyage,
De bon matin, j’ai rencontré le train
De trois grands Rois dessus le grand chemin.
Venaient d’abord des gardes du corps,
Des gens armés avec trente petits pages,
Venaient d’abord des gardes du corps,
Des gens armés dessus leurs justaucorps.
Puis sur un char doré de toutes parts,
On voit trois Rois modestes comme des anges,
Puis sur un char doré de toutes parts,
Trois Rois debout parmi les étendards.
L’étoile luit et les Rois conduit
Par longs chemins devant une pauvre étable,
L’étoile luit et les Rois conduit
Par longs chemins devant l’humble réduit.
Au fils de Dieu qui naquit en ce lieu
Ils viennent tous présenter leurs hommages,
Au fils de Dieu qui naquit en ce lieu
Ils viennent tous présenter leurs doux vœux.
De beaux présents, or, myrrhe et encens,
Ils vont offrir au maître tant aimable,
De beaux présents, or, myrrhe et encens,
Ils vont offrir au bienheureux enfant.