Les Grandes Antiennes en « O »
Les sept antiennes qui se chantent au « Magnificat » des Vêpres du 17 au 23 décembre servent comme d’introduction solennelle à la grande fête de Noël. Elles commencent par l’interjection « 0 » adressée au Christ suive d’un titre extrait de l’Ancien Testament qui exprime l’attente du Messie. Elles sont grandes à cause de la solennité qui les entoure. C’est encore parfois la coutume de sonner les cloches pendant leur chant (exemple : tradition du Nadalet en occitanie : Nadalet et Aubetas | Association Carillons en Pays d'Oc )
Ces invocations datent, pour le moins, du VI° siècle. Primitivement, il y en avait douze et on les chantait au « Benedictus » des Laudes. Au IX° siècle, on commença de les chanter au « Magnificat » des Vêpres. Le nombre et l’ordre de ces antiennes purent varier suivant les époques et les lieux. C’est le pape Pie V qui établit définitivement en 1568 la tradition des sept antiennes pour le rite romain.
Cet article sera complété pour les prochaines antiennes.
Image d'entête : Antiphonarium pro Ecclesia Einsidlensi (Einsiedeln, manuscrit 611), folio 15r (XIV° s.)
Chaque antienne commence par une invocation « O Sagesse … O Emmanuel … » suivie d’une partie qui commente le titre déployé. La troisième partie commençant par « veni » (viens) est constituée d’une prière le plus souvent en rapport avec la 2ème partie. Elle fut rajoutée par la suite.
Le mode grégorien utilisé est le deuxième caractérisé par une sorte de mélancolie, de réserve mais aussi de confiance.
La structure mélodique de chaque antienne est semblable sauf pour « O Oriens ». Le « O » initial de chaque antienne faisant entendre do-fa-fa-mi caractérise un élan plein de retenue et aussi d’insistance (répétition du fa). L’invocation initiale retombe toujours sur le ré, finale du mode. Le développement, essentiellement sur le ré, qui est aussi corde de récitation, avec excursion sur le mi et le do, va s’élever peu à peu avec une broderie sol-la-sol et la-si-la qui marque l’apex (sommet) sur la finale du mot au milieu de l’antienne. La mélodie redescend tranquillement jusqu’au do sur lequel s’appuiera également l’invocation « Veni » sur do-fa-mi calquée sur le « O » initial. La mélodie se fait plus ornée, avec un la grave qui donne de la profondeur, et se termine invariablement sur do-mi-fa-ré.
Les antiennes de l’antiphonaire des Frères prêcheurs. Antiphonaire de Poissy, 1335-1345
Melbourne, State Library of Victoria, Ms 096.1 R66A
17 décembre, 1ère Antienne en « O »
O Sapientia, quae ex ore Altissimi prodiisti, attingens a fine usque ad finem fortiter suaviter disponensque omnia : veni ad docendum nos viam prudentiae.
O Sagesse, qui êtes sortie de la bouche du Très-Haut, qui atteignez d'une extrémité à l'autre, et disposez toutes choses avec force et douceur : venez nous apprendre les voies de la prudence.
(Trad. Dom Guéranger, « L’Année Liturgique », p. 536)
Sources scripturaires
La Sagesse :
« Je suis issue de la bouche du Très-Haut et comme une vapeur j’ai couvert la terre » (Si 24, 3)
Elle déploie sa vigueur d’un bout du monde à l’autre, elle gouverne l’univers avec bonté.
Veut-on devenir juste ? Les labeurs de la Sagesse produisent les vertus : elle enseigne la tempérance et la prudence, la justice et la force d’âme, et rien n’est plus utile aux hommes dans l’existence. (Sg 8, 1.7)
Mais pour ceux que Dieu appelle, qu’ils soient Juifs ou Grecs, ce Messie, ce Christ, est puissance de Dieu et sagesse de Dieu.
C’est grâce à Dieu, en effet, que vous êtes dans le Christ Jésus, lui qui est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, justice, sanctification, rédemption. (1Co 1, 24.30)
Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. De nombreux auditeurs, frappés d’étonnement, disaient : « D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? (Mc 6, 2)
Commentaire de Dom Guéranger, moine refondateur de l’abbaye de Solesmes (1805-1875) :
« O Sagesse divine ! que vous êtes forte, pour arriver ainsi à vos fins d'une manière invincible quoique cachée aux hommes ! que vous êtes douce, pour ne faire néanmoins aucune violence à leur liberté ! mais aussi, que vous êtes paternelle dans votre prévoyance pour nos besoins ! Vous choisissez Bethléhem pour y naître, parce que Bethléhem signifie la Maison du Pain. Vous nous montrez par là que vous voulez être notre Pain, notre nourriture, notre aliment de vie. Nourris d'un Dieu, nous ne mourrons plus désormais. O Sagesse du Père, Pain vivant descendu du ciel, venez bientôt en nous, afin que nous approchions de vous, et que nous soyons illuminés de votre éclat ; et donnez-nous cette prudence qui conduit au salut. (Dom Guéranger, « L’Année Liturgique », p. 536-537)
Pour écouter :
La Trinité, illustration du « Scivias » de Hildegarde de Bingen. Pour avoir un commentaire : https://abtei-st-hildegard.de/%e2%80%9cscivias%e2%80%9d-kodex-tafel-11-die-wahre-dreiheit-in-der-wahren-einheit/
Complément
Hymne à la Sagesse de Hildegarde de Bingen (1098-1179), extrait de « La Symphonie des Harmonies célestes » (n° 2)
O virtus Sapientiae, quae circuiens circuisti
comprehendendo omnia in una via, quae habet vitam,
tres alas habens, quarum una in altum volat, et altera
de terra sudat, et tertia undique volat. Laus tibi sit,
sicut te decet, O Sapientia.
O vertu de Sagesse qui as fait le tour de toutes choses,
les étreignant et les rassemblant sur la seule voie
qui possède la vie, de tes trois ailes dont l’une vole en
altitude, l’autre transpire de la terre et la troisième
vole en tous sens. Louange à toi, comme il te sied, O Sagesse.
Pour écouter :
Chœur : https://www.youtube.com/watch?v=EmxKpsxk3j0
ou
18 décembre, 2ème Antienne en « 0 »
O Adonai, et dux domus Israël , qui Moysi in igne flammae rubi apparuisti, et ei in Sina legem dedisti : veni ad redimendum nos in brachio extento.
O Adonaï, Seigneur, chef de la maison d'Israël, qui avez apparu à Moïse, dans la flamme du buisson ardent, et lui avez donné la loi sur le Sinaï ; venez nous racheter dans la force de votre bras.
(Trad. Dom Guéranger, « L’Année Liturgique », p. 538)
Les antiennes de l’antiphonaire des Frères prêcheurs Melbourne, State Library of Victoria, Ms 096.1 R66A Antiphonaire de Poissy, 1335-1345
Sources scripturaires
Le nom adonaï est ancien et dérive de adôn qui signifie seigneur, maître. Il a aussi une connotation royale ou divine et tendra à supplanter le tétragramme Yhwh auquel il peut aussi être apposé **
Adonaï est employé dans le cadre de théophanies, celle par exemple où le Seigneur apparaît à Moïse sur le mont Sinaï pour lui donner les commandements et faire alliance avec lui (Ex 34) :
Il dit : « S’il est vrai, mon Seigneur, que j’ai trouvé grâce à tes yeux, daigne marcher au milieu de nous. Oui, c’est un peuple à la nuque raide ; mais tu pardonneras nos fautes et nos péchés, et tu feras de nous ton héritage. » (Ex 34, 9)
Nous retrouvons l’allusion à cet épisode dans notre antienne.
Celle-ci fait aussi référence à l’apparition de Yhwh à Moïse dans le buisson ardent :
L’ange du Seigneur lui apparut dans la flamme d’un buisson en feu. Moïse regarda : le buisson brûlait sans se consumer.
Moïse se dit alors : « Je vais faire un détour pour voir cette chose extraordinaire : pourquoi le buisson ne se consume-t-il pas ? »
Le Seigneur vit qu’il avait fait un détour pour voir, et Dieu l’appela du milieu du buisson : « Moïse ! Moïse ! » Il dit : « Me voici ! »
Dieu dit alors : « N’approche pas d’ici ! Retire les sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte ! »
Et il déclara : « Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. » Moïse se voila le visage car il craignait de porter son regard sur Dieu.
Le Seigneur dit : « J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances. (Ex 3, 2-7)
Yhwh s’engage alors à faire sortir son peuple d’Egypte.
Ces deux épisodes montrent effectivement que Dieu se comporte en chef de la Maison d’Israël en donnant ses instructions à Moïse. Yhwh délivre son peuple des Egyptiens et fera de lui son héritage en lui pardonnant. Jésus viendra délivrer les hommes du péché et renouveler l’Alliance avec eux : « venez nous racheter dans la force de votre bras ».
**Nouveau vocabulaire biblique, p. 49-50
A propos de l’épisode du Buisson ardent, l’article sur mon site : http://www.bible-parole-et-paroles.com/2021/11/moise-et-le-buisson-ardent.html
Commentaire de Dom Guéranger, moine refondateur de l’abbaye de Solesmes (1805-1875)
« O Seigneur suprême ! Adonaï ! venez nous racheter, non plus dans votre puissance, mais dans votre humilité. Autrefois vous vous manifestâtes à Moïse, votre serviteur, au milieu d'une flamme divine ; vous donnâtes la Loi à votre peuple du sein des foudres et des éclairs : maintenant il ne s'agit plus d'effrayer, mais de sauver. C'est pourquoi votre très pure Mère Marie ayant connu, ainsi que son époux Joseph, l'Edit de l'Empereur qui va les obliger d'entreprendre le voyage de Bethléem, s'occupe des préparatifs de votre heureuse naissance. Elle apprête pour vous, divin Soleil, les humbles langes qui couvriront votre nudité, et vous garantiront de la froidure dans ce monde que vous avez fait, à l'heure où vous paraîtrez, au sein de la nuit et du silence. C'est ainsi que vous nous délivrerez de la servitude de notre orgueil, et que votre bras se fera sentir plus puissant, alors qu'il semblera plus faible et plus immobile aux yeux des hommes. Tout est prêt, ô Jésus ! vos langes vous attendent : partez donc bientôt et venez en Bethléem, nous racheter des mains de notre ennemi. » (Dom Guéranger, « L’Année Liturgique », p. 536-537)
Le mode grégorien utilisé est le deuxième caractérisé par une sorte de mélancolie, de réserve mais aussi de confiance.
La structure mélodique de chaque antienne est semblable sauf pour « O Oriens ». Le « O » initial de chaque antienne faisant entendre do-fa-fa-mi caractérise un élan plein de retenue et aussi d’insistance (répétition du fa). L’invocation initiale retombe toujours sur le ré, finale du mode. Le développement, essentiellement sur le ré, qui est aussi corde de récitation, avec excursion sur le mi et le do, va s’élever peu à peu avec une broderie sol-la-sol et la-si-la qui marque l’apex (sommet) sur la finale du mot au milieu de l’antienne. La mélodie redescend tranquillement jusqu’au do sur lequel s’appuiera également l’invocation « Veni » sur do-fa-mi calquée sur le « O » initial. La mélodie se fait plus ornée. Le la grave (do-la, neume liquescent), réservé au début de la dernière incise (in), est beaucoup plus léger que dans la 1ère antienne et donne l’élan à « brachio extento » (bras étendu)
Pour écouter
Complément
Antienne « O Adonaï » de Marc Antoine Charpentier : https://www.youtube.com/watch?v=kHdVVo-3hxo
Fête de l’Expectation
En 656, les évêques du dixième concile de Tolède décident de déplacer la fête de l’Annonciation fixée au 25 mars, habituellement pendant le Carême, à un moment jugé plus propice, huit jours avant Noël, le 18 décembre. Cette fête solennelle de la Sainte Vierge, avec octave (avec mémoire pendant huit jours), devait en quelque sorte préparer à la célébration de la Nativité. Dans la suite, devant le refus de changer de l’Eglise universelle, celle d’Espagne revint au calendrier habituel mais maintint la dévotion spéciale à Marie en créant la fête de l’ « Expectation de l’enfantement de la Sainte Vierge » (ou « Notre-Dame de l’O ou « Fête de l’O »). On y chante une « antienne en O », « O Virgo virginum » (O Vierge des vierges). Retenue par l’Eglise universelle, cette fête a perduré en Espagne (et d’autres pays) et on célèbre une messe solennelle pendant huit jours à laquelle les femmes enceintes se font un devoir d’assister pour honorer Marie dans sa divine grossesse et implorer éventuellement son secours.
J’ai abordé par ailleurs la coutume de représenter la Vierge enceinte, appelée aussi d’ailleurs « Vierge de l’Expectation » : https://demeuresdesirables.monsite-orange.fr/page-61b217be24e51.html
Grande Antienne à la Sainte Vierge « O Virgo virginum » chantée lors de cette fête :
O Vierge des vierges ! comment cela se pourra-t-il faire ? Nulle autre n'a jamais été, ni ne pourra jamais être semblable à vous. — Pourquoi vous étonnez-vous de moi, filles de Jérusalem ? Ce que vous voyez est un mystère divin. (Trad. Dom Guéranger)
Cette crèche dans une église de Cordoue montre justement la Sainte famille dans l’attente de la naissance.
19 décembre, 3ème Antienne en « 0 »
O radix Jesse, qui stas in signum populorum, super quem continebunt reges os suum, quem gentes deprecabuntur : veni ad liberandum nos, jam noli tardare.
O rejeton de Jessé, qui êtes comme un étendard pour les peuples ; devant qui les rois se tiendront dans le silence ; à qui les nations offriront leurs prières : venez nous délivrer ; ne tardez plus.
(Trad. Dom Guéranger, « L’Année Liturgique », p. 538)
Image ci-dessus : l'arbre de Jessé, France, fin du XVe siècle, Paris, Arsenal, manuscrit 416 f° 7 (Photo Wikimedia commons)
Jessé, d'ordinaire endormi allongé, somnole assis en chaire : il trône, pour mieux signifier l'ascendance royale du Christ - et la descendance sacrée des rois... Le nom des grands ancêtres bibliques de la généalogie du Christ est inscrit sur la corolle d'où ils émergent, en buste, les deux plus proches, et les plus importants étant Noé, le grand ancêtre (et "inventeur" de la vigne) et David (le roi modèle par excellence).
Image ci-dessus : Bible des Capucins, l'arbre de Jessé, vers 1180 (BNF) (Photo Wikimedia commons)
Commentaire : http://classes.bnf.fr/pdf/fiche_jesse.pdf
Sources scripturaires
Un rameau sortira de la souche de Jessé, père de David, un rejeton jaillira de ses racines. Sur lui reposera l’esprit du Seigneur : esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur. Ce jour-là, la racine de Jessé, père de David, sera dressée comme un étendard pour les peuples, les nations la chercheront, et la gloire sera sa demeure. (Is 11, 1-2.10)
À son tour, Isaïe déclare : Il paraîtra, le rejeton de Jessé, celui qui se lève pour commander aux nations ; en lui les nations mettront leur espérance. (Rm 15, 12)
… Dieu a, pour eux, suscité David comme roi, et il lui a rendu ce témoignage : J’ai trouvé David, fils de Jessé ; c’est un homme selon mon cœur qui réalisera toutes mes volontés. De la descendance de David, Dieu, selon la promesse, a fait sortir un sauveur pour Israël : c’est Jésus, dont Jean le Baptiste a préparé l’avènement, en proclamant avant lui un baptême de conversion pour tout le peuple d’Israël. (Ac 13, 22-24)
Arbre de Jessé, Albâtre XV° s., Chapelle Notre-Dame-des-Fleurs, Plouharnel (56) (Photo Wikimedia commons)
Commentaire de Dom Guéranger, moine refondateur de l’abbaye de Solesmes (1805-1875)
« Vous voici donc en marche, ô Fils de Jessé, vers la ville de vos aïeux. L'Arche du Seigneur s'est levée et s'avance, avec le Seigneur qui est en elle, vers le lieu de son repos. « Qu'ils sont beaux vos pas, ô Fille du Roi, dans l'éclat de votre chaussure » (Cant. VII, 1), lorsque vous venez apporter leur salut aux villes de Juda ! Les Anges vous escortent, votre fidèle Epoux vous environne de toute sa tendresse, le ciel se complaît en vous, et la terre tressaille sous l'heureux poids de son Créateur et de son auguste Reine. Avancez, ô Mère de Dieu et des hommes, Propitiatoire ** tout-puissant où est contenue la divine Manne qui garde l'homme de la mort ! Nos cœurs vous suivent, vous accompagnent, et, comme votre Royal ancêtre, nous jurons « de ne point entrer dans notre maison, de ne point monter sur notre couche, de ne point clore nos paupières, de ne point donner le repos à nos tempes, jusqu'à ce que nous ayons trouvé dans nos cœurs une demeure pour le Seigneur que vous portez, une tente pour le Dieu de Jacob. » Venez donc, ainsi voilé sous les flancs très purs de l'Arche sacrée, ô rejeton de Jessé, jusqu'à ce que vous en sortiez pour briller aux yeux des peuples, comme un étendard de victoire. Alors les rois vaincus se tairont devant vous, et les nations vous adresseront leurs vœux. Hâtez-vous, ô Messie ! venez vaincre tous nos ennemis, et délivrez-nous. »
(Dom Guéranger, « L’Année Liturgique », p. 542-543)
Antiphonaire de Solesmes p. 209
** Le propitiatoire est le couvercle de l'Arche d'alliance.
Ci-dessus : Piero Della Francesca (v. 1412 – 1492), « La Madonna de Parto », vers 1460, fresque 260 × 203 cm, Monterchi (Italie) (Photo Wikimedia commons)
« Vous voici donc en marche, ô Fils de Jessé, vers la ville de vos aïeux. L'Arche du Seigneur s'est levée et s'avance, avec le Seigneur qui est en elle, vers le lieu de son repos. » (Commentaire de Dom Guéranger voir précédemment)
La Vierge écarte de sa main droite sa robe bleue (couleur devenue traditionnelle à la Renaissance), comme pour mieux montrer ce Mystère qu’elle porte.
Marie est l’Arche de la Nouvelle Alliance (une des invocations des litanies de la Sainte Vierge), initiée par le Christ Jésus. Les deux anges écartent les pans de rideau d’un baldaquin pouvant rappeler la tente qui abritait l’Arche d’Alliance.
Marie fait ainsi par sa maternité le lien entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance.
Sur les Vierges enceintes, dites « Vierges de l’Attente », on peut se reporter à :
https://demeuresdesirables.monsite-orange.fr/page-61b217be24e51.html
Le mode grégorien utilisé est le deuxième caractérisé par une sorte de mélancolie, de réserve mais aussi de confiance.
La structure mélodique de chaque antienne est semblable sauf pour « O Oriens ». Le « O » initial de chaque antienne faisant entendre do-fa-fa-mi caractérise un élan plein de retenue et aussi d’insistance (répétition du fa). L’invocation initiale retombe toujours sur le ré, finale du mode. Le développement, essentiellement sur le ré, qui est aussi corde de récitation, avec excursions sur le mi et le do, va s’élever peu à peu avec une broderie sol-la-sol et la-si-la qui marque l’apex (sommet) sur la finale du mot suum au milieu de l’antienne. La mélodie redescend tranquillement jusqu’au do sur lequel s’appuiera également l’invocation « Veni » sur do-fa-mi calquée sur le « O » initial. La mélodie se fait plus ornée, avec un la grave qui donne de la profondeur sur nos (comme dans la 1ère antienne), et se termine invariablement sur do-mi-fa-ré, avec un ré répété en valeurs longues qui marque tardare (ne tardez plus).
Pour écouter :
Compléments
Antienne « O radix Jesse » de Marc-Antoine Charpentier :
https://www.youtube.com/watch?v=P3krcADheLM
L’Arbre de Jessé est un vitrail au-dessous de la rosace ouest de la cathédrale Notre-Dame de Chartres, exécuté entre 1145 et 1155. L’arbre de Jessé est un motif fréquent dans l'art chrétien entre le XII° et le XV° siècle : il représente une schématisation de l'arbre généalogique présumé (et surtout symbolique) de Jésus de Nazareth à partir de Jessé, père du roi David. (Commentaire Wikimedia)
Description : https://fr.wikipedia.org/wiki/Vitrail_de_l%27Arbre_de_Jess%C3%A9_(Chartres)
La Vierge Marie, descendante de David, est représentée dans la même attitude que les rois d'Israël. Un répons marial énonce Strips Jesse virgam produxit (l'arbre de Jessé a produit une vierge/un rameau, le jeu de mot assimile virgo, la Vierge, et virga, la tige de Jessé). (Commentaire Wikimedia)
Sept colombes entourent le Christ, symbole des dons du Saint-Esprit annoncés par Isaïe (au nombre de sept, la tradition catholique ayant ajouté celui de la « piété »). Le nimbe doré entourant les colombes comporte des lettres presque effacées, on peut encore lire sapientia autour de celui du haut (cf. la première antienne « O Sapientia ») (Commentaire Wikimedia)
L’arbre de Jessé représente une schématisation de la généalogie de Jésus à partir de Jessé, père du roi David. Jessé est généralement présenté en position de dormeur qui annonce un songe prophétique concernant sa descendance. Explications concernant les arbres de Jessé :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Arbre_de_Jess%C3%A9
20 décembre, 4ème Antienne en « 0 »
0 Clavis David et sceptrum domus Israël, qui aperis, et nemo claudit; claudis, et nemo aperit : veni, et educ vinctum de domo carceris, sedentem in tenebris, et umbra mortis.
O Clef de David, ô sceptre de la maison d'Israël ! qui ouvrez, et nul ne peut fermer ; qui fermez, et nul ne peut ouvrir : venez et tirez de la prison le captif qui est assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort.
(Trad. Dom Guéranger, « L’Année Liturgique », p. 544)
Image ci-dessous : Les antiennes de l’antiphonaire des Frères prêcheurs
Melbourne, State Library of Victoria, Ms 096.1 R66A
Antiphonaire de Poissy, 1335-1345
Sources scripturaires
20 Et, ce jour-là, j’appellerai mon serviteur, Éliakim, fils d’Helcias.
21 Je le revêtirai de ta tunique, je le ceindrai de ton écharpe, je lui remettrai tes pouvoirs : il sera un père pour les habitants de Jérusalem et pour la maison de Juda.
22 Je mettrai sur son épaule la clef de la maison de David : s’il ouvre, personne ne fermera ; s’il ferme, personne n’ouvrira.
23 Je le planterai comme une cheville dans un endroit solide ; il sera un trône de gloire pour la maison de son père. (Is, 22, 20-23)
Les clefs de cette époque étaient de grande taille et souvent portées en bandoulière. Eliakim se voit confier la responsabilité des clés du Palais, signe de son nouveau pouvoir qu’il détient par héritage du roi David. Il figure dans les deux généalogies du Christ (Mt 1, 13 et Lc 3, 30). On voit en lui une figure du Messie lui aussi descendant de David. Dans cette figure de la cheville plantée dans un endroit solide, certains voient l’annonce de la croix qui ouvrira le ciel aux pécheurs, en rapport avec un passage de l’Apocalypse :
Quand je le vis, je tombai à ses pieds comme mort, mais il posa sur moi sa main droite, en disant : « Ne crains pas. Moi, je suis le Premier et le Dernier, le Vivant : j’étais mort, et me voilà vivant pour les siècles des siècles ; je détiens les clés de la mort et du séjour des morts. (Ap 1, 17-18)
Ap 3, 7-8 fait allusion directement à Is 22, 22 :
07 À l’ange de l’Église qui est à Philadelphie, écris : Ainsi parle le Saint, le Vrai, celui qui détient la clé de David, celui qui ouvre – et nul ne fermera –, celui qui ferme – et nul ne peut ouvrir.
08 Je connais ta conduite ; voici que j’ai mis devant toi une porte ouverte que nul ne peut fermer, car, sans avoir beaucoup de puissance, tu as gardé ma parole et tu n’as pas renié mon nom. (Ap 3, 7-8)
Ce sont ces mêmes clés héritées de David que Jésus remettra à Pierre :
Je te donnerai les clés du royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. » (Mt 16, 19)
On retrouve cette même idée de fermer (lier) et d’ouvrir (délier)
Ce pouvoir de lier et délier est d’ailleurs donné par Jésus à tous ses disciples :
Amen, je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel. (Mt 18, 18)
Les clés données à Pierre et aux autres disciples sont aussi celles qui permettront d’ouvrir à une interprétation renouvelée des Ecritures à laquelle l’aveuglement des docteurs de la Loi empêchait d’accéder.
Quel malheur pour vous, docteurs de la Loi, parce que vous avez enlevé la clé de la connaissance ; vous-mêmes n’êtes pas entrés, et ceux qui voulaient entrer, vous les en avez empêchés. » (Lc 11, 52)
Clés avec lesquelles Jésus a ouvert à la connaissance des Ecritures tout au long de sa vie et même après sa résurrection lors de sa rencontre avec les pèlerins d’Emmaüs :
Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait. (Lc 24, 27)
Jésus a refusé des clés de David qui lui auraient donné un pouvoir royal. Son royaume n’était pas de ce monde (Jn 18, 33-37).
On peut consulter sur ce sujet deux articles de mon site :
- Fils de David :
http://www.bible-parole-et-paroles.com/2015/07/fils-de-david.html
- Le Royaume est déjà là :
http://www.bible-parole-et-paroles.com/2015/11/le-royaume-est-deja-la.html
Image ci-dessus : La Remise des clefs à saint Pierre est une fresque du Pérugin et ses assistants, datant de 1482 environ, faisant partie de la décoration du registre médian de la chapelle Sixtine au Vatican.
Commentaire de Dom Guéranger, moine refondateur de l’abbaye de Solesmes (1805-1875)
« Venez et tirez de la prison le captif qui est assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort. » (2ème partie de l’Antienne)
« … Du moins, aujourd'hui, le sein maternel vous offre encore un asile doux et tranquille, où vous ne recevez que les témoignages de l'amour le plus tendre et le plus respectueux. Mais, ô Seigneur ! il vous faut sortir de cette heureuse retraite ; il vous faut, Lumière éternelle, luire au milieu des ténèbres ; car le captif que vous êtes venu délivrer languit dans sa prison. Il s'est assis dans l'ombre de la mort, et il y va périr, si vous ne venez promptement en ouvrir les portes avec votre Clef toute-puissante ! Ce captif, ô Jésus, c'est le genre humain, esclave de ses erreurs et de ses vices : venez briser le joug qui l'accable et le dégrade ; ce captif, c'est notre cœur trop souvent asservi à des penchants qu'il désavoue : venez, ô divin Libérateur, affranchir tout ce que vous avez daigné faire libre par votre grâce, et relever en nous la dignité de vos frères. »
(Dom Guéranger, « L’Année Liturgique », p. 544-545)
Evidemment le style de ces commentaires de Dom Guéranger pourra paraître à certains un peu suranné mais il n’en demeure pas moins d’une belle puissance évocatrice. Il nous faut aussi l’interpréter avec notre sensibilité actuelle.
C’est une tradition de croire que le Christ serait descendu aux enfers entre sa mort et sa résurrection, c’est du moins dans notre Credo à défaut d’être dans les Evangiles canoniques. Cet épisode qui appartient à l’évangile apocryphe dit de Nicodème a été assez souvent représenté par les peintres. Les enfers sont en fait ici, d’après les croyances juives, le lieu où séjournaient les morts que le Christ a justement délivrés par sa mort (le terme employé de limbes prendra par la suite un autre sens)
Image ci-dessous : Andrea Mantegna (1431-1506), « Le Christ descend aux limbes » (Photo Wikimedia commons)
Le mode grégorien utilisé est le deuxième caractérisé par une sorte de mélancolie, de réserve mais aussi de confiance.
La structure mélodique de chaque antienne est semblable sauf pour « O Oriens ». Le « O » initial de chaque antienne faisant entendre do-fa-fa-mi caractérise un élan plein de retenue et aussi d’insistance (répétition du fa). L’invocation initiale retombe toujours sur le ré, finale du mode. Le développement, essentiellement sur le ré, qui est aussi corde de récitation, avec excursions sur le mi et le do, va s’élever peu à peu avec une broderie sol-la-sol et la-si-la qui marque l’apex (sommet) sur la finale du mot « claudit » (et nul ne peut ouvrir), mot important presqu’au milieu de l’antienne. La mélodie redescend tranquillement jusqu’au do sur lequel s’appuiera également l’invocation « Veni » sur do-fa-mi calquée sur le « O » initial. La mélodie se fait plus ornée, avec un la grave qui donne de la profondeur et met bien en valeur le mot « tenebris » (ténèbres), et se termine comme dans les autres antiennes sur do-mi-fa-ré.
Pour écouter :
https://www.youtube.com/watch?v=AbXHbFdWXco
Complément
Antienne « O clavis David » de Marc Antoine Charpentier :
https://www.youtube.com/watch?v=bdQLyAHmefY
21 décembre, 5ème Antienne en « 0 »
O Oriens , splendor lucis aeternae, et Sol justitiae : veni, et illumina sedentes in tenebris et umbra mortis.
O Orient ! splendeur de la lumière éternelle ! Soleil de justice ! venez, et illuminez ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort.
(Trad. Dom Guéranger, « L’Année Liturgique », p. 552)
Image ci-dessus : Les antiennes de l’antiphonaire des Frères prêcheurs
Melbourne, State Library of Victoria, Ms 096.1 R66A
Antiphonaire de Poissy, 1335-1345
Sources scripturaires
76 « Toi aussi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut ; tu marcheras devant, à la face du Seigneur, et tu prépareras ses chemins
77 pour donner à son peuple de connaître le salut par la rémission de ses péchés,
78 grâce à la tendresse, à l’amour de notre Dieu, quand nous visite l’astre d’en haut,
79 pour illuminer ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort, pour conduire nos pas au chemin de la paix. » (Lc 1, 76-79)
Au moment de la circoncision de Jean (le Baptiste), Zacharie retrouve la parole et prononce ces paroles prophétiques à l’adresse de son fils qui annoncera le messie. Celui-ci est comparé à l’astre d’en haut qui vient « illuminer ceux qui habitent dans les ténèbres et l’ombre de la mort »
On retrouve cette expression « dans les ténèbres et l’ombre de la mort » dans la précédente Antienne « O clavis ».
Cette venue commence à l’orient, là où le soleil se lève ; ce qu’on appelle le cantique de Zacharie est d’ailleurs chanté aux Laudes chaque jour au tout début du jour
Le prophète Malachie l’avait déjà annoncé :
« Mais pour vous qui craignez mon nom, le Soleil de justice se lèvera : il apportera la guérison dans son rayonnement. Vous sortirez en bondissant comme de jeunes veaux à la pâture. » (Ml 3, 20)
Cette expression « Soleil de justice » est unique dans la bible.
On retrouve cette idée dans le Ps 111 (hb 112) que nous avons récemment étudié en expliquant aussi cette notion de Justice ( http://www.bible-parole-et-paroles.com/2021/11/les-vepres-du-dimanche-psaume-111-hb-112.html ) :
« Lumière des coeurs droits, il s'est levé dans les ténèbres, homme de justice, de tendresse et de pitié. » (Ps 111, 4)
Ou dans ps 118 :
« Justice éternelle, tes exigences ; éclaire-moi, et je vivrai. » (Ps 118, 144)
Une lecture chrétienne de ce verset permet de reconnaître le Christ dans cet « homme de justice » qui reflète la Justice divine en « Soleil de Justice »
En cette période où a durée du jour, au plus court, va peu à peu s’allonger, la venue du Messie s’assimile à celle de la lumière
« Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi.
Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples. Mais sur toi se lève le Seigneur, sur toi sa gloire apparaît.
Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. » (Is 60, 1-3)
Sur le lien entre les fêtes chrétiennes et les saisons : http://www.bible-parole-et-paroles.com/2021/09/la-vraie-liturgie-est-cosmique.html
Image ci-dessus : La fête de la Nativité a remplacé la fête romaine du « Sol invictus » (soleil invaincu), divinité solaire apparue dans l’Empire romain au III° s.
Cette mosaïque du III° - IV° s. découverte sous la basilique Saint-Pierre de Rome représente le Christ en Sol Invictus. (Photo Wikimedia commons)
Le Christ remplace le dieu soleil dans son char alors que sa lumière triomphe chaque année sur les ténèbres :
… « tel un époux, il paraît hors de sa tente, il s'élance en conquérant joyeux.
Il paraît où commence le ciel, il s'en va jusqu'où le ciel s'achève : rien n'échappe à son ardeur. » (Ps 18, 6-7)
Commentaire de Dom Guéranger, moine refondateur de l’abbaye de Solesmes (1805-1875)
Divin Soleil, ô Jésus ! vous venez nous arracher à la nuit éternelle : soyez à jamais béni ! Mais combien vous exercez notre foi, avant de luire à nos yeux dans toute votre splendeur ! Combien vous aimez à voiler vos rayons, jusqu'à l'instant marqué par votre Père céleste, où vous devez épanouir tous vos feux ! … S'ils voient avec tant d'indifférence la mère, le fils non encore enfanté à la lumière visible, lui donneront-ils une pensée ? Et cependant ce fils, c'est vous-même, ô Soleil de justice ! Augmentez en nous la Foi, mais accroissez aussi l'amour. Si ces hommes vous aimaient, ô libérateur du genre humain, vous vous feriez sentir à eux ; leurs yeux ne vous verraient pas encore, mais du moins leur cœur serait ardent dans leur poitrine, ils vous désireraient, et ils hâteraient votre arrivée par leurs vœux et leurs soupirs. O Jésus qui traversez ainsi ce monde que vous avez fait, et qui ne forcez point l'hommage de vos créatures, nous voulons vous accompagner dans le resté de votre voyage ; nous baisons sur la terre les traces bénies des pas de celle qui vous porte en son sein ; nous ne voulons point vous quitter jusqu'à ce que nous soyons arrivés avec vous à l'heureuse Bethléhem, à cette Maison du Pain, où enfin nos yeux vous verront, ô Splendeur éternelle, notre Seigneur et notre Dieu !
(Dom Guéranger, « L’Année Liturgique », p. 552-553)
Le mode grégorien utilisé est le deuxième caractérisé par une sorte de mélancolie, de réserve mais aussi de confiance.
Le « O » initial de chaque antienne faisant entendre do-fa-fa-mi caractérise un élan plein de retenue et aussi d’insistance (répétition du fa). L’invocation initiale retombe toujours sur le ré, finale du mode. Le développement, essentiellement sur le ré, qui est aussi corde de récitation, avec excursions sur le mi et le do, va s’élever peu à peu avec une broderie sol-la-sol et la-si-la qui marque l’apex (sommet) sur la finale du mot « justitiae », mot important au milieu de l’antienne. L’antienne étant plus courte, « Veni » n’a pas la même mélodie que dans les autres antiennes : celle-ci, assez ornée, redescend, comme la lumière venant du ciel, tranquillement jusqu’au do puis au la grave qui donne de la profondeur et met bien en valeur le mot « tenebris » (ténèbres), et se termine comme dans les autres antiennes sur do-mi-fa-ré.
Pour écouter :
https://www.youtube.com/watch?v=RkAW7_hWvLU
ou
https://www.youtube.com/watch?v=CMQoPFuu7aA
Complément
Antienne « O Oriens » de Marc Antoine Charpentier :
https://www.youtube.com/watch?v=7DLZEuWxbno
Image ci-dessus : Les antiennes de l’antiphonaire des Frères prêcheurs
Melbourne, State Library of Victoria, Ms 096.1 R66A
Antiphonaire de Poissy, 1335-1345
22 décembre, 6ème Antienne en « 0 »
O Rex gentium, et desideratus earum , lapisque angularis, qui facis utraque unum : veni, et salva hominem quem de limo formasti.
O Roi des nations, objet de leurs désirs ! Pierre angulaire qui réunissez en vous les deux peuples ! venez et sauvez l'homme que vous avez formé du limon.
(Trad. Dom Guéranger, « L’Année Liturgique », p. 555)
Ci-dessus : Les fresques du XVIe siècle au katholikon du monastère de Kaisariani. (Photo Wikimedia commons). Le Christ Pantocrator.
Sources scripturaires
O Roi des nations, objet de leurs désirs …
Ils chantent le cantique de Moïse, serviteur de Dieu, et le cantique de l’Agneau. Ils disent : « Grandes, merveilleuses, tes œuvres, Seigneur Dieu, Souverain de l’univers ! Ils sont justes, ils sont vrais, tes chemins, Roi des nations. (Ap 15, 3)
17 Ainsi devait s’accomplir la parole prononcée par le prophète Isaïe :
18 Voici mon serviteur que j’ai choisi, mon bien-aimé en qui je trouve mon bonheur. Je ferai reposer sur lui mon Esprit, aux nations il fera connaître le jugement.
21 Les nations mettront en son nom leur espérance.
(Mt 12, 17-18 ; 21 qui reprend Is 42, 1-4)
Pierre angulaire qui réunissez en vous les deux peuples …
Jésus leur dit : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux ! (Mt 21, 42)
Ce Jésus est la pierre méprisée de vous, les bâtisseurs, mais devenue la pierre d’angle.
En nul autre que lui, il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver. » (Ac 4, 11-12)
Jésus, pierre angulaire, réunit en lui les deux peuples de l’Ancienne et de la Nouvelle Alliance appelés à être sauvés
venez et sauvez l'homme que vous avez formé du limon …
47 Pétri d’argile, le premier homme vient de la terre ; le deuxième homme, lui, vient du ciel.
48 Comme Adam est fait d’argile, ainsi les hommes sont faits d’argile ; comme le Christ est du ciel, ainsi les hommes seront du ciel.
49 Et de même que nous aurons été à l’image de celui qui est fait d’argile, de même nous serons à l’image de celui qui vient du ciel. (1 Co 15, 47-49)
Le Christ vient du ciel, présent de toute éternité auprès de son Père, avec l’Esprit, au sein de la Trinité, et donc cocréateur avec eux de l’homme. Celui-ci sera à l’image de celui qui vient du ciel pour le sauver.
Ci-dessus : Christ Pantocrator, Cathédrale de Cefalù, Sicile, XII° s.
Commentaire de Dom Guéranger, moine refondateur de l’abbaye de Solesmes (1805-1875)
O Roi des nations ! vous approchez toujours plus de cette Bethléem où vous devez naître. Le voyage tire à son terme, et votre auguste Mère, qu'un si doux fardeau console et fortifie, va sans cesse conversant avec vous par le chemin. Elle adore votre divine majesté, elle remercie votre miséricorde ; elle se réjouit d'avoir été choisie pour le sublime ministère de servir de Mère à un Dieu. Elle désire et elle appréhende tout à la fois le moment où enfin ses yeux vous contempleront. Comment pourra-t-elle vous rendre les services dignes de votre souveraine grandeur, elle qui s'estime la dernière des créatures ? Comment osera-t-elle vous élever dans ses bras, vous presser contre son cœur, vous allaiter à son sein mortel ? Et pourtant, quand elle vient à songer que l'heure approche où, sans cesser d'être son fils, vous sortirez d'elle et réclamerez tous les soins de sa tendresse, son cœur défaille et l'amour maternel se confondant avec l'amour qu'elle a pour son Dieu, elle est au moment d'expirer dans cette lutte trop inégale de la faible nature humaine contre les plus fortes et les plus puissantes de toutes les affections réunies dans un même cœur. Mais vous la soutenez, ô Désiré des nations ! car vous voulez qu'elle arrive à ce terme bienheureux qui doit donner à la terre son Sauveur, et aux hommes la Pierre angulaire qui les réunira dans une seule famille. Soyez béni dans les merveilles de votre puissance et de votre bonté, ô divin Roi ! et venez bientôt nous sauver, vous souvenant que l'homme vous est cher, puisque vous l'avez pétri de vos mains. Oh ! venez, car votre œuvre est dégénérée ; elle est tombée dans la perdition ; la mort l’a envahie : reprenez-la dans vos mains puissantes, refaites-la ; sauvez-la ; car vous l'aimez toujours, et vous ne rougissez pas de votre ouvrage.
(Dom Guéranger, « L’Année Liturgique », p. 555-556)
Evidemment le style de ces commentaires de Dom Guéranger pourra paraître à certains un peu suranné mais il n’en demeure pas moins d’une belle puissance évocatrice. Il nous faut aussi l’interpréter avec notre sensibilité actuelle.
Le mode grégorien utilisé est le deuxième caractérisé par une sorte de mélancolie, de réserve mais aussi de confiance.
Le « O » initial de chaque antienne faisant entendre do-fa-fa-mi caractérise un élan plein de retenue et aussi d’insistance (répétition du fa). L’invocation initiale retombe toujours sur le ré, finale du mode. Le développement, essentiellement sur le ré, qui est aussi corde de récitation, avec excursions sur le mi et le do, va s’élever peu à peu avec une broderie sol-la-sol et la-si-la qui marque l’apex (sommet) sur la finale du mot « angularis », mot important au milieu de l’antienne. La mélodie redescend ensuite tranquillement avant de remonter pour se terminer sur la quarte descendante un peu abrupte fa-do, mettant bien en valeur la diversité (utraque orné) résolue en unité (unum, fa-do) ; do sur lequel s’appuiera également l’invocation « Veni » sur do-fa-mi calquée sur le « O » initial. La mélodie se fait plus ornée, avec un la grave qui marque la descente du Sauveur vers les hommes (hominem), et se termine comme dans les autres antiennes sur do-mi-fa-ré.
Pour écouter :
https://www.youtube.com/watch?v=AqdlOgQ9yS8
Complément
Antienne « O Rex gentium » de Marc Antoine Charpentier :
O Rex gentium … O Roi des nations
« Jésus déclara : « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. » (Jn 18, 36)
Jésus les appela et leur dit : « Vous le savez : ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. (Mc 10, 42-43)
Arcabas, « Outrage à Jésus Roi » (1985)
Jésus est humilié après son arrestation. Il revêt la chlamyde (manteau des rois) et porte une couronne d’épines sur la tête. Des taches sur la toile représentent les insultes et les crachats. Une tache ensanglante la croix.
Image ci-dessus : Les antiennes de l’antiphonaire des Frères prêcheurs
Melbourne, State Library of Victoria, Ms 096.1 R66A
Antiphonaire de Poissy, 1335-1345
23 décembre, 7ème et dernière Antienne en « 0 »
O Emmanuel, Rex et Legifer noster, exspectatio gentium, et salvator earum : veni ad salvandum nos, Domine Deus noster.
O Emmanuel ! notre Roi et notre Législateur ! l'attente des nations et leur sauveur ! venez nous sauver, Seigneur notre Dieu !
(Trad. Dom Guéranger, « L’Année Liturgique », p. 557)
Icône ci-dessus : La Paternité : Emmanuel avec Dieu le Père et le Saint Esprit, Novgorod, XIV° s. (Photo Wikimedia commons)
Sources scripturaires
Emmanuel, Dieu avec nous
C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe : Voici que la vierge est enceinte, elle enfantera un fils, qu’elle appellera Emmanuel (c’est-à-dire : Dieu-avec-nous). (Is 7, 14)
Tout cela est arrivé pour que soit accomplie la parole du Seigneur prononcée par le prophète :
Voici que la Vierge concevra, et elle enfantera un fils ; on lui donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit : « Dieu-avec-nous » (Mt 1, 22-23)
notre Roi et notre Législateur ! l'attente des nations et leur sauveur !
Oui, le Seigneur est notre juge, le Seigneur nous donne des lois, le Seigneur est notre roi : c’est lui qui nous sauve.
(Is 33, 22)
Un seul est à la fois législateur et juge, celui qui a le pouvoir de sauver et de perdre. Pour qui te prends-tu donc, toi qui juges ton prochain ?
(Jc 4, 12)
Il ne faiblira pas, il ne fléchira pas, jusqu’à ce qu’il établisse le droit sur la terre, et que les îles lointaines aspirent à recevoir ses lois. (Is 42, 4)
Les nations mettront en son nom leur espérance. (Mt 12, 21)
Le mot « législateur » peut surprendre ; en fait, Jésus est venu pour mener la Loi à sa perfection, remplacer « la table de pierre sur laquelle la Loi est gravée », par lui-même « Arche vivante » (Cf. ci-dessous commentaire de Dom Guéranger). Sur la signification à attribuer au mot Roi, se reporter à mon commentaire de la 6ème antienne « O Rex gentium »
Icône ci-dessus : Emmanuel sur une icône de Notre-Dame orante, Laroslav, env. 1218. (Photo Wikimedia commons)
Commentaire de Dom Guéranger, moine refondateur de l’abbaye de Solesmes (1805-1875)
O Emmanuel ! Roi de Paix ! vous entrez aujourd'hui dans Jérusalem, la ville de votre choix ; car c'est là que vous avez votre Temple. Ce Temple, en effet, se trouve en ce moment posséder une Arche d'Alliance bien autrement précieuse que celle de Moïse, mais surtout incomparable à tout autre sanctuaire qu'au ciel même, par la dignité de Celui qu'elle contient … C'est le Législateur lui-même qui est ici, et non plus simplement la table de pierre sur laquelle la Loi est gravée. Mais bientôt l'Arche vivante du Seigneur descend les degrés du Temple, et se dispose à partir pour Bethléhem, où l'appellent d'autres oracles. Nous adorons, ô Emmanuel ! tous vos pas à travers ce monde, et nous admirons avec quelle fidélité vous observez ce qui a été écrit de vous, afin que rien ne manque aux caractères dont vous devez être doué, ô Messie, pour être reconnu par votre peuple. Mais souvenez-vous que l'heure est près de sonner, que toutes choses se préparent pour votre Nativité, et venez nous sauver ; venez, afin d'être appelé non plus seulement Emmanuel, mais Jésus, c'est-à-dire Sauveur.
(Dom Guéranger, « L’Année Liturgique », p. 557-558)
Evidemment le style de ces commentaires de Dom Guéranger pourra paraître à certains un peu suranné mais il n’en demeure pas moins d’une belle puissance évocatrice. Il nous faut aussi l’interpréter avec notre sensibilité actuelle.
Le mode grégorien utilisé est le deuxième caractérisé par une sorte de mélancolie, de réserve mais aussi de confiance.
Le « O » initial de chaque antienne faisant entendre do-fa-fa-mi caractérise un élan plein de retenue et aussi d’insistance (répétition du fa). L’invocation initiale des antiennes retombe toujours sur le ré, finale du mode. Le développement, essentiellement sur le ré, qui est aussi corde de récitation, avec excursions sur le mi et le do, va s’élever peu à peu avec une broderie sol-la-sol et la-si-la qui marque l’apex (sommet) sur la finale du mot « gentium », mot important au milieu de l’antienne (le Christ est venu pour sauver toutes les nations). La mélodie redescend ensuite tranquillement jusqu’au do ; do sur lequel s’appuiera également l’invocation « Veni » sur do-fa-mi calquée sur le « O » initial. La mélodie se fait plus ornée ; le la grave est ici sur la syllabe initiale de la dernière incise donnant de la profondeur et de l’intériorité à l’invocation « Domine Deus noster » qui termine cette dernière antienne en « O » comme dans les précedentes sur do-mi-fa-ré.
Pour écouter :
Icône ci-dessus : le Christ avec les archanges, vers 1190 (Photo Wikimedia commons)
Complément
Antienne « O Emmanuel » de Marc Antoine Charpentier :
https://www.youtube.com/watch?v=YPvzzKWqPdg
Antiennes en « 0 » adaptées et chantées (en plusieurs langues) par la Communauté de Taizé : https://www.youtube.com/watch?v=mvZlN2SwEMo
En reprenant l’initiale de chaque antienne, en commençant par la dernière, on trouve l’expression « ERO CRAS » : Je serai demain (parmi vous)
0 Emmanuel … O Rex gentium ….O Oriens …
O Clavis David … 0 Radix Jesse … O Adonaï … O Sapientia …