Gaudete
Réjouissez-vous dans le Seigneur, toujours !
Je le redis : réjouissez-vous !
Que votre modestie soit connue de tous les hommes.
Le Seigneur est proche : ne soyez inquiets de rien,
mais que vos demandes parviennent à la connaissance
de Dieu à travers toutes sortes de prières.
V/ Seigneur, tu as béni ton pays, tu as fait revenir les captifs de Jacob.
(Ph 4, 4-6 ; Ps 84, 2)
(Trad. François Cassingéna-Trévedy**)
Iterum dico, gaudete
Modestia vestra nota sit omnibus hominibus
Dominus prope est, nihil solliciti sitis
sed in omni oratione petitiones vestrae innotescant apud Deum
V/ Benedixisti, Domine, terram tuam, avertisti captivitatem Iacob
Photo d'entête : aurore dans le ciel du piémont des Pyrénées ariégeoises le 11 décembre 2019
Réjouissez-vous ! Le Seigneur est proche !
Comme nous l’avons évoqué lors du premier dimanche de l’Avent, ce temps liturgique même s’il a emprunté et emprunte encore quelques caractéristiques à cette grande période de pénitence que représente le Carême (ornements violets, absence de Gloria), a aussi en commun avec lui d’évoquer la joie à mi-temps (quatrième dimanche de Carême qui débute par l’introït Laetare) avec cette particularité de remplacer les ornements violets par des roses - violet atténué –, couleur qui rappelle aussi l’aurore.
Aurore de la Nativité, mais aussi de la Résurrection, puisqu’aussi bien une naissance, ou une renaissance, peuvent résulter des ténèbres.
Même la ténèbre pour toi n'est pas ténèbre, et la nuit comme le jour est lumière ! (Ps 138, 12)
Mon âme attend le Seigneur plus qu'un veilleur ne guette l'aurore. Plus qu'un veilleur ne guette l'aurore, attends le Seigneur, Israël. Oui, près du Seigneur, est l'amour ; près de lui, abonde le rachat. (Ps 129, 6-7)
« La veille est un lit plus réparateur que le sommeil lui-même, lorsqu’une suspension universelle en fait tout l’entretien, lorsqu’une jachère inédite de nous-même en est l’espace, quand l’âme affleure sous l’animosité ». (François Cassingéna-Trévedy « Etincelles IV, p. 93, Ed. Ad Solem)
Durant ce temps de veille de l’Avent nous attendons le messie libérateur comme autrefois Jacob-Israël attendait sa libération.
C’est cette anticipation même de l’évènement attendu qui rend possible la joie au milieu des ténèbres, comme Isaïe qui passe soudainement du futur au présent (1ère lecture de ce 3ème dimanche de l’année A) :
Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie … Ceux qu’a libérés le Seigneur reviennent, ils entrent dans Sion avec des cris de fête, couronnés de l’éternelle joie. Allégresse et joie les rejoindront, douleur et plainte s’enfuient. (Is 35 35, 6 ;10)
Joie et allégresse que nous goûtons par avance dans la foi :
Lui, vous l’aimez sans l’avoir vu ; en lui, sans le voir encore, vous mettez votre foi, vous exultez d’une joie inexprimable et remplie de gloire, car vous allez obtenir le salut des âmes qui est l’aboutissement de votre foi. (1 P 1, 8-9)
Paul, apôtre de la joie
La péricope paulinienne retenue pour le texte de notre introït (Ph 4, 4-6) est caractéristique de cette joie qui traverse toutes les épîtres de Paul. Elle est d’abord en rapport avec la qualité de vie évangélique qu’il constate dans les communautés :
S’il est vrai que, dans le Christ, on se réconforte les uns les autres, si l’on s’encourage avec amour, si l’on est en communion dans l’Esprit, si l’on a de la tendresse et de la compassion, alors, pour que ma joie soit complète, ayez les mêmes dispositions, le même amour, les mêmes sentiments ; recherchez l’unité. Ne soyez jamais intrigants ni vaniteux, mais ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes.
Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus : Le Christ Jésus, (Ph 2, 1-3 ; 5)
La joie est le signe du Royaume qui vient et, comme Isaïe, Paul passe du futur au présent :
En effet, qui est notre espérance ? Qui est notre joie et la couronne dont nous serons fiers devant notre Seigneur Jésus lors de sa venue ? N’est-ce pas vous ? Oui, c’est vous qui êtes notre gloire et notre joie. (1 Th 2, 19-20)
En effet, le royaume de Dieu ne consiste pas en des questions de nourriture ou de boisson ; il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint. (Rm 14, 17)
C’est la prière qui aide à maintenir cette joie :
Soyez toujours dans la joie, priez sans relâche, rendez grâce en toute circonstance : c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus. (1 Th 5, 16-18)
ayez la joie de l’espérance, tenez bon dans l’épreuve, soyez assidus à la prière. (Rm 12, 12)
La joie dans les tribulations :
L’apôtre subit la captivité, à Philippes même, mais il a conscience de la fécondité des tribulations vécues dans le Christ et la joie l’accompagne sans cesse :
ainsi donc, dans tout le prétoire et partout ailleurs, mes chaînes manifestent mon attachement au Christ, et la plupart des frères, chez qui mes chaînes suscitent une ferme confiance dans le Seigneur, trouvent une audace nouvelle pour dire sans crainte la Parole.
… le Christ est annoncé, et de cela je me réjouis. Bien plus, je me réjouirai encore, car je sais que cela tournera à mon salut, grâce à votre prière et à l’assistance de l’Esprit de Jésus Christ. (Ph 1, 13-14 ; 18-19)
De même à Corinthe où les tensions se multiplient :
Grande est l’assurance que j’ai devant vous, grande est ma fierté à votre sujet, je me sens pleinement réconforté, je déborde de joie au milieu de toutes nos détresses. (2 Co 7, 4)
Cette joie est surabondante :
Cette dernière citation le montre parfaitement : je déborde de joie. Le mot joie ou le verbe réjouir sont souvent repris (voir citations précédentes).
A propos des Eglises de Macédoine :
Dans les multiples détresses qui les mettaient à l’épreuve, l’abondance de leur joie et leur extrême pauvreté ont débordé en trésors de générosité. (2 Co 8, 2)
A propos de Timothée :
Dans le Seigneur, faites-lui donc un accueil vraiment joyeux, et tenez de telles personnes en grande estime (Ph 2, 29)
A Philémon :
En effet, ta charité m’a déjà apporté beaucoup de joie et de réconfort, car grâce à toi, frère, les cœurs des fidèles ont trouvé du repos. (Phm 7)
Le texte de l’introït
Le texte latin est extrait de celui de la Vulgate (Ph 4, 4-6) :
4 - Gaudete in Domino semper : iterum dico gaudete.
5 - Modestia vestra nota sit omnibus hominibus. Dominus prope est.
6 - Nihil solliciti sitis : sed in omni oratione, et obsecratione, cum gratiarum actione petitiones vestræ innotescant apud Deum.
Et, pour le verset, du Ps 84, 2 :
Benedixisti, Domine, terram tuam, avertisti captivitatem Iacob
Le passage et obsecratione, cum gratiarum (par la supplication avec action de grâce) non retenu fait redondance avec oratione (par la prière)
Réjouissez-vous dans le Seigneur, toujours !
Je le redis : réjouissez-vous !
Que votre modestie soit connue de tous les hommes.
Le Seigneur est proche : ne soyez inquiets de rien,
mais que vos demandes parviennent à la connaissance
de Dieu à travers toutes sortes de prières.
V/ Seigneur, tu as béni ton pays, tu as fait revenir les captifs de Jacob.
(Trad. François Cassingéna-Trévedy **)
On notera encore l’esprit de synthèse du compositeur qui a choisi un texte qui reflète bien les caractéristiques de la joie chez Paul que nous avons évoquées plus haut :
Joie surabondante :
Réjouissez-vous dans le Seigneur, toujours !
Je le redis : réjouissez-vous !
Joie, signe du Royaume qui vient :
Le Seigneur est proche
La joie dans les tribulations :
ne soyez inquiets de rien
Lien entre joie et prière :
mais que vos demandes parviennent à la connaissance
de Dieu à travers toutes sortes de prières.
Lien avec la qualité de vie évangélique :
Que votre modestie soit connue de tous les hommes.
Par modestie, il faut comprendre ici une attitude de modération, de bienveillance, d’aménité qui correspond au terme grec originel epieikes, telle que la définit Paul dans l’extrait que nous avons donné plus haut :
S’il est vrai que, dans le Christ, on se réconforte les uns les autres, si l’on s’encourage avec amour, si l’on est en communion dans l’Esprit, si l’on a de la tendresse et de la compassion… Ne soyez jamais intrigants ni vaniteux, mais ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes.
(Ph 2, 1-3 ; 5)
Sur le verset 2 du psaume 84 qui complète le texte de Paul, je renvoie les lecteurs à l’article sur le psaume 84 précédemment publié :
http://www.bible-parole-et-paroles.com/2018/12/psaume-84-h-85.html
Seigneur, tu as béni ton pays, tu as fait revenir les captifs de Jacob (Ps 84, 2).
Le psaume 84 célèbre le retournement de Dieu qui a apaisé sa colère (v. 4) contre l’iniquité de son peuple (v. 3) et lui accordera salut (v. 10), ses bienfaits (v. 13) qui se manifesteront par le fruit de la terre (v. 13). Derrière ce psaume 84, les chrétiens ont vu le salut apporté par Dieu par l’intermédiaire de son Fils venu sur terre et manifestant la justice de Dieu. Le psaume 84 est donc particulièrement dédié à l’Avent.
On retiendra dans l’étude du verset 2, celui retenu dans l’introït, que Vesco traduit d’après le texte hébraïque : … tu as retourné le destin de Jacob
Le mot « destin » choisi par Vesco signifie un « renversement de situation ».
De l’idée de retour d’exil géographique on passe ainsi à celle d’une réconciliation qui est aussi un retour spirituel vers Dieu ; c’est le thème central de ce psaume 84. Ainsi s’estompe l’apparente contradiction temporelle entre l’évocation de Dieu qui pardonne à son peuple et le fait retourner à cette terre que lui-même leur a donnée et qu’il aime (vv. 2-4) et la demande de salut qui la suit (vv. 5-8).
Là encore nous sommes dans cette vison anticipée du salut qui doit provoquer la joie retentissante de ce dimanche de Gaudete.
Einsiedeln, Stiftsbibliothek, Codex 121(1151), p. 7 – Graduale – Notkeri Sequentiae
Ce manuscrit de Einsiedeln (10ème siècle) montre les neumes dessinés au-dessus du texte latin. Le "E 7" (Einsiedeln p. 7) inscrit en marge de la transcription solesmienne ci-dessous indique justement la provenance de l'appareil neumatique transcrit au-dessous de la notation établie par les moines. L'écriture neumatique peut être considérée comme la mise en espace sonore du texte de la Parole.
La mélodie grégorienne
Gaudete in Domino semper : iterum dico, gaudete
La première phrase se constitue en grand arc modal conduisant du premier au second Gaudete qui forment tous les deux inclusion : note finale ré grave – dominante la – finale ré grave. Un si bémol, sommital, ornemente vigoureusement un semper déjà en neumes appuyés tout comme les syllabes initiale et finale de Domino : « toujours dans le Seigneur » (voilà bien la pierre d’angle !).
Le Gaudete d’ouverture est ciselé, allègre (c – celeriter-, sur la syllabe centrale) conduisant au fa, degré fort intermédiaire. Sur ce même degré est chanté iterum dico avec une insistance oratoire particulière : neumes appuyés sur iterum et dico (Paul insiste !). Le Gaudete final reçoit un traitement inverse du premier : du fa il conduit au ré final, la syllabe centrale étant cette fois en neumes appuyés.
Modestia vestra nota sit omnibus hominibus
Nouvelle montée du ré au la, dominante et corde d’une récitation, quasi syllabique, sur omnibus hominibus. Le si bémol prend plus de poids en rapport avec celui du la (syllabes accentuées de vestra et hominibus). Modestia se voit traité avec la modestie qui lui sied.
Dominus prope est, nihil solliciti sitis
Nous arrivons à l’affirmation centrale du message de l’apôtre qui se déroule sur une tessiture plus concentrée entre fa et do supérieur. Le discours se fait en neumes appuyés soulignés à deux reprises par la lettre additionnelle « r »-retinere-retenir (Dominus, prope) et une autre fois par la lettre « t » -tenete-tenir (nihil) : prope est évidemment un mot important (proche est le Seigneur !) dont la finale particulièrement développée fait entendre deux si bémol de poids qui libèrent en quelque sorte le do, apex-sommet de la pièce, répercuté deux fois, de nihil, mot le plus important. RIEN ne doit vous inquiéter ! faisant écho à :
J’en ai la certitude : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les Principautés célestes, ni le présent ni l’avenir, ni les Puissances, ni les hauteurs, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur. (Rm 8, 38-39)
La cadence inversée fa-sol, élargie, sur sitis, appelle évidemment une suite.
sed in omni oratione petitiones vestrae innotescant apud Deum
Evoquant l’intériorité de la prière, la mélodie se tient désormais dans le grave jusqu’au do inférieur ne remontant guère au-delà du fa sauf pour oratione qui atteint lentement (lettre « r » indiquée à deux reprises), une dernière fois, le si bémol, image de la prière qui s’élève vers Dieu. Le omni (toutes sortes de prières) assez largement développé peut être considéré comme le pendant du nihil assez sèchement asséné à l’apex. Petite récitation ensuite sur fa (petitiones) où résonne aussi l’accent de innotescant marqué de deux notes percutées. La fin (apud Deum) s’enroule calmement autour du ré, note finale du mode, traduisant une sérénité pleine de confiance.
N.B.
Pour être compréhensible du plus grand nombre, je n’utilise guère les termes spécialisés décrivant les neumes. Par exemple, quand je parle de neumes appuyés, j’évoque des neumes qui marquent un accent dans la durée ou l’intensité, ou les deux.
Les lecteurs ayant des connaissances en sémiologie voudront bien se reporter à des ouvrages spécialisés comme ceux du Frère Cassingéna-Trévedy que je signale dans la petite bibliographie.
Comme interprétation j’ai choisi
- Par les moines de l’abbaye de Solesmes : Traditionnel: 3ème dimanche de l'Avent - Chant d´entrée: Gaudete - YouTube
- Par une voix soliste avec défilement du manuscrit de Einsielden : https://www.youtube.com/watch?v=fh-s8GgB8q8
Petite bibliographie
- ** François Cassingéna-Trévedy : « Les introïts – Chante et marche », t. I, Ed. Ad Solem, 2012, pp. 131-148.
- Chronique des Moniales de l‘abbaye du Pesquié : article signé Sœur Immaculata Astre, n° 151, décembre 2003, pp. 15-19.
- Revue Una Voce, article de A. Scherrer, n°324, décembre 2019, pp. 11-12
- Julienne Côté, « Cent mots-clés de la théologie de Paul », article « Joie », éd. Novalis/Cerf, 2000, pp. 257-259.
S’il est vrai que, dans le Christ, on se réconforte les uns les autres, si l’on s’encourage avec amour, si l’on est en communion dans l’Esprit, si l’on a de la tendresse et de la compassion, alors, pour que ma joie soit complète, ayez les mêmes dispositions, le même amour, les mêmes sentiments (Ph 2, 1-2)