Vexilla Regis prodeunt
Cette hymne fut composée par le poète chrétien Venance Fortunat, évêque de Poitiers au VI° siècle et chantée pour la première fois dans cette ville le 19 novembre 569 à l’occasion de l’arrivée en provenance de Tours d’une relique de la « Vraie Croix » envoyée par l’empereur d’Orient Justin à la demande de Sainte Radegonde abbesse d’un monastère qui prendra d’ailleurs le nom de Sainte-Croix.
Cette hymne est chantée aux vêpres depuis le samedi précédant le dimanche de la Passion jusqu’au Jeudi Saint, ainsi que le 14 septembre, jour de la fête de la Sainte-Croix.
Son texte a évolué au cours des siècles et nous avons retenu celui proposé par les moines de Solesmes dans leur hymnaire romain.
- Vexilla Regis prodeunt,
Fulget Crucis mysterium :
Quo carne carnis conditor,
Suspensus est patibulo.
(voir totalité du texte latin ci-dessous)
- Les étendards du Roi s’avancent,/ mystère éclatant de la croix !/ Au gibet fut pendue la chair/ du Créateur de toute chair.
- C’est là qu’il reçut la blessure/ d’un coup de lance très cruel,/ et fit sourdre le sang et l’eau/ pour nous laver de nos péchés.
La croix est comparée à un vexillum romain, bannière de couleur rouge emblème du commandement (hampe au haut de laquelle est accrochée une barre horizontale d’où pend le drapeau).
La couleur rouge est celle du corps sanguinolant de ce Roi d’un Royaume qui n’est pas de ce monde :
« Alors Pilate rentra dans le Prétoire ; il appela Jésus et lui dit : « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus déclara : « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. »
Pilate lui dit : « Alors, tu es roi ? » Jésus répondit : « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. » (Jn 18, 33. 36-37)
3. Arbre dont la beauté rayonne,/ paré de la pourpre du Roi, / d’un bois si beau qu’il fut choisi/ pour toucher ses membres très saints.
4. Arbre bienheureux ! A tes branches/ la rançon du monde a pendu !/ Tu devins balance d’un corps/ et ravis leur proie aux enfers !
5. Salut, autel ! Salut, victime/ de la glorieuse passion !/ La vie qui supporta la mort,/ par la mort a rendu la vie.
6. O croix, salut, espoir unique !/ En ces heures de la passion,/ augmente les grâces des saints,/ remets les fautes des pécheurs.
7. Trinité, source salutaire,/ que te célèbre tout esprit ;/ ceux que tu sauves par la croix,/ protège-les à tout jamais.
On retrouve ici la pourpre du Roi qui rappelle le Vexillum (3). Mais c’est maintenant l’assimilation de la croix à un arbre qui nous intéresse (3 et 4). L’allusion à l’Arbre de la Vie du paradis terrestre est manifeste (5). Les Pères de l’Eglise ont très tôt fait le lien entre l’arbre du jardin d’Eden, à l’origine de la chute d’Adam et Eve (Gn 2, 17 et 3), et l’arbre de la croix par lequel le Salut est offert (4). La vie donnée de Jésus sur la croix a fait naître la Vie à travers la glorification du Christ et sa résurrection (5).
La préface de la Sainte Croix l’évoque également :
« Il est vraiment juste et nécessaire, c’est notre devoir et c’est notre salut, de vous rendre grâces toujours et partout, Seigneur, Père saint, Dieu éternel et tout-puissant : parce que vous avez attaché au bois de la Croix le salut de l’humanité : d’un arbre était venue la mort, d’un arbre la vie devait ressusciter ; en sorte que le démon, vainqueur par l’arbre du paradis, fût à son tour vaincu par l’arbre de la croix … »
Irénée de Lyon (130-202) reflète cette conception patristique de l’arbre de la croix (« Exposé de la prédication des Apôtres », n° 34)
« Et la faute qui a été commise par le moyen du bois a été détruite par l'obéissance qui s'est accomplie aussi par le moyen du bois. Cette obéissance, c'est l'obéissance du Fils de l'homme à Dieu quand il a été cloué sur le bois de la croix. De cette façon, le Fils a détruit ce qui conduit à faire le mal. Et il a offert ce qui conduit à faire le bien. Car le mal, c'est de désobéir à Dieu, de même que le bien, c'est de lui obéir. » (34 a)
… « Donc l'obéissance a conduit le Fils jusqu'à la mort, cloué sur le bois de la croix. Ainsi il a détruit la vieille désobéissance qui avait été commise par le moyen du bois. » (34 b)
Christus factus est pro nobis obediens usque ad mortem, mortem autem crucis …
cette magnifique mélodie grégorienne est chantée pendant la semaine sainte. Nous y reviendrons très prochainement.
« Le Christ s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom. (Ph 2, 8-9)
Vivre en accord avec la volonté de Dieu sur sa création tel est le chemin de Vie.
L’arbre marque le lien entre nos racines terrestres et les régions célestes. Si les racines font partie de notre univers quotidien et compréhensible, il faut accepter que le haut de l’arbre atteint des hauteurs qui ne nous appartiennent pas. C’est toute un domaine inconnu qui ne s’ouvre à nous que par l’interprétation de la Parole pour connaître bien et mal tels que voulus par le Créateur. Penser pouvoir en assimiler complètement le fruit est méconnaître « la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur… » (Ep 3, 18)
« En effet, c'est la Parole du Père qui domine sur l'univers. C'est à cause de cela que le Fils de Dieu a été cloué sur le bois de la croix selon ces quatre dimensions. En effet, il se trouvait déjà comme imprimé en forme de croix dans l'univers. Car il fallait que le Fils de Dieu, en devenant visible, se montre au grand jour comme imprimé en forme de croix dans l'univers. De cette façon, par sa place visible d'homme cloué sur une croix, il a révélé son action sur le monde invisible.
Voici ce qu'on peut comprendre. C'est lui qui illumine les hauteurs, c'est-à-dire les choses qui sont dans les cieux. C'est lui qui soutient les profondeurs, c'est-à-dire les choses qui sont sous la terre. C'est lui aussi qui étend la longueur depuis le levant jusqu'au couchant. C'est encore lui qui dirige comme un pilote la longueur du pôle au midi. C'est lui enfin qui appelle de partout ceux qui se perdent, pour leur faire connaître le Père. » (Irénée de Lyon, (« Exposé de la prédication des Apôtres », n° 34 b)
« Que le Christ habite en vos cœurs par la foi ; restez enracinés dans l'amour, établis dans l'amour. Ainsi vous serez capables de comprendre avec tous les fidèles quelle est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur… Vous connaîtrez ce qui dépasse toute connaissance : l’amour du Christ. Alors vous serez comblés jusqu’à entrer dans toute la plénitude de Dieu. À Celui qui peut réaliser, par la puissance qu’il met à l’œuvre en nous, infiniment plus que nous ne pouvons demander ou même concevoir (Ep 3, 17-20)
Sur l’idée de rançon attachée à la mort du Christ on se rapportera à un article de mon blog : « Est-ce en rançon que Jésus a donné sa vie » http://www.bible-parole-et-paroles.com/2016/03/est-ce-en-rancon-que-jesus-a-donne-sa-vie.html
La croix arbre de Vie est aussi symbolisée par ces brins de buis, d’olivier ou de laurier, feuillages persistants, qu’on accroche aux croix de procession le jour des Rameaux et qu’on rapporte chez soi pour accrocher également aux crucifix de la maison ou pour orner les tombes des proches au cimetière.
La croix arbre de Vie a inspiré toute une iconographie, ainsi la verrière de l’Arbre de Vie (1310-1320) de la basilique Saint Nazaire de Carcassonne (Cité médiévale). La photo d'entête représente l'arbre de vie de la croix avec ses feuillages. La photo qui suit représente l'arbre de vie du paradis terrestre.
Interprétations de l’hymne « Vexilla Regis prodeunt » :
Par les moines bénédictins de l’abbaye de Ligugé (enregistrement ancien avec accompagnement léger d’orgue) :
https://www.youtube.com/watch?v=flk62otSkNA
Par les moines de Solesmes :
Texte latin de l’hymne
1. Vexilla Regis prodeunt,
Fulget Crucis mysterium :
Quo carne carnis conditor,
Suspensus est patibulo.
2. Quo vulneratus ínsuper
Mucrone diro lanceæ,
Ut nos lavaret crimine,
Manavit unda et sanguine.
3. Arbor decora, et fulgida,
Ornata Regis purpura,
Electa digno stipite,
Tam sancta membra tangere.
4. Beata, cujus brachiis
Sæcli pependit pretium,
Statera facta corporis,
Prædam tulitque tartari.
5. Salve, ara, salve, victima,
de passionis gloria,
qua vita mortem pertulit
et morte vitam reddidit !
6. O Crux ave, spes unica,
Hoc Passionis tempore,
Piis adauge gratiam,
Reisque dele crimina.
7. Te, fons salutis, Trinitas,
Collaudet omnis spiritus:
Quos per Crucis mysterium
Salvas, fove per sæcula. Amen.
(Texte latin et traduction française de l’Hymnaire romain de Solesmes (1988) pp. 51-52)