La vraie liturgie est cosmique
Nous le savons : la création tout entière, jusqu’à ce jour, gémit dans les douleurs de l’enfantement. Et non seulement la création, mais nous, qui avons en nous les prémices, les premières traces du Souffle. Nous gémissons aussi en nous-mêmes dans l’attente de la filiation, la délivrance de notre corps.
(Rm 8, 22-23)
Ce qui autorise le Souffle à venir au secours de notre faiblesse. Car prier comme il faut, nous ne savons pas le faire. Mais le Souffle lui-même intercède pour nous dans des gémissements indicibles. Et celui qui scrute les cœurs connaît l’agir du souffle et sait qu’il intercède en faveur des saints, conformément au projet divin.
(Rm 22, 26-27)
Terminaison et transfiguration du premier cosmos, la liturgie resplendit comme le monde adéquat de la Parole, autrement dit comme le cosmos que le logos-Kyrios se construit, se donne à lui-même et à nous en s’exprimant au milieu de nous. Pourvu seulement que l’on veuille bien donner à « cosmos » et à « Logos » toute leur solennité chrétienne et pascale de sens, elle peut être résumée dans le seul mot de « cosmologie ».
(François Cassingéna-Trévedy, « La liturgie - Art et métier », Ed. Ad Solem 2007, p.149 ; voir en complément un extrait plus important de ce livre)
Nous avons vu récemment dans l’article « Chant et rite » publié sur un autre blog **, le lien entre le chant et le rite. Celui-ci suppose la répétition dans le temps de paroles, gestes, chants … C’est un marquage chargé de symboles dans une discontinuité de circonstances qui paradoxalement introduit l’impression d’éternité. Nos parents pratiquaient tels rites et nous les transmettons présentement à nos enfants. Le rite suppose un « dépaysement » par rapport aux gestes habituels. Il nécessite un rituel codifié, une mise en scène « religieuse » susceptible de dire, chanter l’au-delà, l’Autre. Les rites ont pu évoluer mais plutôt par ajout de pratiques que par retranchement. Toute rupture brutale (comme la révolution liturgique née d’une interprétation erronée du Concile Vatican II) peut provoquer de graves troubles et des dissidences dans les groupes qui s’y rattachent de manière identitaire.
Bien loin de défendre l’immuabilité des rites traditionnels, je voudrais attirer l’attention de tous ceux qui souhaitent célébrer autrement dans et hors de l’Eglise sur le lien depuis nos origines judéo-chrétiennes entre la liturgie et la Création dont le rythme des jours et des saisons est en lui-même un rite. ***
Le chant grégorien, qui mérite d’être apprécié bien au-delà des marqueurs ecclésiaux que certains lui assignent, est par ses qualités propres, avec le chant des psaumes, le partenaire idéal de cette liturgie cosmique sans exclure bien sûr une créativité qui pourrait y puiser des sources d’inspiration.
Photo d'entête : Les Très Riches Heures du duc de Berry (XVème siècle), l'Homme Zodiacal. Cette miniature qui illustre un Livre d'Heures montre bien comment l'Homme se situe dans le cosmos et par conséquent son rapport à la transcendance dans la prière. Voir plus de détails à la fin dans les compléments.
Fêtes rituelles en lien avec les saisons
Les fêtes rituelles chrétiennes s’enracinent tantôt dans la tradition juive tantôt dans le paganisme, toujours dans un rapport avec les évolutions saisonnières liées à la nature.
Le solstice d’hiver
L’empereur Constantin (306-337) se convertit au christianisme (312) et le déclara religion officielle ; il réalisa la fusion de la fête de la Nativité avec la fête romaine du Dies natalis Soli invicti (Jour de la naissance du Soleil invaincu), elle-même héritée d’un culte oriental au dieu Mithra (dieu soleil). Sa célébration prenait place dans le cadre du solstice d’hiver fixé au 25 décembre dans le calendrier Julien.
Ci-dessus : Le 21 décembre 2020, conjonction exceptionnelle de Jupiter et Saturne aussi appelée "L'étoile de Noël" ou "Etoile de Bethléem (dernière conjonction si proche en 1226 !)
Au cœur des ténèbres hivernales, le Christ est la lumière née de la lumière (Jn 1, 1-9)
Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde. (Jn 1, 9)
L’introït de la messe de l’aurore de Noël chante cette lumière d’une aurore nouvelle sur le monde, le Roi-Messie, comme un soleil levant, vient illuminer les cœurs. Avec lui, c’est un monde nouveau qui vient de naître. (Feder p. 58 ****)
Le symbolisme est double à travers le retour progressif de la lumière après le solstice d’hiver et la réapparition du soleil au lever du jour.
Lux fulgebit hodie super nos :
quia natus est nobis Dominus :
et vocabitur Admirabilis, Deus,
princeps pacis, Pater futuri saeculi :
cuius regni non erit finis. (Is 9, 2.6)
La lumière brillera aujourd'hui sur nous :
car le Seigneur nous est né :
et on l'appelera Admirable, Dieu,
Prince de la paix, Père du siècle à venir
et son règne n'aura pas de fin.
Pour écouter cet introït :
https://www.youtube.com/watch?v=nH1iI2YJKFw
Un peu avant le solstice, en novembre ou décembre suivant les années ( en 2020 du 10 au 18 décembre), les juifs célèbrent la fête de Hanoukka appelée aussi Fête des Lumières. Lors de la ré-inauguration de l’autel des offrandes dans le second temple de Jérusalem (- 417) se produisit le miracle de la fiole d'huile, permettant aux prêtres du Temple de faire brûler pendant huit jours une quantité d'huile à peine suffisante pour une journée. La célébration de cette fête rappelle le miracle de la fiole d'huile, en particulier l'allumage du chandelier à neuf branches de Hanoucca pendant les huit jours de la fête et la consommation de friandises à base d'huile d'olive (latkes, soufganiyot, etc.). On y joue aussi avec des toupies à quatre faces ce qui lie aussi cette fête à l’enfance. (Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Hanoucca )
Le renouveau du printemps
A la pleine lune de printemps, juste avant la transhumance, c’était la coutume pour les nomades d’offrir un jeune agneau ou chevreau, prélevé sur les naissances récentes, en sacrifice pour implorer la protection de Yhwh et la fécondité du troupeau. C’est ce même agneau pascal qui, joint aux prémices de la moisson d’orge, sera au centre de la fête de la Pâque et des pains sans levain pour les hébreux qui commencent à se sédentariser (les vieux levains sont éliminés en signe de renouveau). Symbolique renforcée lors de la sortie d’Egypte où c’est le sang de l’agneau qui protège les hébreux quand, dans la hâte du départ, le pain n’aura pu lever (Ex 12).
C’est au cours d’un repas s’inscrivant dans le rituel pascal que Jésus crée le geste eucharistique invitant à partager sa vie donnée, libérant de l’esclavage du péché (Mc 14, 22-24). Cette commémoration prendra place dans le Triduum pascal chrétien.
La Communion du jour de Pâques rappelle le lien entre le Christ immolé et l’agneau pascal et les pains sans levain.
Pascha nostrum immolatus est Christus, alleluia :
itaque epulemur in azimis
sinceritatis et veritatis, Alleluia, Alleluia, Alleluia. (I Co 5, 7-8)
Le Christ notre Pâque a été immolé, Alleluia. Célébrons donc cette fête avec les pains sans levain de la pureté et de la vérité, Alleluia, Alleluia, Alleluia.
Nous renvoyons à l’article consacré cette Communion (La messe grégorienne de Pâques) :
http://www.bible-parole-et-paroles.com/2018/03/la-messe-gregorienne-de-paques.html
Pour l’écouter :
La fête des moissons ou des semaines
Pour les hébreux c’est le moment d’offrir les prémices de la récolte de blé jointes à nouveau au sacrifice d’un agneau, sept semaines après la moisson de l’orge (Lv 23). Cette fête des Semaines ou Chavouot (Ex 34, 22) s’appellera ensuite « cinquantième » (50ème jour = Pentecôte) dans une tonalité joyeuse :
Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie :
il s'en va, il s'en va en pleurant, il jette la semence ; il s'en vient, il s'en vient dans la joie, il rapporte les gerbes. (Ps 125, 5-6)
Plus tard, après l’exil, se joindra à cette fête la commémoration du don de la Torah au Sinaï.
Les disciples réunis à Jérusalem à l’occasion de cette fête reçurent l’Esprit promis par Jésus (Ac 2, 1-4), marque de l’Alliance renouvelée ; cette « fête du cinquantième » jointe à la commémoration de ce don constitue la Fête de Pentecôte pour les chrétiens.
Cette fête juive qui elle-même marquait, cinquante jours après la célébration de Pessah (Pâque), l’offrande de la nouvelle récolte à Dieu maître de la fécondité et du sol est une belle image pour la venue de l’Esprit qui féconde une nouvelle création !
L’Introït pour la fête de la Pentecôte emprunte au Livre de la Sagesse (Sg 1, 7). La Sagesse, issue de Dieu, annonce la conception future de l’Esprit dans le nouveau Testament. Comme un parfum, elle est mobile et pénètre tout, « émanation toute pure de la gloire du Tout-puissant ».
L’Esprit du Seigneur remplit l’univers, alleluia, et lui qui tient ensemble toutes choses, a connaissance de tout ce qui se dit, alleluia
Spiritus Domini replevit orbem terrarum, alleluia : et hoc quod continet omnia, scientiam habet vocis, alleluia, alleluia, alleluia.
Nous renvoyons à l’article consacré à cet Introït (La messe grégorienne de la Pentecôte) :
http://www.bible-parole-et-paroles.com/2018/05/messe-gregorienne-de-la-pentecote.html
Pour l’écouter : https://www.youtube.com/watch?v=RnbiW5dbQBM
Les très Riches Heures du Duc de Berry, la Pentecôte. La Vierge entourée des apôtres reçoit le Saint-Esprit dans une basilique.
La fin des récoltes et l’automne
A cette période (septembre-octobre) des vendanges et des dernières récoltes, les hébreux célébraient la fête des « Récoltes » (Ex 23, 16 – Lv 23, 39-43). On construisait dans les champs des huttes et des tentes pour préserver les récoltes. Cela rappelait alors l’errance du peuple hébreu dans le désert. On donna le nom de fête des Tentes ou Tabernacles à cette commémoration où tous sont appelés (et encore les juifs d’aujourd’hui) à vivre sous des tentes ou des cabanes. C’était l’occasion, comme pour les deux précédentes fêtes évoquées, d’un pèlerinage à Jérusalem auquel Jean fait allusion (Jn 7, 2-10).
La dévotion chrétienne s’inscrira en quelque sorte dans cette perspective d’action de grâces pour le don des récoltes dans le cadre de Messes de la moisson célébrées fin août-début septembre ou de la Saint Fiacre (30 août), patron des jardiniers et maraîchers.
C’est l’occasion de décorer les églises avec les fruits de la terre qui sont aussi portés en procession ; le traditionnel pain bénit (brioches) est ensuite partagé entre les participants.
Fête de la moisson à Martin-Eglise (Seine-Maritime) :
https://www.martineglise.fr/une-magnifique-messe-de-la-moisson/
De fructu operum tuorum, Domine, satiabitur terra : ut educas panem de terra, et vinum laetificet cor hominis : ut exhilaret faciem in oleo, et panis cor hominis confirmet. (Ps 103, 13-15)
Du fruit de tes œuvres, Seigneur, la terre sera rassasiée ; ainsi tu produis le pain de la terre et le vin réjouit le cœur de l’homme, rend son visage rayonnant comme l’huile et le pain raffermit le cœur de l’homme.
Au cœur de l’été où les hommes récoltent les fruits variés de la terre la Communion du 21ème dimanche du temps ordinaire, reprenant ces trois versets du psaume 103, se trouve bien en situation.
Nous renvoyons à l’article consacré à cette pièce grégorienne :
http://www.bible-parole-et-paroles.com/2018/08/de-fructu-operum-tuorum.html
Pour l’écouter :
Les Messes des Quatre-Temps
Ces messes sont célébrées les mercredi, vendredi et samedi d’une même semaine à chaque changement de saison.
Elles sont parmi les plus anciennes de la liturgie romaine. Ce fut Rome, en effet, qui institua ce jeûne spécial, à trois époques de l’année : après la Pentecôte, en automne et en décembre. Au temps de Saint Léon (+ 461), un jeûne semblable fut établi pour la 1ère semaine de Carême ; et l’on parla alors des « Quatre-Temps », c’est-à dire de la sanctification, par le jeûne et la prière des quatre saisons de l’année.
Processions et messes des Rogations
Du mot latin rogatio : « action de demander », « supplication », « prière ». L’origine des Rogations remonte au Ve siècle : en un temps tragique, saint Mamert, évêque de Vienne, institua un jeûne et des processions chantées pendant les trois journées qui précèdent l’Ascension.
Le péril passé, la coutume persista et se répandit dans d’autres diocèses ; on demandait principalement, en ces supplications solennelles, la bénédiction divine sur les travaux des champs, en vue des récoltes à venir.
La messe et la procession des Rogations n’est plus liée nécessairement aux lundi, mardi et mercredi qui précèdent l’Ascension. Il revient aux Conférences épiscopales de fixer éventuellement le jour ou les jours des Rogations ; elles laissent ordinairement aux communautés paroissiales et religieuses la liberté de choisir les jours convenables. Le chant des litanies constitue la part principale des prières chantées lors de la procession des Rogations.
(Dom Robert Le Gall – Dictionnaire de Liturgie Ed. CLD, https://liturgie.catholique.fr/lexique/lettre/l/)
Contrairement aux Quatre-Temps tombés en désuétude sauf dans les communautés restées attachées au rite tridentin, les rogations retrouvent actuellement un regain de ferveur.
Les psaumes chantent la Création
Le Seigneur donnera ses bienfaits, et notre terre donnera son fruit. (Ps 84, 13)
Cf aussi par exemple Ps 64, 10-14
La nature dont on attend qu’elle donne du fruit pour nourrir les hommes annonce aussi en parabole le message divin :
Son salut est proche de ceux qui le craignent, et la gloire habitera notre terre.
Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s'embrassent ;
la vérité germera de la terre et du ciel se penchera la justice.
La justice marchera devant lui, et ses pas traceront le chemin.
(Ps 84, 10-12 et 14)
Tu prends les vents pour messagers, pour serviteurs, les flammes des éclairs.
(Ps 103, 4)
Dans les cieux, Seigneur, ton amour ; jusqu'aux nues, ta vérité !
Ta justice, une haute montagne ; tes jugements, le grand abîme !
(Ps 35, 6-7)
Ce message s’inscrit silencieusement dans la Création dont les lois physiques expriment la loi du Seigneur qui redonne vie, tel le soleil, jeune et fringant époux :
Les cieux proclament la gloire de Dieu, le firmament raconte l'ouvrage de ses mains.
Le jour au jour en livre le récit et la nuit à la nuit en donne connaissance.
Pas de paroles dans ce récit, pas de voix qui s'entende ;
mais sur toute la terre en paraît le message et la nouvelle, aux limites du monde. Là, se trouve la demeure du soleil : tel un époux, il paraît hors de sa tente, il s'élance en conquérant joyeux.
Il paraît où commence le ciel, il s'en va jusqu'où le ciel s'achève : rien n'échappe à son ardeur.
La loi du Seigneur est parfaite, qui redonne vie ; la charte du Seigneur est sûre, qui rend sages les simples.
(Ps 18, 2-8)
Cette création où Dieu continue d’intervenir le réjouit lui et les hommes :
Gloire au Seigneur à tout jamais ! Que Dieu se réjouisse en ses oeuvres !
Il regarde la terre : elle tremble ; il touche les montagnes : elles brûlent.
Je veux chanter au Seigneur tant que je vis ; je veux jouer pour mon Dieu tant que je dure.
Que mon poème lui soit agréable ; moi, je me réjouis dans le Seigneur.
(Ps 103, 31-34)
Cette création est constamment renouvelée par le Souffle créateur :
Tu envoies ton souffle : ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre.
(Ps 103, 30)
Tel est le texte de l’Alleluia pour le jour de la Pentecôte Emitte Spiritum tuum et creabuntur et renovabis faciem terrae.
Nous renvoyons à l’article consacré à cet Alleluia (La messe grégorienne de la Pentecôte) :
http://www.bible-parole-et-paroles.com/2018/05/messe-gregorienne-de-la-pentecote.html
Pour l’écouter : https://www.youtube.com/watch?v=j2Lw6KtJ1Oc
La vision du psalmiste révèle parfois un certain panthéisme où Yhwh semble se confondre avec le déchaînement des éléments :
L’eau du ciel et de la mer se répondent dans le fracas de ton déluge ; la masse de tes flots et de tes vagues a déferlé sur moi (Ps 41, 7)
Au roulement de ta voix qui tonnait, tes éclairs illuminèrent le monde, la terre s'agita et frémit. (Ps 76, 19)
Agis comme un feu dévorant la forêt, comme la flamme qui embrase les montagnes. (Ps 82, 15)
Mais Yhwh est bien au-delà des éléments qui manifestent sa présence :
Les flots se soulevèrent, Seigneur !
Les flots enflèrent la voix ; les flots déchaînèrent leur fracas.
Plus que le bruit des grandes eaux, et plus que les puissantes vagues de la mer, puissant est le Seigneur, dans les hauteurs du ciel.
(Ps 92, 3-4)
C’est par sa Parole, comme lors de la Création (Gn 1), que Yhwh agit :
Le Seigneur a fait les cieux par sa parole, l'univers, par le souffle de sa bouche.
Il parla, et ce qu'il dit exista ; il commanda, et ce qu'il dit survint. (Ps 32, 6.9)
Il envoie sa parole sur la terre : rapide, son verbe la parcourt.
Il étale une toison de neige, il sème une poussière de givre.
Il jette à poignées des glaçons ; devant ce froid, qui pourrait tenir ?
Il envoie sa parole : survient le dégel ; il répand son souffle : les eaux coulent.
Il révèle sa parole à Jacob, ses volontés et ses lois à Israël.
(Ps 147, 4-8)
Les hymnes au rythme du jour
Nous venons de voir combien les psaumes et donc le chant rituel des psaumes au sein du culte juif, auquel Jésus lui-même a participé, sont en lien avec la Création et le cosmos. Rares sont les psaumes qui ne contiennent pas ne serait-ce qu’une allusion à la nature et au Dieu Créateur. Le psaume 103 est entièrement un hymne à cette Création généreuse :
Quelle profusion dans tes œuvres, Seigneur ! Tout cela, ta sagesse l'a fait ; la terre s'emplit de tes biens.
Quelle profusion dans tes œuvres, Seigneur ! Tout cela, ta sagesse l'a fait ; la terre s'emplit de tes biens.
(Ps 103, 24)
Cette sagesse s’exprime par des lois physiques qui rythment en harmonie la vie des hommes et des animaux :
Tu fis la lune qui marque les temps et le soleil qui connaît l'heure de son coucher.
Tu fais descendre les ténèbres, la nuit vient : les animaux dans la forêt s'éveillent.
Le lionceau rugit vers sa proie, il réclame à Dieu sa nourriture.
Quand paraît le soleil, ils se retirent : chacun gagne son repaire.
L'homme sort pour son ouvrage, pour son travail, jusqu'au soir.
(Ps 103, 19-23)
Pour lire le psaume 103 en entier : https://www.aelf.org/bible/Ps/103
Le thème des jours et des nuits est aussi très présent dans les paumes. Le psaume 90 chanté tous les jours lors l’office de complies (juste avant le coucher) exprime la confiance dans le Seigneur à toute heure du jour :
Tu ne craindras ni les terreurs de la nuit, ni la flèche qui vole au grand jour,
ni la peste qui rôde dans le noir, ni le fléau qui frappe à midi.
(Ps 90, 5-6)
Ce psaume a fait l’objet d’un commentaire complet sur mon site :
http://www.bible-parole-et-paroles.com/2016/02/psaume-90-sous-les-ailes-divines.html
La nuit est propice à la méditation et à l’oraison :
Dans la nuit, je me souviens de toi et je reste des heures à te parler.
(Ps 62, 7)
Cf. aussi : Ps 76, 3-7
Tandis qu’au début du jour est dédié une louange pleine d’allégresse :
Mon cœur est prêt, mon Dieu, mon cœur est prêt ! Je veux chanter, jouer des hymnes !
Éveille-toi, ma gloire ! Éveillez-vous, harpe, cithare, que j'éveille l'aurore !
(Ps 56, 8-9)
Cf. aussi Ps 87, 14
Le soir et le matin et à midi, je me plains, je suis inquiet. Et Dieu a entendu ma voix. (Ps 54, 18)
Dès les débuts du monachisme, les moines ont récité ou chanté les psaumes. Saint-Benoît, dans sa règle rédigée vers 540, prévoit une récitation du psautier entier par semaine avec une répartition selon les jours et les heures.
Lors des offices de Prime, Laudes, Tierce, Sexte, None, Vêpres, complies qui rythment la liturgie des heures seront également chantées des hymnes en rapport avec les temps liturgiques (saisonniers et journaliers) dans ce même esprit qui anime les psaumes.
Sur la liturgie des heures : https://fr.wikipedia.org/wiki/Liturgie_des_Heures)
LAUDES (à l’aube)
Un des deux offices principaux avec les vêpres
Aeterne rerum conditor,
noctem diemque qui regis,
et temporum das tempora,
ut alleves fastidium.
Eternel Créateur du monde
qui régis la nuit et le jour
et qui rythmes le cours du temps
afin d'en alléger le poids.
Praeco diei iam sonat,
noctis profundae pervigil,
nocturna lux viantibus
a nocte noctem segregans.
Déjà, pour le jour, le coq chante,
veilleur au profond de la nuit,
lueur nocturne aux voyageurs
séparant la nuit de la nuit.
Texte intégral : https://site-catholique.fr/index.php?post/PRIERE-Aeterne-rerum-conditor-de-Saint-AMBROISE
Pour écouter : https://www.youtube.com/watch?v=maBvZyELi_U
Versets en alternance avec l’orgue : https://www.youtube.com/watch?v=bclE_JdevjM
PRIME (juste après le lever du soleil)
Iam lucis orto sidere
Deum precemur supplices,
ut in diurnis actibus
nos servet a nocentibus.
Déjà le soleil est levé ;
prions Dieu et supplions-le
de nous préserver du Mauvais
en ce jour et dans tous nos actes.
Linguam refrenans temperet,
ne litis horror insonet ;
visum fovendo contegat,
ne vanitates hauriat.
A nos langues, qu'il mette un frein
pour éviter cris et conflits ;
que son amour garde nos yeux
de s'abreuver d'images vaines.
Texte intégral : https://www.france-catholique.fr/Hymne-pour-le-dimanche-in-albis.html
Pour écouter (ton solennel) : https://www.youtube.com/watch?v=Wacvslif4F0
Nous laisserons de côté Tierce qui se célèbre vers 9h et se trouve souvent intégré à la célébration de la messe conventuelle.
SEXTE (au milieu de la journée)
Rector potens, verax Deus,
qui temperas rerum vices,
splendore mane instruis
et ignibus meridiem.
Maître puissant, Dieu Vérité,
tu règles la marche du temps,
tu formes l'aube en sa clarté,
au midi tu donnes ses flammes.
Exstingue flammas litium,
aufer calorem noxium,
confer salutem corporum
veramque pacem cordium.
Eteins le feu des dissensions,
calme la fièbre du péché,
apporte à nos corps la santé,
à nos cœurs, la paix véritable.
Pour écouter : https://www.youtube.com/watch?v=ZW7LbeKrZHU&list=PLInNZwRoKzvGSjHOClgOQFmMenjVMaQXi&index=63
NONE (début d’après-midi)
Rerum, Deus, tenax vigor,
immotus in te permanens,
lucis diurnae tempora
successibus determinans.
Dieu fort, soutien de l'univers,
qui es en toi sans changement,
tu fixes dans leur succession
les temps que le soleil mesure.
Largire clarum vespere,
quo vita numquam decidat,
sed praemium mortis sacrae
perennis instet gloria.
Donne-nous un soir lumineux
où la vie ne décline pas,
où, pour fruit de la Sainte Mort,
resplendira toujours la gloire.
Pour écouter : https://www.youtube.com/watch?v=e4ijcT19e8I
VEPRES (en fin d’après-midi)
Un des deux offices principaux avec les Laudes
Nous évoquerons d’abord le répons qui figure aux vêpres du dimanche :
Quam magnificata sunt opera tua Domine. Omnia in sapientia fecisti.
Que tes œuvres sont splendides, Seigneur. Tu as tout fait dans ta sagesse.
Hymne
Lucis creator optime,
lucem dierum proferens,
primordiis lucis novae
mundi parans originem.
Dieu bon, tu créas la lumière,
tu donnas aux jours leur lumière,
et, dans la lumière nouvelle,
tu fis commencer l'univers.
Qui mane iunctum vesperi
diem vocari praecipis :
taetrum chaos illabitur ;
audi preces cum fletibus.
Toi qui prescris d'appeler jour
le matin qui succède au soir,
quand la ténèbre nous atteint,
entends nos pleurs et nos prières.
Texte entier : https://site-catholique.fr/index.php?post/Hymne-de-Saint-Gregoire-le-Grand-sur-la-creation
Pour écouter :
- Moines de Solesmes : https://www.youtube.com/watch?v=wiuoJTQ4j3c
COMPLIES (avant le coucher)
Te lucis ante términum,
rerum creátor, póscimus,
ut sólita cleméntia
sis præsul ad custódiam.
Avant que le jour ne s’éteigne,
nous te prions, Créateur de toute chose,
dans ta bonté de toujours,
veille sur nous, garde-nous.
Te corda nostra sómnient,
te per sopórem séntiant,
tuámque semper glória
vicína luce cóncinant.
Que nos cœurs rêvent de toi,
qu’ils songent à toi pendant le sommeil,
qu’ils chantent encore ta gloire
à l’approche de la lumière.
Vitam salúbrem tríbue,
nostrum calórem réfice
tætram noctis calíginem
tua collústret cláritas.
Accorde-nous une vie saine,
réchauffe-nous intérieurement,
que ta clarté illumine
les tristes ténèbres de la nuit.
Pour écouter (par les moines de Solesmes) : https://www.youtube.com/watch?v=pQogyyR1mv4
Une œuvre pour orgue reprend le thème du Te lucis et traduit parfaitement l’atmosphère nocturne qui préside aux complies :
Jehan Alain (1911-1940), Postlude pour l’office de Complies (interprété par Marie-Claire Alain) :
Chants et mélodies caractéristiques de certains temps liturgiques
Certains chants évoquent d’emblée par leur caractère musical l’époque liturgique en lien avec la saison :
Le chant du Rorate caeli caractéristique de l’Avent évoque la mélancolie de la fin de l’automne. Commentaire sur mon blog : http://www.bible-parole-et-paroles.com/2018/12/rorate-caeli-desuper.html
et pour l’écouter : https://www.youtube.com/watch?v=D3SNXuRW08s
Rorate caeli desuper ... Cieux, répandez d’en haut votre rosée et que les nuages fassent pleuvoir le Juste ! Un très beau chant grégorien pour l’Avent !
Le Kyrie de la messe grégorienne n° XVII à l’usage des temps de l’Avent et du Carême exprime aussi cette mélancolie. Pour l’écouter :
https://www.youtube.com/watch?v=IgbycsMl3mY
A l’inverse, la séquence Victimae Paschali de la messe de Pâques évoque la fraîcheur d’un beau matin printanier qui sert de cadre au petit dialogue entre Marie-Madeleine et les apôtres.
Commentaire sur mon blog :
http://www.bible-parole-et-paroles.com/2018/03/la-messe-gregorienne-de-paques.html
et pour l’écouter : https://www.youtube.com/watch?v=0TU1LZUjlN8
Nous avons essayé de montrer dans cette modeste étude le lien très profond entre la liturgie, le chant grégorien et la Création. Le rythme des saisons et des jours leur donne une dimension cosmique.
Les moines et moniales, des origines du monachisme jusqu’à nos jours vivent le plus souvent dans des lieux magnifiques isolés au sein de la nature et ceux qui sont installés dans des zônes urbaines ont généralement autour d’eux des jardins. A la suite de l’encyclique Laudato si, les religieux redécouvrent ou enrichissent ce lien profond à la nature consubstantiel à leur liturgie.
Encore faudrait-il que le cérémonial de la liturgie des Heures montrât cette adéquation avec l’horloge cosmique. Il est surprenant de voir des abbatiales abondamment éclairées (les nouveaux éclairages sont généreux et peu coûteux) au moment des vêpres tandis qu’il est chanté :
Toi qui prescris d'appeler jour
le matin qui succède au soir,
quand la ténèbre nous atteint,
entends nos pleurs et nos prières
(hymne Lucis Creator optime)
Les complies bénéficient en général d’une lumière beaucoup plus discrète.
On pourrait en dire autant de la décoration florale qui, en l’absence de fleurs de jardin, fait appel aux mêmes fleurs vendues à longueur d’année par les fleuristes.
Détails, diront certains … Mais il en va de la puissance symbolique de la prière quand elle se trouve en lien avec le cosmos.
C’est un beau témoignage à livrer à nos contemporains devenus si éloignés de la nature par leur habitat et leur mode de vie mais qui recherchent de plus en plus leur lien adamique.
« Quand la parole se fait musique, il y a bien passage aux sens, incarnation, annexion de forces en deçà et au-delà du rationnel, captage de l’harmonie cachée de la création, révélation du chant qui sommeille au fond des choses ».
« La vraie liturgie se reconnaît au fait qu’elle est cosmique et non réduite au groupe. Elle chante avec les anges. Elle se tait comme se tait l’attente des profondeurs de l’univers. Et c’est ainsi qu’elle délivre la terre. »
« Liturgie et musique d’Eglise » : Article de Joseph Ratzinger dans la revue Communio, Tome XII, janvier-février 1988, p. 60-78, repris dans « Peut-on modifier la liturgie – Eléments de réflexion après Vatican II » (recueil d’articles du cardinal Ratzinger. Ed. L’échelle de Jacob, 2010, p. 99 et 107).
« Comme le païen, j’adore un Dieu palpable. Je le touche même, ce Dieu, par toute la surface et la profondeur du Monde de la Matière où je suis pris. Mais, pour le saisir comme je voudrais (simplement pour continuer à le toucher), il me faut aller toujours plus loin, à travers et au-delà de toute emprise, - sans pouvoir jamais me reposer en rien, - porté à chaque instant par les créatures, et à chaque instant les dépassant, - dans un continuel accueil et un continuel détachement. »
Pierre Teilhard de Chardin, « La messe sur le monde », « Le Feu dans le Monde ». Ed. du Seuil (Coll. Points, Sagesse, p. 37).
Notes
** Article « Chant et rite » : https://miscellanees.monsite-orange.fr/page-5f9ac85ae7101.html
*** Je renvoie à un précédent article qui abordait déjà ce caractère cosmique de la liturgie « La vraie liturgie chante avec les anges » :
http://www.bible-parole-et-paroles.com/2016/08/la-vraie-liturgie-chante-avec-les-anges.html
**** Missel quotidien des fidèles, par le Père J. Feder, S. J., Tours, Maison Mame, 1964.
Il est possible de suivre la Liturgie grégorienne des Heures sur deux sites :
- Monastère bénédictin Sainte-Madeleine du Barroux : https://www.barroux.org/fr/liturgie/ecoutez-nos-offices.html
- Monastère bénédictin Notre-Dame de Triors (Laudes, tous les jours vers 6h et vêpres à 17h, les dimanches et fêtes) :
- Divers monastères :
https://player.radio-esperance.fr/?radio=chant-gregorien#current
Compléments
Les Très Riches Heures du duc de Berry sont un Livre d'Heures commandé au XVème siècle par le duc Jean Ier de Berry et actuellement conservé au musée Condé à Chantilly (France). Un Livre d'Heures est un livre liturgique destiné aux fidèles catholiques laïcs — à la différence du bréviaire, destiné aux clercs — et permettant de suivre la liturgie des Heures en lien aussi avec le déroulement de l’année liturgique. Les miniatures décorant chaque mois du calendrier montrent en particulier des scènes paysannes correspondant aux saisons.
L’Homme anatomique ou Homme zodiacal représente un homme dont les différentes parties du corps sont reliées à l’un des douze signes du zodiaque, des poissons vers le bélier. L'homme se dédouble et est entouré d'une double mandorle, dans laquelle sont reproduits à nouveau les signes du zodiaque.
Les moissons
Les travaux du mois de juillet représentent la moisson et la tonte des moutons. Deux personnages fauchent les blés à l'aide d'un volant et d'une baguette. Un volant est une longue faucille ouverte dont le manche fait angle avec le plat de la lame. À l'aide de la baguette, ils dégagent un paquet de tiges qu'ils coupent en lançant le volant. Les moissonneurs avancent de l'extérieur de la parcelle en se dirigeant vers son centre en tournant. L'un d'entre eux porte une pierre à aiguiser à la ceinture. Deux autres personnages, dont une femme, coupent la laine des moutons à l'aide de forces. Exception faite des montagnes imaginaires, le paysage représente, au premier plan, la rivière Boivre se jetant dans le Clain, à proximité du palais comtal de Poitiers.
Septembre
Septembre est illustré par les vendanges. Cinq personnages cueillent du raisin tandis qu'un homme et une femme, apparemment enceinte, se reposent. Les grappes sont déposées dans des paniers qui sont ensuite vidés dans des hottes fixées sur des mulets. Ces hottes sont elles-mêmes déversées dans des cuves chargées dans des charrettes tirées par des bœufs. Le second plan est entièrement occupé par le château de Saumur en Anjou, région déjà viticole à l'époque. Les tours sont coiffées de girouettes à fleurs de lys. À ses abords, une lice est représentée avec sa barre centrale et son mur de treillage.
Retable de l’Agneau mystique
L’Adoration de l'Agneau mystique ou Autel de Gand (en néerlandais : Het Lam Gods, littéralement L'Agneau de Dieu), achevé en 1432, est un polyptyque peint sur bois, un chef-d'œuvre de la peinture des primitifs flamands.
Depuis 1986, il est présenté dans l'ancien baptistère de la cathédrale Saint-Bavon de Gand, transformé en chambre forte, à la suite de vols répétés.
Les panneaux inférieurs centraux montrent l'adoration de l'Agneau de Dieu, entouré de fidèles alignés les uns derrière les autres attendant de pouvoir adorer l'agneau. Dans le ciel, une colombe, représentant l'Esprit-Saint, illumine la scène. L'agneau est entouré de quatorze anges. Au premier plan, la fontaine de vie se déverse dans une petite rivière, son lit est recouvert de pierres précieuses.
(Commentaires rédigés à partir de Wikimedia)
On trouvera dans le fichier ci-joint deux extraits importants (p. 148-150 et P. 160-162) du livre de François Cassingéna-Trévedy « La liturgie -Art et métier » (Edition Ad Solem, 2007). Ils donnent un approfondissement du Fondement cosmologique de la liturgie tel que nous l’avons modestement esquissé dans notre propos tiré d’exemples. L’auteur et son éditeur voudront bien excuser cet emprunt à leur livre que je recommande absolument de lire à tous ceux que la liturgie intéresse.